Docteur ? ★☆☆☆

Le soir de Noël, à Paris, le docteur Serge Mamoumani (Michel Blanc) est de garde. Brinquebalé d’un bout à l’autre de la capitale par le standard de SOS-Médecins (on reconnaît la voix inimitable de Chantal Lauby), ce médecin bougon et vieux jeu rassure les hypocondriaques et soulage les vrais malades.
Son chemin croise celui de Malek (Hakim Jemili), un livreur Uber Eats.

Nous arrive sur les écrans le 10 décembre une comédie de Noël. La présence de Michel Blanc en tête d’affiche rappelle inévitablement Le père Noël est une ordure. Mais hélas, le drôlerie de Docteur ? n’arrive pas à la cheville de celle, iconique, de la troupe du Splendid.

Tristan Séguéla utilise la trame archi-usée du buddy movie, en plaçant côte à côte deux héros antinomiques, le vieux docteur amer et le jeune livreur ubérisé, respectivement interprétés par une vieille gloire du cinéma comique français et une star montante du seul-en-scène YouTubisé.

Il faut presqu’une demie heure au scénario pour poussivement réunir ces deux personnages. La maladresse du second ayant entraîné l’incapacité du premier à continuer sa garde, le docteur Mamoumani va envoyer le jeune Malek à sa place en visite, le téléguidant par une oreillette avec son portable. Le dispositif se décline ensuite en une demie-douzaine de gags, plus ou moins réussis, plus ou moins drôles. J’y aurai appris un mot nouveau : fécalome.

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La Sainte Famille ★☆☆☆

Jean (Louis-Do de Lencquesaing) est un universitaire installé propulsé sur le devant de la scène par sa nomination au Gouvernement au poste de ministre de la famille.
Issu de la meilleure bourgeoisie parisienne, il vit à l’abri du besoin. Mais cette aisance matérielle ne le protège pas des aléas de la vie. Sa femme (Léa Drucker) menace de le quitter. Sa fille aînée (Billie Blain) est en pleine crise d’adolescence. Son frère (Thierry Godard) tourne mal. Sa mère (Marthe Keller) s’est mise en tête de répartir l’héritage familial avant le décès de sa grand-mère. Et sa cousine (Laura Smet), qu’il retrouve à l’occasion des funérailles de leur bonne, exerce sur lui une attirance trouble.

Louis-Do de Lencquesaing est une figure bien connue du cinéma français qu’on a croisée dans une multitude de films où il tenait le premier (Le Père de mes enfants, Francofonia) ou, plus souvent, un deuxième rôle (La Danseuse, Un peuple et son roi, L’amour est une fête…). Il était passé une première fois derrière la caméra en 2012 avec Au galop, où il se mettait en scène avec sa propre fille, Alice de Lencquesaing, et Marthe Keller, déjà, dans le rôle de sa mère.

Il récidive sept ans plus tard dans un film qu’on devine en partie autobiographique. Si son patronyme à particule et son prénom peu commun ne le trahissaient pas, Louis-Do de Lencquesaing est issu des meilleurs quartiers (il a fait sa scolarité à « Franklin ») et ne s’en cache pas. On le voit dans La Sainte Famille vouvoyer sa mère et être vouvoyé par elle.

Les petits drames de ce milieu là (faut-il vendre le château familial ? la grand-mère a-t-elle couché avec le garde-chasse ?) feraient ricaner L’Humanité – qui n’en a pas publié de critique. Ils enchantent Le Figaro et Closer.
Si Louis-Do de Lencquesaing réussit paradoxalement à éviter l’égocentrisme en se filmant dans chaque plan, il n’évite pas la banalité avec cette chronique douce-amère. Son principal défaut : avoir bombardé son héros au Gouvernement, un choix de scénario hasardeux qui n’est bizarrement pas utilisé. Sa principale qualité : sa scène finale d’une humble humanité.

