L’Histoire de ma femme ★☆☆☆

Jakob Störr (Gijs Naber) est un loup de mer qui commande des cargos et des vraquiers en Méditerranée dans les années trente. À une escale à Malte, où il retrouve un vieux camarade impliqué dans des combines louches, il décide de se marier. Son choix tombe sur Lizzy (Léa Seydoux), une jeune Parisienne émancipée dont les amitiés et la vie passée sont nimbées de mystère. Le travail de Jakob l’oblige à de longues absences et nourrit sa jalousie maladive que Lizzy ne fait rien pour apaiser, en flirtant ouvertement avec son ami Dedin (Louis Garrel). Jakob décide de quitter Paris avec sa femme pour Hambourg où on lui propose un nouveau poste.

L’Histoire de ma femme est l’adaptation d’un roman écrit en 1942 par l’écrivain hongrois Milán Füst. Sa compatriote Ildikó Enyedi, qui avait signé le très réussi Corps et Âme en 2017, Ours d’or à Berlin, en réalise l’adaptation. Tourné en anglais à Budapest et à Hambourg, avec des acteurs néerlandais, français, suisse, allemand et italien, L’Histoire de ma femme est une authentique production européenne qui joue à saute-mouton entre Malte, la France et l’Allemagne (bien qu’étonnamment la montée du nazisme n’y soit même pas évoquée).

L’Histoire de ma femme était en compétition à Cannes en 2021 (c’était l’un des quatre films en lice, avec The French Dispatch, France et Tromperie, interprétés par Léa Seydoux, malheureusement interdite de Croisette après avoir contracté le Covid). Il en est revenu sans la moindre récompense. Et on comprend volontiers pourquoi à la fin de son interminable projection. Sans doute ce film est-il d’une grande élégance formelle, avec ses costumes si seyants, ses éclairages crépusculaires ; sans doute aussi son message sur le couple est-il d’une étonnante modernité ; mais il est aussi très ennuyeux et aurait pu faire l’économie de ses presque trois heures, au moins deux fois trop longues, pour ramasser son propos dans une durée plus orthodoxe.

La bande-annonce

L’Empire du silence ★☆☆☆

Thierry Michel a bientôt soixante-dix ans. Ce documentariste belge, natif de Charleroi, a filmé le Congo sous toutes ses coutures. L’Empire du silence est le treizième documentaire qu’il consacre à ce pays-continent, grand comme l’Europe, qui compte parmi les plus pauvres du monde malgré ses immenses richesses géologiques. Le douzième, en 2015, était consacré à Denis Mukwege, ce courageux gynécologue qui soigne les victimes de guerre au Kivu et qui s’est vu décerné le prix Nobel de la paix trois ans plus tard.

Son discours de réception à Oslo constitue le fil directeur de L’Empire du silence. Il y rappelle brièvement à ceux qui ne la connaîtraient pas l’histoire de son pays, écrasé pendant trente ans par la dictature mobutiste, dévasté depuis 1996 par une « guerre mondiale africaine » (l’expression est de l’africaniste Gérard Prunier). Il y dénonce surtout le silence étourdissant qui entoure les maux qui affligent la population congolaise dans l’indifférence médiatique générale.

L’Empire du silence a des allures testamentaires. Avec lui, Thierry Michel semble boucler la boucle d’une oeuvre kaléidoscopique qui donnait à voir plusieurs facettes du « drame congolais » (pour reprendre le titre d’un essai éclairant de Colette Braeckman) : la kleptomanie des élites dirigeantes (Zaïre, le cycle du serpent, 1992), la personnalité ubuesque de son dictateur (Mobutu, roi du Zaïre, 1999), le pillage des ressources naturelles de la plus riche province minière du Congo (Katanga Business, 2009), l’assassinat d’un opposant politique (L’Affaire Chebeya, 2011)…

