La Terre des hommes ★★★☆

Bernard (Olivier Gourmet) est un vieil agriculteur bourru dont l’obstination menace de mener sa ferme à la faillite. Mais Constance, sa fille (Diane Rouxel) et Bruno (Finnegan Odfield), son futur gendre, sont prêts à prendre la relève, à relancer l’exploitation, à y appliquer des méthodes nouvelles. Leur avenir est suspendu à la décision de la Safer, la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural qui est sur le point de se prononcer sur leur dossier. Constance et Bruno croient pouvoir compter sur l’appui de Sylvain (Jalil Lespert), l’influent président du marché local qui encourage leur projet et assure Constance de son soutien.

Le titre de La Terre des hommes résume avec une élégante efficacité les deux sujets qu’entremêle ce drame rural. D’une part, comme dans Petit Paysan ou Au nom de la terre, l’action se déroule dans ce monde paysan qui décidément revient à la mode après une longue éclipse au cinéma. D’autre part, comme dans Slalom, son héroïne est victime de l’emprise d’un homme et à travers lui de la domination d’une société masculiniste qui lui est spontanément hostile.

Pour son second film, le réalisateur Naël Marandin a réussi à réunir autour de lui une belle brochette de stars. On pourrait lui faire le reproche de les sous-utiliser : Olivier Gourmet, que je considère comme l’un des tout meilleurs acteurs actuels, est réduit à une silhouette, Finnegan Oldfield, que je considère quant à lui comme l’un des plus prometteurs, forme avec Constance un couple solaire qui démontre qu’il ne faut pas désespérer de tous les hommes, Jalil Lespert joue avec l’ambiguïté qui le caractérise le rôle d’un prédateur qui n’a pas conscience d’abuser du pouvoir qu’il possède pour abuser d’une femme.

Le film repose sur les frêles épaules de Diane Rouxel. C’était un pari audacieux : la jeune femme – comme le montre d’ailleurs très bien l’affiche – pouvait sembler trop fine, trop jolie, en un mot trop parisienne, pour assumer à elle seule cette responsabilité-là. Pourtant, elle impose sa présence dès les premières images où on la voit avec une belle assurance prendre la température au cul d’un veau malade. Elle est d’une justesse absolue dans la scène qui la confronte à Jalil Lespert où elle exprime la palette des sentiments qui la traversent : la quête d’une empathie, le trouble, la sidération, la peur, la honte et la colère…. C’est à sa composition toute en nuances que La Terre des hommes doit sa belle réussite.

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BAC Nord ★★★☆

Greg (Gilles Lellouche), Antoine (François Civil) et Yass (Karim Leklou) forment un trio de flics inséparables à la BAC Nord, la Brigade anti-criminalité du nord de Marseille. La brutalité des caïds qui imposent leur loi dans des quartiers où les forces de l’ordre ne s’aventurent plus, la pusillanimité de la hiérarchie policière et le manque de moyens de la BAC condamnent ce trio de super-flics à une impuissance qui les ronge. Un tuyau d’une informatrice (Kenza Fortas) leur permettrait pourtant de faire tomber tout un réseau. Mais, pour monter une telle opération au cœur des cités, il leur faudra franchir plusieurs lignes rouges.

BAC Nord est inspiré d’une histoire vraie. En 2012, dix-huit policiers de la BAC Nord de Marseille ont été poursuivis pour trafic de drogue et racket. L’affaire est toujours en cours, le parquet ayant fait appel du jugement de relaxe prononcé en avril à Marseille.

Cette coïncidence suscite un malaise, le même que celui éprouvé devant Grâce à Dieu (le film de François Ozon sur les abus sexuels commis par l’Eglise et couverts par la hiérarchie ecclésiastique sorti avant la condamnation définitive de Bernard Preynat et la relaxe de Philippe Barbarin). Car, même s’il s’en défend, BAC Nord prend parti en faveur des policiers, héroïse leurs actions, les blanchit de leurs accusations.

Le malaise est d’autant plus grand que le discours sous-jacent est sacrément rance : les cités nord de Marseille seraient des zones de non-droit gangrénées par les trafics ; les policiers, impuissants, lâchés par une classe politique irresponsable, seraient incapables d’y faire régner la loi sauf à recourir à des pratiques qui les exposeraient à des enquêtes tatillonnes des boeufs-carottes et à des sanctions pénales. On dirait un clip d’Alliance, le syndicat d’extrême-droite de la police nationale, ou un bulletin d’adhésion au Rassemblement national.