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Le Lac aux oies sauvages ★★☆☆

Sous la pluie battante d’une nuit sans lune, un homme et une femme se rencontrent sur le quai d’une gare. Ils ne se connaissent pas ; mais leurs destins seront désormais liés. Lui est un petit malfrat dont la tête a été mise à prix par la police ; elle est une « baigneuse », une prostituée, qui rêve d’une vie merveille.

En 2014, Diao Yinan remportait l’Ours d’or à Berlin avec Black Coal, un polar noir de la couleur du charbon de Mandchourie. Il a fallu attendre cinq ans son film suivant, sélectionné illico en compétition officielle à Cannes. Il y creuse la même veine, celle du polar expressionniste, mélange efficace du film noir américain des années cinquante façon Raoul Walsh et du cinéma hongkongais esthétisant des années quatre-vingt-dix façon Wong Kar Wai.

Le polar est en train de devenir un genre chinois à part entière. Comme si le cinéma chinois se réappropriait toutes les variantes du cinéma américain. Sans remonter bien loin, on en a vu, ces deux dernières années, toutes les déclinaisons possibles : les héros criminels (Les Éternels), la traque du serial killer (Une pluie sans fin), l’enquête policière neurasthénique (Un été à Changsha) et même le film d’animation tarantinesque (Have a nice day), des quatre précédemment cités celui que j’ai préféré.

Dans cette galerie très riche, les films de Diao Yinan ne font pas pâle figure. Ils ont du style, voire même une certaine flamboyance. Mais le souci porté à la forme, qu’il s’agisse de l’image très travaillée ou du scénario construit autour de savants flash-back qui reviennent toujours à la même gare inondée de pluie, se fait au détriment du fond.

On ne comprend pas toujours tout du scénario alambiqué de ce Lac aux oies sauvages. On nous rétorquera qu’on ne comprenait pas grand-chose non plus au Faucon maltais. Mais le plus gênant est qu’on ne s’attache pas vraiment non plus aux personnages, réduits à des caricatures sans relief. Comme Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui encaisse les coups et les balles en serrant les dents tandis qu’elle démontrera une grandeur d’âme et une fidélité inhabituelle dans sa profession.

Et qu’on ne vienne pas nous dire que Le Lac… dessine un portrait accusateur de la Chine contemporaine. Ce n’est pas parce que son action se déroule dans des immeubles décrépits, qu’il met en scène des policiers et des voyous usant quasiment des mêmes méthodes expéditives, qu’il faut y voir un témoignage à charge sur les laissés-pour-compte de la croissance chinoise. On n’a jamais donné une telle portée au Grand Sommeil ou au Faucon maltais ; ne la donnons pas à leurs épigones chinois.

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La Vie invisible d’Eurídice Gusmão ★★★☆

À Rio, au début des années cinquante, Eurídice et Guida sont les deux filles d’un couple de la petite bourgeoisie carioca. Une amitié indéfectible unit les deux sœurs que le destin va briser.
Guida, l’aînée, va en effet déserter le foyer familial pour suivre en Europe un beau marin grec qui lui fera un enfant et l’abandonnera. Pendant ce temps, Eurídice, la cadette, se marie sans amour avec un bonnet de nuit qui lui fera deux enfants et qui lui interdira la carrière de pianiste à laquelle elle rêvait.
Quand Guida revient à Rio, enceinte et abandonnée, ses parents lui ferment leur porte et la condamnent à une vie misérable. Ils lui font croire que sa sœur est partie en Europe et privent ainsi Guida de sa seule amie.

