Les Hirondelles de Kaboul ★★★☆

Kaboul. 1998. Les talibans tiennent la ville et imposent leur loi d’airain.
Mohsen et Zunaira se sont rencontrés à l’université avant que Kaboul tombe aux mains des talibans. Il se destinait à enseigner l’histoire, elle le dessin. Mais l’ordre nouveau caparaçonne Zunaira derrière son tchadri opaque et étouffant et interdit à Mohsen d’enseigner l’histoire sans l’accommoder aux préceptes de l’islam.
Atiq et Mussarat forment un autre couple, plus âgé. Atiq est un ancien moudjahid qui a combattu l’URSS et qui est devenu gardien de prison. Sa femme se meurt d’un cancer.

Kaboul est donc la capitale de l’Afghanistan. Les talibans en ont été délogés en octobre 2001 pour avoir prêté main forte aux attentats du 11-septembre.  Bizarrement, le cinéma a tardé à s’emparer de leur histoire, souvent en adaptant des romans écrits quelques ans plus tôt : Les Cerfs-volants de Kaboul (sorti en 2007 et adapté du best-seller de Khaled Hosseini), Syngue Sabour (sorti en 2012 et tiré du Goncourt 2008 de Atiq Rahimi), Parvana (sorti en 2018 et inspiré du roman pour la jeunesse de Deborah Ellis). Ce dernier, un dessin animé lui aussi, qui met en scène une jeune fille obligée de se travestir pour faire survivre sa famille dans les rues de Kaboul, n’est d’ailleurs pas sans ressemblance avec le film d’animation co-signé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec.

Les Hirondelles de Kaboul est l’adaptation d’un roman de Yasmina Khadra sorti en 2002. Je l’avais lu en son temps et n’en avais pas gardé un souvenir impérissable. Les romans de Yasmina Khadra, bien qu’ils jouissent d’une grande popularité, ne m’ont jamais enthousiasmé : je les trouve excessifs, boursouflés de bons sentiments, frisant la démagogie à force de tire-larmisme.

Il a fallu plus de quinze ans pour le porter à l’écran. Zabou Breitman avait, au départ, l’idée d’en faire un film. Elle y a renoncé devant l’ampleur du projet (on imagine aisément que filmer une exécution capitale dans un stade de football ne doit pas être simple). Bien lui en prit ; car les aquarelles de Eléa Gobbé-Mévellec, qui avait déjà signé celles de Ernest et Célestine, font justice au texte. Mais elle a filmé les acteurs en costumes pour en tirer des cartons. On retrouve non seulement la voix de Swann Arlaud (Mohsen), de Zita Hanrot (Zunaira) de Simon Abkarian (Atiq) et de Hiam Abbass (Mussarat ) mais aussi leurs traits étonnamment fidèles.

L’histoire des Hirondelles, réduite à son squelette, a l’épaisseur d’une longue nouvelle. Le film, qui dure 1h20 à peine, en a aussi la durée. Il en a aussi la puissance, même si on en devine un peu trop vite le ressort. Si on craint dans la première moitié du film l’ennui, l’émotion nous prend dans la seconde jusqu’à un épilogue, mélodramatique et inéluctable, que le dernier plan nimbe d’une lueur d’espoir.

La bande-annonce

Je promets d’être sage ★★☆☆

Dramaturge au bord du burn out, Franck (Pio Marmai) décide de changer radicalement de vie. Il s’installe à Dijon, près de sa sœur et trouve un emploi de gardien au musée des Beaux-arts. La fréquentation des œuvres, la routine de son travail vont, pense-t-il, lui rendre la sérénité qui l’avait quitté. Mais c’est sans compter sur ses collègues de travail et notamment sur Sibylle (Léa Drucker) qui l’accueille froidement et refuse, pour des raisons qui s’éclaireront bientôt, de participer à l’inventaire des pièces du musée.

Je promets d’être sage s’ouvre par une scène hilarante. On y voit Pio MarmaI dans le rôle d’un directeur de troupe au bord de la crise de nerfs péter les plombs devant un public médusé et des acteurs tétanisés, dans une mise en scène à la Ian Fabre, toute de bruit et de fureur.
Mais la suite hélas n’est pas au diapason. On quitte les planches du théâtre pour les lambris du musée – un décor que le cinéma n’avait jamais investi à ma connaissance. On y retrouve Pio Marmai, joyeusement neurasthénique, dont on se dit qu’il est décidément l’un des acteurs les plus intéressants de sa génération. Le rejoint bientôt Léa Drucker, auréolée de son récent César, dans un registre comique qu’on ne lui connaissait pas et qui, tout compte fait, ne lui convient guère.

