Dakini ★☆☆☆

Dans les montagnes du Bhoutan, une nonne boudhiste vient de disparaître. Le détective Kinley est chargé de l’enquête. Les villageois accusent Choden, une femme aussi belle que mystérieuse. Sa fuite dans la forêt semble signer sa culpabilité. Kinley part à ses trousses. Mais Choden est une « dakini », mi-femme mi déesse, qui a la capacité de dialoguer avec l’au-delà.

Dakini nous vient du Bhoutan, un minuscule royaume niché au pied de  l’Himalaya, entre Inde et Chine. Son cinéma est à la mesure du pays : minuscule et inconnu. Le seul réalisateur à en avoir franchi les frontières était Khyentse Norbu qui avait signé en 1999 un film gentillet, La Coupe, sur deux enfants tibétains passionnés de football. Il faut désormais compter sur Dechen Roder.

Son film est un mélange curieux. Son pitch a l’apparence d’une enquête policière. Le duo formé entre les deux héros laisse augurer une romance convenue. Son titre et son affiche – avec ses beaux caractères alphasyllabaires – louchent vers l’exotisme.

Malheureusement Dakini échoue sur tous ces terrains. L’enquête policière emprunte de telles méandres qu’elle finit par perdre le spectateur en cours de route. La romance est si fade qu’elle peine à émouvoir. Quant à l’exotisme, le Bhoutan filmé par Dechen Roder, ses cieux bas et gris, ses villages sans charme, s’avère nettement moins joli que celui qu’on avait fantasmé. Seule consolation : l’époustouflante beauté de l’héroïne Sonam Tashi Choden aux faux airs de Gong Li. Souhaitons-lui une carrière aussi riche.

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Marche ou crève ★★★☆

Élisa est à l’âge de tous les commencements. Elle est sur le point de quitter la maison familiale, une ferme perdue dans les montagnes du Vercors, pour poursuivre ses études à Montpellier en colocation avec sa meilleure amie. Mais Élisa a une sœur aînée, Manon, lourdement handicapée. Et quand leur mère abandonne le foyer, Élisa se sent obligée de seconder son père dans l’attention de chaque instant que Manon exige.

Marche ou crève filme une réalité rarement dite : celle de ces milliers de parents asservis au handicap de leur enfant, condamnés à la répétition harassante, sans espoir de rémission, des mêmes gestes, des mêmes soins, celle de ces parents dont l’amour infini et inconditionnel qu’ils portent à leur enfant est lentement érodé par la fatigue et la colère, celle du choix impossible entre une « vraie » vie libérée de cette contrainte, qu’on aurait aimé choisir, et celle toute d’altruisme et de désintéressement que le destin leur a imposée et dont ils ne peuvent s’affranchir sauf à passer aux yeux des autres et à leurs propres yeux pour le pire des monstres.

Marche ou crève est un film dont on peine à se remettre, qu’on ait soi-même vécu pareille situation ou qu’on l’imagine. Il le fait sans voyeurisme ni sentimentalisme en trouvant le ton juste pour traiter un sujet propice à tous les dérapages.

Car ses personnages ne sont jamais manichéens. Manon, la sœur handicapée, n’est ni adorable ni détestable : elle est simplement une jeune femme lourdement dépendante qui nécessite une présence permanente. Le père, interprété par Cédric Kahn, aussi bon devant que derrière la caméra, est aussi admirable par le dévouement qu’il manifeste à sa fille que critiquable pour avoir transformé sa vie en sacerdoce masochiste.

Celle qui résume le mieux ces contradictions est Élisa, la sœur cadette. Diane Rouxel l’interprète dont le visage hyperboréen (cheveux blonds presque blancs, yeux bleus pâles un peu bridés) mangeait déjà l’affiche de Volontaire où elle jouait le rôle d’un vaillant petit soldat. La jeune fille déborde d’amour pour sa sœur et vit comme une culpabilité l’urgence du désir de voler de ses propres ailes, de découvrir d’autres lieux, d’autres gens… Marche ou crève est l’histoire de son accomplissement, un coming of age movie sans mièvrerie.