Pour autant, faut-il interdire au cinéma de traiter d’enquêtes judiciaires en cours ? La question avait été portée devant les tribunaux à la sortie de Grâce à Dieu, qui l’avaient autorisée au motif qu’elle s’inscrivait dans un « débat d’intérêt général ». Faut-il récuser un film au motif de l’idéologie qu’il défend ? Libération ne s’en prive pas qui évoque un film « démago et viriliste » « tendance cinquante nuances de droite ». Les films vigilantistes de Charles Bronson ou de Clint Eastwood avaient suscité en leur temps les mêmes et légitimes réserves.

Pour autant, même si on se doit d’exprimer ce malaise – un malaise symétrique à celui ressenti devant Les Misérables qui prenait, lui, ouvertement parti pour les jeunes des cités et légitimait leur violence au nom de la légitime défense face à la violence déployée par la police – force est de saluer l’efficacité du cinéma de Cédric Jimenez. Le réalisateur de La French sait raconter une histoire et la filmer : écrasée de soleil, loin des clichés de carte postale, Marseille devient la scène d’un « western urbain » (Télérama) ponctué de scènes mémorables. Cédric Jimenez sait diriger des acteurs : Gilles Lellouche, qui partageait déjà l’affiche avec Jean Dujardin dans La French, y est époustouflant ; ses deux acolytes, François Civil et Karim Leklou, confirment, s’il en était besoin, leur statut de jeunes gloires montantes du cinéma français. Adèle Exarchopoulos (soupirs énamourés….) et Kenza Fortas réussissent à donner à leurs rôles pourtant mineurs une force rare.

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France ★☆☆☆

France de Meurs (Léa Seydoux) est la présentatrice vedette de I télé, une chaîne d’informations en continu. Elle anime des débats enflammés en direct, interpelle Macron à l’Elysée et part en reportage dans des zones en conflit. Mais ce vibrionisme fou cache en fait un vide abyssal.

Bruno Dumont occupe une place à part dans le cinéma français. Son cinéma, âpre et minimaliste, aspire à la fois à la grâce et à l’animalité – pour reprendre le titre d’un essai qui lui a été consacré. Cet ancien professeur de philosophie filme l’humain au scalpel. Originaire du Nord, il est resté fidèle à son terroir : La Vie de Jésus (1997), L’Humanité (1999), Flandres (2006) s’y déroulent. Il a aussi fait un pas de côté en racontant l’histoire de personnalités historiques : Camille Claudel, Jeanne d’Arc…

Avec France, il s’attaque à tout autre affaire : les dérives de l’information en continu à travers le portrait sans concession d’une vedette du petit écran, d’une Claire Chazal ou d’une Léa Salamé fantasmée.

Autant le dire tout net : la mayonnaise ne prend pas.
Pourtant, il en aurait fallu de peu que l’alchimie marche. Car Bruno Dumont a du talent. Son film se tient. Sa direction d’acteur est impeccable. Léa Seydoux – dont on a longtemps hésité à lui reconnaître du talent, suspectant que son succès tienne plus à sa filiation qu’à ses qualités – n’y a jamais été aussi bonne. Elle est de tous les plans, le teint de porcelaine, le rouge à lèvres vermillon impeccable, dans des tenues époustouflantes qui devraient valoir à France sans hésitation le prochain César des meilleurs costumes.

Mais l’ensemble fonctionne mal, comme si on avait voulu agencer des pièces qui, prises séparément sont d’excellente facture, mais n’ont rien à faire ensemble. Prenons un exemple : Blanche Gardin. Elle fait son petit effet dans le rôle de Lou, la fidèle assistante de France. Elle y a la graine de folie et l’humour parfois trash qui ont fait sa célébrité. Mais, hélas, ces qualités là n’ont rien à voir dans le film et ne lui apportent rien. Idem pour Benjamin Biolay et sa beauté ténébreuse, qui semble se specialiser dans le rôle des époux sacrificiels après le rôle qu’il tenait auprès de Chiara Mastroianni dans Chambre 212. Idem aussi de la musique un brin envahissante de Christophe qui avait mieux sa place dans l’élégie moyenâgeuse de Jeanne qu’ici.