Non que le duo ne fasse pas mouche. On rit volontiers à ses tentatives plus ou moins maladroites de fourguer les pièces de l’inventaire qu’ils subtilisent. Mais le scénario n’est pas assez riche pour soutenir durablement l’intérêt. Cousu de fil de blanc, il se traîne vers un dénouement connu d’avance.

Je promets d’être sage ne parvient pas à se hisser au-delà de son cahier des charges : une comédie gentillette dans un cadre original bien servie par son duo d’acteurs. C’est déjà ça… mais ce n’est guère plus.

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Les Baronnes ★☆☆☆

New York. 1978. La mafia irlandaise tient Hell’s Kitchen, le quartier populaire de Midtown Manhattan.
Mais quand Kevin, Jimmy et Bob sont arrêtés, le pouvoir devient vacant et leurs épouses n’ont d’autres solutions que de le reprendre, quitte à passer une alliance avec les Italiens de Brooklyn. C’est pour chacune un défi différent : Claire (Elisabeth Moss sans sa cape écarlate ni sa cornette blanche) est une femme battue, Ruby (Tiffany Haddish) est noire dans un milieu qui ne l’a jamais acceptée, Kathy (Melissa McCarthy qu’on vient de saluer dans Les Faussaires de Manhattan) est certes heureuse en mariage mais n’a jamais réussi à s’émanciper d’une famille trop encombrante.

Les Baronnes pâtit de la comparaison avec Les Veuves de Steve McQueen sorti sur les écrans il y a moins d’un an et dont il reprend le même sujet : des femmes minorisées qui s’unissent pour reprendre le flambeau abandonné par leur mari. La recette n’est pas mauvaise, qui mélange film de mafia et féminisme #metoo. Les Veuves étaient toutefois meilleur, en raison de la patte de son réalisateur et des rebondissements de son scénario.

Les Baronnes, plus classique dans sa narration, est moins riche, qui n’a d’autre intérêt que sa reconstitution soignée d’une époque où Hells’Kitchen n’avait pas encore été gentrifié. Entre comédie façon Drôles de dames et polar, Les Baronnes ne sait malheureusement pas sur quel pied danser.
Il est sorti au cœur de l’été sans quasiment de publicité ni de projections de presse. Signe que Warner France ne croyait pas vraiment à son potentiel.

La bande-annonce

Roubaix, une lumière ★★☆☆

Roubaix, une des villes les plus pauvres de France. Entre Noël et Nouvel An, on y suit le commissaire Daoud (Roschdy Zem) et le jeune lieutenant Louis Coterelle (Antoine Reinartz) dans leurs enquêtes : une arnaque à l’assurance, un incendie criminel, un viol sur mineure, une adolescente en fugue et deux jeunes marginales (Léa Seydoux et Sara Forestier, pétrifiée et passionnée) accusées du meurtre de leur voisine.

En compétition pour la dixième (!) fois à Cannes, Arnaud Desplechin surprend. Chef de file du cinéma français post-Nouvelle Vague, il a longtemps fait de la cellule familiale la matrice névrotique de ses films et s’est complu dans un cinéma intellectualisant qui ne m’a jamais convaincu alors même que je me situe probablement dans le cœur de cible de son public. Il abandonne cette veine pour réaliser un polar, à la frontière du documentaire et de la fiction. Il s’est inspiré de faits réels qui se sont déroulés en 2002 à Roubaix, sa ville natale et qui furent relatés dans un documentaire qu’il a vu par hasard sur France 3 en 2008.

Le film d’Arnaud Desplechin respecte scrupuleusement la trame définie par ce documentaire. À travers lui, c’est la radioscopie d’une ville entre chien et loup, lessivée par un crachin sournois, qui se dessine. Le risque est de laisser le spectateur sur sa faim en esquissant des histoires dont on ne nous livre pas le fin mot : pourquoi la famille de Daoud est-elle repartie en Algérie ? pourquoi son neveu emprisonné lui voue-t-il une telle rage ? pourquoi la jeune Sophie a-t-elle fugué ? D’ailleurs les deux personnages principaux, le commissaire et le lieutenant, restent-ils l’un comme l’autre opaques à toute analyse psychologique.

