HLM Pussy ★☆☆☆

Amina, Djeneba et Zineb sont trois collégiennes inséparables malgré leurs différences. Amina est issue d’un milieu aisé qui accepte avec réticence ses fréquentations. Djeneba se rêve influenceuse. Zineb est harcelée par Zakaria, un ami de son frère. Les trois filles réussissent à piéger le garçon trop entreprenant. Mais la mise en ligne de leur vidéo met leur amitié en péril.

HLM Pussy commence par une scène diablement réussie. On y voit deux ados, aussi boutonneux que testostéronés, déjeuner dans un fast food et prendre à partie les trois filles installées à côté d’eux. Leur pesante tentative de drague se mue bientôt en bordée d’insultes après que les filles les  ont rembarrés.

Le programme de HLM Pussy est réjouissant : #MeToo en banlieue en mode bande de filles. Le sujet est d’actualité. Il est complexe. Il n’est pas non plus inédit au cinéma. Céline Sciamma, avant de devenir une icône féministe, avait tourné Bande de filles en 2014 ; le portrait électrisé de Dounia et Maimounia dans Divines en 2016 avait remporté un succès mérité ; À genoux les gars questionnait en 2018 le consentement des jeunes filles à la sexualité.

HLM Pussy aurait pu marcher sur ces pas et nous offrir un film réussi sur la culture du viol, la sororité et le féminisme. Mais le compte n’y est pas. La faute aux actrices qui n’ont pas le talent de Oulaya Amamra ou Deborah Lukumana, les héroïnes de Divines. La faute à un scénario mal construit, qui peine à démarrer et qui peine à s’achever, laissant la portion congrue à une intrigue décevante en se perdant au surplus dans des intrigues secondaires bâclées (Bérénice Bejo gâche son talent dans le rôle de la mère d’Amina).

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Le monde est à eux ★☆☆☆

Jérémie Fontanieu, professeur d’économie en terminale au lycée Delacroix de Drancy, acoquiné avec son collègue en mathématiques, se targue d’avoir inventé une méthode garantissant 100 % de réussite au baccalauréat. Il la met en oeuvre avec succès depuis 2015. Il a décidé de filmer avec leur accord les élèves de la promotion 2019-2020 – sans bizarrement que soit jamais évoqué le Covid et ses conséquences sur la scolarité.

On aurait pu craindre que son documentaire, qui a mis près de quatre ans à sortir sur les écrans, ressemble à un long clip publicitaire. Ce n’est pas le cas. Plus classiquement, comme on l’a vu si souvent, dans des fictions ou des documentaires (Entre les murs, Allons enfants, Chante ton bac d’abord…), Le monde est à eux suit chronologiquement une classe pendant toute une année. On voit Yness,  Fatih, Bilel, Dalil, Killan, Helvin ; mais ils sont trop nombreux et passent trop vite devant la caméra pour qu’on s’attache réellement à aucun d’entre eux.

En quoi consiste la méthode « Réconciliations » qui permet ainsi de tirer jusqu’au bac des lycéens décrocheurs ? Elle n’a rien de bien révolutionnaire. C’est un mélange de fermeté et de bienveillance. C’est une démarche qui associe étroitement les parents que les deux professeurs rencontrent dès la rentrée et qu’ils tiennent régulièrement informés par SMS des progrès de leurs enfants. C’est surtout un investissement exceptionnel des professeurs – ou tout au moins des deux qu’on voit, les autres étant bizarrement passés sous silence au point qu’on se demande si leur absence ne cache pas de sourdes dissensions au sein de l’équipe professorale par rapport à ce duo-là trop engagé.

Je ne suis pas assez versé en sciences de l’éducation pour porter un regard critique sur cette méthode et son efficacité. Mais, je connais un peu le cinéma et n’en ai pas vu beaucoup dans ce documentaire.

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La Théorie du boxeur ★☆☆☆

Nathanaël Coste vit et travaille dans le Sud de la Drôme. Il y a constaté de visu les effets du réchauffement climatique. Il va à la rencontre de ses voisins, des agriculteurs qui recherchent des solutions concrètes pour s’adapter à la nouvelle situation.

