La Rivière ★★☆☆

Documentariste amoureux de la nature, Dominique Marchais avait déjà consacré plusieurs documentaires aux défis posés au monde agricole : Le Temps des grâces (2009), La Ligne de partage des eaux (2013), Nul homme n’est une île (2017). Il s’est rendu cette fois, le long des gaves, ces rivières qui dégringolent des Pyrénées jusqu’à l’Atlantique, dont l’écosystème est menacé par l’activité humaine, par les barrages qui bloquent la remontée des saumons, par les pesticides et les nitrates qui les polluent, par la culture intensive du maïs qui en assèche le débit.
Il donne la parole à des défenseurs de l’environnement, des bénévoles, des garde-pêche, des scientifiques qui inlassablement arpentent le versant des rivières, en diagnostiquent l’inquiétante dégradation et proposent des solutions pour la ralentir.

Le documentaire écologique est devenu un genre en soi. Il ne se passe pas de mois, sinon de semaine sans qu’on en voie sortir un en salles, certes souvent, dans une distribution très confidentielle. Certains rencontrent le sujet, moins d’ailleurs en raison de leur contenu que de leurs têtes d’affiche : Une vérité qui dérange avec le prix Nobel Al Gore, Home du photographe Yann Artus-Bertrand, dont nous avons tous offert les livres illustrés à Noël à notre belle-mère/beau-frère/ filleul(e) au début des années 2000, Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent… celui qui m’a laissé le souvenir le plus marquant fut Le Cauchemar de Darwin de Hubert Sauper sorti en 2004.

Le reste de la production ne laisse pas un souvenir marquant. Elle oscille entre deux écoles. La première se veut très pédagogique. La sensibilisation et l’éducation sont ses objectifs affichés. La seconde est plus poétique voire élégiaque : c’est la nature, sa beauté, sa fragilité qui sont mises en valeur.

Le documentaire de Dominique Marchais se situe à la rencontre de ces deux tendances. Il ne résiste pas à la tentation d’esthétiser la nature, d’en filmer la tranquille beauté dans de longs travelings silencieux. Mais il entend surtout délivrer un message, radicalement écologique : les écosystèmes sont fragiles, l’activité humaine les menace et ils seront fatalement détruits si rien n’est fait pour infléchir la tendance actuelle. Il a le mérite de ne pas sombrer dans l’alarmisme et de proposer des alternatives : ainsi de la culture du maïs grand-roux basque, porteur d’une plus grande diversité génétique et moins glouton en eau.

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Edouard Louis, ou La Transformation ★☆☆☆

Eddy Bellegueule est né et a grandi dans l’ouest de la Somme dans une famille très modeste. Il s’y sent très vite rejeté en raison de ses manières efféminées et de son intellectualisme. Il quitte son village pour intégrer un internat à Amiens dans la section théâtre d’un lycée puis, le bac en poche, il entame des études d’histoire, avant d’intégrer l’Ecole normale supérieure. Son changement de nom à vingt-et-un ans consacre son changement de classe. Son parcours est désormais bien connu puisqu’il en a fait le sujet d’un livre autobiographique publié en 2014, très commenté par les médias, En finir avec Eddy Bellegueule (qui a fait en 2017 l’objet d’une adaptation à l’écran qu’Edouard Louis a reniée, Marvin ou le Bonne Education).
Intellectuel chenu et respecté, normalien, agrégé de philosophie, qui depuis trente ans tourne des documentaires engagés sur Sloterdijk, Le Clézio, Kristeva ou Foucault, François Caillat filme aujourd’hui Edouard Louis à Amiens, de retour sur les lieux où, entre quinze et vingt ans, sa transformation s’est opérée.

Le documentaire est minimaliste. Par sa durée : une heure et douze minutes à peine. Par son contenu : on y voit Edouard Louis, timide et souriant (d’un sourire qu’il dit ne pas aimer alors qu’il est si charmant), raconter son histoire en train de déambuler devant son ancien lycée et dans la maison de la culture où il travaillait comme ouvreur pour gagner un peu d’argent.

Ceux – et ils sont nombreux – qui ont lu En finir…. n’apprendront pas grand-chose devant ce documentaire. Quant à ceux qui ne l’ont pas lu, on leur recommandera plutôt de se plonger dans le livre que de regarder ce documentaire un peu fade. Pour autant, le parcours d’Edouard Louis et sa capacité à le théoriser sont passionnants. Edouard Louis incarne, après Annie Ernaux, et avec Didier Eribon et son Retour à Reims, l’illustration exemplaire du parcours d’un transfuge de classe, qui a fui un milieu qu’il détestait et qui le marginalisait, mais qui se déteste de détester les siens et cultive éternellement la culpabilité de la trahison de ses origines.