Mais il y a plus grave.  Roubaix, une lumière souffre d’un déséquilibre rédhibitoire.
Il est écartelé entre deux parties et deux partis. Le premier est de raconter, au fil de l’eau, ces historiettes – comme l’avait très bien fait en son temps Polisse. Le second est de se focaliser sur Claude et Marie. En confiant ces rôles à deux stars, Desplechin ne pouvait pas ne pas leur laisser la part du lion. L’enquête menée par les policiers sur leur crime [dans des conditions dont je m’interroge sur le réalisme et la violence] occupe toute la seconde partie du film. Le rythme du film en est brisé. On passe de la chronique au huis-clos, du pluriel au singulier, du kaléidoscope au microscope.

Je ne dis pas que la première partie n’est pas intéressante. Je ne dis pas que la seconde ne l’est pas non plus. Mais je dis que leur attelage l’une à l’autre ne fonctionne pas.

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Frankie ★☆☆☆

Françoise Crémont alias Frankie (Isabelle Huppert) est une star internationale du cinéma. Atteinte d’un cancer incurable, elle sent sa fin s’approcher. Pour ses dernières vacances, à Cintra au Portugal, elle réunit tous ses proches : Michel, son premier mari (Pascal Greggory) qui a fait son coming out depuis qu’elle l’a quitté, Paul, le fils qu’elle a eu avec lui (Jérémie Rénier) qui va s’installer à New York après une énième déception amoureuse, Jimmy, son mari actuel (Brendan Gleeson), inconsolable du deuil à venir, Sylvia, la fille (Vinette Robinson) que celui-ci avait eu d’un premier lit, elle-même accompagnée de Ian, son mari, qu’elle s’apprête à quitter, et de Maya, sa fille en pleine crise d’adolescence. Complètent ce cercle strictement familial Ilene, l’ancienne coiffeuse de Frankie (Marisa Tomei) et Gary, son compagnon (Greg Kinnear), un chef opérateur qui a décidé de passer à la réalisation.

On attendait beaucoup, à Cannes, en compétition officielle, du nouveau film de Ira Sachs, le réalisateur new yorkais, remarqué pour ses précédents films : Brooklyn Village, Love is strange, Keep the Lights on… La déception a été grande.

Cet assemblage cosmopolite – un réalisateur new yorkais, une star française, des acteurs anglais, belge et irlandais, un tournage au Portugal – ne fonctionne pas. On dirait du Woody Allen pas drôle, du Rohmer sans élégance.

Le scénario se déroule en une seule journée du lever jusqu’au coucher du soleil (filmé dans un long plan fixe comme un tableau de maître qui sauverait presque à lui seul le film si on lui manifestait une indulgence coupable). Il se déroule dans les rues et les environs de Cintra où les personnages, rarement immobiles, sont filmés en pleine déambulation, au point d’en devenir un tic.
Chacun des neuf personnages est successivement montré en compagnie d’un autre. Les esprits mathématiques auront calculé que le nombre de possibilités s’élève  à trente-six et que le film aurait pu être très très long. Heureusement certains face-à-face nous sont épargnés tandis que d’autres sont élargis à un troisième participant.
Chaque dialogue est censé raconter une histoire : le coming out de Michel, le déménagement de Paul, le chagrin de Jimmy, la rupture de Sylvia, les amourettes de Maya, etc. Le récit est si kaléidoscopique qu’on ne s’attache à personne. Sinon peut-être à Isabelle Huppert qui – malgré le ras-le-bol que je ne manque pas d’exprimer à chacun de ses films – est impériale dans un film où, pour une fois, elle n’interprète pas le rôle d’une femme toxique.

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La Vie scolaire ★★★☆

« La Vie scolaire », c’est le nom qu’on donne à l’unité administrative d’un collège qui, sous l’autorité du CPE (conseiller principal d’éducation) et de quelques surveillants est chargée de faire respecter le règlement intérieur.
Sur un mode quasi-documentaire Grands Corps malade et Mehdi Idir – qui y usa ses fonds de culotte – sont retournés au collège des Francs-Moisins, en Seine-Saint-Denis, à une encablure du Stade de France, filmer une année scolaire d’une classe de troisième.
L’ensemble est fictionnalisé avec quelques acteurs professionnels – Zita Hanrot (qui creuse lentement, depuis Fatima qui lui valut le César du meilleur espoir féminin, son chemin dans le cinéma français) et Alban Ivanov (qui multiplie depuis Le Grand Bain les seconds rôles en or) – entourés d’amateurs recrutés sur place.

