Opération Beyrouth ★☆☆☆

1972. Mason Silkes (Jon Hamm) est un diplomate promis à un brillant avenir. Ministre-conseiller à l’ambassade américaine à Beyrouth, il reçoit avec sa femme Nicole (Leila Beikhti) et son fils adoptif Karim tout le gratin libanais dans sa belle résidence. Mais un groupe terroriste tue Nicole et kidnappe Karim.
1982. Mason Silkes vit désormais aux États-Unis et noie son chagrin dans l’alcool. Le département d’État le rappelle pour une mission spéciale à Beyrouth où son ancien collègue Cal (Mark Pellegrino) vient de se faire kidnapper. Sur place, Sandy Crowder (Rosamund Pike), une agente de la CIA sous couverture, va l’épauler.

Tony Gilroy est un des scénaristes les plus doués de sa génération. C’est lui qui a signé les scénarios de la saga Jason Bourne, transformant les insipides romans de Robert Ludlum en films d’action iconiques. On lui a même confié la responsabilité de Rogue One, un des spin-offs de la franchise Star Wars. L’idée de Beirut (subtilement rebaptisé en VF Opération Beyrouth) remonte à loin, à l’histoire vraie du responsable de l’antenne de la CIA à Beyrouth kidnappé en 1984 par le Hezbollah.

Sur le papier, Opération Beyrouth a les atouts des Syriana, Mensonges d’Etat ou Homeland : un film d’action, avec des personnages charismatiques (Jon Hamm et Romsaund Pike aussi sexys l’un que l’autre), une intrigue à rebondissements, un arrière-plan géopolitique compliqué.

À l’écran hélas le résultat est décevant. Opération Beyrouth manque de rythme, dont la réalisation plan plan fait se succéder des scènes convenues. Opération Beyrouth manque de suspens, qui essaie sans y parvenir de nous faire trembler pour des personnages dont on suit en baillant les déboires. Opération Beyrouth manque de piment faute d’alchimie entre ces deux héros, excellents quand ils sont seuls, calamiteux quand ils se donnent la réplique. Opération Beyrouth manque d’originalité qui raconte une histoire et des situations qu’on a déjà mille fois vues filmées avec autrement de talent.

La bande-annonce

La mauvaise réputation ★★★☆

Nisha a seize ans. D’origine pakistanaise, elle vit en Norvège avec son père qui s’est sacrifié pour donner à ses enfants l’espoir d’une vie meilleure, sa mère, son frère aîné qui rêve de faire des études de médecine et sa sœur cadette qui n’est pas encore sortie de l’enfance. Nisha a les loisirs ordinaires des adolescentes norvégiennes de son âge : elle joue au basket, envoie des SMS, flirte avec des garçons… Mais ses parents, soucieux de « ce que les gens disent » (pour traduire mot à mot le titre norvégien), surveillent étroitement l’éducation de leur fille. Tout bascule quand le père de Nisha la surprend dans sa chambre en compagnie d’un garçon.

Iram Haq sait de quoi elle parle. On imagine volontiers la part d’autobiographie que contient le deuxième film de cette actrice norvégienne d’origine pakistanaise, née à Oslo en 1976, passée depuis quelques années derrière la caméra. Le risque était grand qu’elle y égrène gentiment ses souvenirs, l’histoire d’une jeune fille à cheval entre deux cultures, dont les amourettes adolescentes doivent passer à la censure d’un contrôle parental tatillon.

Il n’en est rien. La mauvaise réputation choisit le drame façon Jamais sans ma fille. Au bout de trente minutes, par un saut dans l’espace aussi abrupt qu’inattendu, il nous transporte au Pakistan – l’affiche du film le laissait déjà à moitié présager. Car, pour le bien de sa fille, pour la sauver de la mauvaise réputation que son imp.r.udence lui vaut désormais dans la communauté pakistanaise de Norvège, son père décide de la renvoyer chez sa tante.

Le film change du tout au tout. La chronique gentillette d’une jolie jeune fille en mal d’intégration en Norvège devient le drame d’une femme kidnappée au Pakistan qui cherche à s’évader. On partage son désarroi ; on espère avec elle un sauvetage ; on est terrassé par son infortune. Bientôt le film prend un second tournant. Nouveau bond dans l’espace dont on ne dira rien sans en dévoiler l’intrigue. Avant de se conclure, on en voit venir un troisième qui n’aura pas lieu car le scénario prend un nouveau chemin, parant l’un des personnages d’une humanité qu’on ne lui espérait plus.