Le titre de ce documentaire peut sembler obscur. Il a une double signification. La première est du registre du constat : comme le boxeur frappé par une succession d’uppercuts entre lesquels il n’a pas le temps de se ressaisir, la nature aujourd’hui est fragilisée par des catastrophes de plus en plus fréquentes. La seconde est du registre des solutions : comme Mohamed Ali face à George Foreman, les agriculteurs doivent améliorer leur sens de l’adaptation, être plus mobiles, plus réactifs, accepter de gagner moins d’argent avec des cultures moins rentables mais plus résilientes.

L’écologie est à la mode. Il ne se passe guère de temps sans qu’on voie sortir un nouveau documentaire, français ou étranger, qui ait pour thème le réchauffement climatique, l’agriculture, le monde paysan et les défis auxquels il est confronté : La Ferme des Bertrand, La Rivière, Cow, Vedette, I am Greta, Demain, Sans adieu… Cette accumulation nous dit beaucoup sur l’époque dans laquelle nous vivons, ses priorités, ses hantises aussi.

On aurait mauvaise grâce de s’en plaindre. Que le réchauffement climatique constitue peut-être le plus grand défi de notre temps, personne, sinon quelques climato-sceptiques hélas encore trop nombreux, ne le conteste. Que le cinéma s’en fasse le reflet et la caisse de résonance, tous devraient s’en féliciter. Que des documentaires qui, jadis, n’auraient jamais trouvé un chemin en salles et auraient été cantonnés à une diffusion télévisée, puissent sortir au cinéma, tant mieux !

Dans ce catalogue déjà bien fourni, Nathanaël Coste essaie d’apporter son témoignage. Il le fait avec une naïveté touchante. Ses commentaires en voix off à la première personne, censés témoigner de son investissement et faire naître la complicité avec le spectateur, sont parfois maladroits. Mais reconnaissons lui le mérite de l’honnêteté intellectuelle. Loin de tout militantisme, de toute idéologie, il s’emploie à montrer les dilemmes auxquels l’agriculture est confrontée.

Il ne s’agit pas, comme on pouvait le redouter, d’une énième charge contre l’agribusiness ni d’une énième ode à la permaculture. Sur les bassines, sur le glyphosate, Nathanaël Coste a un discours étonnamment balancé. Si la monoculture épuise les sols, si la diversité des cultures permet au contraire de les régénérer et de varier les récoltes, le refus obsidional des échanges parfois revendiqué n’est pas pour lui la solution.

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Smoke Sauna Sisterhood ★☆☆☆

Une petite cabane isolée au cœur de la forêt, au bord d’un lac minuscule. C’est un sauna à fumée au fin fond de l’Estonie. Les femmes s’y retrouvent, hiver comme été, à l’abri du regard des hommes. Elles s’y lavent, s’y soignent, s’y détendent. Elles y parlent aussi.

Anna Hints pénètre dans un sauna. C’est une ancienne tradition fennique, qui tient tout à la fois de coutume de sociabilité et de rituel chamanique de purification. Elle a su conquérir la confiance de ses habituées et recueillir leur parole.

Smoke Sauna Sisterhood est un documentaire d’une infinie retenue. Les corps y sont nus, luisants de sueur. Mais le regard que la réalisatrice porte sur eux, toujours bienveillant, ménage leur pudeur et cache leur visage si elles n’ont pas accepté de le montrer.

La même retenue préside au recueil de la parole. Des confidences sont échangées. Les femmes y parlent d’elles, de leur corps, de leur enfance, de la maternité, de la maladie, de la mort qui vient. Dans un long monologue poignant, une femme raconte le double viol qu’elle a subi dans sa jeunesse.

Smoke Sauna Sisterhood est aux antipodes de la publicité pour l’inscription du sauna à fumée au patrimoine de l’Unesco que son sujet aurait pu laisser craindre. C’est plutôt, comme son titre d’ailleurs l’annonce, un documentaire sur la sororité – où l’on ne verra pas l’ombre d’un mâle.

Primé au festival de Sundance, Smoke Sauna Sisterhood a néanmoins le défaut de ses qualités. Il est tout entier contenu dans son dispositif : la caméra ne quitte jamais les quatre murs du sauna, sinon pour plonger dans le petit lac mitoyen, et enchaîne à la file des monologues vite monotones. Il devient vite soporifique, même s’il a l’élégance de ne pas dépasser les quatre-vingt-dix minutes.