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Mon cher enfant ★★☆☆

À Tunis de nos jours. Sami est fils unique. Il prépare son bac. Il est l’enfant chéri de Riad et de Sazli, un couple déjà âgé dont on comprend qu’il a eu Sami sur le tard.
L’adolescent a de violentes céphalées qui inquiètent ses parents. Ils le font consulter sans succès : un neurologue, un psychiatre… Puis, soudain, Sami disparaît. Ses parents comprennent qu’il est parti en Syrie faire le djihad. Son père décide d’aller l’y chercher.

La radicalisation est un sujet brûlant dont le cinéma n’a pas tardé à s’emparer avec un succès inégal. Dès 2011, avant les attentats de Charlie Hebdo ou du Bataclan, Philippe Faucon suivait dans La Désintégration avec une belle prescience la dérive d’un groupe de jeunes dés-intégrés. En 2015,  Thomas Bidegain filmait dans Les Cowboys un père à la recherche de sa fille. Moins inspirée, en 2016, Marie-Castille Mention-Schaar racontait dans Le ciel attendra l’histoire de deux jeunes filles, l’une en cours de radicalisation, l’autre en voie de déradicalisation.

On attendait avec intérêt ce film sur le même sujet d’un réalisateur tunisien qui, sans prétendre se faire l’ambassadeur de son pays, nous éclaire sur la radicalisation vue de l’autre côté de la Méditerranée. On en est pour son compte d’une analyse politique ou sociologique. Ce n’est pas dans ce registre là que Mon cher enfant s’inscrit. Au contraire, comme son titre et son affiche l’annoncent, c’est moins un processus de radicalisation qu’une relation père-fils que Mohamed Ben Attia, déjà remarqué pour Hedi, un vent de liberté, analyse.

On ne saura rien de la façon dont Sami a été recruté, ni des motifs profonds pour lesquels il quitte la Tunisie. Le sujet est entièrement filmé du point de vue du père et du regard aimant qu’il porte sur son fils. Sans doute son amour l’aveugle-t-il. Mais on aurait scrupule à lui en faire le reproche. Quand la vérité s’impose à lui, il a la seule réaction digne : tout mettre en œuvre pour ramener son fils. Le film le suit en Turquie et aurait pu prendre un virage vers le thriller. Mais Mohamed Ben Attia n’en fait rien. L’attitude du père, sa décision surprennent. On ne peut rien en dire sinon qu’elle est profondément crédible et profondément touchante. Humain, trop humain…

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Pig ★☆☆☆

À Téhéran, de nos jours, un mystérieux serial killer assassine les cinéastes les plus réputés, tranche leurs têtes et trace sur leur front au cutter les lettres du mot « cochon » (« khook »).
Hassan Kasmai, la cinquantaine, est interdit de tournage par le régime. Il survit en tournant des spots publicitaires insipides. Il étouffe entre sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, sa femme et sa fille qui lui sert d’attachée de presse. Il vit très mal de n’avoir pas été pris pour cible par le serial killer et y voit le signe du déclin de sa célébrité au moment où son actrice fétiche menace de le quitter pour un réalisateur plus populaire.

Le cinéma iranien est d’une étonnante richesse, au point de faire jeu égal, en qualité sinon en quantité avec celui des autres géants asiatiques : Chine, Inde, Japon… Pas un mois ou presque sans que nous arrive de Téhéran une curiosité. Rien qu’en 2018, on a vu notamment La Permission de Soheil Beiraghi, Invasion de Sharam Mokri, Trois visages de Rafar Panahi, Un homme intègre de Mohammad Rasoulof…

Pig a toute sa place dans cette brillante galerie. Son sujet est audacieux et on se demande comment il a franchi la censure iranienne. Jugez-en par vous-même : un réalisateur bâillonné par le régime (poke Jafar Panahi), un meurtrier qui assassine impunément, un policier ridicule et impuissant, des soirées chic qui rassemble la haute société téhéranaise…

Le héros narcissique, aux faux airs de Gustave Kervern iranien, est irrésistible. On l’imaginerait volontiers dans un film d’Almodovar intitulé Réalisateur au bord de la crise de nerfs. Pig est une parodie de film de genre, un faux thriller, une farce entrecoupée de quelques scènes purement oniriques… Les thèmes qu’il traite sont ambitieux, trop peut-être : la célébrité, la tyrannie des réseaux sociaux, la maturité…