Dans L’Empire du silence, le propos est moins original. Avec beaucoup de pédagogie, une voix off parfois un peu encombrante et le recours à un appareil cartographique très éclairant, Thierry Michel explique comment la première guerre du Congo a éclaté en 1996, comment Paul Kagamé et Yoweri Museveni, les leaders rwandais et ougandais, par défiance à l’égard des extrémistes hutus réfugiés au Kivu, ont soutenu la rebellion congolaise de Laurent-Désiré Kabila jusqu’à ce qu’elle renverse un Mobutu vieillissant. Il explique ensuite comme la deuxième guerre du Congo a débuté deux ans plus tard lorsque le nouveau président congolais a entendu se débarrasser de la pesante tutelle de ses mentors.
En racontant ses pages sombres de l’histoire congolaise, Thierry Michel convoque quelques images d’archives particulièrement saisissantes qui montrent d’immenses colonnes de réfugiés faméliques fuyant la guerre et laissant sur les bas-côtés des cadavres par centaines.

Les efforts déployés par les Nations-Unies pour prévenir ces crimes, pour enquêter sur leurs auteurs et, si possible, pour les juger, sont l’autre volet de ce documentaire. Thierry Michel revient sur le massacre de Mbandaka en mai 1997 commis par les rebelles de Kabila sur des civils et soigneusement dissimulé à la mission d’enquête de l’Onu. Il revient également sur l’assassinat de sang-froid de deux enquêteurs de l’Onu américain et suédois en 2017, filmé par les criminels eux-mêmes avec leurs téléphones portables. Il évoque les sinistres personnages de Laurent Nkunda et de Jean-Pierre Bemba en omettant de signaler que l’un et l’autre ont été arrêtés et incarcérés.

Même si L’Empire du silence fait oeuvre utile de pédagogie, je lui adresserai deux reproches. Le premier est de ne rien nous apprendre que nous ne sachions déjà sur les épreuves traversées depuis un quart de siècle par le Congo. Le second est de le faire en répétant une antienne paradoxale : le Congo serait victime de l’indifférence de la communauté internationale et du silence des médias, alors que l’existence même de ce documentaire et sa diffusion démontrent le contraire.

La bande-annonce

Trois fois rien ★★☆☆

Casquette (Philippe Rebbot) et Brindille (Antoine Bertrand) sont SDF. Une vieille amitié les unit depuis sept longues années. Chaque semaine, ils achètent ensemble un billet de loto et rêvent à la destination exotique que leur permettrait le gros lot. Exceptionnellement, c’est un jeune punk à chien (Côme Levin) qui leur avance le prix du billet le soir où leurs numéros fétiches sortent enfin.
Mais avant d’encaisser leur prix et de retrouver une vie « normale », les trois SDF doivent obtenir un document d’identité et ouvrir un compte en banque.

La bande-annonce de Trois fois rien est parfaite. Trop peut-être. Dès sa première image (Philippe Rebot interpelle une passante : « c’est pas pour un sondage…. c’est vraiment pour vous taper de l’argent »), le ton est donné : une feel-good comedy sur une bande de clodos sympathiques. Gérard Jugnot s’y était déjà essayé avec beaucoup de succès il y a plus de trente ans déjà dans Une époque formidable qui chatouillait une inquiétude très contemporaine : celle du déclassement, du basculement d’un homme ordinaire dans la marginalité.

Trois fois rien ne parle pas de déclassement mais au contraire de rédemption, de seconde chance. Les réactions respectives de Casquette, de Brindille et de leur jeune camarade à ce tirage providentiel sont caricaturales. Gros fumeur, plus gros buveur encore, le premier, Casquette, a atteint un point de non-retour. Le deuxième, Brindille, est le plus volontariste qui aspire à retrouver une vie familiale normale. Le troisième est un chien fou, un panier percé, sevré d’amour dans son enfance.

Tout est déjà en filigrane dans la bande-annonce. Si bien que le film déroule une partition connue d’avance. Ce n’est pas un défaut rédhibitoire car la partition est bien composée et très bien jouée. En dehors des trois têtes d’affiche, mention toute particulière à Emilie Caen, un second rôle qu’on entr’aperçoit depuis une quinzaine d’années dans les comédies les plus célèbres du cinéma français (Intouchables, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?…) et qui mériterait plus de visibilité.