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Apolonia, Apolonia ★★☆☆

Apolonia Sokol est née en 1988 à Paris d’un père français et d’une mère qui a successivement vécu en Pologne et au Danemark. Elle a grandi dans l’ambiance bohême du Lavoir moderne parisien, au cœur du XVIIIème arrondissement parisien. C’est là que la jeune cinéaste danoise Lea Glob l’a rencontrée en 2009. Les deux femmes se sont liées. Pendant treize ans, de Paris à New York, des premières toiles aux premières expositions, Lea Glob a filmé Apolonia et sa renommée grandissante.

Apolonia, Apolonia est un film profondément original. Alors qu’un documentaire est normalement tourné en quelques semaines, quelques mois tout au plus, qu’il peut certes faire revivre le passé, grâce au recours aux archives ou aux interviews de témoins, celui-ci a été filmé pendant treize ans et nous fait vivre en direct le temps qui passe et un talent qui éclot. Lea Glob ne se contente pas de nous raconter la vie d’Apolonia, elle la filme au jour le jour. Une étrange symbiose naît entre les deux côtés de la caméra, entre celle qui filme – et qui parfois s’autorise à entrer dans le champ – et celle qui est filmée.

Apolonia, Apolonia est donc doublement intéressant.
D’une part, il montre l’éclosion d’une artiste. Comment devient-on une peintre mondialement reconnue ? Apolonia Sokol est née dans un milieu cosmopolite et bohême. Elle est passée par les Beaux-Arts de Paris (poke à son directeur, collègue et ami). Elle semble surtout tout entière investie dans son art, prête à tous les sacrifices, notamment celui de la maternité, pour le vivre intensément. Est-elle douée ou pas ? je serais bien incapable de le dire, vaguement méfiant envers l’art contemporain et ses brusques emballements dont on se demande parfois s’ils dépendent plus des stratégies d’investissement des collectionneurs que du réel talent des artistes.

D’autre part, il témoigne d’une amitié. Amitié entre Apolonia et Lea. Mais amitié aussi avec un troisième personnage, Oksana Chatchko, la co-fondatrice des Femen, réfugiée politique en France en 2013. Le documentaire témoigne du lien si fort qui unissent les trois jeunes femmes. On imagine l’émotion d’Apolonia et de Lea à sa première projection. On pourrait s’en sentir exclu – et on le pourrait d’autant plus en tant qu’homme car ces féministes radicales tangentent la misandrie – mais au contraire on est ému par cette brûlante sororité.

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O Corno ★☆☆☆

Dans l’Espagne du début des années 70, Maria aide les femmes de son village de Galice. Elle les aide à accoucher, elle les aide aussi à avorter alors que le régime franquiste l’interdit. Lorsqu’un drame l’oblige à fuir son village et à se réfugier au Portugal voisin, Maria trouve son salut dans la solidarité que lui manifestent d’autres femmes.

Le cinéma est décidément friand des sujets de société. Je l’écrivais déjà il y a quelques jours au sujet de Pas de vagues, qui traitait des violences à l’école, et de Paternel, sur le célibat des prêtres. L’avortement est un autre de ces sujets qui a inspiré beaucoup de cinéastes alors même que le sujet fait, en France, avec la constitutionnalisation du droit à l’IVG, les gros titres de l’actualité politique. Après L’Evénement, adapté du livre d’Annie Ernaux, après Annie Colère, qui se déroulait à la même époque que O Corno et racontait l’action des militantes du MLAC, quatre autres films étrangers sont sortis ces dernières semaines sur ce sujet : Levante, dont l’action se déroule au Brésil, Les Lueurs d’Aden au Yemen, Inchallah un fils en Jordanie et enfin En bonne compagnie, au Pays basque en 1977.

« O Corno » désigne l’ergot de seigle, un parasite toxique connu depuis le Moyen âge pour hâter les contractions utérines et faciliter à la fois les accouchements et les avortements. Cette explication donnée, on comprend mieux le titre du film et son affiche bucolique.

O Corno repose sur un postulat audacieux : l’idée que mettre un monde un enfant et interrompre une grossesse participerait du même geste, celui d’une aide inconditionnelle aux femmes dans leur choix souverain de devenir mère ou pas. Le film nous prend à contrepied dès son début, qui commence par une longue scène, non pas d’avortement, mais d’accouchement, filmée avec un réalisme dérangeant. Cette scène-là aura son contrepoint dans la dernière, qui nous réserve une belle surprise.