Le duo avait réalisé en 2017 Patients, sur l’univers hospitalier. Le film, aussi drôle que juste, avait remporté un succès critique et public légitime. Il figurait dans mon Top 10.
La Vie scolaire reprend les mêmes ingrédients avec la même réussite.

Dans une veine qui m’a rappelé l’autobiographie épatante de Kheiron Nous trois ou rien, La Vie scolaire maintient un équilibre fragile entre l’humour et la gravité. Chaque scène est drôle, qui se nourrit de la « tchatche » incroyable des jeunes face à laquelle l’autorité des adultes peine à ne pas se fissurer. Mais chaque scène est en même temps grave, qui souligne les failles d’une institution incapable d’offrir un avenir à ses élèves malgré l’humanité débordante des enseignants.
On frise souvent le pathos ; mais on n’y tombe jamais comme dans ce conseil de discipline où chaque argument, aussi pertinent soit-il (« L’institution n’est pas faite pour moi »), un contre-argument qui ne l’est pas moins (« Non, Yanis, ne renverse pas les responsabilités en mettant tes fautes sur le dos de l’institution »).
On rit franchement à quelques running jokes : l’élève mytho qui excuse ses retards avec des motifs toujours plus rocambolesques (la grève d’Air France, une antilope qui bloque le trafic…), le surveillant bas du front qui se bourre de chips, le prof d’EPS obèse qui pratique des sports improbables (le hockey à roulette, le foot-vélo…)

Bien sûr, La Vie scolaire n’est pas le premier film qui, avec plus ou moins de réussite, filme la classe. Il est difficile de dépasser le modèle du genre : Entre les murs, sans parler de succédanés moins marquants : La Vie en grand, Les Héritiers, Swagger
Le sujet n’a rien de novateur, le traitement n’a rien de révolutionnaire ; mais il y a une telle humanité, une telle énergie dans cette Vie scolaire, dans ses enseignants si empathiques, dans ses collégiens si attachants, qu’il serait dommage de la rater.

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Une fille facile ★★★☆

C’est la fin des classes et le début de l’été à Cannes. Naïma (Mina Farid) vient de fêter ses seize ans. Elle tue l’ennui en compagnie de Dodo (Lakhdar Dridi), un copain homosexuel qui rêve de faire l’acteur quand débarque de Paris sa cousine Sofia (Zahia Dehar).
Sofia vit des cadeaux que lui font les hommes. Elle a un physique qui ne laisse pas indifférent. Elle attire bientôt l’attention de Andres, un milliardaire brésilien (Nuno Lopes) et de Philippe, son homme à tout faire (Benoît Magimel).

Il faut voir Une fille facile pour deux raisons. La première : c’est un film de Rebecca Zlotowski, une des réalisatrices les plus intéressantes de sa génération. Surdiplômée (ENS, agrégation de lettres, Fémis), elle a lancé la carrière de Léa Seydoux avec son premier film, Belle épine, qui lui valut le César du meilleur espoir féminin en 2011. Son troisième, Planétarium, lance celle de Lily-Rose Depp.
Mais, la seconde raison de voir Une fille facile, reconnaissons-le, c’est Zahia. La jeune femme, encore mineure, s’était acquise une renommée sulfureuse pour avoir tarifé ses services auprès de Franck Ribéry et de Karim Benzema. On était curieux de savoir ce qu’elle irait faire devant une caméra. Rebecca Zlotowski le sait qui a construit son film et sa bande-annonce – que je vous invite à regarder jusqu’au bout – autour d’elle.

Disons le sans ambages : elle joue comme un pied. Elle semble avoir déployé tant d’effort pour mémoriser ses deux lignes de textes que tout son naturel disparaît quand elle les ânonne avec des moues à la B.B.
Mais on ne lui demande pas d’être Sarah Bernhardt. Elle est là pour sa plastique, dégoulinante de sensualité. Elle est parfaite pour ce rôle, quasi autobiographique, d’une jeune fille qui flirte avec la prostitution sans y tomber.