France raconte les dérives d’un système. Il met aussi en scène les failles d’une femme. Cette double dimension est le moteur du film. On lui donne sa chance pendant un moment, laissant à Bruno Dumont le bénéfice du doute. Mais, comme le public de Cannes qui lui a réservé un accueil mitigé (en sélection officielle, France est revenu bredouille), on décroche bientôt. La chute est longue : le film dure deux heures quatorze et aurait gagné à être amputé d’un bon quart.

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Février ★☆☆☆

Petar est berger dans un confin perdu de la Bulgarie, près de la frontière turque. Son père l’était, son grand-père avant lui. Février raconte sa vie en trois tableaux. Enfant, il passe un été paradisiaque auprès de son grand-père à l’alpage, à s’occuper des bêtes et à flâner dans les bois. Après son mariage, il part faire son service militaire et est affecté en mer Noire, au large de Bourgas, à la garde d’un ilot désolé quasi-exclusivement peuplé de goélands. Parvenu au terme de sa vie, Petar passe un dernier hiver dans sa bergerie au risque de mourir de froid dans une tempête de neige.

Le cinéma bulgare n’est pas le plus connu d’Europe. Avec le masochisme et le penchant vaniteux à l’encyclopédisme qui me caractérisent, j’ai vu la plupart des films bulgares distribués en France ces dernières années. Et j’en ai aimé beaucoup : Taxi Sofia de Stephan Komandarev, Glory et, mon préféré, The Lesson, de Kristina Grozeva et Petar Valchanov.

De Kamen Kalev, un jeune réalisateur bulgare formé à la Fémis et qui poursuit sa carrière à cheval entre la France et la Bulgarie, j’avais découvert récemment grâce à Arte et apprécié le tout premier film Eastern Plays. Ce Février est d’une veine très différente. Abandonnant le naturalisme de ses premiers films, Kamen Kalev opte pour un registre plus poétique. Son film est une élégie à la nature, quasiment sans paroles. Il peint le beau portrait d’un homme simple, uni à son environnement par un lien évident, qui ne souffre aucune discussion. C’est en creux une réflexion philosophique sur le sens de l’existence et ce qu’est être à la vie.

Bien sûr, Télérama se pâme et Les Cahiers frôlent l’orgasme : « [Février] vise comme horizon ultime une grandeur qui dépasse l’humain et l’absorbe dans la continuité d’un espace-temps sempiternel ». Quant à moi, un peu honteux de ne pas partager un tel enthousiasme, je dois avouer, le rouge au front, que j’ai trouvé les cent-vingt-cinq minutes très belles mais très longues aussi…

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Sweet Thing ★★☆☆

Deux enfants. Frère et sœur. Billie, l’aînée a quinze ans ; Nico, le cadet, onze à peine. Ils sont élevés à la dure par un père aimant mais alcoolique, incapable, malgré l’amour qu’il porte à ses enfants, de maîtriser sa violence. Leur mère a refait sa vie avec une brute et n’accepte qu’avec réticence de s’en occuper. Après une altercation plus dramatique que les précédentes, les deux enfants fuguent en compagnie d’un troisième, Malik.

Avec Sweet Thing, le réalisateur indépendant américain Alexandre Rockwell n’entend pas révolutionner le cinéma. L’histoire qu’il raconte – la résilience de gamins confrontés à des adultes toxiques – et la façon de la filmer – en 16mm dans un noir et blanc qui rappelle les premiers Spike Lee – n’ont rien de bien nouveau.

Mais faut-il à tout prix innover ? le cinéma et l’art en général sont-ils condamnés à une éternelle fuite en avant ? un film, parce qu’il reprendrait les recettes de films précédents, serait-il sans intérêt pour ce seul motif ? J’ai souvent tendance moi-même à le dire, reprochant un sujet « éculé », un traitement « sans originalité » et à verser dans un snobisme avant-gardiste. Par réaction à ce penchant condamnable, j’aurai vis-à-vis de Sweet Thing la réaction inverse : tout en reconnaissant son manque d’originalité et son sujet éculé, je saluerai la qualité de sa mise en scène, sa direction d’acteurs (Billie, Nico et leur mère sont interprétés par les propres enfants du réalisateur et par son épouse) et l’émotion que ce film simple et sincère suscite.

