Love Lies Bleeding ★★☆☆

Lou (Kristen Stewart) gère une salle de sports dans une banlieue sans âme d’Albuquerque au Nouveau-Mexique où débarque un beau jour de 1989 Jackie (Katy O’Brian), SDF bodybuildeuse en quête de célébrité. Entre les deux femmes, c’est le coup de foudre. Mais les histoires de famille de Lou – un père chef de gang, une sœur battue par son mari – vont aspirer les deux femmes dans une spirale de violence.

Love Lies Bleeding est un produit délicieusement attirant. Son interdiction aux moins de douze ans en accroît le charme vénéneux. Il emprunte à plusieurs sources. La filiation la plus clairement revendiquée, qu’il s’agisse de l’époque du film ou de son affiche, est bien entendu Thelma et Louise. Les thrillers lesbiens sont en train de devenir un genre en soi, comme le montre le dernier film du frère Coen (au singulier !), Drive-Away Dolls. C’est aussi aux frères Coen (au pluriel) qu’on pense et à tous les films qui se déroulent dans une Amérique redneck, avec des personnages trumpiens à souhait, fans de la gâchette, et des cadavres qui débordent des placards, depuis Fargo et Pulp Fiction jusqu’au tout récent LaRoy en attendant avec impatience le prochain Lanthimos, Kinds of Kindness. Et Love Lies Bleeding contient beaucoup d’autres références, qui font la joie du cinéphile et/ou du fétichiste : Wonder Woman, Hulk, L’Attaque de la femme de 50 pieds, Pumping Iron

Love Lies Bleeding campe de sacrés personnages. Dans le rôle de Lou, Kristen Stewart a l’humilité de s’effacer derrière sa partenaire interprétée par l’étonnante Katy O’Brian. Ed Harris y démontre, si besoin en était, une fois encore son immense talent avec une perruque déconcertante. Le scénario bien huilé de Love Lies Bleeding nous tient en haleine pendant toute la durée du film, à condition d’en accepter les invraisemblances.

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Tehachapi ★☆☆☆

En 2019, JR est parti à Tehachapi, à deux heures de Los Angeles, travailler avec une trentaine de prisonniers d’un quartier de haute sécurité d’un pénitencier d’Etat à la réalisation, dans la cour de leur établissement, d’un immense collage d’une photographie les représentant en contre-plongée.

JR est un plasticien désormais célèbre qui a réussi à inventer une marque de fabrique mondialement connue. Il plaque dans des lieux emblématiques, la Cour du Louvre, une favela de Rio de Janeiro, le Panthéon, le mur de séparation entre Israël et la Palestine, des photographies géantes.

Après Visages, Villages, co-réalisé avec Agnès Varda en 2017, JR nous amène loin de l’hexagone, dans un milieu hyper-référencé, celui des prisons américaines. Les condamnés qu’il y rencontre y servent de longues peines pour des crimes dont on ne saura rien, mais dont on devine sans peine la gravité. Leur mine est patibulaire, leur corps recouvert de tatouages, souvent inquiétants. L’un d’entre eux, Kevin, porte même une croix gammée sur la joue.

Le documentaire de JR transpire la bienveillance, au point de frôler le trop-plein. Tout le monde y est beau, tout le monde y est gentil. Le premier, c’est JR lui-même qui se donne le beau rôle, même s’il reste sagement caché derrière ses lunettes et sous son chapeau. Mais les vrais héros, ce sont ces prisonniers repentants, écrasés par un système judiciaire et pénitentiaire qui les a condamnés à des peines disproportionnées, et qui, au bout de longues années, n’aspirent qu’à une seule chose : sortir de Tehachapi et retrouver une vie normale. Comme de bien entendu, le projet artistique de JR va les y aider.

Je n’aime pas le rôle que j’endosse, celui du scrogneugneu qui trouve à redire à cette noble entreprise, débordante d’humanité. Pour autant, je serais fort hypocrite si je l’encensais sans réserve. Certes, la démarche de JR est noble et belle. Il y a une admirable vertu à chercher en chaque homme (désolé ! il n’y a pas de femmes à Tehachapi !) ce qu’il y a de bon en lui, en dépit des crimes commis. Mais il y a dans ce documentaire un manque si déconcertant de contre-point que son propos, admirable, finit par perdre de sa force.