On se tromperait en imaginant qu’Une fille facile tourne au mélodrame. La rencontre de Sofia et de Andres, sous les yeux de Naïma et de Philippe ne débouchera sur aucune tragédie. Sofia ne se révélera pas une dangereuse manipulatrice, pas plus que Andres un dangereux prédateur. Toute l’ambiguïté et tout l’intérêt de Une fille facile est de raconter une relation normale qui n’avait rien pour l’être. Il n’y a pas d’inégalité, de domination dans la relation entre le milliardaire et la belle de nuit malgré leurs différences de classes. Elle le séduit. Il la prend. Point.

Le caractère de Sofia se révèle dans une scène de repas. Invitée dans la résidence d’une riche collectionneuse (Clotilde Coureau) qui se pique d’exposer la bêtise de la jeune fille – qui venait de se vanter d’aimer Duras – Sofia lui oppose candidement sa gentillesse et désarme son opposante. Et en regardant cette scène, on réalise combien elle est proche de la réalité de ce que vit probablement chaque jour la vraie Zahia, réduite à son physique, rappelée à son passé de call girl.

La bande-annonce

Thalasso ★★★☆

Michel Houellebecq est en thalassothérapie à Cabourg. Le corps malingre de l’écrivain atrabilaire est soumis au dur règlement de la cure : soins intensifs, régime à l’eau, interdiction stricte de fumer dans et même hors de l’établissement…
Houellebecq rumine sa colère et croise le chemin d’un autre curiste : Gérard Depardieu, soumis aux mêmes règles que lui, mais bien décidé à les outrepasser.

Depardieu + Houellebecq. L’écrivain et l’acteur français les plus célèbres au monde. L’un est un monstre obèse, tutoyeur et bon vivant ; l’autre est dépressif jusqu’au bout des dents, enclin à des crises de mysticisme et à des fulgurances philosophiques.

En les voyant réunis à l’écran, sortes de Laurel et Hardy postmodernes, leur duo forme une évidence. Guillaume Nicloux les avait déjà fait tourner séparément. Dans Valley of Love pour le premier ; dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq pour le second. Thalasso s’annonce comme la suite de ce film-là. On y retrouve l’écrivain cinq ans après son enlèvement par une bande de pieds nickelés. La première scène du film – où l’on voit Houllebecq conduire un bolide à 250 khm/h sur une autoroute heureusement déserte – était la dernière de ce téléfilm diffusé en 2013 sur Arte.

La première heure du film est une pure jouissance. On y suit Houellebecq, d’abord seul, puis rejoint par Depardieu dans les couloirs du centre Thalazur de Cabourg – dont on se demande si la publicité négative qui lui est faite lui amènera des clients ou pas. On y rit volontiers devant leurs corps couverts de boue ou devant celui de Houellebecq caparaçonné dans une coque de cryogénisation – celui de Depardieu, trop gros peut-être, n’y entre pas. On les écoute discuter ensemble, sur des textes dont on s’interroge sur la part d’improvisation qu’ils contiennent. L’émotion affleure lorsque Houellebecq pleure en parlant de la mort de sa grand-mère et de la réincarnation des corps devant un Depardieu réduit à quia.

Malheureusement le film se perd dans sa dernière demi-heure. Le scénario ne pouvant se borner à filmer les deux acteurs, il se sent obligé de tisser une histoire. Pour ce faire, il convoque les acteurs de L’Enlèvement qui débarquent au centre de thalasso pour demander l’aide de Houellebecq afin de retrouver leur mère disparue. L’histoire n’a aucun intérêt. La bande bruyante qui rompt l’intimité du duo n’a rien à dire. Du grand n’importe quoi qui rappelle Bertrand Blier dans ses pires heures.

Mais cette demi-heure ratée n’éclipsera pas la joie provoquée par les deux précédentes. Le duo Houellebecq-Depardieu est de ces couples inattendus, à l’alchimie pourtant évidente, dont la rencontre produit des étincelles.

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Midsommar ★★★★

Dani (Florence Pugh qui tenait déjà le haut de l’affiche dans The Young Lady) vient de vivre le pire des traumatismes. Elle peine à trouver auprès de Christian (Jack Reynor), son boyfriend, le réconfort dont elle a besoin.
Etudiant en anthropologie, Christian était sur le point de partir en Suède avec des camarades assister à une cérémonie folklorique. Dani l’y accompagne.
Les cinq jeunes gens découvrent une communauté accueillante, coupée du monde. Mais lorsque les festivités commencent, elles prennent bientôt un tour de plus en plus inquiétant.

