Mémoires d’un corps brûlant ★★☆☆

Huit femmes latino-américaines du troisième âge témoignent, sous couvert de l’anonymat, de leurs vies cabossées : l’enfance auprès de parents conservateurs qui ne leur disent rien de la puberté, les premières règles, le mariage, encore vierges, et leurs premiers rapports sexuels plus douloureux qu’agréables avec un conjoint égoïste préoccupé de son seul plaisir, la maternité, la fierté de donner la vie mais aussi l’abrutissement que l’éducation d’un nouveau-né entraîne, une vie conjugale sans amour auprès d’un mari parfois violent, le divorce et enfin, quand on ne l’attendait plus, l’apprentissage de la liberté et la découverte, à cinquante ans passés, du plaisir sexuel.

Ce film relève un défi cinématographique : comment filmer ce récit choral ? Le parti de la réalisatrice costaricaine Antonella Sudasassi, dont le premier long-métrage n’était pas sorti dans les salles françaises, est audacieux. Elle choisit le huis clos : un seul appartement où se déroule toute la vie des femmes qui se racontent, successivement interprétées aux quatre âges de leur vie par quatre actrices, qui se croisent et s’entrecroisent dans de longs plans muets expliqués par leurs voix off. Ainsi présenté, le dispositif peut sembler incompréhensible ou à tout le moins étrange. Le résultat, au contraire, est d’une grande fluidité.

Bien sûr ces témoignages sont poignants qui dénoncent le poids du patriarcat, les violences physiques et psychologiques faites à ces femmes, leur admirable résilience. On aurait un cœur de pierre – et une conscience politique bien mal affûtée – si on ne s’en émouvait pas. Pour autant, le récit que ces Mémoires déroulent est hélas d’une si grande banalité et a déjà été si souvent raconté qu’il n’apporte pas grand-chose.

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Voyage à Gaza ★★☆☆

Le jeune cinéaste franco-italien Piero Usberti a effectué deux séjours à Gaza en 2018. Il en a ramené un documentaire qui aurait ressemblé à un album de vacances si sa destination avait été plus touristique.

Piero Usberti est pro-palestinien et ne s’en cache pas. La Palestine a, selon lui, été victime d’une entreprise de colonisation condamnée par le droit international. Ses habitants en ont été chassés en 1948. Des centaines de milliers de réfugiés se sont amassés dans l’étroite bande de Gaza, transformée en prison à ciel ouvert. Israël au nord, l’Egypte au sud, en verrouillent la sortie. S’ils manifestent au pied du mur de séparation et défient les consignes de l’armée d’occupation, ils deviennent les cibles des snipers israéliens et peuvent tomber sous leurs balles comme le journaliste Yasser Mourtaja assassiné en avril 2018.
Les habitants de Gaza souffrent d’une autre oppression : celle qu’exerce le Hamas qui entrave leur liberté d’expression et voile les femmes.

C’est cette réalité qu’il décrit dans ce court documentaire (1h07 à peine) dont le montage a été achevé une semaine avant le 7 octobre 2023, les raids sanglants du Hamas en Israël et l’invasion israélienne de la bande de Gaza. On y voit un espace confiné, surpeuplé, une courte bande de terre coincée entre la mer et les barbelés (la bande de Gaza s’étire sur 40km de long et une dizaine de km de large). Les Gazaouis que Piero Usberti a rencontrés étouffent. Ils rêvent d’exil – et on apprendra à la fin du documentaire que la plupart de ceux qui témoignent ont réussi à partir en Italie, en Belgique, en Égypte.

Voyage à Gaza m’a fait penser à un autre film italien sorti fin décembre : Le Déluge. Un tel rapprochement peut sembler bien audacieux d’autant que les deux films n’ont rien à voir : l’un évoque les derniers mois de Louis XVI avant son exécution, l’autre le siège dont sont victimes les habitants de la bande de Gaza. Mais dans les deux cas sont évoqués des sujets hautement polémiques : l’exécution du Roi par les Révolutionnaires en 1793, l’impossible vivre-ensemble israélo-palestinien aujourd’hui. Les deux films prennent le parti du « faible », de l’opprimé : le Roi et sa famille emprisonnés dans des conditions indignes, les Gazaouis emprisonnés eux aussi dans des conditions presque aussi indignes. Ce parti pris déplaira à ceux qui estiment, à tort ou à raison, que la Révolution française ou le sionisme sont des entreprises politiques utiles et bénéfiques. Mais, il séduira ceux qui, acceptant de mettre de côté leurs préjugés, entendent se ranger du côté des plus faibles.

