Mes provinciales ★★★☆

La vingtaine, Étienne monte à Paris poursuivre ses études de cinéma. Il laisse derrière lui Lucie, sa petite amie, dont sa nouvelle vie va lentement mais sûrement l’éloigner. Il partage un appartement avec Valentina puis avec Annabelle, qui préfère aux bancs de l’université l’ambiance militante des luttes prolétariennes et dont il tombe amoureux. Il se fait des amis à Paris VIII, en classe de cinéma, Jean-Noël, un fidèle second, toujours de bonne humeur, et surtout Mathias qui embrasse une conception intransigeante de son art au risque de se mettre ses camarades à dos.

Il existe une bonne demie-douzaine de raisons de détester ces Provinciales. Son titre prétentieux, avec son adjectif possessif, singulier et narcissique, sa référence prétentieuse à Pascal (il y vilipendait les « petits arrangements » des Jésuites). Son noir et blanc chichiteux. Le jeu artificiel de ses acteurs qu’illustre par exemple une scène de classe aux dialogues trop lus. La vie oisive sans compas ni boussole de ses personnages. Leur manichéisme dans l’opposition entre William, qui ne jure que par Fincher et Verhoeven, et Mathias, qui se réclame de Murnau et de Ford.

Mais, on pourrait aussi, pour les mêmes exactes raisons, y voir un des meilleurs films de l’année.
Mes Provinciales n’emprunte pas seulement au titre de Pascal et à son sujet, mais aussi à cette faune de Parisiens que nous avons tous connus et dont nous avons parfois fait partie, d’autant plus « parisiens » qu’ils n’étaient pas nés dans la capitale, qu’ils venaient d’y « monter » et qu’ils étaient désireux d’en comprendre les codes et d’en adopter les tics.
Un noir et blanc qui donne au film une patine intemporelle – même si l’actualité la plus récente est évoquée incidemment qu’il s’agisse de l’élection d’Emmanuel Macron ou des ZAD – et filme au plus près des visages encore adolescents d’une émouvante beauté.
Une pléiade d’acteurs qu’on a déjà vus dans des petits films français et qui déploient, avec la grâce touchante de leurs vingt ans un jeu tout en nuance : Andranic (quel drôle de prénom) Manet, le double autobiographique du réalisateur, l’incandescente Sophie Verbeeck (Le Collier rouge), la fragile Diane Rouxel (Les Garçons sauvages), la mutine Jenna Thiam (L’Indomptée, L’Année prochaine), Corentin Fila (Quand on a 17 ans)…
Des dialogues sans doute trop écrits, mais d’une rare profondeur, comme l’illustre précisément cette scène de classe où s’affrontent deux conceptions antinomiques du cinéma, l’une guidée par le plaisir qu’il doit donner au spectateur, l’autre campée sur l’intransigeance de sa seule pureté.
Et enfin la vie tout simplement. Celle de ces jeunes adultes que nous avons tous été, au temps où l’horizon des possibles nous était infini, au temps où nous étions sur le point de réussir notre vie, au risque de la rater, avant tout bêtement que de la vivre.

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Ready Player One ★☆☆☆

En 2045, l’humanité se morfond dans des villes surpeuplées et polluées. Pour échapper au quotidien, les habitants se réfugient dans des mondes parallèles. L’Oasis est le plus populaire. L’inventeur de cette réalité virtuelle vient de mourir à la tête d’une immense fortune. Il propose de la céder à qui trouvera « l’œuf de Pâques » qu’il a caché dans un recoin du jeu.
Wade Watts est un jeune orphelin qui, sous les traits de Parzival, joue régulièrement. Avec quelques amis virtuels, Aech, le colosse bricoleur, Art3mis, la jolie motarde, Daito, le samouraï et Sho, le guerrier ninja, il se lance dans la quête de l’œuf de Pâques. Mais Sorrento, le puissant directeur de la multinationale IOS , entend bien mettre la main sur le magot le premier.

Ready Player One a été accueilli par des louanges dithyrambiques. Du Monde à Libération, en passant par Télérama et Les Inrocks, la critique fait preuve d’un unanimisme suspect. Et les spectateurs ont réservé un accueil triomphal à Ready Player One qui a fait près d’un million d’entrées en France durant sa première semaine d’exploitation.