Le problème est que la mayonnaise ne prend pas. Passée la première demie-heure et l’étonnement que le sujet suscite, on se lasse vite des rebondissements d’une intrigue cruellement dépourvue de crédibilité. On peine à s’attacher aux personnages pas plus qu’on n’adhère à un scénario qui se termine en queue de poisson. Dommage…

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Utøya , 22 juillet ★★★☆

Le 22 juillet 2011, Anders Breivik, un fanatique d’extrême droite, commet un double attentat. Il fait d’abord exploser une bombe dans le centre d’Oslo, puis se rend sur l’île d’Utøya où se tient l’université d’été des jeunes socialistes. Lourdement armé, il assassine de sang froid les jeunes qu’il traque dans l’île minuscule. La tuerie dure soixante douze minutes jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre.

Peut-on filmer Utøya (ou le Bataclan ? ou Charlie Hebdo ? ou Nice ?) ? Certains se le demandent pointant du doigt le voyeurisme sinon le sensationnalisme dont les films prenant ces tueries pour sujet seraient inévitablement lestés. La réponse est moins éthique que cinématographique : tout est question de point de vue et de distance. Il n’y a aucune raison d’interdire au cinéma certains sujets a priori.

Passons à la question suivante. Comment filmer Utøya (ou le Bataclan ? ou Charlie Hebdo ? ou Nice ?) ? Plusieurs points de vue sont concevables.Quand Oliver Stone filme le 11-septembre, il choisit de suivre une escouade de sapeurs pompiers dans les tours en feu. Martin Guigui dans 9/11 s’attache lui à cinq personnes bloquées dans un ascenseur du World Trade Center. Pour raconter une catastrophe aérienne, l’amerrissage sur la Hudson River du vol 1549, Clint Eastwood se concentre sur le capitaine de l’avion Chesley « Sully » Sullenberger.

Pour la tuerie de Utøya plusieurs angles d’attaque étaient imaginables. On aurait pu se glisser dans le peau de Breivik, décrire son enfance, ses délires idéologiques, la préparation minutieuse de l’attentat, son exécution méthodique. On aurait pu au contraire éclater les perspectives : un film chorale filmant les mêmes scènes de plusieurs points de vue (celui de l’assassin, celui des jeunes pourchassés, celui d’un parent ou d’un ami au bout du téléphone portable, celui des vacanciers sur la rive inquiétés par les détonations venues de l’île toute proche, etc.)

On ne connaît pas celui de Paul Greengras qui vient de sortir sur Netflix (soupirs) Un 22 juillet. Le réalisateur américain semble se faire une spécialité de ces événements puisqu’il a déjà consacré deux films, aussi remarquables l’un que l’autre, le premier aux affrontements de 1972 à (London)Derry Bloody Sunday, le second aux attentats du 11 septembre, Vol 93.

Le Norvégien Erik Poppe adopte un point de vue radical. Il tourne une seule scène, en temps réel, le temps exact de la tuerie. Le plan séquence est d’une virtuosité impressionnante et permet immédiatement à Utøya , 22 Juillet de prendre rang parmi des films aussi célèbres que La Soif du mal, La Corde, Les Fils de l’homme ou Snake Eyes.

Mais ce plan-séquence n’est pas que de l’épate, de la poudre aux yeux. Il a un sens : nous faire ressentir, dans la durée et de l’intérieur, ce qu’ont éprouvé les jeunes. Au départ, pendant quelques minutes, on les voit discuter de l’attentat dont ils viennent d’apprendre la nouvelle dans le centre d’Oslo. Ils sont inquiets pour leurs proches restés en ville, mais n’ont aucune raison de s’inquiéter pour eux-mêmes. Puis des bruits se font entendre. Pétards ? détonations ? L’inquiétude se mue en terreur. Les jeunes courent dans tous les sens, cherchent un refuge, qui dans une tente, qui dans une souche d’arbre. La police, monopolisée par la gestion de l’attentat d’Oslo, est injoignable. Y a-t-il un tireur ? ou plusieurs ? Nous le savons ; mais les jeunes, eux, ne le savent pas.