La bande-annonce

Kung-Fu Zohra ★☆☆☆

Zohra (Sabrina Ouazani) a quitté la Tunisie pour suivre Omar (Ramzy Bedia) en France. Le couple s’est installé en banlieue parisienne et a bientôt une ravissante fillette. Si Omar est un père parfait avec son enfant, il se révèle vite un mari alcoolique, veule et violent qui lève volontiers la main sur Zohra, les soirs de match.
Zohra aimerait quitter Omar mais s’y refuse pour l’amour de sa fille. Elle encaisse les coups sans mot dire avant de prendre une décision radicale au contact d’un gardien de nuit expert en arts martiaux : apprendre à se défendre.

Le réalisateur belge Mabrouk El Mechri, qui avait signé en 2008 un portrait décalé de Jean-Claude Van Damme, a opté pour un parti radical : le titre de son film, son affiche le classent immédiatement dans la catégorie des kung-fu vintage. Pourtant Kung-Fu Zohra ne se réduit pas à cette seule dimension-là. C’est d’abord, c’est surtout un film sur les violences conjugales qui raconte l’asservissement d’une femme battue et son combat, évidemment victorieux, pour renverser la domination qu’elle subissait.

Ce combat, Zohra le livre, au propre et au figuré, avec ses poings. Et il faut saluer la performance de Sabrina Ouazani dont les heures de coaching sportif qu’elle a dû subir pour la préparation de ce film se sentent et se voient (elle était beaucoup moins à l’aise avec une raquette dans les mains dans Mica).

Mais hélas, ce mélange audacieux entre kung-fu et drame social ne marche pas. Pendant la première moitié du film, on est ému par la détresse de Zohra et touché par la complicité sororale de son amie Binta (Eye Haïdara révélée par Le Sens de la fête). La seconde moitié du film ressemble à un Rocky, où on voit Zohra s’entraîner avec son complice, un vieux maître chinois façon Karaté Kid. Le film se termine par la scène qu’on attendait depuis plus d’une heure et demie : le combat dantesque entre Zohra et Omar (il faut au passage saluer la prestation à contre-emploi de Ramzy Bedia décidément aussi convaincant dans les rôles de grands héros lunaires que dans ceux de sales types).
Pris de remords, Mabrouk El Mechri nous gratifie d’une scène de post-générique qu’il ne faut pas manquer, même si l’échec du film ne nous a pas incités à nous attarder.

La bande-annonce

À plein temps ★★★★

Une semaine dans la vie de Julie (Laure Calamy), une Française ordinaire dont on comprend que son conjoint et elle ont décidé, quelques années plus tôt, de s’installer à la campagne, dans un trou perdu, pas trop loin de Paris, pour y élever leurs enfants dans un cadre plus agréable que la grande ville.
Mais tout s’est déréglé dans la vie de Julie. Son conjoint l’a quittée lui laissant la responsabilité d’élever seule leurs deux enfants sans toujours lui verser la pension à laquelle elle a droit. Elle a perdu son emploi et a dû accepter un poste sous-qualifié et pourtant très exigeant de première femme de chambre dans un grand palace parisien.
Chaque jour, Julie fait un long trajet jusqu’à la capitale. Tout se passe bien d’ordinaire sauf quand les transports se mettent en grève.

À plein temps est un film suffocant qui réussit le pari incroyable de garder le rythme dément de sa courte bande-annonce pendant toute sa durée. Suffoquer n’est pas une expérience très agréable. Certains spectateurs pourraient n’en avoir pas envie et préférer une sortie cinéma plus agréable. Je les comprends volontiers. Mais ils passeraient à côté d’une expérience marquante.

À plein temps est un thriller de la vie ordinaire. Quoi de plus banal que la vie de Julie ? Des milliers, des millions de Français peut-être s’y reconnaîtront sans peine.
Cette femme ordinaire rencontre, à chaque moment de sa vie, des obstacles infranchissables. La mécanique bien huilée de sa vie est mise à mal par les grèves des transports : elle arrive en retard à son travail et risque d’en être licenciée ; elle est sur le point de rater l’entretien d’embauche pour le poste qui relancerait sa carrière ; elle rentre en retard chez elle au risque d’épuiser la patience de la voisine retraitée qui garde ses enfants.