La bande-annonce

Finalement ☆☆☆☆

Un auto-stoppeur (Kad Merad), la casquette vissée sur la tête, un vieux sac en cuir jeté sur l’épaule, sillonne la France. Il assiste aux commémorations du Débarquement sur le pont de Bénouville, passe devant le Mont-Saint-Michel, achète une trompette à Béziers, prend un bain de foule aux 24 Heures du Mans et danse sous le pont d’Avignon. Pour chacun des conducteurs qui le prend en stop, il s’invente une nouvelle identité, prêtre défroqué, réalisateur de films X, amant meurtrier, et raconte les crimes qu’il aurait commis et qui expliquent sa cavale. Il s’agit en fait d’un grand avocat parisien, Lino Massaro, atteint d’une maladie dégénérative. Lino finit par croiser dans une ferme bourguignonne une accorte paysanne (Françoise Gillard). Sa femme (Elsa Zylbertstein) et son meilleur ami (Michel Boujenah) essaient en vain de le retrouver.

À quatre-vingt-sept ans passés, Claude Lelouch sort son cinquante-et-unième long métrage. Incroyable carrière d’un immense réalisateur qui a accumulé les plus grands succès (Un homme et une femme, Itinéraires d’un enfant gâté, Les Uns et les Autres…) et tourné avec le Gotha du cinéma français (Trintignant, Piccoli, Ventura, Belmondo…). Son style inimitable se reconnaît au premier plan : de longs dialogues filmés en plans-séquences laissant une large place à l’improvisation, une caméra virevoltante qui tournoie autour des acteurs, une musique omniprésente avec quelques « tubes » qui restent longtemps dans l’oreille…

Je lui voue une fidélité sans réserve et suis allé voir tous ses films depuis que j’ai l’âge d’aller au cinéma. Il faut dire que, dans les années 80, leur sortie était un sacré événement. Je me souviens encore du choc causé par Les Uns et les Autres, de la mystérieuse bande-annonce de Viva la vie et de l’immense succès d’Itinéraires d’un enfant gâté.

Mais la vérité oblige à dire que Lelouch a vieilli et qu’il a mal vieilli. Son cinéma se répète. Son cinéma bégaie. Kad Merad est le copier-coller du Belmondo d’Itinéraires. Même personnage, même dégaine, même fuite hors du monde… Sauf que la production est moins richement dotée et qu’au lieu des chutes Victoria, on filme le Mont Saint-Michel…. Francis Lai est mort ; Ibrahim Maalouf signe la musique ; Didier Barbelivien écrit encore tant bien que mal les chansons. Ses textes sont d’une indigence rare : « Maintenant, le temps efface / Nos regards devant la glace / Maintenant, le cœur se lasse / La vie passe, nous enlace / Nous embrasse et nous remplace ». Quant aux dialogues, ils nous servent sentencieusement quelques aphorismes tout droit sortis d’un manuel de feng shui : « tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien ! », le « livre de la vie (…) ne se lit pas deux fois »etc.

Pire : Lelouch entonne le refrain rance du « c’était-mieux-avant ». À l’en croire, dans la France post #MeToo, on n’aurait plus le droit de ne rien dire sous peine d’être immédiatement dénoncé à la police comme sous l’Occupation : ne plus dire son amour des femmes, sans être accusé d’être un violeur. D’où l’héroïsation d’un personnage qui s’autorise, lui, à tout dire. Finalement se voudrait iconoclaste, libéré du politiquement correct qui corsète notre époque ; c’est au mieux malaisant, au pire ridicule.

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Diamant brut ★★☆☆

Liane est à peine sortie de l’enfance. Mal aimée par sa mère qui l’élève seule, elle se rêve influenceuse. Avec ses maigres économies, elle a pratiqué une augmentation mammaire aux effets impressionnants et hésite à se faire refaire les fesses dans la foulée. Sur des talons interminables, faux cils, faux ongles, extensions capillaires, elle surveille anxieusement l’augmentation du nombre de ses followers sur Instagram. Elle a une ambition : participer à la neuvième saison de l’émission de téléréalité Miracle Island.

Agathe Riedinger signe son premier film. Il a eu les honneurs d’une sélection en compétition officielle à Cannes. Il repose tout entier sur les épaules d’une actrice débutante, Malou Khebizi, croisement improbable de la Nabila des Anges de la téléréalité et de la Rosetta des frères Dardenne. Elle est aussi horripilante que la première, aussi attendrissante que la seconde. Dure et fragile à la fois, on la sent sur la corde raide.

Sur le papier, Diamant brut avait tout pour séduire. Son problème vient de son scénario. Une fois le cadre dressé, les personnages installés, il fait du surplace, bloqué sur l’attente fébrile des résultats du casting auquel Liane a participé. On pressent la façon dont il se conclura, quand on mesure son anxiété croissante qui menace de la faire verser dans la folie, quand on la voit adopter des comportements de plus en plus dangereux avec les hommes dont elle attise le désir. On est doublement surpris. Et c’est tant mieux. mais cela ne suffit pas à sauver le film.