Cette tension paranoïaque est parfaitement expliquée dans ce film. Eddy Bellegueule a grandi dans un milieu qui ne lui correspondait pas. Il s’en est affranchi pour se réaliser. Mais cette transformation a eu un coût : celui de sa trahison pour sa classe dont il se sent solidaire et pour les siens avec lesquels il se sent indissolublement lié. C’est d’ailleurs le sujet de deux de ses livres ultérieurs : Qui a tué mon père en 2018 et Combats et métamorphoses d’une femme en 2021.

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Conann ☆☆☆☆

Au crépuscule de sa vie, la reine Conann est condamnée par Rainer, le chien des enfers (Elina Löwensohn) à revivre les six étapes de sa vie marquée par la violence. Enfant, elle assista à la mort traumatisante de sa mère et tomba en esclavage. Tous les dix ans, elle doit mourir avant de se réincarner sous une autre enveloppe.

Après Les Garçons sauvages, un des trois segments de Ultra Rêve et After Blue (Paradis Sale), Bertrand Mandico poursuit son oeuvre, reconnaissable entre mille, mélange anti-naturaliste de surréalisme, d’heroic fantasy et d’erotico-gore. Il féminise un héros ultra-viril, devenu culte grâce à l’interprétation hyper-testostéronée qu’en fit Arnold Schwarzenegger au début des 80ies. Comme les six acteurs qui interprètent Bob Dylan dans I’m Not There de Todd Haynes, Conann est jouée aux six âges de sa vie par six actrices différentes : Claire Duburcq, Christa Théret, Sandra Parfait, Agata Buzek, Nathalie Richard (qui accompagne Mandico depuis ses premiers films) et enfin Françoise Brion.

Je pourrais au mot près dire exactement la même chose de Conann que ce que je disais en 2018 des Garçons sauvages : « J’ai tout détesté de ce film. Son esthétique prétentieuse qui se voudrait gothique et queer à la fois. Son maniérisme. Son noir et blanc chichiteux – entrelardé de quelques plans en couleurs d’une rare laideur. Son attachement fétichiste à une forme d’autant plus sophistiquée qu’elle peine à cacher un contenu totalement creux (…) Mais mon opinion est personnelle et mon « coup de gueule » subjectif. Tout en détestant ce film et en m’y étant copieusement rasé, j’en reconnais de bonne grâce l’originalité sinon la qualité. Mon goût pour des formes de cinéma plus conventionnelles, moins audacieuses, ne doit pas me conduire à vouer aux gémonies celles qui s’en écartent pour explorer d’autres voies moins balisées. »

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Les filles vont bien ★☆☆☆

Cinq jeunes femmes passent sept jours à la campagne pour y répéter une pièce de théâtre.

Le premier film de Itsaso Arana est aussi minimaliste que la courte phrase avec laquelle je l’ai introduit (note de bas de page : où l’on voit que l’accord du participe passé revêt parfois une importance déterminante). La réalisatrice est une actrice connue. Elle tenait le premier rôle de Eva en août que la critique a encensé. Elle était aussi à l’affiche de Venez voir, lui aussi réalisé par son compagnon Jonas Trueba.

Je n’avais aimé ni l’un ni l’autre. Je n’ai guère plus goûté ce film-ci. Sans doute peut-on lui trouver bien des qualités : sa simplicité revendiquée, loin de toute dramatisation inutile, la lumière estivale dans laquelle il baigne, la tendresse des sentiments qui unissent entre elles ces cinq femmes, qui partagent la même passion pour la scène et entre lesquelles n’existe aucune des tensions machistes qui polluent inexorablement les amitiés masculines, la profondeur enfin des discussions confiantes qu’elles échangent sur l’amour, la mort, la filiation…. Une scène en particulier m’aura marqué : celle où Itsaso Arana – qui campe la metteuse en scène de la pièce que ses quatre actrices répètent – raconte la mort de son père, beaucoup plus lente dans la vie que dans la manière dont le cinéma filme la mort de ses personnages. Toutes ces qualités pourraient se résumer en un mot à la mode : la sororité.