Le procédé est d’une redoutable efficacité. Ils nous prend à la gorge, nous interpelle : qu’aurais je fait ? où serais-je allé me cacher ? Aurais-je porté secours à mon voisin au risque de ma vie ? La caméra choisit de s’attacher aux pas de Aya, une jeune fille passionnée de politique, effondrée d’avoir perdu la trace de sa petite sœur dans la bousculade. Cette héroïsation ne va pas de soi. Un autre parti aurait été de passer d’un jeune à l’autre. Mais elle nous permet de mettre un – beau – visage sur les victimes d’Utøya.

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Derniers jours à Shibati ★★☆☆

Au cœur du Sichuan, sur les bords du fleuve Yang Tse, Chongqing se targue d’être la plus grande conurbation au monde avec trente-quatre millions d’habitants.
La ville champignon connaît une croissance urbaine galopante. Les immeubles s’y multiplient, les vieux quartiers sont irrémédiablement condamnés.
Le documentaliste français Hendrick Dusollier a posé sa caméra dans le vieux quartier de Shibati, en plein centre-ville, à la veille de sa destruction. Il a mis ses pas dans ceux de trois de ses habitants à la veille de leur déménagement dans une banlieue aseptisée : un petit garçon espiègle, un coiffeur féru d’histoire et une vieille dame un peu foldingue.

Derniers jours à Shibati est le premier documentaire distribué en salles de Hendrick Dusollier. Ses précédentes réalisations étaient des compositions beaucoup plus élaborées sur des thèmes proches : Obras, un court métrage de douze minutes, racontait à partir de photos animées par ordinateur la recomposition d’un quartier de Barcelone, Babel, en quinze minutes à peine, s’essayait à résumer les mutations de la Chine contemporaine.

Le procédé utilisé dans son dernier film est différent. Caméra à l’épaule, sans quasiment parler un mot de chinois, le documentariste a arpenté les rues de Shibati – au risque de susciter de la part de ses habitants méfiance et hostilité. Il s’est finalement attaché à trois personnages qui, sans constituer un échantillon sociologique représentatif, incarnent à leur façon la Chine en mutation.

Derniers jours à Shibati frappe par sa modestie. Il dure moins d’une heure, un format inhabituel qui nous frustrerait presque par sa brièveté. Sur le même thème, Frederick Wiseman aurait signé un long métrage de quatre heures. Pas sûr qu’il aurait été plus pertinent ni plus touchant.

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Ma mère est folle ☆☆☆☆

La cinquantaine bien frappée, Nina a vécu toute sa vie comme un oiseau sous la branche. Mais le fisc la rattrape qui lui réclame de payer sous un mois cinquante mille euros. Sur les conseils d’Emir, un réfugié bosniaque rencontré dans le métro dont elle coproduit le disque de rap (sic), Nina décide de ramener un go fast de Rotterdam (re-sic). L’accompagne dans son road trip à bord du SUV prêtée par une riche douairière (Arielle Dombasle) un garçonnet mutique (Jules Rotenberg) dont Emir lui a confié la garde.
Ce périple sera l’occasion pour Nina de renouer avec son fils Baptiste (Vianney) qu’elle n’a plus vu depuis deux ans et avec Alvaro (Patrick Chesnais) un amant de jeunesse.

Née en 1948, Diane Kurys a commencé sa carrière cinématographique il y a plus de quarante ans avec des films d’une étonnante fraîcheur : Diabolo Menthe (Prix Louis-Delluc en 1977), Cocktail Molotov (qui révèle François Cluzet en 1980), Coup de foudre (qui représente la France aux Oscars en 1984), Un homme amoureux (sélectionné à Cannes en 1987). Puis, la jeune réalisatrice et son mari Alexandre Arcady se sont lentement mués en notables du cinéma, enchaînant les réalisations sans âme (À la folie avec Anne Parillaud et Béatrice Dalle), les films en costumes qui sentent la naphtaline (Les Enfants du siècle avec Juliette Binoche et Vincent Magimel), les comédies pas drôles (Je reste ! avec Sophie Marceau et Vincent Perez), .