À lui seul le titre du film de Karim Aïnouz – qu’on avait remarqué il y a une quinzaine d’années pour son premier film Madame Sata, mais qui était depuis demeuré quasiment invisible de ce côté-ci de l’Atlantique – est déjà terriblement exotique. Il a le même parfum que les titres des romans de García Márquez : Cent ans de solitude, L’Amour au temps du choléra, L’Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique

Ce titre est le même que celui du roman de Martha Batalha dont ce film est l’adaptation infidèle. Adaptation infidèle car, si le livre est centré sur la seule Eurídice et sur la vie invisible qu’elle s’imagine pour s’évader d’un mariage désespérant, le film a, lui, un tout autre sujet. C’est moins Eurídice qui en est l’héroïne que Guida, l’aînée plus extravertie, qui fait le mur pour aller danser, s’enfuit avec un beau marin et décide courageusement de faire sa vie seule quand ses parents lui tournent le dos.
Eurídice, elle, a un rôle plus effacé. Elle ne refuse pas le mariage auquel ses parents la contraignent. Elle tombe enceinte alors qu’elle ne le souhaitait pas. Elle ne réussit pas à accomplir son rêve de devenir pianiste, pas plus qu’elle ne réussit à retrouver sa sœur qu’elle croit partie en Europe.

Le courage de ses deux femmes – et d’une troisième, Filomena, qui recueille Guida et lui offre un toit – contraste avec le machisme et la veulerie des hommes. D’abord Manuel, le père de Guida qui, au nom de préceptes d’un autre âge, chasse sa fille et son bâtard. Mais aussi Antenor, le mari de Eurídice, qui la viole sans vergogne le soir de leur nuit de noce et se montrera ensuite, toute sa vie durant, ridiculement machiste.

La Vie invisible d’Eurídice Gusmão dure deux heures et vingt minutes ; mais la richesse de son scénario et la multiplicité de ses rebondissements qui s’étalent sur plus d’un demi-siècle font trouver le temps trop court.

Surtout La Vie invisible d’Eurídice Gusmão se conclut par un épilogue mélodramatique qui émouvra les plus insensibles.

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Star Wars: L’Ascension de Skywalker ★★☆☆

Star Wars suite et fin.
Tout a commencé en 1977. J’étais trop petit pour voir en salles le premier Star Wars – qui porte le numéro 4 selon une logique parfaitement compréhensible pour la terre entière et parfaitement illogique pour qui a deux grammes de logique. J’ai vu le suivant au cinéma avec ma sœur dans le petit cinéma de ma ville de province. J’étais encore en primaire. Ma sœur est morte ; le cinéma a fermé depuis longtemps ; mais l’excitation immédiate que j’ai ressentie est elle bien vivante et a mis plusieurs années à me quitter, relancée par la sortie trois ans plus tard du Retour de Jedi. J’avais douze ans ; je rentrais en quatrième ; j’étais en plein cœur de cible.

Il a fallu attendre près de vingt ans pour la suite en 1999, en 2002 et en 2005. Je les ai découverts avec mes fils, trop petits pour voir La Menace Fantôme et L’Attaque des clônes en salles, mais suffisamment grands pour réclamer d’y aller pour La Revanche des Sith. C’était à Bruxelles, en mai 2005, et je m’en souviens comme un des événements les plus marquants de ma relation père-fils.

Arrive la dernière trilogie. Mes enfants ont vingt ans. Il en faut de peu que je sois grand-père. Mais j’imagine que je regarderai dans quelques années en DVD – ou grâce à une technologie encore inédite – avec mes petits-enfants ces films. En attendant, accompagné de mon aîné, de mon beau-frère, de mes neveu et nièce, je suis allé dépenser dans un UGC de province autant d’argent en une seule séance qu’en une demie-douzaine de celles que je fréquente solitairement à Paris. Disney me dit merci.

Comment expliquer ce succès transgénérationnel ? Quoi dans Star Wars m’a attiré enfant, qui a attiré mes enfants et qui continue à nous attirer, eux comme moi ? La force de l’habitude ? Sans doute. Un plaisir régressif ? Peut-être. La nostalgie proustienne d’une enfance perdue ? Incontestablement.

Difficile d’aborder Star Wars 9 sans ce long préambule. Pour la simple raison que ceux qui iront le voir ont très probablement vu – et aimé – les huit épisodes précédents. Pour la simple raison qu’il est quasiment impossible de voir et de comprendre cet épisode-là sans avoir vu les précédents.