Les critiques ont salué en particulier, dans des articles qui résonnaient parfois comme autant d’éloges funèbres, le génie de Steven Spielberg. Nul doute qu’il mérite ses éloges au regard de son impressionnante filmographie qui accumule les chefs d’œuvre et les succès. Cette filmographie compte deux veines principales. La première, à laquelle Spielberg semblait s’être abonné ces dernières années, sont les grands films sérieux tournés avec un classicisme efficace : Pentagon Papers, Le Pont des Espions, Lincoln, Cheval de guerre, Munich, Il faut sauver le soldat Ryan, La Liste Schindler… La seconde, qu’il semblait au contraire avoir abandonnée, est destinée à un public plus jeune : E.T., Indiana Jones et ses suites, Jurassic ParkReady Player One marquerait le retour de Spielberg à cette veine.

Et c’est bien là, à mon sens que le bât blesse. Car Ready Player One veut jouer sur les deux tableaux. D’un côté les références nostalgiques aux 80ies, aux jeunes années de Steven Spielberg (né en 1948… et qui n’était donc plus si jeune que cela) qu’on imagine volontiers fasciné par les premiers jeux Atari, par les films de Kubrick et les tubes de Van Halen, les Bee Gees, A-ha, Depeche Mode. De l’autre le film de science fiction, gonflé jusqu’à la gorge d’effets spéciaux et de combats épiques.

Ni l’un ni l’autre ne m’ont séduit. Je hais les années quatre-vingt – quand bien même elles coïncidèrent avec le vert paradis de mes amours enfantines – ses coloris marronnasses, ses musiques pop trop sucrées. Je hais les jeux vidéo d’hier et d’aujourd’hui auquel je n’ai jamais rien compris et auxquels je n’ai pas vraiment joué. J’ai trouvé par exemple la course automobile dont je lis qu’elle est « à couper le souffle » ennuyeuse à mourir, puis les allers-retours incessants entre le monde réel et l’univers virtuel d’Oasis incompréhensibles.

Que dire de l’histoire manichéenne au possible (un méchant très méchant dont on sait par avance que les sinistres machinations seront déjouées par des gentils très gentils) sinon qu’elle est d’une platitude achevée ? Cette chasse au trésor, découpée en trois étapes (trois clés doivent être découvertes pour accéder à l’œuf), fait irrésistiblement penser aux scénarios des jeux vidéo où il faut relever un défi pour accéder au niveau supérieur. Quant à la composition ethniquement équilibrée du « clan » de Wade/Perzival et à la romance téléphonée qui se noue entre le héros et la jolie motarde – dont les traits rappellent ceux des Minimoys de Luc Besson – soupirs…

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La Mort de Staline ★★★☆

Le soir du 28 février 1953, après de copieuses libations en compagnie de Malenkov, Béria, Khrouchtchev et Molotov, Joseph Staline, le tout puissant secrétaire général de l’Union soviétique, est victime d’une attaque cérébrale. Son corps, trempé d’urine, est découvert au matin par sa gouvernante. Sa garde rapprochée accourt. Personne n’ose toucher le corps de peur de commettre un acte fatal qui lui serait immédiatement reproché. Les meilleurs docteurs, dont Staline redoutait qu’ils attentent à sa vie, ont été déportés au goulag.
C’est seulement une semaine plus tard, après plusieurs réveils, que Staline est déclaré mort, au petit matin du 5 mars.
Pendant ce temps, ses proches se déchirent sa succession. Malenkov, le secrétaire général adjoint est censé l’assumer. Mais Beria, le chef de la police politique, l’âme damnée du Père des peuples, chargé de prononcer son éloge funèbre le 9 mars sur la Place rouge, se verrait bien le remplacer. Molotov entend, lui, rester fidèle à la figure de Staline. Khrouchtchev, avec l’aide du maréchal Joukov, réussira à coaliser l’opposition à Beria.

L’histoire est tragique. Le réalisateur britannique (comme son nom ne l’indique pas) Armando Iannucci choisit de la raconter sur un mode comique en adaptant la bande dessinée en deux tomes des français Fabien Nury et Thierry Robin. La Mort de Staline est une immense farce politique qui colle à la réalité des faits, tels que je viens de les présenter, pour ne s’en éloigner que lorsque les nécessités de l’intrigue l’exigent – ainsi de l’exécution de Beria qui, en fait, eut lieu trois mois plus tard.