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OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire ★★★☆

1981 : le monde a changé depuis la crise du canal de Suez et la présidence de René Coty. Hubert Bonisseur de la Bath (Jean Dujardin), alias OSS 117, a vieilli. Mais il reste égal à lui-même, toujours aussi irréductiblement encrouté dans son machisme et son racisme d’un autre temps. Son patron du SDECE l’envoie en Afrique noire. Sa mission est double : assurer la réélection tranquille du président Bamba, un dictateur menacé par une rebellion financée en sous-main par l’URSS, et retrouver l’agent OSS 1001 (Pierre Niney) porté disparu depuis plusieurs semaines.

Plus qu’Annette, le nouveau film de Leos Carax, qui ne figure pas au nombre de mes réalisateurs préférés, plus que Kaamelott, le long métrage tiré de la série à succès que je n’avais pas vue, c’est ce troisième volet d’une série entamée en 2006 et 2009 que j’attendais cette année avec le plus d’impatience. Et ce pour deux raisons.

La première est le fou rire d’anthologie qu’avaient suscité les deux premiers films. Un fou rire transgénérationnel partagé avec mes deux garçons qui connaissons par cœur la quasi totalité des dialogues à force d’en avoir vu et revu ensemble les DVD. Ce fou rire naissait du personnage d’OSS 117, parodie revendiquée de James Bond, interprété avec un premier degré bluffant par Jean Dujardin et assumant avec une belle insolence dans une société pourtant de plus en plus policée le « politiquement incorrect ». Avec un flegme indémontable et un charme irrésistible, OSS 117 lançait les propos les plus racistes et les plus sexistes qui soient (« J’ai été réveillé par un homme qui hurlait à la mort du haut de cette tour ! J’ai dû le faire taire. »)

La seconde était le sujet de ce troisième volet : l’Afrique où j’ai travaillé quelques années et les relations franco-africaines que je connais un peu et auxquelles j’ai consacré un livre. Le sujet avait déjà été traité au cinéma sur un mode comique : Les Bronzés (1978), Safari (2009), Le Crocodile du Botswanga (2014), Bienvenue au Gondwana (2017). Mais je me réjouissais d’avance de la façon dont les créateurs d’OSS 117 s’en empareraient.

Ai-je été déçu ? Oui et non.
Moins en tout cas que la critique qui depuis mercredi lui tire dessus à boulets rouges, avec une joie méchante, comme si elle se réjouissait par avance de l’échec d’un film dont la date de sortie avait été programmée pour en faire le succès de l’été, celui que tous les plaisanciers iraient voir pendant leurs vacances.

OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire a certes un défaut : il n’innove guère. Il utilise les recettes éprouvées qui avaient fait le succès des deux premiers opus. Nicolas Bedos – quoi qu’on pense des déclarations publiques plus ou moins malvenues qu’il ait pu faire – se glisse parfaitement dans les pas de Michel Hazanavicius. Il a repris son scénariste et dialoguiste, Jean-François Halin, qui fait mouche (« – Émile – Micheline – Non. Je préfère Émile »).

Son défi n’était pas mince : comment faire du neuf avec du vieux ? Il choisit de le traiter de front en mettant en scène un OSS 117 vieillissant, moins fringant (même dans les scènes de sexe qui frôlent la gauloiserie), limite pathétique dans sa façon de rester coincé dans un machisme passé de mode. Il le confronte à OSS 1001, son double moderne, plus jeune, plus branché, en un mot – que OSS 117 abhorre évidemment – plus « cool ».

Certes on pourra faire la fine bouche et dire que Le Caire Nid d’espions demeure indépassable. Mais ne le savait on pas déjà avant d’entrer en salles ? À quelques très rares exceptions près (Le Parrain, La Guerre des Etoiles…), les suites sont souvent moins bonnes. Il m’est avis que c’est le cas aussi de Fast and Furious 9 que je n’ai pas vu. Acceptons en l’augure et prenons sans mégoter le plaisir que cette suite-là, moins ratée qu’on le dit, nous offre.

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Moffie ★☆☆☆

L’action de Moffie se déroule en Afrique du sud en 1981, pendant l’apartheid. Le jeune Nicholas Van Der Swart doit y faire, comme tous les garçons de son âge, son service militaire. Après des classes particulièrement éprouvantes sous la férule d’un instructeur sadique, il est envoyé avec son peloton sur le front angolais où les forces sud-africaines combattent la guérilla de l’ANC.