Ma mère est folle, hélas, ne redorera pas son blason. Il aurait pu indifféremment être adapté au théâtre ou au cinéma, il y a vingt ans ou aujourd’hui. Le film repose sur un seul ressort : la folie douce de Fanny Ardant qui cabotine dans le rôle d’une mère gentiment foldingue. Les personnages sont caricaturaux, de ce fils que sa mère insupporte (mais qui lui reste néanmoins indéfectiblement attaché) à cet ex-amant désormais homosexuel installé dans une villa digne de La Cage aux folles en passant par Nono, ce malheureux gamin mutique réduit au rôle de faire-valoir. Les dialogues pèsent des tonnes (« J’ai vécu comme un oiseau sur la branche … jusqu’au jour où la branche s’est cassée »). Les situations n’ont pas une once de crédibilité.

C’est du café théâtre filmé à l’économie entre Rotterdam et Bruxelles histoire de donner du mouvement à un film qui en est cruellement dépourvu. À fuir…

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Leto ★★★☆

Leningrad. Début des années quatre-vingts. L’URSS étouffe sous la chape de plomb bréjnievnienne. Les jeunes chassent leur ennui en écoutant la musique importée d’Occident sous le manteau. Mike est le chanteur du groupe Zoopark. Il est marié à Natacha. Débarque Viktor un jeune guitariste plein de talent.

Leto arrive sur nos écrans précédé d’une réputation encombrante. Il a raté de peu la Palme d’Or à Cannes en mai dernier. En résidence surveillée à Moscou pour des accusations montées de toute pièce, son réalisateur, Kirill Serebrennikov, est légitimement considéré, avec son compatriote Oleg Sentsov, comme un martyr de la liberté d’expression. Ces a priori risquent de brouiller la réception de ce film.

Car Leto n’est pas le meilleur film de l’année. La Palme d’Or – même s’il y en eut dans l’histoire de Cannes qui tombèrent rapidement dans un oubli mérité – aurait été un peu trop lourde à porter pour ce film certes touchant et original, mais qui n’a rien d’extraordinaire.

Car Leto n’est pas non plus un documentaire sur le rock underground pendant le communisme ou une ode à la liberté d’expression. Leto n’est pas un film politique – sauf à considérer que la politique est partout. C’est plutôt, comme l’écrit mieux que je ne saurais faire le critique du Monde, « un espace esthétique hors du monde et de la société ».

C’est d’abord un film musical qui comblera les amateurs de rock, jeunes ou moins jeunes, de Bowie à Blondie en passant par Iggy Pop, T-Rex et Bolan. La musique est omniprésente. Le travail sur le son est remarquable, jouant sur la frontière entre son diégétique (la musique jouée par les acteurs à l’écran) et extradiégétique (la BO ajoutée aux scènes muettes).

C’est ensuite un film qui joue avec l’image qu’il s’agisse du superbe noir et blanc ou des clips urbains réalisés en draw-on-film animation façon Michel Gondry avec des plans où se rajoutent des dessins crayonnés à la main.

Mais c’est surtout un film d’une paradoxale douceur aux antipodes du rock’n roll traditionnellement associé à la drogue et au sexe. Si on fume des cigarettes à la chaîne dans Leto, on ne s’y drogue pas et ses héros ne meurent pas d’une overdose. Si la joyeuse troupe prend un bain de minuit dans la Baltique en tenue d’Adam, ses musiciens restent sagement monogames. Si un narrateur facétieux prend parfois la parole pour raconter face caméra ce qui aurait pu être mais n’a pas été, c’est pour souligner le calme et la mesure de ces musiciens rebelles mais pas violents. Et enfin, ni Viktor ni Mike n’ont connu le destin suicidaire de leurs alter ego occidentaux Kurt Cobain ou Ian Curtis.