L’histoire d’une bande de post-ados américains perdus dans un environnement hostile et lentement décimés par une force invisible, on en a vus treize à la douzaine. Mais le génie de Ari Aster est de réaliser, à partir de cette trame ultra-classique, un film complètement original.
Nuit ténébreuse, maison hantée, monstre effrayant aux pouvoirs surnaturels : il n’utilise aucun des ingrédients qui constituent la recette traditionnelle des films dits « de genre ».
Midsommar se déroule en plein été. La Midsommar est un ensemble de célébrations qui marque en Scandinavie le solstice d’été. C’est la période de l’année où les jours sont les plus longs et, à ces latitudes, des « nuits blanches » où le soleil ne se couche quasiment jamais. C’est donc sous un soleil de plomb, sans jouer sur notre peur du noir, que l’action se déroulera. Que ceux qui les ont en horreur soient rassurés et que ceux qu’ils font délicieusement sursauter ne les attendent pas en vain : nul jump scare ne fera hurler de terreur la salle.
Quant aux « méchants », il n’y en a pas vraiment. Les hôtes de Dani et de Christian, une bande d’aimables suédois jodlant en longues robes blanches en sirotant des jus de baies plus ou moins hallucinogènes, vieillards barbichus et jeunes filles en fleurs, tiennent plus de la communauté hippie que de la secte satanique.

La terreur, Ari Aster la distille autrement. L’an passé, son premier film , Hérédité, avait fait sensation. On l’a retrouvé dans bon nombre de Top10 2018. Quant à moi, je n’y avais rien compris. J’en étais manifestement passé à côté.
Car force est de reconnaître le génie – un terme bien emphatique que j’utilise déjà pour la deuxième fois dans cette critique – de ce jeune réalisateur de trente ans à peine.

Midsommar s’étire sur 2h27, une durée hors norme, de nature à dissuader le public zappeur auquel les films d’horreur sont traditionnellement destinés. Sa durée excessive, loin d’être un handicap, est son principal atout. Car elle nous oblige à nous plonger dans ce huis clos paradoxal, tourné en plein air. Une fois arrivés sur place, les personnages n’en partiront plus, alors qu’aucune enceinte, aucun gardien ne les y retient.

Ces 2h27, on ne les voit pas passer, tant on est happé par le trou noir que le film ouvre sous les pieds de ses personnages. Au son d’une musique incantatoire, une atmosphère de plus en plus lourde s’installe. Les journées de la cérémonie se succèdent apportant chacune leur lot de bizarreries et de mystères. Elles sont filmées avec une maniaquerie géométrique dans des compositions d’une sinistre beauté où Ari Aster démontre, avec parfois la vanité qui caractérise les jeunes génies (et de trois !), sa maîtrise du cadre.

On craint un instant que le film ne se termine, comme c’est hélas souvent le cas, par une révélation sinistre qui déchirerait le voile d’ignorance dans lequel le spectateur a été maintenu : le chef du village est la réincarnation de l’Antéchrist ? les chers disparus de Dani vont se réincarner en Suède ? Ce n’est pas le cas. Et c’est tant mieux. Midsommar suit sa logique implacable jusqu’à sa conclusion qui ne l’est pas moins.
On en comprend alors tout le sens. Il ne s’agissait pas, comme dans les films d’horreur ordinaires, de comptabiliser la lente décimation d’une bande de jeunes héros. Le propos du film est plus psychologique : par une catharsis, l’héroïne achève un travail de deuil et sanctionne un manque d’amour. Monstrueux et dérangeant point d’orgue à une expérience qu’on n’oubliera pas de sitôt.

Midsommar est interdit aux moins de 18 ans au Royaume-Uni, en Australie, en Espagne.
Interdit aux -16 ans au Québec, aux Pays Bas, au Brésil, en Finlande
Rated R aux USA
Et en France… -12 ans à l’instar d’autres films à l’affiche actuellement autrement inoffensifs : Les Baronnes ou Le Gangster, le flic et l’assassin.
Triste constat des errements de la classification cinématographique en France et de l’urgence d’une réforme.