La Mort de Staline réussit à rester sur la corde raide du drame et de la comédie. Il montre sans les euphémiser les exécutions arbitraires pratiquées dans les caves de la Loubianka et décrit l’atmosphère paranoïaque qui prévalait dans l’entourage de Staline où le moindre mot de travers pouvait valoir à son auteur la déportation sinon la mort. Mais cette violence absurde est décrite sur le mode loufoque de la comédie la plus triviale : Malenkov est un sot, Khrouchtchev un bouffon, Molotov un pleutre, Béria un traitre de comédie. La palme revient à Joukov, qui fait son apparition dans la seconde moitié du film, costumé comme un empereur romain, le torse couvert de médailles.

Qu’il ait été censuré en Russie, où l’on ne plaisante pas avec la réputation des hôtes du Kremlin, montre amplement que La Mort de Staline a touché juste.

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Abracadabra ★★☆☆

À Madrid, de nos jours, Carmen est mariée à Carlos, un grutier qui passe son temps à regarder le foot à la télé et à l’agonir d’injures. Jusqu’au jour où Carlos est hypnotisé et change du tout au tout. Le butor devient un mari aimant, excellent danseur, qui passe l’aspirateur et apporte à sa femme le petit déjeuner au lit.
Avec son cousin Pepe, Carmen découvre que Carlos est en fait victime d’un envoûtement. Tito, un serial killer atteint de schizophrénie, a pris possession de son corps.

Pablo Berger avait signé en 2012 Blancanieves, une réécriture fascinante du conte de Blanche Neige, filmé en muet et noir et blanc dans l’Andalousie franquiste. Couvert de récompenses (sept Goyas), ce film m’avait enthousiasmé. Son suivant n’est pas au diapason.

Abracadabra en effet hésite entre plusieurs genres. Farce loufoque, drame fantastique, enquête policière (dont le sujet macabre et les décors madrilènes rappellent le récent Que Dios Nos Perdone), pamphlet féministe, voire même comédie musicale, Abracadabra trop embrasse et mal étreint. Ses acteurs ne déméritent pas : Antonio de la Torre réussit à rendre tour à tour crédible l’époux macho et l’amant délicat, Maribel Verdu, l’héroïne de Blancanieves, joue à merveille, l’épouse soumise qui se bat contre sa condition. Mais le jeu excellent des acteurs ne suffit pas à mettre de l’ordre dans un film qui en manque trop.

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Jersey Affair ★★☆☆

Moll (Jessie Buckley) étouffe. Elle n’en peut plus de Jersey, l’île battue par les vents, trop petite et trop sage, où elle a grandi. Elle n’en peut plus de son travail de guide touristique. Elle n’en peut plus de de son père atteint d’Alzheimer qui nécessite des soins de chaque instant, de sa mère qui surveille chacune de ses sorties, de sa sœur qui affiche fièrement sa félicité conjugale au bras d’un pilote de ligne.
Aussi, se jette-t-elle au cou de Pascal (Johnny Flynn), un mauvais garçon solitaire qui braconne la nuit tombée, dont le moindre attrait n’est pas de déplaire à sa mère.
Seul ennui : Pascal est suspecté d’être l’auteur des crimes en série qui depuis quelques mois ensanglantent la paisible île anglo-normande.

Le titre anglais de Jersey Affair, Beast, fait référence à la « bête de Jersey », un maniaque qui, pendant les années soixante, terrifia la population. Il ne tua personne mais commit plusieurs agressions sexuelles avant d’être arrêté en 1971 et condamné à trente ans de réclusion.

Le film repose entièrement sur une seule question : le ténébreux Pascal est-il ou non l’auteur des crimes sordides dont on l’accuse ? Cette question en entraîne une seconde : Moll a-t-elle raison de lui faire confiance et de lui fournir l’alibi qui le lave du soupçon d’avoir commis le dernier crime en date ?

La faiblesse d’un tel script est sa binarité. De deux choses l’une : soit Pascal est en effet coupable, soit il ne l’est pas. L’astuce du scénario est d’ouvrir d’autres pistes. La première, qui aurait pu être plus creusée, concerne la communauté insulaire qui, préjugeant de la culpabilité de Pascal, poursuit Moll de sa vindicte. La seconde, qui l’est en revanche un peu trop, est la personnalité de Moll, dont on apprend les lourds antécédents psychologiques qui la rapprochent de Pascal.

L’histoire se déploie mollement. On est sauvé de l’ennui par les deux acteurs principaux, auxquels on espère un riche avenir : Jessie Buckley, une rousse Irlandaise au tempérament bien trempé, qu’on imagine volontiers dans des adaptations de Jane Austen et Johnny Flynn aux faux airs de Ryan Gosling.