Coquille d’or au Festival de Saint-Sébastien, prix de la révélation féminine aux derniers Goya pour Janet Novas, l’actrice principale, O Corno souffre à mes yeux de deux défauts. Le premier est très subjectif : il exalte une fois de plus la solidarité féminine – qu’on pare depuis quelques années du beau mot de sororité – un ressort qui semble désormais un passage obligé, une nouvelle forme de politiquement correct #MeToo, voire une recette assurée pour décrocher des prix et susciter l’enthousiasme.
Le second est plus cinématographique : l’histoire, filmée en plans serrés, est tout entière focalisée sur son héroïne, sans laisser exister l’arrière-plan, le contexte historique, pourtant déterminant. Les seconds rôles y sont réduits à des silhouettes, des caricatures sans épaisseur, des faire-valoir. Le film est divisé en deux parties, peu cohérentes l’une avec l’autre, la première au village et la seconde qui suit Maria pendant sa fuite, peu crédible, au Portugal.

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Vampire humaniste recherche suicidaire consentant ★★★☆

Sasha (Sara Montpetit révélée par Falcon Lake) est une jeune vampire frappée d’une pathologie qui désespère ses parents : une empathie exacerbée l’empêche d’assassiner ses victimes dont le sang constitue pourtant, comme tous les vampires, la base de son alimentation. Mise au pied du mur à la sortie de l’adolescence, elle est chassée de chez elle et confiée aux bons soins de sa cousine, à charge pour celle-ci de lui enseigner les rudiments de la chasse. C’est alors que Sasha fait la connaissance de Paul, un adolescent solitaire, souffre-douleur de ses camarades, hanté par des pulsions suicidaires. Par amour pour la jeune fille autant que par dégoût de la vie, Paul est prêt à sacrifier sa vie pour elle.

Vampire humaniste… nous vient du Canada. Ses québécismes lui confèrent un exotisme rafraichissant. C’est un film désopilant à la croisée de trois genres. C’est d’abord, comme son titre l’annonce, ainsi que son affiche où l’on voit l’héroïne sirotant à la paille une poche de sang, un film de vampire. Mais les vampires n’y sont ni méchants ni terrifiants. Plus Famille Addams (la jeune Sasha rappelle un peu Christina Ricci) que Nosferatu. Ce sont des gens comme tout le monde, sinon qu’ils vivent la nuit et ont besoin de tuer pour se nourrir.
Vampire humaniste… est donc plutôt une comédie, même si on n’y rit pas à gorge déployée (!), qui joue sur le décalage entre l’horreur et le surnaturel dans lesquels de tels personnages sont censés évoluer et, au contraire, l’aspect très trivial de leur quotidien.
Mais plus profondément, Vampire humaniste… est un coming-of-age movie, un film sur la sortie de l’adolescence dans lequel le vampirisme constitue une métaphore à peine déguisée de l’acte sexuel. Le procédé a fait florès. Il est la recette d’un des plus célèbres blockbusters au monde : Twilight – que je devrais peut-être me résoudre à voir un jour, même si j’ai toujours cru qu’il était réservé à des adolescentes en pâmoison devant Robert Pattinson.

Ce pitch ainsi posé est sacrément original et stimulant. Le scénario a le défaut majeur de n’en pas faire grand chose. L’action tarde à s’engager. La rencontre avec Paul n’a lieu qu’après une bonne vingtaine de minutes. Et très vite les termes de l’accord qu’il conclut avec Sasha sont posés : « je me tue, tu me manges ».

Restait à trouver une conclusion au film. Sacrée gageure dont on imagine les difficultés qu’elle a posées aux scénaristes. Ils s’en tirent plutôt bien. La pirouette finale est charmante. On quitte la salle comme on y est entré, le sourire aux lèvres devant ce film dépaysant et charmant.

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Los Delincuentes ★☆☆☆

Moran (Daniel Elias) est le trésorier d’une petite banque portègne. Las de son morne quotidien, il refuse la perspective d’une vie de travail et décide de voler dans les coffres de la banque une somme suffisante pour rester oisif le reste de ses jours. Son délit entraînant nécessairement son arrestation et son emprisonnement pendant quelques années au moins, il a besoin d’un complice qui conserverait son butin le temps de son incarcération. Moran sollicite Roman (Esteban Bilgliardi), l’un de ses collègues. Une fois le casse effectué, le destin des deux complices empruntera des chemins surprenants.