Ce qui séduit dans La mauvaise réputation c’est sa capacité à bifurquer, à nous entraîner là où on ne s’y attendait pas, à nous surprendre sans cesser de nous émouvoir. Déjà, l’an passé, le réalisateur belge Stephan Streker réalisait Noces sur le mariage forcé d’une jeune Belgo-pakistanaise, un des films de mon Top Ten 2017. Le filon est décidément fertile.

La bande-annonce

Les Anges portent du blanc ★★☆☆

Mia travaille dans un petit hôtel à moitié vide d’une station balnéaire chinoise. Une nuit, un homme s’enregistre avec deux jeunes filles. Il loue deux chambres, s’installe dans la première et les deux filles dans la seconde. Mais grâce aux caméras de surveillance, Mia découvre qu’il les rejoint nuitamment et enregistre la scène sur son téléphone portable.
Le lendemain, les enseignants des deux jeunes filles, alertées par leur comportement inhabituel à leur retour au collège, demandent un examen médical qui révèle le viol qu’elles ont subi. La police mène l’enquête et interroge le personnel de l’hôtel. Mais Mia, qui travaille sans papiers, n’ose pas témoigner.

La Chine exporte des téléphones portables, des chaussettes… et des films. Pas les wu xia pan, ces films de sabre si populaires en Chine mais totalement incompréhensibles hors de ses frontières. Mais des petits films noirs, poisseux, d’ailleurs pas toujours diffusés en Chine soit que la censure leur mette des bâtons dans les roues, soit qu’ils n’y trouvent pas de public. Zhang Yimou hier – avant d’être rattrapé par l’industrie du blockbuster – Jia Zhangke et Wang Bing aujourd’hui sont les porte-étendards de ce cinéma-là.

Il décrit non sans noirceur la réalité de la Chine contemporaine, la corruption galopante (Black Coal, Mystery), la violence prête à exploser (A Touch of Sin), le délitement du lien social (People Mountain People Sea, Fantasia), le sort pitoyable désormais réservé aux aînés (Le Rire de Madame Lin), la déréliction des hôpitaux (À la folie), la pollution galopante (Sud eau nord déplacer), les conditions de travail débilitantes des ateliers (Argent amer) ou des mines (Blind shaft)…

C’est à l’enfance malheureuse que s’intéresse Vivian Qu, la productrice du remarquable Black Coal, qui a écrit le scénario et assuré la réalisation des Anges portent du blanc. L’enfance malheureuse des deux gamines victimes inconscientes de la pédophilie d’un apparatchik sans scrupule. Et l’enfance malheureuse de Mia, dont on ne saura rien du passé chaotique, sinon qu’il l’a conduite, à peine sortie de l’enfance, à quitter sa terre natale pour venir s’employer sur la côte, comme des millions de Chinois.es, sans papiers et pour un salaire de misère.

N’espérez pas de happy end. La fin du film est d’un pessimisme désespérant. Au point qu’on pourrait trouver la barque trop chargée sur le point de sombrer. Pour autant, une fin plus gaie n’aurait eu aucun sens, sinon celui, bien futile, de rasséréner le spectateur en mal de pensée positive.

La bande-annonce

Everybody knows ★★☆☆

Laura (Penelope Cruz) a émigré en Argentine pour y épouser Alejandro (Ricardo Darin). Elle revient en Espagne avec ses deux enfants pour le mariage de sa sœur. Elle y retrouve, dans la joie des festivités toute sa famille ainsi que Paco (Javier Bardem) son amour de jeunesse, qui a repris l’exploitation viticole familiale.
Mais un drame survient la nuit des noces qui va faire remonter à la surface les rancœurs enfouies.

Everybody knows a fait l’ouverture du festival de Cannes. À l’affiche, le couple de stars sans doute le plus hype du moment. Derrière la caméra, un réalisateur iranien rendu célèbre par Une séparation, Ours d’Or à Berlin , César, Golden Globe et Oscar du meilleur film étranger en 2011. De quoi susciter une attente, excitation et risque de déception.