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Katie Says Goodbye ★★★☆

Katie a la vie dure mais garde le sourire. Elle vit seule avec sa mère dans un bled perdu au fond de l’Arizona. Elle rêve de partir à San Francisco et de changer de vie. Elle travaille dans un café et, pour faire bouillir la marmite, se donne avec une sincérité désarmante aux plus offrants pour une poignée de dollars.
Mais tout change lorsqu’elle rencontre Bruno. Pour l’amour de ce garagiste taiseux à peine sorti de prison, elle accepte de changer de vie. Son sacrifice sera-t-il payé de retour ?

Au concours du film le plus triste de l’année, Katie Says Goodbye l’emporterait haut la main. Rien n’est plus déchirant que le destin de cette jeune femme sur laquelle tous les malheurs du monde semblent s’abattre. Rien n’est plus bouleversant que son sourire immarcescible. On pense à Bess l’héroïne de Breaking the Waves de Lars von Trier dont l’amour fou pour Jon la conduit au sacrifice ultime.

Le scénario de Wayne Roberts est un modèle du genre. Sans se presser, il sert autour du cou gracile de Katie un nœud coulant qui jamais ne se desserrera [Non ! ce n’est pas un spoiler ! Elle ne meurt pas pendue]. Sans jamais être prévisible (si ce n’est peut-être s’agissant de ses économies qu’elle accumule dans une boîte à chaussures dont on se doute qu’elles finiront par lui être dérobées), il ne quitte pas Katie d’une semelle qui enchaîne les déconvenues. La malheureuse accumule les revers de fortune et les encaisse tous avec la même masochiste résilience – jusqu’à une scène finale dont on ne dira rien.

Olivia Cooke est bouleversante dans le rôle de Stella. On l’avait déjà vu dans la série Bates Motel. Elle tient le premier rôle féminin dans le dernier Spielberg Ready Player One. Il se murmure qu’elle interprétera la fille de Han Solo dans le prochain Star Wars. Une valeur à suivre…

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Escobar ★★★☆

Couple à la ville, couple à l’écran. Javier Bardem et Penelope Cruz constituent depuis 2007 l’un des couples les plus hype de Hollywood. Ils vont faire ensemble l’ouverture du Festival de Cannes avec le prochain film du réalisateur iranien Ashgar Fahradi Everybody knows. Mais, un an plus tôt, ils avaient filmé sous la direction de leur compatriote Fernando León de Aranoa ce biopic de l’Empereur de la drogue.

Le film est inspiré des mémoires de Virginia Vallejo, une présentatrice colombienne de télévision qui fut la maîtresse de Pablo Escobar. Leur titre est parlant, Amando a Pablo, odiando a Escobar, qui tend à opposer l’homme Escobar dont elle fut amoureuse de l’odieux « patron » Escobar et de ses sinistres trafics.

L’homme fascine. Il y a de quoi. Il amassa en quelques années une fortune considérable. Il s’était taillé un État dans l’État à Medellín, fort du soutien de la population locale délaissée par les politiciens corrompus de Bogotá. Il mit à feu et à sang la Colombie  dont il caressa un temps le projet d’en prendre la direction  pour le transformer en narco-État. Il fit entrer des tonnes de cocaïne aux États-Unis, provoquant en retour une chasse à l’homme qui s’acheva par son exécution le 2 décembre 1993.

On aperçoit sa silhouette dans plusieurs films mais aucun jusqu’à présent ne l’avait pris comme figure principale, sinon bien sûr les deux premières saisons de la série Narcos. Dans Blow de Ted Demme – dont Penelope Cruz, déjà, interprétait le rôle principal – un dealer américain joué par Johnny Depp se faisait le correspondant d’Escobar et du Cartel de Medellín aux États-Unis. Dans Paradise Lost d’Andrea Di Stefano, un jeune surfeur américain tombait amoureux d’une jolie Colombienne qui s’avérait être la propre nièce de Pablo, interprété par Benicio Del Toro. Dans Infiltrator de Brad Furman, Bryan Cranston – le héros de Breaking Bad – jouait le rôle, inspiré d’une histoire vraie, d’un douanier américain qui avait infiltré pendant des années le cartel de Medellín pour en faire tomber une dizaine de barons.

Comme son titre l’annonce, Escobar prend son sujet à bras le corps. Il le fait à travers le regard de Virginia Vallejo dont l’autobiographie a l’avantage de restituer au plus près les dix dernières années de la vie d’Escobar. S’il dirige le cartel de Medellín et ses dizaines de sicarios d’une main de fer, Pablo reste dans la vie de tous les jours un homme débonnaire, un bon père de famille, proche de son fils et de sa fille qu’il adore.