Projeté à Cannes l’an passé dans la section Un certain regard, encensé par la critique, Los Delincuentes est un film (d)étonnant. Son titre, son affiche, son pitch laissent augurer un thriller, un film de braquage, comme on en a déjà vu beaucoup et comme on les aime souvent (Inside man est pour moi un modèle du genre…. sans parler de la série La Casa del papel). Mais Los Delicuentes prend une autre voie, un détour, un chemin de traverse vers autre chose. Il s’en donne le temps : 3h10, une durée inhabituelle pour ne pas dire extra-ordinaire.

Le cinéma argentin est d’une étonnante richesse et d’une déroutante radicalité. Le collectif Pampero Cine y crée des formes serpentines au format hors normes : La Flor dure 13h34, Trenque Lauquen 4h22. Rodrigo Moreno, le réalisateur de Los Delincuentes, ne fait pas partie de ce collectif ; mais il en est proche. Son film rappelle La Flor aussi bien que Trenque Lauquen. D’ailleurs, on y retrouve plusieurs des acteurs : Esteban Bigliardi, German De SIlva, Laura Paredes…

Dans la forme comme sur le fond, Los Delincuentes filme le lâcher-prise. Il invente à Moran comme à Roman une autre vie possible loin de la capitale et de son labeur asservissant. Il le fait à 700km à l’ouest de Buenos Aires, dans la province de Cordoba, jardin d’Eden où les deux héros croiseront Morna, Norma et Roman. Autant de personnages-anagrammes qui évoquent la possibilité de vies interchangeables.

Il faut savoir lâcher prise pour goûter ce film. Il faut accepter, le temps d’une séance de cinéma, de sortir du temps, de se mettre au rythme d’un autre tempo que celui auquel le cinéma nous a habitués. J’avoue y avoir eu un peu de mal. Le temps, je l’ai trouvé bien long. Si j’ai aimé ses rebondissements inattendus, sa conclusion, en épingle à cheveux, m’a laissé sur ma faim. Un ami m’en a expliqué la raison : il y aura une suite. J’espère qu’il se trompe !

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Averroès & Rosa Parks ★★☆☆

Après Sur l’Adamant, Averroès & Rosa Parks constitue le deuxième volet du triptyque que Nicolas Philibert consacre au pôle psychiatrique de Paris-Centre, à ses patients et à ses soignants. La sortie du troisième est déjà programmée pour le 17 avril. On y suivra les visites que les soignants effectuent au domicile des patients récemment sortis d’hopîtal et tentant de se réacclimater à une vie « normale ».

Sur l’Adamant avait été accueilli par un tombereau d’éloges et l’Ours d’or à Berlin. Ma critique était un peu en demi-teinte. Les reproches que j’adresserais à ce deuxième volet sont les mêmes que ceux que j’adressais au premier, immédiatement tempérés par l’admiration que suscite sa démarche, par son intérêt à la fois cinématographique et politique, par son humilité aussi. S’y ajoute enfin le reproche de tirer à la ligne, de diluer la sauce, de consacrer trois films de plus en plus longs à ce qui aurait pu tenir en un seul.

La démarche de Nicolas Philibert rappelle celle de Frederick Wiseman, le pape du documentaire. S’insérer dans un lieu, s’y faire admettre, y poser sa caméra, filmer des heures et des heures de rushes puis, par un patient montage, sans voix off ni sous-titres, leur donner du sens.

Après s’être focalisé sur une annexe de l’hôpital Esquirol, délocalisé sur une péniche amarrée sous le pont d’Austerlitz, Nicolas Philibert s’intéresse aux deux pavillons de l’hôpital psychiatrique situés à Charenton dans le Val-de-marne et jadis désigné sous l’appelation « asile de Charenton ». On aurait imaginé qu’il évoque voire qu’il éclaire l’origine des noms qui leur ont été donnés. Mais on restera sur sa faim.

Le documentaire est organisé autour des tête-à-tête entre les patients et leur psychiatre. Quelques séquences, moins nombreuses, sont des scènes de groupe, durant lesquelles soignants et soignés discutent ensemble des conditions générales de vie à l’hôpital.
Ces tête-à-tête sont doublement révélateurs. Révélateurs des troubles psychiatriques dont souffrent les patients – schizophrènes, paranoïaques, maniaques… -, un échantillon d’humanité dont l’état suscite souvent la gêne, parfois le rire et toujours espérons-le la compassion. Révélateurs de la patience et du talent de l’équipe soignante, notamment des trois psychiatres que l’on voit le plus souvent, dont le rôle n’est pas simple, dans l’écoute, dans l’empathie, mais aussi dans l’injonction thérapeutique.