Pour autant, je me suis vite ennuyé à ces longs bavardages insipides. J’ai conscience d’être injuste. Il en a fallu de peu pour que je me laisse happer. J’aurais pu tout aussi bien encenser ce film minuscule et écrire à son sujet qu’avec une foule de petits riens, il parvenait à construire une parenthèse enchantée, pleine de tendresse. Mais au lieu de vanter son minimalisme, me voilà à critiquer son insignifiance.

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Testament ★★☆☆

Septuagénaire sans femme ni enfants, amer mais volontiers philosophe, Jean-Michel Bouchard se sent de plus en plus déphasé avec le monde qui l’entoure. Il attend sereinement la mort dans la maison de retraite cossue où il s’est installé.

À quatre-vingt deux ans, Denys Arcand signe, comme son titre l’annonce, un film testamentaire. Son pitch lugubre a de quoi faire fuir. Son double autobiographique, Rémy Girard, a joué dans ses plus grands films depuis Le Déclin de l’empire américain (1986) : Jésus de Montréal (1989), Les Invasions barbares (2003), La Chute de l’empire américain (2018). Mais on retrouve à l’affiche quelques-uns des acteurs qui lui sont fidèles depuis près de quarante ans : Marcel Sabourin, Yves Jacques, Johane-Marie Tremblay…

Avec une ironie mordante, Denys Arcand raille les travers de notre temps. il se moque du politiquement correct. Boomer assumé, il affiche haut et fort son anti-wokisme sans craindre le retour de baton. Son film fait feu de tout bois et aurait probablement déchaîné une polémique s’il avait eu plus de notoriété. Une séquence, par exemple, montre le héros à une remise de prix, entouré d’autrices plus caricaturales les unes que les autres : l’une est queer, l’autre revendique sa transfluidité, la dernière se cache derrière un hijab. Un personnage secondaire qui, toute sa vie durant, a respecté les consignes de santé draconiennes qui nous sont constamment rappelées (manger bio, faire du sport….), meurt brutalement d’une attaque, provoquant par réaction chez sa veuve effondrée une consommation effrénée de graisses. Une fresque du XIXème siècle, dépeignant l’arrivée de Jacques Cartier au Canada est au centre d’une polémique entre des descendants autoproclamés des Premières Nations qui en dénoncent le racisme et exigent sa destruction et de vieux Québécois qui, au nom de la sauvegarde du patrimoine, s’y opposent.

La charge est lourde. Elle est souvent caricaturale. Murielle Joudet dans Le Monde lui met un zéro pointé et accuse Denys Arcand de « sombrer dans l’antiwokisme ». La critique du Monde, solidement argumentée, n’est pas seulement mue par un réflexe pavlovien, hostile par principe à tout ce qui s’éloignerait de la bien-pensance agréée. Elle mérite une longue citation : « Pourquoi pas traiter de sujets qui hantent toutes les sociétés occidentales : la culpabilité blanche, l’hystérie médiatique, le remplacement d’un récit historico-politique unifié par une collision de points de vue. Sauf que le cinéaste ne se montre jamais à la hauteur des débats qu’il soulève, la profondeur analytique de ses saillies pouvant se résumer à un désespéré « Tout fout le camp ! » et « On ne peut plus rien dire », tandis que femmes et jeunesse sont filmées comme des monstres irrationnels. »

J’ai bien ri – et toute la salle avec moi, majoritairement composée de spectateurs au moins aussi âgés que moi – à certaines répliques « Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ces jeunes à se tatouer aujourd’hui ? ». La faute sans doute à mon âge et à ma subjectivité qui m’inclinent plutôt vers l’anti-wokisme que vers le wokisme. Pour autant, qu’on soit woke ou anti-woke, si l’on a la cinquantaine déjà bien entamée, on ne pourra qu’être profondément remué par le portrait de son héros vieillissant qui, en quelques phrases, dans une voix off pourtant bien trop pontifiante, résume avec une cinglante lucidité le rétrécissement de sa vie et ce sentiment si démoralisant de devenir progressivement étranger à un monde qui continuera de tourner sans nous.