Le triangle amoureux formé par Mike, Natacha et Viktor est d’une étonnante délicatesse. Si Natacha est immédiatement attirée par Viktor, si Viktor n’est pas insensible aux charmes de la belle, le dénouement attendu – sur lequel le réalisateur laisse planer le suspense – n’adviendra pas. C’est Mike qui a le rôle le plus subtil. Loin d’endosser l’habit caricatural du mari jaloux ou du leader tyrannique, il est à la fois respectueux de la liberté de sa femme et accueillant au jeune talent de Viktor.

Leto n’est pas sans longueur. Son formalisme artie frise parfois l’esbroufe. Mais l’originalité de sa forme et la délicatesse de son sujet laissent une marque durable.

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Touch Me Not ★☆☆☆

La réalisatrice Adina Pintilie a décidé de consacrer un film à la sexualité, au désir et à la peur d’être touché.e.

Elle a longuement interrogé trois personnages. Laura, la cinquantaine, dont on comprend qu’elle vit un drame familial, refuse tout contact physique et a recours à des prostitués qu’elle regarde se caresser. Elle cherche à se réconcilier avec son corps en discutant avec Girt, un travesti, et en suivant les protocoles de Seani Love, escort et sexologue.
Christian est lourdement handicapé. Frappé d’amyotrophie spinale, il n’a l’usage ni de ses jambes ni de ses bras. Mais son sexe fonctionne normalement et il peut prendre du plaisir et en donner.
Tomas est parfaitement valide ; mais une maladie rare l’a rendu complètement chauve à l’adolescence, changeant son apparence et sa relation aux autres.

Touch Me Not est un film audacieux qui filme crûment des corps disgracieux, à mille lieux des canons de la beauté traditionnelle. Sa réalisatrice accepte de se mettre elle aussi en danger, comme elle met en danger ses acteurs, en apparaissant à l’écran et en se renvoyant les questions qu’elle leur pose.

Dès sa toute première scène, Touch Me Not nous bluffe. La caméra en très gros plan y caresse le corps d’un homme d’âge indéterminé, couvert de poils, au centre duquel se niche un sexe flasque. La vision de ce sexe détumescent en gros plan nous déconcerte, habitué qu’on est à ce que de telles images soient occultées dans des films grand public – ou au contraire à voir des sexes masculins glorieusement dressés dans des films X.

On se dit qu’on va s’embarquer pour une expérience fascinante sans totem ni tabou. Mais bien vite, le malaise gagne. Il ne gagne pas tant devant la crudité des propos ou des situations. Car il en faudrait plus qu’une boîte à partouze et que les quelques scènes BDSM qui y sont filmées pour choquer le bourgeois qui en a vu d’autres. Mais il gagne par la faute de la vacuité du propos. Car une fois qu’on a dit qu’il faut se réconcilier avec son corps et jouir sans entrave, on a tout dit, on n’a rien dit.

Si bien qu’au bout des deux heures interminables que dure mollement Touch Me Not, c’est l’ennui viscéral qui l’emporte et, avec lui, le désintérêt pour un film dont on peine à comprendre qu’il ait emporté l’adhésion du jury du Festival de Berlin qui lui a décerné son Ours d’Or l’hiver dernier.

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L’Exorcisme de Hannah Grace ★☆☆☆

Megan Reed (Shay Mitchell remarquée dans Pretty Little Liars) est une ex-policière en cours de désintoxication affectée au service de nuit de la morgue d’un hôpital.
Elle reçoit la dépouille de Hannah Grace, une jeune femme décédée au milieu d’une séance de désenvoûtement dont l’entité démoniaque qui a pris le contrôle n’a pas dit son dernier mot.

Aimez-vous vous faire peur ? Avez-vous regardé la bande-annonce de L’Exorcisme de Hannah Grace ? L’irrépressible décharge d’adrénaline qu’elle aura provoquée vous a-t-elle causé de l’effroi ? ou du plaisir ?

Dans le premier cas, fuyez ce film qui vous fera dresser l’échine d’horreur. Dans le second courez le voir : vous passerez 1h25 à trembler de peur. Dans un cas comme dans l’autre, débranchez votre cerveau : le scénario n’a aucun intérêt, ni d’ailleurs aucun sens (comment une ex-policière se retrouve-t-elle à assurer le service de nuit dans une morgue ?).

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