Javier Bardem, sans doute un des meilleurs acteurs de sa génération, campe avec gourmandise le personnage, affublé d’une impressionnante bedaine – le brésilien Wagner Moura avait pris vingt kilos pour le rôle dans Narcos, mais il semblerait que l’ogre espagnol ait préféré recourir aux postiches. En amante hystérique, Penelope Cruz lui volerait presque la vedette, qui retrouve les tenues chics et les postures hypersexualisées des héroïnes d’Almodovar des années quatre vingts. Peter Sarsgaard joue, avec le sourire en coin qui ne le quitte plus, le rôle de l’agent du DEA qui mènera avec succès la traque d’Escobar depuis l’ambassade américaine de Bogotá.

Le biopic n’est pas un genre que j’apprécie particulièrement. J’en trouve les règles convenues, les ficelles un peu grosses. Mais force m’est de reconnaître que, grâce en particulier au jeu de ses acteurs, cet Escobar remplit mieux qu’à son tour l’ambitieux cahier des charges qui lui était fixé.

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L’Île aux chiens ★★☆☆

Dans un Japon dystopique, situé dans les années 2040, le maire Kobayashi prend prétexte d’une épidémie de grippe canine pour bannir les chiens de la ville de Megasaki sur une île transformée en immense dépotoir. Malade, affamée, la population canine y survit misérablement.
Jusqu’au jour où atterrit le jeune Akira, le propre neveu du maire Kobayashi, qui a décidé de retrouver son fidèle compagnon Spots. Il sera aidé dans sa quête par un bande de cinq chiens débrouillards.

Wes Anderson est de retour. Youpi ! Voilà plus de quatre ans qu’on attendait le nouveau film du réalisateur de Grand Hotel Budapest qui avait laissé critiques et spectateurs friser l’orgasme cinématographique – sauf moi toujours peine-à-jouir. C’est peu dire que le réalisateur de La Famille Tenenbaum, La Vie aquatique, À bord du Darjeeling Limited, Fantastic Mr. Fox, Moonrise Kingdom a acquis de film en film une célébrité grandissante. Célébrité méritée devant la profonde originalité de son œuvre reconnaissable au premier coup d’œil : plans taillés au cordeau, couleurs pastels, esthétique rétro, refus de toute psychologie pour raconter à un rythme d’enfer des histoires de familles désunies, de génies incompris, d’enfants facétieux et d’adultes infantiles.

Tout le cocktail est réuni dans L’Île aux chiens, tourné en stop motion comme l’était huit ans plus tôt Fantastic Mr. Fox. La technique colle comme un gant à l’esthétique du grand (1m85) Texan. Il la maîtrise avec une perfection indépassable. Car tout est parfait dans L’Île aux chiens : la richesse luxuriante du moindre des plans, le velouté des pelures, les grands yeux expressifs des toutous, l’humour gentiment absurde, la richesse rebondissante de l’intrigue…

Tout est parfait… et rien ne me touche vraiment dans cette histoire trop proprette de petit-garçon-qui-a-perdu-son-gentil-toutou. Et ce n’est pas l’arrière fond vaguement politique (la dictature, le racisme, la détention arbitraire…), qui pour la première fois fait timidement son entrée dans l’œuvre jusqu’alors strictement parnassienne (ça tombe bien : Wes Anderson pose ses valises rue du Regard quand il vient à Paris) du maître texan, qui m’aura convaincu. J’ai beau admirer l’exceptionnel savoir-faire du cinéaste, je reste de marbre face à son cinéma.

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À l’heure des souvenirs ★★★☆

Tony Webster est rattrapé par son passé. Ce vieux divorcé londonien dont la fille unique est sur le point d’accoucher reçoit un beau matin un courrier lui annonçant la mort de Sarah Ford, la mère de Veronica, une fille dont il fut amoureux à l’université de Cambridge dans les années 60. Cette lettre annonce un héritage : un carnet intime.