Il n’y a rien de caricatural dans le personnage de Julie. Eric Gravel ne cherche pas à nous la rendre aimable. Il ne cherche pas non plus à défendre une thèse ou à faire l’ouverture d’une soirée-débat sur les conditions de vie harassantes des femmes célibataires du Bassin parisien. Pour le dire autrement, À temps plein est un anti-Goliath, qui était un film à thèse, manichéen et racoleur.

Le succès d’À plein temps tient d’abord à son scénario. Il est crédible de bout en bout – sauf peut-être dans son épilogue que je n’ai pas aimé et auquel on peut s’amuser à imaginer plusieurs alternatives. Il ne ménage pas un seul temps mort. Il tient aussi à la musique qui l’accompagne, une musique électro qui rythme à un tempo insoutenable la vie de Julie. Il tient enfin à l’image, focalisée sur Julie, toujours en mouvement, laissant les arrière-plans dans un flou indéfinissable.
J’oubliais le principal : Laure Calamy, qui faisait déjà l’unanimité pour son interprétation d’Antoinette dans les Cévennes. Ce rôle lui valut le César mérité de la meilleure actrice. Rebelote l’année suivante avec sa nomination pour Une femme du monde. Jamais deux sans trois (et dix de der ?) l’an prochain pour ce rôle-là ?

La bande-annonce

Goliath ★☆☆☆

Patrick (Gilles Lellouche) est un avocat parisien spécialiste en droit de l’environnement, qui se bat inlassablement pour obtenir la reconnaissance du préjudice subi par la veuve de sa cliente, décédée d’un cancer causé par l’exposition à la tétrazine, un dangereux pesticide. France (Emmanuelle Bercot) est prof d’EPS dans un lycée breton. Quand Zef (Yannick Rénier), son compagnon, rechute du même cancer que celui qui a tué la cliente de Patrick, France décide de s’engager dans l’action violente. Matthias (Pierre Niney) est un lobbyiste très introduit et très grassement rémunéré qui sillonne le monde à partir de Bruxelles pour défendre les causes les plus indéfendables, en compagnie de son collègue Paul (Laurent Stocker).
Matthias et Paul sont dans le camp des Goliath, Patrick, France et Zef dans celui des David.

On ne saurait nier à Goliath une sacrée efficacité. Frédéric Tellier, le réalisateur de L’Affaire SK1 et de Sauver ou Périr (avec Pierre Niney déjà) sait y faire pour entrelacer les fils d’une histoire, camper des personnages, faire monter la tension dramatique.

C’est moins les moyens qu’il utilise avec brio que les fins qu’il poursuit qui expliquent mes réticences devant son dernier film.

Goliath évoque le glyphosate de Monsanto, ce pesticide commercialisé par Monsanto sous l’appelation Roundup, massivement utilisé à travers le monde et suspecté d’être cancérigène. Un carton au début du film passablement confus explique que son contenu s’inspire de faits réels, bien qu’il soit une pure fiction, mais qu’il n’est pas sans lien avec l’actualité. D’ailleurs on met sur le dos du glyphosate les effets secondaires du thalidomide. Dans Goliath, le glyphosate devient la tétrazine et Monsanto est rebaptisé Phytosanis.

Depuis plusieurs dizaines d’années la polémique est vive entre les pro- et les anti-, les David qui dénoncent la dangerosité du glyphosate et militent pour son interdiction, les Goliath qui défendent les géants de l’agroalimentaire qui le commercialisent, vantent ses avantages et minimisent ses risques.
Je serais bien prétentieux d’exprimer une opinion sur la question, sauf à revendiquer un savoir que je ne possède pas ou à me ranger dans les rangs de ceux qui, si nombreux ces temps-ci, qu’il s’agisse de pandémies, de vaccins, de médicaments, ont décidé, contre toute raison de faire prévaloir leurs préjugés et leurs défiances sur le discours « officiel » d’autorités, politiques ou scientifiques, qui disent-ils ont trahi leur confiance.