On n’oubliera pas de sitôt certains patients, dont ceux qu’on a déjà vus sur l’Adamant. Ainsi de ce professeur de philosophe, normalien, major à l’agrégation, qui a manifestement « pété les plombs » et face auquel on se dit que la frontière est décidément bien fine entre une vie normale et une autre qui dérape. Ainsi de cette vieillarde à bout de force rongée par la paranoïa que son psychiatre essaie en vain de rassurer.

Hélas, ce deuxième volet, s’il en a les mêmes qualités, a aussi les mêmes défauts que le premier. Il tourne en rond, sans début ni fin, sans introduction ni conclusion. Il dure plus de deux heures sans que se justifie cette durée exigeante. On en sort ébloui par tant d’humanité mais un peu sonné.

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L’Affaire Abel Trem ★★☆☆

Abel Trem est un lycéen besogneux qui, malgré l’aiguillon de ses parents, révise sans conviction les épreuves du baccalauréat. Il sera collé à l’épreuve d’histoire, ne trouvant rien à dire aux deux sujets qui lui sont successivement proposés. Pour expliquer sa faillite à son père furieux, Abel invoque la remarque que lui a faite un examinateur qui l’a questionné sur la cocarde tricolore qu’il portait à sa boutonnière, un signe de reconnaissance des partisans du Fidesz, le parti conservateur de Viktor Orban. Monté en épingle et déformé, l’échec au bac d’Abel Trem vient aux oreilles d’une jeune journaliste qui en fait l’objet d’un article.

Après La Salle des profs, après Pas de vagues, on pourrait penser que L’Affaire Abel Trem est à nouveau un film sur l’école. Ce n’est qu’en partie vrai. Certes, il a pour héros un lycéen qui passe le bac. Mais, à la différence des films précités, il ne se passe pas entre les murs d’une école. J’ai lu par ailleurs que ce film racontait les conséquences d’un mensonge, le mensonge qu’Abel aurait fabriqué pour expliquer à son père son échec. Ce n’est là encore pas tout à fait exact à mon avis. Je ne crois pas qu’Abel mente. L’un des examinateurs l’a bien interrogé sur sa cocarde et Abel n’impute pas son échec à cette question. En vérité, il n’a été victime d’aucune discrimination en raison de ses opinions politiques réelles ou supposées. S’il a échoué au bac, c’est tout simplement parce qu’il s’y était mal préparé et n’a pas su traiter les sujets qu’il a tirés.

L’Affaire Abel Trem n’est donc pas un film sur l’école. Il ne s’agit pas non plus de restaurer la vérité autour d’un événement auquel plusieurs personnages donne une lecture différente (le fameux effet Rashomon). C’est plutôt l’histoire d’une rumeur qui se répand avant d’exploser. Si la rumeur croît, si la rumeur explose, c’est parce qu’elle est crédible. Ou plutôt, c’est parce que certains y croient spontanément ou ont intérêt à y croire : les pro-Orban y voient la confirmation d’être les cibles d’une gauche bien-pensante – ici incarnée par Jakab, ce professeur d’histoire au look d’hipster barbu à catogan.

Le récit est raconté en plans serrés et en dix chapitres polyphoniques, mettant en scène successivement Abel, son père, un architecte pro-Orban, son professeur d’histoire, au contraire anti-Orban, et la journaliste dont l’article mettra le feu aux poudres. Abel Trem est bien le héros de ce film choral. Le rôle est particulièrement ingrat : Abel, avec ses trois poils de moustache, est un ado mal dans sa peau, en situation d’échec scolaire, qui se consume d’amour pour l’une de ses camarades, qui, elle, n’a d’yeux que pour son beau professeur d’histoire. La toute dernière scène souligne l’enjeu du film du point de vue de son réalisateur. Mais, l’accomplisserment d’Abel est moins intéressant que le rapport des forces en Hongrie entre pro- et anti-Orban qui éclate lors de la scène de confrontation entre le père et le professeur. C’est, pour moi, là que se situe l’enjeu du film.

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