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Et la fête continue ! ★★☆☆

L’effondrement de deux immeubles d’habitation le 5 novembre 2018 dans une rue populaire du premier arrondissement de Marseille cause la mort de huit locataires et plonge la cité phocéenne dans la consternation et la colère.
La gauche se déchire avant les prochaines élections municipales et peine à s’accorder sur un programme commun et une tête de liste.
Rosa (Ariane Ascaride), la soixantaine, infirmière en chef à la Timone, est entourée de l’amour des siens : son frère (Gérard Meylan), Tonio, est un vieux chauffeur de taxi communiste, son fils aîné Minas (Grégoire Leprince-Ringuet) brûle de partir en Arménie y défendre son peuple malgré l’opposition de sa femme, son cadet (Robinson Stévenin) entretient la même flamme nationaliste et vient de rencontrer Alice (Lola Naymark) dont il est follement amoureux. Les deux fiancés présentent à Rosa Henri (Jean-Pierre Darroussin), le père d’Alice, libraire retraité.

Robert Guédiguian est de retour à Marseille pour son vingt-neuvième film après Twist à Bamako et un détour par l’Afrique des indépendances. La Villa et Gloria Mundi avaient une tonalité crépusculaire et amère. Et la fête continue ! remplit la promesse de son titre optimiste et retrouve l’énergie dionysiaque d’Au fil d’Ariane et de Marius et Jeannette.

Avec Guédiguian, on est en terrain de connaissance. On rentre dans son film comme dans des pantoufles : c’est chaud, c’est doux, c’est confortable. On retrouve la même panoplie de personnages depuis bientôt quarante ans et on a l’impression d’avoir vieilli avec eux : Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin et même Jacques Boudet que l’âge (quatre-vingt-huit ans) cantonne à une courte apparition. Guédiguian n’a pas son pareil pour filmer ces quatre-là, au premier chef sa femme – dont je me suis toujours demandé comment il la dirigeait quand elle embrassait Daroussin et/ou Meylan.

À cette génération d’acteurs-là s’en est adjointe une autre. De trente ans plus jeunes, ils lui sont devenus fidèles : Anaïs Demoustier (qui manque à l’appel cette fois-ci), Lola Naymarck, Louis Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin, Yann Trégouët, Adrien Jolivet… On sent que Guédiguian voudrait filmer une transmission de flambeau ; mais force est de reconnaître hélas qu’il filme ces jeunes-là avec moins de réussite que ces vieux-ci. Le public ne s’y trompe pas, qui vieillit gentiment avec lui : les cheveux blancs (ou les plus de cheveux du tout !) étaient majoritaires dans la salle où je l’ai vu.

Les films de Guédiguian enthousiasment ceux qui les aiment et exaspèrent ceux qui ne les aiment pas. Ils ont les défauts de leurs qualités. Ouvertement militants, au risque souvent de verser dans la bien-pensance, ils affichent haut et fort leur message politiquement si correct : le refus de l’injustice, l’appel vibrant à la solidarité, le refus du repli sur soi… Guédiguian tombe souvent dans un défaut typiquement méridional : l’excès. Et la fête continue ! ne l’évite pas qui traite tout à la fois de la crise du logement, de celle de l’hôpital, de la mémoire arménienne (encore et encore !), de l’impossible union de la gauche….

Les Neiges du Kilimanjaro (2011) avait, de mon point de vue, marqué le sommet de la carrière de Guédiguian, où il est parvenu à doser à la perfection le lyrisme et l’intime. Et la fête continue ! est nettement en dessous.

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Par la fenêtre ou par la porte ★☆☆☆

En octobre 2006, lorsqu’il présente aux cadres de France Telecom le plan NExT, le PDG Didier Lombard se targue d’inciter au départ « par la fenêtre ou par la porte » 22 000 salariés de son entreprise. Cette formule obscène – comme celle qu’il utilisera quelques années plus tard parlant de « mode » du suicide – lui est revenue en boomerang lors du procès qui lui est intenté.
Filmé à l’initiative d’un collectif de salariés et de syndicalistes de France Telecom, Par la fenêtre ou par la porte raconte la privatisation de ce fleuron du service public, le management toxique mis en place par sa direction pour booster son cours en bourse et la longue course d’obstacles qui a enfin conduit à la condamnation de ses dirigeants, en décembre 2019 en première instance et en septembre 2022 en appel, et à la reconnaissance par la jurisprudence d’une catégorie juridique nouvelle, le harcèlement moral institutionnel.