Car Star Wars constituait déjà un « univers » avant que X-Men ou Avengers n’en déclinent jusqu’à l’épuisement le concept, transformant chacun de ses films non pas en un élément autonome mais en un chaînon d’une série d’œuvres qu’on ne peut comprendre et a fortiori apprécier qu’à condition d’avoir vu les précédentes.

Avec L’Ascension de Skywalker – un titre faussement énigmatique dont le sens ne se révélera qu’à la dernière scène – Star Wars boucle la boucle. Comme dans Avengers Endgame, un interminable épilogue de plus de trois heures, il s’agit de répondre à toutes les questions que la saga a posées. Pour que le public en ait pour son argent, il faut lui resservir les ingrédients qui avaient fait le succès des épisodes précédents : beaucoup de musique symphonique (mais ne mégotons pas : la musique de John Williams est peut-être la plus grande BOF de l’histoire du cinéma – ex æquo avec Amadeus et La La Land bien sûr), quelques batailles intergalactiques, quelques duels au sabre laser, les borborygmes de Chewbacca, les tintinnabulements de R2D2 et, comme à la parade, les apparitions d’outre-tombe des grands disparus (ne manquent guère à l’appel que Yoda et Obi-Wan).

Comme la première trilogie était construite autour du personnage de Anakin, la deuxième autour de celui de Luke, la troisième est construite autour de Rey. On a beaucoup glosé sur le sexe de l’héroïne, une femme dans la galaxie très masculine de Star Wars, pour attirer le public féminin autant que pour marquer l’évolution des mœurs. J’ai été frappé par ses deux autres caractéristiques – qu’elle partageait avec Anakin et Luke : un âge ambigu (a-t-elle quinze ans ? vingt ? vingt-cinq ?) qui est celui de tous les héros de bande dessinée de Tintin à Superman, et une absence totale de sexualité, témoignage peut-être de la pruderie des majors hollywoodiennes.

S’il fallait chercher un fil rouge à Star Wars, c’est celui de la quête des origines. Personne ne s’est remis depuis 1980 de la découverte de l’identité du père de Luke dans L’empire contre-attaque. Rey passe les trois derniers films de la saga à chercher l’identité du sien. Bizarre qu’au XXIème siècle, en un temps et dans des sociétés où la filiation n’est plus ni une énigme (nous avons tous, et c’est heureux, une idée assez précise de l’identité de notre père) ni un enjeu (même s’il y a à redire sur les pannes de l’ascenseur social, notre bien-être n’est plus entièrement conditionné par l’état de notre parenté), cette question soit si centrale.
Mais, l’intelligence du scénario de ce dernier volet – qui, par ailleurs, n’en est guère pourvu – est le pied-de-nez qu’il fait à ce thème si omniprésent dans les huit précédents films. Bravache, il affirme que les liens du sang ont tout bien considéré moins d’importance que ceux de l’amour et de la transmission.

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Après la nuit ★☆☆☆

C’est l’histoire en trois volets d’un couple en train de se briser.
On suit d’abord Dana qui sort de la gare de Bucarest avec sa valise et qui prend un taxi. Descend-elle d’un train ou était-elle sur le point d’y monter ? On ne le saura pas. Dana est hagarde. Que vient-elle de découvrir ? On ne le saura pas non plus. Elle hésite à rentrer chez elle, croise un voisin dont la femme va accoucher, accompagne le couple à la clinique et finit par se raconter au chauffeur.
On suit ensuite la même nuit Arthur. Bisexuel, il vient de rencontrer via une application Internet Alex et va passer la nuit avec lui. Mais les tocs de son amant compliquent leur rencontre.
On retrouve enfin le couple au petit matin – c’est l’affiche du film. Entre eux, les non-dits se sont accumulés. Ils doivent assister au baptême d’une fille d’un ami, puis déjeuner avec la grand-mère d’Arthur qui harcèle Dana en lui reprochant de ne pas avoir d’enfant.