La bande-annonce

C’est pas moi ★★★☆

« Il se trouve, chose assez rare, que le distributeur Les Films du losange nous propose d’aller découvrir un film de quarante et une minutes et dix-neuf secondes dans lequel Carax – qui n’a rien fait pour le mettre en conformité avec la durée d’une séance – bricole cette chose à la fois bâtarde et ourlée, ouvertement intime, qui, ordinaire caraxien, saigne et rit en même temps. » Cette phrase, de Jacques Mandelbaum, dans Le Monde, compte parmi les plus élégamment tournées, les plus intelligentes, les plus synthétiques que j’aie jamais lues pour présenter et résumer un film. Je me damnerais pour être capable d’en écrire d’aussi belles. J’ai bien failli me borner à la recopier ; car tout ce que j’y ajouterai sera un vain bavardage.

Que rajouter sinon quelques éléments de contexte sur Alex Dupont, alias Leos Carax, figure mystérieuse du cinéma français, mélange de Rimbaud et de Godard, qui déboule dans le cinéma à vingt-quatre ans à peine, signe deux films d’une éclatante jeunesse (Boy Meets Girl et Mauvais Sang), manque entraîner toute l’industrie dans une faillite industrielle avec Les Amants du Pont-Neuf, ne réussit pas à rebondir avec Pola X, et finit, la cinquantaine bien entamée par signer deux films aussi beaux que déroutants qui lui valent une admiration révérencieuse : Holy Motors et Annette.

Le Musée Georges-Pompidou lui a passé commande d’une exposition, qui ne s’est jamais montée, en lui posant une unique question : « Où en êtes-vous, Leos Carax ? ». Avec une étonnante franchise, le réalisateur y répond avec ce moyen métrage hors normes, une autobiographie constituée quasi exclusivement d’images d’archives, de vieilles photos, d’extraits de ses films…

Ce patchwork aurait pu tourner au clip vidéo narcissique. Grâce au génie de Carax – car je lui reconnais volontiers une forme de génie même si je ne le place pas au panthéon de mes auteurs préférés – le piège est évité. L’ensemble est noyé dans une musique omniprésente. Elle pourrait être envahissante si elle n’était pas aussi excellente : Benjamin Britten, Maurice Ravel, Barbara, Miles Davis, Nina Simone, David Bowie bien sûr (dont Zaho de Sagazan vient de reprendre Modern Love durant la cérémonie d’ouverture d’un Cannes pâmé) et les Sparks qui ont signé la B.O. de Annette.

C’est pas moi est frappé au sceau de la nostalgie, une corde à laquelle je suis hyper-sensible. On y retrouve Juliette Binoche et Denis Lavant, le double fictionnel de Carax, quarante plus tôt, les traits encore à peine sortis de l’enfance, débordant d’énergie juvénile. Je ne suis plus sûr d’avoir aimé Mauvais Sang ; je sais que je n’ai pas aimé Annette ; mais j’adore l’idée qu’existe un réalisateur comme Leos Carax capable, sa vie durant, de vivre aussi entièrement son art et de tourner des films aussi originaux.

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Paradis Paris ★★☆☆

Une dizaine de personnages se croisent à Paris : un vieux producteur d’une émission de télé à succès (André Dussollier), un jeune maquilleur gay, un cascadeur professionnel, une diva dont les journaux annoncent par erreur le décès (Monica Bellucci) et sa femme de ménage, une ado traumatisée par la diffusion d’une sextape, un veuf inconsolable (Alex Lutz), un flic taiseux (Roschdy Zem)….

Marjane Satrapi, l’auteur de l’irrésistible Persépolis, une bande dessinée puis un film d’animation qui ont marqué leur époque, poursuit cahin-caha sa carrière sans jamais être parvenue à retrouver l’inspiration de ses débuts. Elle livre ici un film déroutant, qui a divisé la critique et n’a pas réussi à trouver son public. Deux semaines après sa sortie, il a quasiment disparu des écrans. Je me demande d’ailleurs si c’est un ratage total ou au contraire une sympathique bizarrerie.

Il s’inspire directement des films à sketches italiens, qui furent à la mode dans les années soixante. Quelques décennies plus tard, Danièle Thompson s’employait encore sans grand succès d’en filmer de pâles succédanés (Fauteuils d’orchestre). Pour éviter l’accumulation d’histoires indépendantes, le scénario de Paradis Paris essaie assez malignement, même si son écriture tourne vite au procédé, de les lier entre elles.

Le problème des films à sketches est que certains sont plus réussis que d’autres… et que d’autres le sont beaucoup moins que certains. Ici par exemple, on peut trouver fort drôle l’autodérision avec laquelle Monica Bellucci joue une diva jadis renommée aujourd’hui oubliée du public dont la mort n’est guère saluée que par quelques brefs entrefilets dans la presse. André Dussollier est beaucoup plus prévisible dans le rôle d’une vieille star du petit écran à laquelle on diagnostique une maladie incurable. Le rôle de Roschdy Zem n’a aucune épaisseur, un vrai gâchis quand on connaît le talent de cet acteur – et l’admiration que je lui voue.
Celui qui m’a le plus touché, en deux ou trois scènes à peine est Alex Lutz, décidément excellent dans tous les registres.