« Moffie » est une insulte afrikaans pour désigner les homosexuels. Une fois cette précision faite, le double sujet du film s’éclaire : il s’agira de dénoncer à la fois le militarisme du régime de l’apartheid et son homophobie dans une sorte de « Full Metal Jacket queer » (l’expression, hélas, n’est pas de moi et j’en suis très jaloux).

Moffie est inspiré de l’autobiographie d’André Carl van der Merwe. Ses mémoires ont été publiées en 2006 – et n’ont pas, à ce jour, été traduites en France. On peut s’interroger un instant sur l’intérêt de les porter à l’écran en 2019. Sans doute l’histoire qu’elles racontent est-elle poignante. Mais quelle est son actualité aujourd’hui ?

Le second défaut de Moffie est de dérouler une histoire sans surprise. On sait d’avance les difficultés que le jeune Nicholas rencontrera, les brimades auxquelles il sera exposé, la charge d’homo-érotisme que ces corps jeunes et nus charrieront et les efforts surhumains qu’il devra déployer pour cacher son orientation.

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À l’abordage ★★☆☆

Un soir d’été, sur les quais de Seine, Félix rencontre Alma. Ils dansent ensemble et passent la nuit enlacés dans un parc avant le réveil brutal d’Alma qui, le jour même, doit rejoindre sa famille dans la Drôme. Fou amoureux, Félix décide de la rejoindre sur le champ. Il embarque dans son voyage Chérif, son meilleur ami. Le duo sans le sou décide d’utiliser BlaBlaCar pour atteindre sa destination. Mais le courant passe mal avec leur chauffeur, Edouard. C’est le début pour les trois garçons d’une semaine pleine de surprises.

Guillaume Brac s’est fait connaître par plusieurs moyens ou longs métrages (Un monde sans femmes, Tonnerre, Contes de juillet, L’Île au trésor)  qui ont fait souffler un vent d’air frais dans le cinéma français au point d’en faire, avec Sébastien Betbeder, Antonin Peretjatko, Justine Triet et Thomas Salvador, l’un des réalisateurs emblématiques de la Nouvelle Nouvelle Vague française.

Il poursuit sa collaboration avec le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris et ses jeunes apprentis comédiens qu’il fait tourner dans un environnement qui rappelle celui de L’Île au trésor : une base de loisirs, en plein été. On a quitté la banlieue parisienne pour la Drôme. Le soleil y brille peut-être plus fort mais les corps en maillot de bain y circulent avec la même nonchalance.

Guillaume Brac y filme avec la même fluidité que Rohmer le ballet amoureux d’une demie douzaine de jeunes adultes, les emballements des uns, les hésitations des autres. Les dialogues frisent l’insignifiance, mais sont le paravent pudique de sentiments indicibles. Comme chez Rohmer, le film illustre une « morale » – même s’il ne boucle pas tous les arcs narratifs qu’il a ouverts : trouveront l’amour ceux qui ne le cherchaient pas et ne le trouveront pas nécessairement ceux qui le cherchaient à tout prix.

Les deux rôles principaux, ceux de Félix et de Chérif, sont tenus par deux jeunes acteurs d’origine camerounaise et sénégalaise. Ce n’est pas monnaie courante dans un cinéma accusé, à tort ou à raison, de reproduire des modèles dominants. Certaines critiques parlent d’un film sur les rapports de classes et de races et le réalisateur lui-même revendique étonnamment cette dimension-là. Je n’y ai rien vu de tel. Aucune référence au racisme ou à l’anti-racisme, à l’intégration républicaine ou à la différenciation identitaire dans le scénario. C’est au contraire l’invisibilité de ces peaux noires, jamais appréhendées comme telles, qui m’a frappé et séduit.

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Onoda – 10 000 nuits dans la jungle ★★☆☆

Le jeune lieutenant Hirō Onoda, après une formation aux techniques de guérilla, est missionné aux Philippines, dans l’île de Lubang, fin 1944, pour y freiner l’inexorable avancée américaine. Refusant de se rendre à la réalité du cessez-le-feu, il poursuit le combat dans la jungle avec trois camarades. Il n’acceptera de déposer les armes que trente ans plus tard.