Mais ce qui m’a dérangé dans Goliath est la caricature manichéenne dans laquelle verse Frédéric Tellier pour servir sa cause.
Les Goliath y sont très méchants. Leur cynisme est sans limite. Leur richesse est insolente. Ils voyagent en première classe, trinquent au champagne du matin au soir, constituent une clique exclusivement masculine (bouh ! les phallocrates !),  composée d’avocats, de lobbyistes, de sénateurs (le « sénateur » est tellement plus haïssable que le député) et de conseillers de cabinets passés par les mêmes écoles et formatés dans le même moule. Si leurs sophismes sont efficaces, ils font néanmoins preuve d’une légèreté déroutante en conservant dans leurs coffres-forts la preuve qui signe leur crime.
Les David y sont au contraire très gentils. Pendant que les Goliath boivent du champagne dans l’atmosphère compassée d’un palace cinq étoiles, les David festoient joyeusement au cidre dans un hangar à bateaux des Côtes d’Armor. Parmi les David, on trouve un couple d’agricultrices (l’homosexualité, c’est tellement plus cool que la bourgeoise hétérosexualité de Matthias et de sa femme enceinte). Les enfants des David font du cirque et apprennent à marcher sur une corde raide, pendant que ceux des Goliath reçoivent des sacs Prada pour leur quatorzième anniversaire et vont en Cadillac blanche au concert d’Ariana Grande….

Goliath ploie sous son dispositif trop caricatural. Il veut à tout prix susciter l’empathie pour ses héros unanimement admirables (on ne dira rien de la dernière apparition de France dont le dossier de presse nous apprend, pour notre plus grand soulagement, qu’elle a été réalisée avec des effets spéciaux) et la détestation de ses anti-héros si cyniques. Il y arrive souvent car Frédéric Tellier maîtrise à la perfection les codes du thriller. Mais, comme BAC Nord il y a quelques mois, Goliath m’a laissé un arrière-goût désagréable. Je dois balayer devant ma porte : j’avais mis trois étoiles à Bac Nord, je n’en mets qu’une à Goliath. Une contradiction de plus ?

La bande-annonce

La Campagne de France ★★☆☆

Le documentariste Sylvain Desclous a planté sa caméra à Preuilly-sur-Claise, un petit village d’Indre-et-Loire, dans l’arrondissement de Loches, pendant la campagne des élections municipales 2021. Le maire sortant ne se représentant pas, trois listes apolitiques s’y affrontent : celles de Jean-Paul qui entend mettre en œuvre une « méthode » participative, sans s’engager sur les solutions, celle de Patrick, très (trop ?) confiant dans ses chances de victoire et enfin celle de Mathieu, un enfant du pays parti à Paris faire des études et revenu au pays, qui fait campagne avec Guy, un fort-en-gueule.

Avec l’approche des élections présidentielles, les documentaires politiques se multiplient : Municipale, La Disparition, Un peuple, Media Crash, À demain mon amour… Les passionnés du genre – et j’en suis – s’en féliciteront.

Comme Municipale, La Campagne de France se focalise sur les élections municipales de mars 2021. Dans Municipale, les documentaristes avaient recruté un acteur pour interpréter le rôle d’un vrai-faux candidat  parachuté de Paris à Revel dans les Ardennes. Pas de tel artifice dans La Campagne de France au titre intelligemment polysémique : la campagne y est en même temps électorale et rurale… même si ce second aspect n’est pas autant creusé qu’il méritait de l’être. Le documentaire ne dira pas grand chose des enjeux de la ruralité ou de la dévitalisation des petites villes dans la France périphérique. Le seul sujet de fond qu’il évoque est celui de la traversée du centre-bourg par les poids lourds dont les trois candidats font la question centrale de l’élection et dont les images rythment le documentaire.

La Campagne de France se focalise sur la campagne électorale proprement dite qu’elle filme comme un affrontement entre trois hommes. C’est à Mathieu, dont il semble être le plus proche que Sylvain Desclous s’est le plus intéressé. Ce drôle de bonhomme, un peu lunaire, réussit l’exploit d’être chauve aux cheveux longs. Sorti de Normale Sup, se disant entrepreneur-chercheur en intelligence artificielle, il surprend par sa maladresse et par son amateurisme. D’un candidat aussi « capé » on aurait attendu plus d’aisance, plus d’ambition, plus de machiavélisme.