À l’heure des souvenirs raconte l’histoire d’un homme qui fait nostalgiquement retour sur son passé. Pour nourrir l’intrigue, le sujet est traité sur le mode de l’énigme policière. L’objet de cette intrigue se déplace d’ailleurs au fur et à mesure du récit. Dans un premier temps, on se demande qui est l’auteur du carnet intime légué à Tony Webster. Dans un deuxième, on s’interroge sur son contenu et les mystère qu’il peut révéler. Il m’est hélas impossible d’en dire plus sur cette succession d’énigmes, de fausses routes, de découvertes. Et ce pour deux raisons : la première est que de telles révélations priveraient le spectateur du plaisir qu’il prendra à ce film à la construction intelligemment complexe. La seconde est que je ne suis pas totalement sûr d’en avoir compris le dénouement, ce qui me donnera un bonne raison de me jeter sur le livre de Julian Barnes – un auteur que j’apprécie particulièrement depuis Love etc. même si je ne suis pas de ceux qui tiennent Le Perroquet de Flaubert pour un chef d’œuvre – dont À l’heure des souvenirs est adapté.

J’avoue un penchant coupable pour ce genre de films. Il rassemble en effet tous les ingrédients que j’aime. J’ai déjà dit souvent dans ces pages combien la nostalgie était un sentiment qui me touchait. Rien ne m’émeut plus qu’un vieil homme qui revit ses amours de jeunesse. Mon émotion augmente si elles ont pour cadre l’Angleterre des années soixante. Elle décuple si l’héroïne est jolie ce qui est certainement le cas de Freya Mavor qui campe la jeune Véronica. L’actrice écossaise était la révélation de La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil en 2015. Depuis lors elle avait disparu des radars. On ne peut que se féliciter qu’elle y réapparaisse. Puisse-t-elle ne plus les quitter.

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The Third Murder ★☆☆☆

Le cadavre calciné d’un chef d’entreprise est retrouvé sur les berges d’une rivière. Misumi, un ancien employé qui venait d’être licencié, avoue immédiatement aux policiers sa culpabilité. Son lourd passé criminel (il a commis trente ans plus tôt un double homicide) fait de lui le coupable tout désigné.
Le jeune et brillant avocat Shigemori est chargé de le défendre. Le comportement de l’accusé, qui semble appeler de ses vœux la condamnation la plus lourde, ne lui facilite pas la tâche. Mais les indices qu’il glane au cours de son enquête, notamment en rencontrant la fille handicapée de la victime, jette un doute sur la culpabilité de son client.

Hirokazu Kore-Eda s’est fait un nom dans le cinéma japonais en filmant des drames familiaux. Le premier film que j’avais vu de lui en 2004 m’avait enthousiasmé : Nobody knows racontait l’histoire d’une fratrie de quatre jeunes enfants abandonnés à eux mêmes par une mère irresponsable. Fidèle à sa signature, j’avais vu ses films suivants qui mettaient en scène, sur un mode plus ou moins tragique, des familles dysfonctionnelles : I Wish, Tel père, tel fils, Notre petite sœur, Après la tempête

Avec The Third Murder, Hirokazu Kore-Eda semble changer de style. Il passe du drame acidulé au polar le plus noir. Il raconte une enquête policière, doublée d’un film de prétoire autour d’un crime crapuleux. Mais il retrouve au bout du compte ses obsessions, celles des familles dont on hérite et celles des familles qu’on se choisit.

Pour autant, avant d’en arriver là, The Third Murder s’étire sur plus de deux heures. Le cinéaste est accoutumé à ces formats-là. Mais ici, rien n’y obligeait. Ni la chronologie de l’histoire, ramassée sur quelques semaines le temps d’une instruction judiciaire, ni les rebondissements de l’enquête qui, pour complexe qu’elle soit, ne sont pas si nombreux qu’ils n’auraient pu être racontés en trente minutes de moins.

En soi, cette durée excessive ne condamne pas le film. C’est son classicisme paresseux, qui tangente parfois le téléfilm policier, qui le fait. Ponctué par les parloirs avec l’accusé, dont le reflet dans la vitre séparatrice est complaisamment calqué sur celui de son avocat pour souligner, au cas où on ne l’aurait pas compris, la proximité des deux êtres, l’histoire suit mollement Shigemori dans ses investigations. Il est affublé non pas d’un – comme c’est l’usage dans les bons scénarios – mais de deux collaborateurs : un vieux procureur cynique revenu de tout pour qui seule compte l’efficacité de la défense et un jeune avoué fraîchement émoulu de l’université, viscéralement opposé à la peine de mort, pour qui seule importe la recherche de la vérité. Cette tension entre la vérité du procès et celle des faits constituait un joli thème. On se souvient qu’elle était au centre du très réussi L’Hermine avec Fabrice Luchini. Mais, Hirokazu Kore-Eda ne l’exploite pas jusqu’au bout préférant, comme hélas les polars ont souvent le défaut de le faire, dénouer une intrigue captivante par une élucidation décevante.

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