Ashgar Farhadi aurait pu aller se perdre en Espagne, dans un biotope qui n’est pas le sien. Sa première tentative d’expatriation, le trop aride Le Passé, tourné en France en 2013, n’avait pas totalement convaincu. Les premières minutes de Everybody knows font craindre le pire. On s’y croirait dans une sous-histoire de Vicky Cristina Barcelona, l’étape espagnole du tour du monde de Woody Allen. Précisément, celle où le séduisant Javier Bardem emmène dans un bimoteur en escapade Penelope Cruz et Rebecca Hall visiter un village de carte postale de Galice.

Mais lentement le charme opère. Ashgar Farhadi prend son temps pour camper les personnages. Loin de lasser, cette lente exposition séduit. On assiste aux noces comme le ferait un lointain cousin de la famille, relégué à une table périphérique, mais régulièrement réapprovisionné en sangria.
Puis, soudainement, le film change de ton. La tendre chronique familiale vire à l’aigre ; la comédie tourne au drame. Les critiques invoquent à ce sujet Hitchcock et Bergman. Elles ont raison. Hitchcock pour l’intrigue policière. Bergman pour l’exposition sadique des jalousies domestiques.

Et nos craintes sont apaisées. Farhadi réussit à changer de pays sans perdre son âme. Il y a du mérite. Car d’autres réalisateurs se seraient laissés intimider par des acteurs aussi impressionnants : la fine fleur du cinéma ibéro-américain avec non seulement le couple-fashionista Cruz-Bardem mais aussi la star argentine Ricardo Darin et les seconds rôles Eduard Fernandez (L’Homme aux mille visages), Barbara Lennie (La Nina de Fuego) et Ramon Barea (Blancanieves, Abracadabra). Derrière cette artillerie lourde, on retrouve les thèmes chers au cinéaste iranien : la dissection du couple, des traumas refoulés, la loyauté et la fidélité mises à mal…

Alors pourquoi deux étoiles seulement ? Parce que, tout en reconnaissant la maîtrise formelle de Farhadi et la qualité de sa direction d’acteurs – avec un bémol toutefois pour Cruz un peu caricaturale dans son rôle de mère éplorée – je n’ai pas été touché par cette histoire là où j’avais été bouleversé par celle de Une séparation. C’est peut-être l’écueil qui guette ce réalisateur qui, à force de vouloir nous tétaniser par des scénarios si écrasants, risque de nous étouffer.

La bande-annonce

Place publique ★★☆☆

Productrice de télé survoltée, Nathalie (Léa Drucker) pend la crémaillère de la belle maison qu’elle vient d’acquérir « à trente-cinq minutes de Paris à vol d’oiseau »… mais un peu plus en voiture. Autour d’elle, sa sœur Hélène, toujours prête à s’engager pour la cause des déshérités au risque de négliger ses proches, l’ex-mari d’Hélène, Castro (Jean-Pierre Bacri) dont le talk-show racoleur produit par Nathalie connaît une perte de popularité, son chauffeur (Kevin Azaïs), la fille de Castro et d’Hélène, Nina (Nina Meurisse) qui va publier un roman à clés où elle caricature ses parents, la nouvelle femme de Castro, Vanessa (Hélène Noguera), ancienne miss Météo rêvant de monter sur les planches, Jean-Paul (Frédéric Dupont), l’homme dont Hélène est depuis toujours amoureuse, Biggistar, une nouvelle star de YouTube, etc.

Il est de bon ton de dire du mal du dernier film d’Agnès Jaoui. Les JaBac (Jaoui-Bacri), longtemps couple à la ville, pour toujours couple à l’écran, auraient épuisé la veine qui avait fait le succès de Un air de famille, On connaît la chanson, Le Goût des autres. Leurs grimaces feraient moins rire ; leurs dialogues feraient moins mouche.

La critique est méchante. car place publique est loin d’être un mauvais film. Il contient quelques scènes hilarantes – qui le seraient plus encore si on ne les avait vues et revues dans la bande-annonce diffusées ad nauseam avant la sortie du film. La direction d’acteurs est impeccable qui laisse s’exprimer tous les talents (mention spéciale à Léa Drucker, Sarah Suco et Olivier Broche). Et la morale du film, même si elle n’est guère innovante, touche souvent juste, qui fait le procès de la télé-spectacle, de la soif de célébrité et du jeunisme.