Si les gens heureux n’ont pas d’histoire, les couples en crise en ont une qui inspirent le cinéma. 2019 n’a pas échappé à la règle qui nous a donné son lot de films qui dissèquent la crise conjugale : Midsommar, Chambre 212, Marriage Story, Mon chien stupide, Retour de flamme
En voici une version roumaine, qui n’est certainement pas la plus gaie, ni la plus convaincante, ni la plus réussie.

Sauf à avoir lu le résumé qui précède, le spectateur non averti qui découvrira Après la nuit ne comprendra pas immédiatement ce dont il retourne. Son premier tiers est particulièrement déroutant qui suit Dana – dont on ignore qu’elle est mariée – dans son errance nocturne. Le deuxième l’est tout autant qui se concentre sur Arthur.
Marius Olteanu – cinéaste de la Nouvelle Vague roumaine qui avait assisté Cristi Puiu pour la réalisation de Sieranevada – joue sur le format de l’image. Les deux premières parties de Après la nuit sont dans une image carré 1/1 tandis que l’image s’agrandit en 16/9 dans le dernier tiers. Histoire de montrer l’isolement des deux protagonistes dans leurs univers solipsistes dont seul le couple peut les sauver ? Pas si sûr, car la troisième partie, intitulée « Les monstres » (c’est d’ailleurs le titre roumain du film dont on comprend mal pourquoi la traduction française s’est écartée), ne signe pas une béate réconciliation. Au contraire.

On aurait aimé aimer ce film exigeant. Mais, à force d’ellipses, de longueurs et de langueur, Après la nuit nous perd en chemin.

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Au cœur du monde ★☆☆☆

Contagem est une banlieue sans âme de Belo Horizonte, la capitale du Minais Gerais brésilien.
Un coup de feu mortel tiré le soir de l’anniversaire de Marcos va bouleverser ce microcosme. Beto l’assassin refuse de suivre les conseils de Miro, son frère aîné, et de quitter la ville. Ana, la fiancée de Marcos, n’en peut plus des soins qu’elle doit prodiguer à son père grabataire et de son emploi sous-payé. Selma, l’associée de Marcos dans une petite entreprise de photographie, leur propose de participer à un braquage.

Le cinéma brésilien se porte bien. Cette année, on a vu débouler sur les écrans hexagonaux autant de films de ce pays que, disons, d’Allemagne ou d’Espagne : Bacurau, La Vie invisible d’Eurídice Gusmão, Indianara, Bixa Travesty, Le Chant de la forêt, Temporada, Hard Paint

Au cœur du monde se présente comme un film choral. Il en a les qualités et les défauts. Il nous fait rencontrer une myriade de personnages mais ne nous laisse pas le temps de nous attacher à eux. Ce défaut est corrigé dans la seconde moitié du film qui se concentre sur le trio dessiné en haut d’affiche : Marcos, Selma et Anna associés dans un braquage.

Mais, pour exotique qu’il soit, le film est trop scolaire. Trop scolaire dans sa façon de brosser par petites touches le portrait d’une communauté dans sa première partie. Trop scolaire dans sa façon certes efficace de filmer un braquage sans surprise comme on a déjà vu des milles et des cents.

À noter la révélation Kelly Crifer dans le rôle d’Anna – la circonstance qu’elle soit belle comme le jour étant bien entendu sans incidence sur l’objectivité de mon jugement.

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The Lighthouse ★★☆☆

Deux gardiens de phare que tout oppose, un vieux loup de mer (Willem Dafoe) et un jeune novice (Robert Pattinson), sont confinés dans une île déserte, isolés du continent par la tempête.

Le résumé du film est court. Le film hélas est long.
De quoi est-il question dans The Lighthouse ? Du lent processus qui conduit un homme à la folie. Il est interprété par Robert Pattinson qu’on n’attendait pas ici. Il joue le rôle d’un jeune homme dont c’est la première mission pour le compte de l’administration américaine des phares. Précédemment, il travaillait au Canada dans l’industrie du bois. Il est placé sous l’autorité d’un gardien-chef tyrannique, flatulent et alcoolique. L’isolement, la dureté des tâches que son aîné sadique lui impose et la tempête, auront bientôt raison de sa raison.