Guy, son colistier, réussit presque à lui voler la vedette. On comprend que c’est un vieux routier de la politique locale, qu’il a déjà participé à de nombreuses campagnes, mais que ses idées – il est de gauche affichée et volontiers anticlérical – et son sale caractère l’ont toujours empêché d’être élu. A-t-il vu en Mathieu une marionnette qu’il manipulerait à sa guise une fois élu au poste de maire ? Ou est-ce Mathieu qui est allé solliciter son soutien pour pouvoir bénéficier de son expérience ? Le documentaire ne nous le dit pas. Mais il filme cette alliance improbable jusqu’aux résultats du premier tour, le dimanche 13 mars 2020, alors que le Covid allait placer la France sous cloche pendant de longues semaines.

Si vous voulez connaître leur résultat, allez voir La Campagne de France !

La bande-annonce

Murder Party ★☆☆☆

Jeanne Chardon-Spitzer (Alice Pol dont les intonations me rappellent celles de Virginie Efira) est une jeune architecte talentueuse, couvée par sa mère (Zabou Breitmann), qui soigne ses névroses en s’assommant de travail. Elle a répondu à l’appel d’offres de César Daguerre (Eddy Mitchell qui porte bien ses presque quatre-vingt ans), à la tête d’un empire du jeu de société, qui veut rénover le manoir familial. Il l’y accueille entouré de sa sœur (Miou-Miou qui, elle, a dépassé les soixante-dix ans), de sa seconde épouse (Pascale Arbillot dont j’ai récemment appris qu’elle est sortie de Sciences Po une année avant moi), de son fidèle majordome (Gustave Kervern) et de ses trois enfants.
La mort brutale du patriarche oblige Jeanne à prolonger son séjour pour démasquer le meurtrier.

Pour son premier film, Nicolas Pleskof ose un ambitieux mélange des genres. Sur le scénario d’un immense Cluedo, il filme en huis clos un escape game avec des personnages de BD habillés à la mode des années cinquante.

Murder Party a la même affiche et le même scénario que À couteaux tirés, la superproduction hollywoodienne moyennement réussie qui avait révélé Ana de Armas. Il emprunte l’esthétique vintage des 50ies décidément très populaire : les premiers OSS117, la série Au service de la France, le film Populaire et tout récemment Maigret.

Murder Party gagne son pari esthétique avec ses couleurs primaires, son manoir qu’on croirait tout droit sorti d’un film de Wes Anderson, ses personnages archétypés (le patriarche bougon, la sœur aigrie, le majordome déjanté, le fils coureur de jupons…). C’est du côté du scénario qu’il pèche. Il en aurait fallu un sacrément charpenté pour nous tenir haleine avant de nous renverser. On est mollement tenu en haleine pendant une petite heure, le temps pour le meurtrier de soumettre les joueurs à plusieurs défis plus ou moins excitants. Mais on n’est pas du tout renversé par le dénouement final, qui frise le ridicule.

La bande-annonce

Les Meilleures ★★☆☆

Nedjma a dix-huit ans. Elle vit dans une barre HLM du dix-neuvième arrondissement avec sa mère et sa sœur cadette, Leïla quatorze ans. Pour affronter le monde extérieur, elle s’est construit une solide réputation de garçon manqué et peut compter sur le soutien de ses deux meilleures copines, Carine et Samar, dont elle est inséparable.
Mais l’arrivée d’une nouvelle voisine va bouleverser sa routine. Zina a son âge. Elle est jolie comme un cœur. Elle est la cousine de Yousra qui dirige une bande rivale.

Comme le raconte la bande-annonce, comme le montre sa belle photo, Les Meilleures raconte une histoire simple : la relation lesbienne de deux beurettes de cité, écartelées entre l’attirance qui les rapproche et l’opprobre de leur environnement.