Place publique n’en a pas moins un immense handicap : il sort six mois après Le Sens de la fête, dont il reproduit quasiment à l’identique l’intrigue (une fête réunit l’espace d’une soirée une brochette de personnages), la tête d’affiche (Jean-Pierre Bacri au sommet de sa bacritude), le propos (une coupe longitudinale de la société française et de ses tics). Sur tous les tableaux, Place publique est juste un petit peu moins bon que Le Sens de la fête. Il m’a moins fait rire, m’a moins ému aussi.

La raison en vient peut-être, et paradoxalement, du manque de finesse du film de Nakache-Toledano. Les personnages de Gilles Lellouche, Jean-Paul Rouve, Vincent Macaigne ou Benjamin Lavernhe étaient hilarants parce qu’ils étaient monolithiques : un DJ prétentieux, un photographe ringard, un dépressif à la masse, un marié prétentieux… Dans Place publique, les personnages sont plus subtils, ni franchement sympathiques, ni carrément antipathiques. Du coup on s’y attache moins.

La bande-annonce

My Wonder Women ★★★☆

Récemment dévoilées par l’historienne américaine à Harvard Jill Lepore (The Secret History of Wonder Woman, 2014), la vie et l’oeuvre du professeur William Marston ont de quoi choquer les ligues de vertu. Dans l’entre-deux guerres, il enseignait avec sa femme Elizabeth – que la misogynie des temps avaient empêché de soutenir un PhD – la psychologie dans un collège de jeunes filles de la Côte Est. Le couple inventa le détecteur de mensonges en 1922. Pour les aider dans leurs recherches, William et Elizabeth recrutent et séduisent la jeune Olive Byrne, la nièce de Margaret Sanger, la fondatrice du féminisme moderne.

Mais les ragots vont bon train qui conduisent au renvoi de William désormais interdit d’enseigner et obligé de vivre de sa plume. C’est en puisant dans ses fantasmes que le professeur William Marston va alors inventer Wonder Woman la super héroïne la plus célèbre de la bande dessinée, avec son body en lycra frappé aux couleurs de la bannière étoilée, son diadème, son lasso et ses bracelets pare-balles.

Le premier tiers du film n’est pas le plus réussi qui décrit les recherches scientifiques du couple Marston et leur rencontre avec la troublante Olive. On aurait pu nous épargner quelques scènes de détecteurs de mensonge où, comme de bien entendu, l’aiguille s’affole lorsque l’innocente jouvencelle s’entête à nier les sentiments qu’elle éprouve au contact du beau professeur et de sa séduisante épouse.
Il est beaucoup plus stimulant dans sa deuxième, où s’installe le « trouple », entre jeux érotiques raffinés, réprobation sociale et famille élargie (William aura deux enfants d’Elizabeth et deux d’Olive)
Mais c’est sa troisième  qui est la plus stimulante, pour les fans de bandes dessinées comme pour les féministes, qui procède à une relecture de Wonder Woman, princesse grecque élevée au milieu des femmes dans le culte de Sappho, qui, pour l’amour d’un officier britannique, le suit dans l’Angleterre du Blitz et met ses super-pouvoirs au service de la lutte contre l’envahisseur nazi.

My Wonder Women a reçu un accueil public et critique mitigé qu’il ne méritait pas. Sous ses airs d’inoffensif biopic, il s’agit d’un film étonnamment transgressif qui parle de triolisme et de sadomasochisme. Il le fait avec l’élégance qui caractérisait les personnages de l’époque, qu’on croirait tout droit sortis d’un épisode de Downton Abbey. Il le fait sans aucune vulgarité. Il le fait surtout avec le romantisme très premier degré qui imprègne les bluettes sentimentales d’hier et d’aujourd’hui. My Wonder Women a le bondage bon enfant, la badine badine. L’effet est paradoxal. Les cyniques y verront de la niaiserie, les bégueules du vice pernicieux, les autres un éloge de l’amour libre et une ode au féminisme.