La folie et comment on y glisse est un sujet qui a souvent été traité au cinéma. Les plus grands s’y sont frottés : Truffaut avec L’Histoire d’Adèle H., Polanski avec Répulsion, Cronenberg avec Spider ou Le Festin nu, Aronofsky avec Black Swan. Je le trouve pourtant d’une grande pauvreté. Au début du film, le héros ou l’héroïne manifeste quelques signes de folie, qui s’aggravent progressivement avant de le submerger totalement. Point. Aucun suspense, aucune bifurcation possible si ce n’est l’inexorable spirale du processus psychotique.

Du coup, c’est moins le sujet qui retient l’attention dans The Lighthouse que son traitement. Il suffit de jeter un oeil à la bande-annonce pour s’en convaincre : ce film-là est différent du tout-venant. Tourné en noir et blanc, au format 1.19/1 presque carré – qui enserre les personnages dans un cadre étouffant – The Lighthouse a le grain et le son des films des années cinquante. Flirtant avec le fantastique, il fait penser aux délires surréalistes et oniriques d’un Wojciech Has (Le Manuscrit trouvé à Saragosse, La Clepsydre) ou d’un Alexei Guerman (Il est difficile d’être un dieu). Ses dialogues très travaillés ont la même densité que les tirades de Shakespeare. Pour les écrire, le réalisateur Dave Eggers et son frère Max, co-scénariste du film, se sont plongés dans l’oeuvre de Melville et de Stevenson.

Reparti avec le prix Fipresci à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et avec le prix du jury au Festival de Deauville, The Lighthouse n’a pas été mieux résumé que par son réalisateur lui-même : « Rien de bon ne peut arriver quand deux hommes sont isolés dans un phallus géant. »

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Les Deux Papes ★★☆☆

2005. Jean-Paul II est mort. « Un nouveau pape est appelé à régner. Araignée ? Quel drôle de nom. »
Oups… je m’égare.
2005 donc. Le conclave se réunit dans la Chapelle Sixtine pour élire un nouveau pape. Doyen du collège des cardinaux, Joseph Ratzinger (Anthony Hopkins) est le grand favori. Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il incarne la continuité d’un pape très populaire mais aussi très conservateur. Pourtant, au sein du conclave, des voix s’élèvent en faveur de Jorge Bergoglio (Jonathan Pryce), un jésuite argentin aux positions plus progressistes.
Sept ans plus tard, le cardinal Bergoglio, atteint par la limite d’âge, souhaite renoncer à son office. Ratzinger, élu pape sous le nom de Benoît XVI, le convoque dans sa résidence d’été, à Castel Gandolfo, pour le mettre dans la confidence d’un incroyable secret.

La renonciation de Benoît XVI est un des actes les plus importants qu’a vécu la papauté ces dernières décennies, un des plus surprenants, des plus « disruptifs » de la part d’un pape réputé au contraire pour sa fidélité au dogme.
Il était tentant d’en raconter l’histoire, quitte à en simplifier les enjeux. On aurait volontiers imaginé une pièce de théâtre, un huis clos mettant en présence les deux papes, comme Talleyrand et Fouché dans Le Souper, ou Choltitz et Nording dans Diplomatie. Le réalisateur brésilien Fernando Mereilles (qu’on avait connu plus audacieux dans ses précédents films La Cité de Dieu, The Constant Gardener, Blindness, 360) n’ose pas opter pour ce parti pris radical. Si les face-à-face entre les deux hommes, à Castel Gandolfo d’abord, dans la Chapelle Sixtine ensuite, constituent le plat de résistance du film, il s’est senti obligé de les entourer d’amuse-bouche et de trous normands.