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L’Intouchable, Harvey Weinstein ★★★☆

Harvey Weinstein : ce nom vaut désormais à lui seul condamnation. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui, dans l’opinion publique, ont atteint une si funeste réputation : Dutroux et la pédophilie, Papon et la collaboration, Lehman Brothers et la crise des subprimes…
Les innombrables viols et tentatives de viol dont ce magnat hollywoodien se serait rendu coupable ont provoqué une prise de conscience planétaire. C’est au lendemain de leur révélation par deux enquêtes quasi-concomitantes du New York Times et du New Yorker publiées en octobre 2017 que le mouvement #metoo a été lancé sur les réseaux sociaux – bientôt repris en France avec #balancetonporc.

Pas facile de faire le portrait d’un tel « porc ». Le documentaire de Ursula Macfarlane ne prétend pas à l’objectivité. Alors que le procès de Weinstein va se tenir et que le recueil des témoignages s’est probablement heurté au déroulement parallèle de l’enquête judiciaire, il ne donne guère la parole à la défense. Si l’ironie était permise, on dirait qu’il juge à charge plus qu’à décharge.

Aussi ne trouve-t-il guère de circonstances atténuantes au comportement prédateur du patron de Miramax sinon d’avoir été un outsider (« underdog ») avide de revanche sociale et un adolescent obèse et boutonneux dont les filles se moquaient. Si ce businessman de génie a, avec son frère, construit un empire et insufflé un grand courant d’air frais dans le cinéma des années 80 et 90 en produisant Soderbergh ou Tarantino, c’est en usant de méthodes inadmissibles.
Rien ne devait lui résister. « C’était un homme qui n’acceptait pas qu’on lui résiste ». Dans les affaires… comme dans la vie privée.

L’Intouchable documente avec beaucoup de finesse l’hubris qui s’empare d’un homme ivre de puissance. Une hubris qui se caractérise d’abord par un comportement inadmissible avec ses collaborateurs, harcelés, humiliés, rabaissés. Une hubris qui se manifeste ensuite par un comportement sexuel prédateur : « ma puissance est si grande qu’aucune femme ne peut se refuser à moi ».
L’Intouchable documente aussi – c’est l’angle que le choix de son titre indique – l’omerta qui s’est installée autour de Weinstein. Shérif autoproclamé de la ville (Hollywood/New York), le producteur a, pendant vingt ans, fait régner sa loi sans que personne n’ose la dénoncer. Pendant tout ce temps, la rumeur est allée bon train ; mais personne n’a parlé, ni les collaborateurs terrifiés ni les victimes qui, lorsqu’elles faisaient mine de lancer des poursuites, devaient, sous la contrainte, monnayer leur silence en signant des accords de confidentialité.

Il a fallu un immense courage à ces victimes pour parler. Le point fort du documentaire est de les avoir retrouvées et de les avoir convaincues de témoigner. Sur une liste initiale de 600 noms, 400 personnes ont été contactées et 128 ont consenti à parler à l’équipe du film. Au final, 29 personnes ont été interviewées, nous indique le dossier de presse.
Leurs témoignages sont étonnamment similaires. Pendant quarante ans, le modus operandi de Weinstein n’a guère varié. Il propose à une starlette, croisée dans une soirée, de le raccompagner dans son hôtel. Y voyant une opportunité extraordinaire pour sa carrière, elle accepte. Mais sitôt la porte de la suite refermée, Weinstein devient plus violent, usant de menace verbale et physique pour parvenir à ses fins. Certaines y concèdent, paralysées par la peur ; d’autres s’y refusent et réussissent à s’échapper.
Leur témoignage est glaçant : « J’imaginais qu’une femme violée se débattait et hurlait. C’est l’image qu’on s’en fait. Mais c’est faux. Je suis restée immobile. J’étais paralysée. J’avais peur de recevoir des coups. Je me suis dit que moins je bougerais, mieux ça se passerait. J’espérais que ça dure cinq minutes et que ce serait oublié. Mais je n’arrive pas à oublier »

Bien sûr, le documentaire de Ursula Macfarlane n’est pas sans défauts. On peut pointer le classicisme de sa forme, plus télévisuelle que cinématographique. On peut aussi lui reprocher son manque d’objectivité et considérer qu’il eût mieux fallu attendre la conclusion du procès de Weinstein pour dresser son portrait. Mais la stratégie de ses avocats étant de le faire durer au maximum – car espérer innocenter leur client est illusoire – il y a fort à craindre que la procédure ne s’éternise. Il y avait urgence à raconter Weinstein ; il y avait, plus encore, urgence à donner la parole à ses victimes. C’est chose faite. Et c’est tant mieux.

La bande-annonce