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The Bikeriders ★★★☆

Kathy (Jodie Comer) raconte son histoire : comment elle a rencontré Benny (Austin Butler), un chien fou, membre d’un club de motards, les Vandals, dirigé par Johnny (Tom Hardy), comment elle en est tombée follement amoureuse et s’est immédiatement mariée avec lui, quelle vie ils ont menée ensemble tandis que les Vandals évoluaient pour le meilleur et pour le pire.

Jeff Nichols revient. On n’avait plus vu ce réalisateur prometteur (Take Shelters, Mud, Loving, Midnight Special…) depuis plus de huit ans. Il choisit d’adapter un célèbre album de photographies publié en 1968 par Danny Lyon qui s’était immergé pendant quatre années dans un groupe de motards, les Outlaws de Chicago et y avait pris des clichés iconiques.

Plane sur The Bikeriders la double ombre tutélaire de L’Equipée sauvage et de Easy Rider, auxquels d’ailleurs il adresse deux clins d’oeil obligés. Comme eux, The Bikeriders raconte la vie d’une bande de motards. Nous sommes dans le Midwest, près de Chicago, dans les années soixante.

The Bikeriders vaut surtout par ses personnages. L’action nous est racontée par les yeux de Kathy, introduisant un peu de female gaze dans une histoire masculine à 100 %. On pourrait penser que son héros  est l’amoureux de Kathy, Benny, mélange sexy en diable de James Dean et de Brad Pitt. Mais Tom Hardy réussit à lui voler la vedette. Je suis un fan inconditionnel de cet acteur qu’on voit depuis plus de vingt ans dans tellement de grands films (Inception, The Dark Knight Rises, The Revenant, Dunkerque….) mais qui n’a pas encore décroché les récompenses et le statut de star qu’il mérite amplement. Il est magnétique ici, dans le rôle mutique du chef de bande, dont on se demande tout du long si c’est un psychopathe égocentrique ou un leader charismatique.
L’entourent des gueules impossibles de losers magnifiques, qui sentent la transpiration et l’huile de moteur. parmi eux on reconnaît Michael Shannon, l’acteur fétiche de Jeff Nichols qui a joué dans tous ses films. Il interprète ici Zepco, un improbable Letton qui, avec un accent à couper au couteau, profère quelques aphorismes définitifs.

The Bikeriders aurait pu se borner à décrire cette galerie de personnages hauts en couleur. Mais il n’oublie pas de raconter une histoire. L’histoire a pour toile de fond l’Amérique profonde à la fin des années soixante, la guerre du Vietnam et ses soldats perdus qui en reviennent déconstruits, la montée de la violence, de la consommation des drogues les plus diverses, de la dérive des clubs de motards vers le banditisme…. Johnny, le chef des Vandals, en est, je l’ai dit, la figure principale. Mais j’en ai déjà trop dit….

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L’Affaire Vinča Curie ★★☆☆

En 1958, quatre atomistes yougoslaves, gravement irradiés alors qu’ils travaillaient à l’institut Vinča de Belgrade à un projet secret d’arme nucléaire, sont soignés en France par le professeur Mathé (Alexis Manenti) qui les sauvera en pratiquant la première greffe humaine de moelle osseuse.

Ce film serbe est inspiré d’une page méconnue de la guerre froide, à l’époque où la Yougoslavie titiste, en froid avec l’URSS, avait essayé de renforcer son autonomie stratégique en tentant de se doter de l’arme atomique. L’épisode est l’occasion d’un thriller tourné quasiment en huis clos dans l’hôpital francilien où les quatre scientifiques yougoslaves sont soignés en secret.

Son sujet n’est pas tant la bombe atomique que la course contre la montre menée par les médecins français pour soigner les malades irradiés. Le professeur Mathé travaillait sur les leucémies, mais n’avait jamais osé tenter une greffe humaine de moelle osseuse. La réussite de son opération (pardon pour le spoiler) allait permettre à l’avenir de sauver des milliers de leucémiques.

L’Affaire Vinča Curie est un film volontiers austère, qui refuse ostensiblement de céder aux modes du temps. Sa mise en scène rappelle celles du siècle dernier, sans pour autant qu’il s’agisse d’une figure de style ou d’un projet revendiqué. L’Affaire Vinča Curie a ainsi un aspect démodé, has been. Loin de l’handicaper, ce défaut-là le rend d’autant plus attachant.