Et c’est bien dommage. Car le film aurait dû se focaliser sur leurs rencontres. Il aurait dû confronter leurs visions antagonistes de l’Église : un attachement irréductible et d’une imparable cohérence intellectuelle au Dogme chez Benoît, une vision d’une Église en mouvement, obligée de s’adapter au monde dans lequel elle vit, chez le futur pape François. Il aurait dû creuser les grands dossiers qui ont fait tomber Benoît qui ne sont mentionnés qu’en passant : les scandales financiers à la Banque vaticane, le silence gardé sur les abus sexuels commis par certains religieux, l’attachement forcené de la Curie romaine à ses privilèges…

Le film s’égare dans des chemins de traverse. Des flash-back sépia nous montrent le jeune Bergoglio au mitan des années cinquante hésiter sur sa vocation apostolique dans une Buenos Aires sépia. On le voit ensuite, en couleurs, sous la dictature argentine, prendre des positions compromettantes qui le hanteront tout le reste de sa vie. On le voit enfin dans les années 2000 mener son sacerdoce au contact des plus pauvres dans les banlieues de Buenos Aires. Ces développements certes nous éclairent sur la personnalité du pape François et son passé ; mais ils nous éloignent du vrai sujet du film qui aurait dû être la confrontation entre les deux hommes.

Mais nous sommes dimanche. Les cloches sonnent. La messe nous appelle. Il est temps de clore cette critique.

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Talking about trees ★★☆☆

Quatre sexagénaires se battent pour faire revivre le cinéma au Soudan. Ibrahim Shaddad, Suleiman Ibrahim, Manar Al-Hilo et Altayeb Mahdi ont consacré leur vie au septième art. Ils ont fondé le Sudanese Film Group (SFG) pour le faire vivre dans un pays qui lui a tourné le dos, par la faute des imams et du piratage. À bord d’un minivan Volkswagen à bout de souffle, ils sillonnent le pays pour organiser des projections en plein air. Dans la banlieue de Khartoum, ils veulent rouvrir une salle, mais se heurtent à une bureaucratie kafkaïenne.

Les cinéastes aiment parler de cinéma. La nostalgie des salles d’antan, le désarroi devant leur fermeture est un sujet qui a inspiré beaucoup d’oeuvres de fiction ou de documentaires. Tout le monde pensera à Cinema Paradiso, que j’avais vu en projection officielle à Cannes en 1989 (il faut bien frimer de temps en temps) ou à Splendor de Ettore Scola, contemporain du film de Giuseppe Tornatore, dont il reproduisait la même recette avec beaucoup moins de succès. Sorti début 2019, Kabullywood racontait les tentatives de quatre jeunes cinéphiles de rouvrir un cinéma dans la capitale afghane.

Le quatuor de Talking about trees est la version senior des quatre jeunes Afghans de Kabullywood. Une sorte de Buena Vista Social Club sans musique.
La persévérance de ces quatre gentils papys, leur humilité et leur sens de l’humour font immanquablement mouche. Il est impossible de ne pas les trouver sympathiques. Ils sont la mémoire du cinéma soudanais, formé dans les années soixante-dix à Moscou. Ils sont la mémoire de leur pays qui a connu, depuis l’indépendance une histoire chaotique, alternant de courtes période démocratie et de longues dictatures.

Mais leur histoire est racontée par Suhaib Gasmelbari – un réalisateur soudanais formé en France – avec un minimalisme qui la rend bien vite ennuyeuse. Le réalisateur a pris le parti de refuser tout sensationnalisme. Il filme quelques plans d’une poignante beauté : un drap blanc dans la nuit sur lequel est projeté Les Temps modernes de Chaplin, un chameau déambulant dans les allées désertes d’un cinéma en plein air… Mais une succession de beaux plans ne suffit pas à donner chair à un film.

Le film a été tourné à la fin du long règne de Omar el Bechir, au moment de sa énième réélection avec 94.5 % des suffrages. Depuis lors, la rue a renversé le pouvoir. Et le cinéma « La Révolution » a pu rouvrir.

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