La bande-annonce

Retour à Bollène ★☆☆☆

Nassim est franco-marocain. Il a grandi à Bollène. Il est parti à Dubaï gagner sa vie dans la finance et épouser une Américaine.
Le temps d’un court séjour, il revient chez lui, sur une terre qu’il ne reconnaît pas, gangrénée par le racisme et l’extrême droite, rendre visite à sa mère, à ses deux sœurs, à un demi-frère qui sombre dans la schizophrénie et prenant soin d’éviter un père qu’il renie.

Retour à Bollène tangente trois sujets terriblement stimulants.

Premièrement, le retour au pays du fils prodigue.  La joie de sa famille et de ses amis de le revoir. Sa joie à lui mais aussi son malaise de retrouver des lieux et des visages dont sa vie l’a progressivement éloigné. Des sentiments que nous avons ressentis pour peu qu’on ait quitté le cocon familial pour entreprendre, loin de chez soi, des études à Paris et y débuter sa vie professionnelle. Un sujet traité dans Retour à Forbach ou Citoyen d’honneur. Un sujet largement autobiographique pour le réalisateur Saïd Hamich qui grandit à Bollène avant de monter à Paris pour devenir producteur.

Deuxièmement, comme le titre l’annonce, une analyse sociologique de Bollène, une petite ville sans âme du sillon rhodanien devenue terre d’élection de l’extrême droite. Un excellent documentaire, à diffuser dans les cours de géographie électorale, l’analysait finement. Mains brunes sur la ville montrait comment la crise économique combinée à une importante communauté maghrébine mal intégrée avait fait le terreau des idées extrémistes. Comme l’ancien professeur de lettres de Nassim, les communistes ont rallié le FN passant d’un extrême à l’autre « par la porte de derrière »;

Troisièmement, le mal être de la deuxième génération d’Afrique du nord, ces enfants d’immigrés, nés en France de parents maghrébins. Le très politiquement correct Fatima en faisait un tableau idéalisé. Son succès public et critique montrait que le sujet était toujours d’actualité et que nous aspirions tous à le voir réglé le mieux possible. La réalité est sans doute plus amère comme l’illustre le personnage de Nassim qui, faute de trouver une place en France, est parti la chercher aux Émirats.

Malheureusement, Retour à Bollène ne traite aucun de ces sujets. Trop court – soixante-neuf minutes – il se compte de les ébaucher. Il nous laisse sur notre faim, orphelin du film que nous espérions.

La bande-annonce

L’Homme dauphin, sur les traces de Jacques Mayol ★★☆☆

On a tous vu Le Grand bleu. Une fois au moins pour toutes les personnes de mon âge, même celles qui cet été-là n’allèrent voir qu’un seul film. Cinq en ce qui me concerne – y compris la version longue. Vingt-quatre pour un ami particulièrement addict qui a passé tout l’été 1988 à le regarder en boucle.

Le film de Luc Besson était librement inspiré de la vie de Jacques Mayol, de sa passion pour la mer et les dauphins, de sa rivalité avec l’Italien Enzo Maiorca et de ses tentatives de battre le record du monde de plongée en apnée. Pas évident d’en faire un thriller aux multiples rebondissements. Pourtant le film eut un succès immense et marqua toute une génération.

Le documentaire de Lefteris Charitos raconte très classiquement la vie de l’apnéiste né en 1927 en Chine – où son père travaillait comme architecte pour la municipalité de Shanghai. Voir le jour sur les lieux mêmes où se déroule La Condition humaine de Malraux prédispose sans doute à une vie d’aventures. Et Jacques Mayol vécut une vie de saltimbanque entre Marseille où il grandit, la Suède où il se maria et eut deux enfants, les États-Unis où il travailla longtemps au Seaquarium de Miami, les Bahamas, le Japon, l’île d’Elbe où il finit par s’installer.

Une seule passion : la mer, « l’élément premier ». Il n’a jamais eu le sens de la compétition – comme le montrait d’ailleurs fort bien le personnage lunatique interprété par Jean-Marc Barr, mais recherchait une impossible symbiose avec la mer et les dauphins. Sa quête n’était pas sportive, mais spirituelle. En plongeant dans les grandes profondeurs, il y recherchait la paix, l’ataraxie, l’équilibre, l’harmonie.