Ainsi posé, le sujet pourrait rebuter, laissant craindre le film à thème, lourdement démonstratif et sans surprise. La jeune réalisatrice Marion Desseigne Ravel évite ces écueils. Même si son scénario n’est pas d’une grande originalité, elle a eu le nez creux dans le choix de ses actrices. Lina El Arabi n’est pas une novice. On l’avait vu dans la série Kaboul Kitchen et dans l’excellent film belge Noces où elle interprétait le rôle d’une jeune fille belgo-pakistaine que la grossesse inopinée acculait à des décisions radicales. Elle apporte au rôle de Nedjma beaucoup de profondeur, dosant à la perfection sa colère, son trouble, ses peurs…. Mais c’est Esther Rollande qui crève l’écran dans le rôle de Zina. Sa beauté en fera défaillir plus d’un.e – et si je ne craignais pas de passer pour un vieux pervers, j’avouerais n’avoir pas été le dernier. Reste à savoir si c’est son seul atout ou si elle en possède d’autres pour devenir une grande actrice.

La bande-annonce

Petite Nature ★★★☆

Johnny a dix ans. Sa mère l’élève seule, avec son frère aîné et sa sœur benjamine. Mais le travail de sa mère dans un débit de tabac, sa vie sentimentale agitée et son penchant pour la bouteille obligent Johnny à assumer des responsabilités qui ne sont pas de son âge.
Johnny est en CM2 l’élève de Monsieur Adamski, un enseignant fraîchement débarqué à Forbach, en Moselle, près de la frontière allemande. Le jeune garçon, brûlant du désir d’apprendre, a tôt fait de devenir le « chouchou » de son maître que sa fragilité émeut.

Samuel Theis avait co-réalisé en 2014 un film exceptionnel, Party Girl, tourné à Forbach, et interprété par sa propre mère, Anéglique Litzenburger – qui fait un rapide caméo dans l’un des premiers plans de Petite Nature – qui racontait l’histoire d’une vieille prostituée en bout de course hésitant à se ranger des voitures. Huit ans plus tard, il réalise son second, toujours à Forbach et toujours en partie autobiographique. Samuel Theis ne cache pas en effet qu’il a mis beaucoup de lui dans le personnage de Johnny, un gamin issu d’un milieu difficile qui réussira – comme Samuel Theis lui-même – à s’élever par l’école.

Tel est en effet le premier sujet de Petite Nature qui m’a fait penser à Eddy Bellegueule que je suis étonné qu’aucune critique ne mentionne. Certes, Johnny est un chouïa plus jeune que l’Eddy d’Edouard Louis. Mais le milieu dont il vient est le même, pauvre et violent – même si la mère de Johnny est plus une Fantine qu’une Thénardier. Et Johnny comme Eddy rêve de le quitter – je vous laisse avec le dernier plan pour savoir s’il y parviendra.

Le deuxième sujet est l’Education. Il est incarné par Monsieur Adamski, le « maître » de Johnny. « Maître », un terme qui fleure bon sa IIIème République et dont je ne savais pas qu’il était encore utilisé dans les écoles primaires. Le personnage est incarné à la perfection par Antoine Reinartz, un acteur qu’on a déjà souvent vu (Arthur Rambo, Chanson douce, Roubaix, une lumière, 120 b.p.m., etc.), mais qui peine à se frayer un chemin jusqu’au haut de l’affiche. Son investissement dans son travail, l’attention qu’il porte au jeune Johnny, la générosité avec laquelle sa compagne et lui le prennent sous sa coupe devraient faire chaud au cœur à tous les enseignants qui s’y reconnaîtront peut-être et à tous les parents d’élève qui espèrent que les professeurs de leurs enfants lui ressemblent.

Le troisième sujet est diablement glissant. Les critiques que j’aie lues en font le moyeu du film alors que, selon moi, il n’en constitue qu’un des rayons. Il s’agit de l’attirance qu’éprouve Johnny pour son maître. On imagine d’abord que Johnny se cherche un père de substitution. On comprend bientôt qu’il y a plus que cela. Le film pourrait basculer dans le scabreux ou se retrouver dans l’impasse. Il réussit à l’éviter. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.

La bande-annonce