Ce documentaire au format très classique a les défauts de ses qualités. Il survole un peu vite les sujets qu’il traite qui auraient chacun mérité des développements plus substantiels. On aurait aimé mieux connaître le long processus qui, depuis les 80ies, a mené à la privatisation de France Telecom, ralentie par la gauche, accélérée par la droite, mais au final validée par tous. Le diktat européen en est l’explication un peu courte. Si nombre de services publics ont été privatisés, c’est sans doute qu’il y avait de bonnes raisons de le faire : meilleure qualité du service ? baisse des prix pour l’usager ? liberté de choisir entre plusieurs offres ? L’explication consistant à en imputer la seule responsabilité à des capitalistes âpres au gain ou à des eurocrates en mal d’imperium peut sembler sommaire sinon complotiste.

On aurait aimé mieux connaître aussi les années Lombard, les mesures prises pour moderniser France Telecom et réduire sa masse salariale, leurs raisons d’être. Là encore, la diabolisation d’un patronat sans âme ni cœur, uniquement obsédé par le cours de la Bourse et par le montant des dividendes, semble un peu courte.

Et enfin – mais c’est peut-être le juriste qui s’exprime plus que le critique de cinéma – on aurait aimé en savoir plus sur l’interminable instruction, sur les procès, devant le tribunal judiciaire puis devant la cour d’appel (en attendant celui qui aura lieu devant la Cour de cassation puisque Didier Lombard s’est pourvu contre l’arrêt de décembre 2022) et sur les motifs qui ont présidé à cette avancée jurisprudentielle qui aura permis de consacrer la notion de harcèlement moral institutionnel.

Finalement, ces trois reproches se résument à un seul : ne pas avoir donné la parole à la défense. Il ne s’agit pas ici de minimiser les fautes voire les crimes dont la direction de France Telecom s’est rendue coupable ainsi d’ailleurs que la Justice en a jugé, mais bien d’avoir sur ces fautes et sur ces crimes indiscutables une vision plus équilibrée que celle, nécessairement partisane, des salariés et des syndicats.

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Viver Mal/Mal Viver ★☆☆☆

Viver Mal et Mal Viver sont, comme leurs titres et leurs affiches l’annoncent, deux films construits en miroir l’un de l’autre. Ils sont tous les deux tournés au même endroit – un hôtel familial qui connut jadis des jours meilleurs – l’espace de deux ou trois jours. Ils racontent tous deux la même histoire envisagée de deux points de vue : Viver Mal s’intéresse aux trois groupes de clients de l’hôtel tandis que Mal Viver se focalise sur la propriétaire et sa famille.

Rompant avec les règles canoniques du cinéma qui veulent qu’un film dure entre quatre-vingt-dix et cent-vingt minutes, on voit parfois se développer, peut-être sous la récente influente des séries, des films au format hétérodoxe : le diptyque japonais de Kôji Fukada Suis-moi je te fuis/Fuis-moi je te suis ou l’interminable pensum argentin de plus de treize heures La Flor. De tels monstres cinématographiques excitent la curiosité, même si j’en suis sorti plus souvent déçu et exténué qu’enthousiasmé.

Viver Mal/Mal Viver est construit selon un cahier des charges très contraignant que Joao Canijo respecte scrupuleusement. Il s’agit de filmer dans le même plan les deux histoires qui s’y déroulent, l’une à l’avant-plan, l’autre à l’arrière plan. Avec un savant jeu de caméra qui réussit à inventer toujours de nouvelles perspectives pour filmer les mêmes décors sans la moindre monotonie, la première histoire est racontée dans le premier film, la seconde dans le second.
Ce parti pris pourrait sembler très artificiel. Il est au contraire d’un grand réalisme. Dans la vraie vie, quand deux personnes discutent dans un café, que la caméra isole, d’autres discussions se déroulent à l’arrière-plan, d’autres intrigues, amoureuses ou policières se nouent qu’un réalisateur panoptique pourrait nous montrer si lui prenait l’envie d’embrasser toute la réalité plutôt que d’en isoler artificiellement un seul pan.

Cette gageure – on pense aux jeux de Perec et à sa Vie, mode d’emploi – est intellectuellement très stimulante. Elle est, je l’ai dit, formellement très réussie grâce à l’inventivité toujours renouvelée des prises de vue. Est-elle pour autant captivante ? hélas non.
Car l’histoire, ou plutôt les histoires, que Viver Mal/Mal Viver raconte, sont bien ordinaires. Ordinaires ne veut pas dire banales : les couples s’y déchirent comme celui de ces deux influenceurs, les rancœurs familiales les mieux enfouies y éclatent. On pense aux huis-clos étouffants et hystériques de Bergman. La figure de la mère, sous toutes ses formes, y est particulièrement mise à mal. Mais cette accumulation de syndromes en tous genres est présentée à un rythme si lent qu’on sombre bien vite dans la neurasthénie, avant d’avoir atteint les quatre heures que durent au total ces deux films réunis.