Le réalisateur français Arthur Harari n’a pas opté pour la facilité pour son deuxième film. Après être allé tourner un polar poisseux chez les diamantaires anversois, Diamant noir, il a pris le chemin de l’Extrême-Orient pour y raconter l’histoire d’un « soldat japonais restant » (les Américains utilisent l’expression plus ramassée et plus imagée de stragglers, traînards) ayant refusé la capitulation de 1945.

Onoda n’est pas un film de guerre même s’il en a l’apparence et même si la réalisation s’est donnée les moyens de tourner quelques plans ambitieux de bataille. C’est avant tout une plongée métaphysique dans la psyché d’un homme qui, pour laver une humiliation (il n’avait pas été jugé apte à rejoindre le rang des kamikazes), va s’enferrer dans une illusion jusqu’au-boutiste. Comment peut-on, aveuglé par une foi exacerbée dans une cause, pousser la déraison jusqu’à nier la réalité ? L’interrogation résonne étrangement avec l’actualité la plus brûlante, qu’il s’agisse des délires complotistes des antivax ou des sornettes trumpistes de l’autre côté de l’Atlantique.
Onoda raconte aussi l’histoire d’un quatuor soudé autour de son chef dans cette même folie, uni par une promiscuité qu’on imagine en même temps insupportable et nécessaire, source de conflits comme d’actes solidaires, sinon de tensions homo-érotiques.

Onoda dure 2h45. C’est le moins qu’il fallait pour raconter ces « 10.000 nuits dans la jungle », sous-titre inutilement racoleur de cette histoire à donner le vertige. Cette longueur hors normes était nécessaire, dira-t-on. Elle n’en est pas moins indigeste.

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Kaamelott – Premier volet ☆☆☆☆

Après le départ en exil du roi Arthur (Alexandre Astier), le royaume de Logres est passé sous la coupe de Lancelot (Thomas Cousseau) qui gouverne avec l’aide de mercenaires saxons. Alzagar (Guillaume Gallienne), un chasseur de primes, retrouve la trace d’Arthur, le pourchasse, le capture et prend avec lui le chemin du royaume de Logres. L’annonce du retour du roi Arthur réveille la flamme de la résistance.

Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont vu, entre 2005 et 2009 ou en replay, les 458 épisodes de la série Kaamelott et les autres. Les premiers se reconnaissent par quelques signes distinctifs : ils échangent, hilares, quelques répliques cultes et évoquent depuis dix ans l’adaptation au cinéma de leur série préférée. Ils se sont précipités en salles dès la sortie de ce Kaamelott, présenté comme le premier volet d’une trilogie. Ils y ont retrouvé avec un plaisir régressif les personnages et les situations de la série. Ils ont ri aux dialogues, toujours aussi mordants et joyeusement absurdes.

Quant aux autres… les autres ont d’abord longuement hésité à aller en salles. Comprendraient-ils quelque chose à une intrigue prise en cours de route – puisque l’action du film commence exactement là où la série s’achevait ? Leurs scrupules levés, ils se sont assis au milieu d’une foule conquise d’avance et prompte à se gausser dès les premières images. Ils s’y sont sentis bien seuls : rien de pire que de passer une séance coincé entre deux spectateurs proches de l’apoplexie alors que rien à l’écran ne fait rire.

Aux autres, on avait promis un spectacle aussi drôle que Monthy Python : Sacré Graal, aussi épique que Game of Thrones. Ils n’eurent ni l’un ni l’autre. Si Alexandre Astier copie les recettes éprouvées de la bande d’humoristes anglais, il ne fait jamais mouche. Pas une scène de Kaamelott ne m’a fait rire, alors que j’ai mal aux côtes au seul souvenir du film des Monthy Python. Quant au lyrisme de Game of Thrones, à supposer d’ailleurs qu’il compte au nombre des ambitions de Kaamelott, on repassera : là où les courtes vignettes de quelques minutes à peine de la série permettaient de multiplier les personnages et les intrigues, le long métrage nécessite un minimum d’unité à laquelle le film d’Alexandre Astier ne réussit pas à se conformer. Son intrigue devient bien maigre, d’autant qu’on a deviné par avance comment elle se conclura, et se révèle vite pour ce qu’elle est : un prétexte à des dialogues pas drôles.

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