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Rendez-vous avec Pol Pot ★★☆☆

Nous sommes en 1978 au Cambodge. Trois Français, Alain Cariou, un intellectuel (Grégoire Colin), Lise Delbo, une journaliste (Irène Jacob) et Paul Thomas, un photographe de guerre (Cyril Gueï), sont autorisés à visiter ce pays fermé au monde depuis que les Khmers rouges y ont pris le pouvoir. On leur a fait miroiter un rendez-vous avec Frère n° 1, le leader khmer, ancien compagnon d’études d’Alain.

Depuis qu’il a été prisonnier des Khmers, qu’il s’est réfugié en France, qu’il a étudié à l’Idhec, Rithy Panh, aujourd’hui âgé de soixante ans a tourné quelque vingt films, tous plus ou moins consacrés aux crimes de masse perpétrés par les Khmers rouges entre 1975 et 1979. Il a exploré toutes les formes que le cinéma lui permettait pour mener à bien ce travail de mémoire : le documentaire (S21, la machine de mort khmère rouge, Duch, le maître des forges de l’enfer), la fiction et même les figurines d’argile de L’Image manquante (2013).

Dans son dernier film, Rithy Panh convoque tous ces registres. Il s’est inspiré du livre d’une journaliste américaine du Washington Post, Elizabeth Becker, autorisée à visiter le Kampuchéa démocratique en compagnie de deux compatriotes. Leur voyage, unique en son genre, s’est dramatiquement achevé.

Sévèrement encadré par leur comité d’accueil qui n’entend que leur montrer ce qu’ils veulent et leur cacher la réalité sordide des camps de travail, les trois Occidentaux réagissent chacun à leur façon. L’intellectuel maoïste ne peut pas concevoir que la révolution ait trahi ses idéaux ; le photographe de guerre au contraire n’accepte pas d’être pris en otage d’une entreprise de désinformation ; la journaliste essaie, aussi lucidement que possible, de s’en tenir aux faits.

Rendez-vous avec Pol Pot souffre d’une mise en scène très guindée. Les acteurs, contraints d’incarner des caricatures, sont pris au piège de cette mise en scène hiératique. La musique sans âge renforce l’intemporalité d’un film qui aurait pu, à l’identique, être tourné quarante ans plus tôt.
Pour autant, malgré ses défauts, ce film fait oeuvre utile en dénonçant la « pureté dangereuse » au nom de laquelle le communisme a commis au vingtième siècle des crimes impardonnables.

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La Petite Vadrouille ★★☆☆

Un PDG (Daniel Auteuil) confie à Justine, sa directrice de la communication (Sandrine Kiberlain,) une coquette somme d’argent pour qu’elle lui organise un week-end original avec une femme qu’il souhaite conquérir. Albin (Denis Podalydès), le mari de Justine, y voit le moyen de se faire de l’argent facile en sollicitant sa bande d’amis, aussi endettés que lui, pour entraîner le riche homme d’affaires et sa conquête dans une croisière fluviale.

Regarder un film de Bruno Podalydès, c’est comme se glisser dans des charentaises. C’est douillet et réconfortant ; c’est l’assurance de passer un bon moment. D’ailleurs, les spectateurs largement quinquagénaires qui étaient venus en masse à l’avant-première, avaient l’âge de porter de telles pantoufles. De là à dire que je déconseillerais La Petite Vadrouille aux moins de cinquante ans, il y a un pas que, si je n’étais pas moi aussi en charentaises, je franchirais volontiers.

Bruno Podalydès a l’habitude de tourner des films avec sa bande de copains. Son frère au premier chef, qui est de tous ses films, mais aussi Jean-Noël Brouté, Isabelle Candelier, Florence Muller… Même Vimela Pons fait un caméo via son dernier livre. Sandrine Kiberlain, qui était déjà à l’affiche des 2 Alfred – que j’avais beaucoup aimé – et de Comme un avion – qui m’avait laissé sur ma faim et qui présente bien des points communs avec cette Petite Vadrouille – est de la partie. Nouveau venu, Daniel Auteuil semble prendre un plaisir régressif à rejoindre cette joyeuse équipe.

La Petite Vadrouille emprunte son titre au film ultra-célèbre de Gérard Oury. Est-ce un signe d’orgueil ? Au contraire. Il s’agit d’un « petit » film revendiqué. Peut-être même un peu trop revendiqué : à force de nous murmurer « vous allez passer un petit moment agréable avec nous, rien de plus », que finit-il par se passer ? on passe un petit moment agréable… rien de plus.

La bande-annonce