Le film contient des plans sous-marins d’une hypnotisante beauté. Il raconte l’histoire d’un homme hors du commun dévoré par sa passion. Mais il décrit aussi, sans le vouloir, sa face plus noire, son égoïsme foncier qui le conduisit à abandonner ses enfants, son donjuanisme compulsif, ses phases de dépression qui débutèrent avec l’assassinat sanglant de sa compagne en 1975 et culmina avec son suicide en 2001.

La bande-annonce

Et mon cœur transparent ★☆☆☆

Lancelot Rubinstein (Julien Boisselier) vient de perdre sa femme. Sa voiture a fait une sortie de route et est allée se noyer dans un lac de retenue. Il avait rencontré Irina (Caterina Murino) quelques années plus tôt et avait tout quitté pour vivre avec elle dans une maison isolée au bord de la Méditerranée. Mais, au fur et à mesure que l’enquête policière tente d’éclaircir les circonstances de sa mort, Lancelot va découvrir des pans cachés de la vie d’Irina.

Et mon cœur transparent est un morceau d’un vers célèbre de Verlaine. C’est aussi le titre du roman de Véronique Ovaldé sorti en 2008 qui lui valut la reconnaissance du public et de la critique. C’est une histoire telle que l’affectionnait le film noir des années 40 ou 50, à la frontière du polar et du drame, façon Assurance sur la mort, Le Faucon maltais ou Laura : une femme fatale, un héros aveuglé par l’amour, une intrigue à tiroirs.

De telles références sont écrasantes. Et, évidemment, le film des frères Vital-Durand ne se hisse pas à ce niveau. Mais ils ne sont pas à blâmer. Leur film montre caricaturalement combien les intrigues des années 40 sont devenues infilmables aujourd’hui. La faute d’abord à la lumière. Le film noir avait son identité visuelle, ses noirs et blancs très contrastés, ses éclairages expressionnistes… Et mon cœur transparent a le défaut d’être en couleur et de baigner dans la lumière solaire de la Corse – et dans ses sublimes paysages.

La faute ensuite au registre ironique sinon absurde qu’emprunte volontiers Et mon cœur transparent qui ne réussit pas à rester dans les codes du film noir. Il ne se prend jamais vraiment au sérieux et ressent le besoin de s’évader, de s’aérer, par exemple avec Sara Giraudeau, parfaite dans le rôle d’une cruche écervelée avec socquettes et col Claudine.

Et mon cœur transparent a un dernier défaut plus rédhibitoire encore. C’est son interprète principal, Julien Boisselier, que j’adore depuis que je l’avais découvert aux côtés de Julie Gayet au début des années 2000 dans Clara et moi. Cet acteur a un charme fou, une ironie subtile, une fragilité attendrissante … bref un jeu beaucoup trop moderne pour incarner le héros d’un film noir façon Humphrey Bogart ou Edward G. Robinson.

La bande-annonce

Gueule d’ange ★☆☆☆

Marlène (Marion Cotillard) brûle la vie par les deux bouts. Incapable de se poser, incapable de se discipliner, elle passe de lit en lit, de mec à mec, d’une saoulerie à l’autre. Son seul trésor, sa seule planche de salut : sa fille, Elli, huit ans.

La bande annonce m’avait mis l’eau à la bouche. Sur un crescendo endiablé, elle évoquait une mère toxique, une gosse en perdition, un père de substitution. Hélas tout y était dit. Il n’y a, dans les cent-huit minutes que dure Gueule d’ange, pas grand-chose de plus que dans les cent-une secondes de sa bande annonce.

Il y manque en particulier une histoire. Même si on l’a déjà vu souvent, le duo formé par une mère immature et son enfant est riche de potentialités dramatiques. Le scénario de Vanessa Filho n’en exploite aucune. Une fois introduits les personnages, tout s’arrête, laissant le spectateur qui avait commencé à s’y intéresser sur sa faim. Faute d’être dirigée, Marion Cotillard, en roue libre, en fait des tonnes. La jeune Aymine Aksoy-Etaix réussit à lui voler la vedette.

C’est d’autant plus dommage que Gueule d’ange, fraîchement accueilli à la sélection Un certain regard du dernier festival de Cannes, aurait pu être un grand film si les frères Dardenne ou Jacques Audiard s’en étaient saisis.

La bande-annonce