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The Pod Generation ★★☆☆

Dans un futur proche, de plus en plus aseptisé, où la Nature a reculé au profit de technologies qui garantissent le bien-être et la santé, Alvy et Rachel veulent un enfant. Mais ils ne le veulent pas de la même façon. Alvy, un botaniste, viscéralement nostalgique d’une époque où la Nature dictait sa loi, voudrait le concevoir naturellement. Mais Rachel, working girl très impliquée dans son travail, le convainc d’utiliser une technologie révolutionnaire : une gestation extra-utérine dans un « pod » qui, tout en assurant au fœtus des conditions optimales de gestation, évite à la mère les désagréments de la grossesse.

The Pod Generation a le défaut de tenir tout entier dans son pitch. En le lisant, on imagine par avance le contenu du film : les décors épurés d’un futur faussement rassurant, le couple trop mimi formé par ses deux héros, leurs querelles autour de la conception de leur enfant en attendant leur réconciliation autour de son berceau. Comme prévu, le cahier des charges sera fidèlement rempli.

Cette absence de surprise est sans doute le principal défaut de ce film convenu. Il n’en conserve pas moins un certain charme. D’une part en raison de la grâce de ses deux acteurs principaux. Il nous sont déjà familiers. Chiwetel Ejiofor tourne depuis plus de vingt ans en Angleterre ou aux États-Unis, dans des films d’auteur ou dans des blockubsters. Emilia Clarke, quant à elle, est condamnée jusqu’à la fin des temps à être ramenée à son rôle culte dans Game of Thrones. J’ai découvert avec stupéfaction qu’elle avait trente-sept ans – alors que je lui en aurais volontiers donné quinze de moins !
D’autre part pour ce qui constitue souvent un détail accessoire mais qui, ici, joue un rôle essentiel : les décors. Ils pèchent souvent dans des films futuristes, car ils sont les premiers à être sacrifiés sur l’autel de la rigueur budgétaire. Mais ici, pour les scènes d’extérieur comme pour celles en studio, Sophie Barthes n’a pas regardé à la dépense. Le résultat se voit. Il fait toute la différence.

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Pierre Feuille Pistolet ★☆☆☆

Depuis que la guerre a éclaté en Ukraine, Maciek Hamela a bénévolement parcouru des dizaines de milliers de kilomètres à bord de son van pour transporter des réfugiés et les aider à quitter les zones de combat. Ce Polonais, formé en France, réalisateur de plusieurs documentaires, a décidé de poser une caméra sur le tableau de bord de sa voiture et de filmer ses passagers pas comme les autres.

Le titre de son documentaire lui a été inspiré par Sofia, une passagère de sept ans, incarnation vivante de l’innocence perdue, qui, durant le jeu que lui propose un autre passager pour chasser l’ennui du long voyage, oppose, à la pierre, à la feuille ou au ciseau, sa botte secrète : un pistolet. Une autre enfant, Sanya, est blottie dans les bras de son père. Depuis qu’un bombardement a détruit leur appartement, elle n’a plus prononcé une parole.

D’autres drames poignants s’expriment dans les confessions des passagers, dans leurs sanglots ravalés, dans leurs silences : une femme accompagnée de ses deux enfants, évoque leur père dont on comprend bientôt qu’il est mort sur le front. Une mère porteuse, aussi belle qu’énergique, a vu disparaître la clinique qui la suivait et espère pouvoir aller en France pour y retrouver les parents d’intention de son enfant. Une Congolaise, installée depuis dix ans en Ukraine, a été fauchée par les balles russes et cherche un hôpital en Pologne ou en Allemagne. Une babouchka pleure ; elle a dû se résoudre à abandonner sa vache bien-aimée ; sa famille essaie de la consoler.

Pierre Feuille Pistolet est victime du dispositif exigeant auquel il s’est astreint. Il ne sort quasiment pas de l’habitacle du véhicule et ne donne pas d’explication sur le conflit, sur sa temporalité, sur les lieux traversés. On voit par la vitre des immeubles éventrés, des voitures renversées, des tanks (russes ? ukrainiens ?) calcinés. On touche du doigt l’horreur de la guerre et les bouleversements qu’elle cause. Mais on n’en comprend pas grand-chose.

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