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Le Royaume ★★☆☆

Lesia est une adolescente corse élevée par sa tante. Sa mère est morte ; son père est un chef de bande en cavale qui, entouré des siens, joue au chat et à la souris avec la police et avec les clans qui lui sont hostiles. Éperdument attachés l’un à l’autre, Lesia et son père réussissent à voler à la vendetta quelques instants d’intimité ensemble.

La Corse est décidément à l’honneur cette année : Borgo en avril, À son image en septembre et Le Royaume le mois dernier. À chaque fois, que le film soit réalisé par un pinzutu comme Stéphane Demoustier ou par un autochtone comme Thierry de Peretti (qui portait à l’écran un roman de Jérôme Ferrari) ou Julien Colonna, la réussite est au rendez-vous

Le Royaume est un film largement autobiographique. Julien Colonna est en effet le fils de Jean-Jé Colonna, un des grands parrains corses décédé en 2006. Il a eu une idée de génie en faisant de son héros une héroïne et en trouvant grâce à un casting sauvage à la fois Ghjuvanna Benedetti, élève en école d’infirmerie, pour interpréter sa fille et Saveriu Santucci, guide sur le GR20, pour interpréter son père. Celui-ci a une trogne incroyable : visage immense, crâne chauve, oreilles en chou-fleur.

L’histoire du Royaume est racontée par les yeux de la jeune fille. Elle est confuse. Et cette confusion est captivante. Pendant la première demi-heure, on ne comprend pas les liens de parenté qui unissent Lesia à sa tante, à son père. Pas plus qu’on ne comprend les raisons que le patriarche a de se cacher, ni les motifs qui l’ont conduit à cette interminable cavale et à cette sanglante vendetta. Tout s’éclaire lors d’un long monologue très émouvant quoiqu’un brin trop sentencieux.

Le Royaume aurait pu se terminer cinq minutes plus tôt. Il se clôt par une postface dont l’utilité interroge : le leste-t-elle d’une conclusion inutile ? ou lui confère-t-elle au contraire une dimension plus épique encore ?

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L’Affaire Nevenka ★☆☆☆

À la fin des années 90, la jeune Nevenka Fernandez se laisse convaincre de rejoindre la liste électorale menée par Ismael Alvarez, le maire sortant de la ville de Ponferrada, dans la province du Leon, dans le nord-ouest de l’Espagne. Sitôt réélu, le maire tout-puissant lui confie la délégation des finances. L’édile, de plus en plus pressant, la courtise et la jeune femme cède à ses avances. Mais quand elle décide enfin de rompre leur liaison, sa vie devient un enfer.

L’Affaire Nevenka ressemble à ces films que Les Dossiers de l’écran, l’émission hebdomadaire d’Antenne 2 des années 70 et 80, diffusait en première partie de soirée, avant qu’un cénacle d’experts ne discute du sujet du film. L’Affaire Nevenka parle d’un sujet et d’un seul : le harcèlement sexuel, évoquant sur son affiche « le premier cas #MeToo en Espagne », alors que le mouvement, on le sait, n’a été lancé qu’en 2017.

Il le fait impeccablement. Et implacablement. C’est sa principale qualité. C’est aussi son principal défaut. Car, bien vite, L’Affaire Nevenka se réduit à son sujet. Il est le face-à-face entre une ravissante jeune femme, douée et intelligente, frêle et fragile, et un ogre au physique de taureau, deux fois plus âgé que sa proie, manipulateur, ivre de son pouvoir. Ce face-à-face, aussi impressionnant soit-il, ne réserve aucune surprise. Il est prévisible de la première à la dernière minute : l’excitation de la jeune femme face à ses nouvelles responsabilités professionnelles, sa gêne face à la cour dont elle est l’objet, sa garde qui se baisse après un dîner trop arrosé, qu’elle regrette bien vite, son désarroi face à l’entêtement de son amant éconduit, jusqu’à son sursaut final et à l’injonction adressée à toutes les femmes dans une situation similaire à ne pas baisser la tête et à témoigner.

Bien sûr, le harcèlement sexuel, tel qu’il est décrit dans le film  est haïssable. Et les témoignages, comme celui-ci, qui permettent d’en alerter l’opinion publique et d’en prévenir la répétition, sont louables. Mais les bons sentiments ne font pas toujours du bon cinéma. L’Affaire Nevenka est l’exemple presque caricatural d’un film qui défend mal une juste cause.

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Rabia ★☆☆☆

Deux amies, à peine sorties de l’adolescence, Jessica (Megan Northam découverte dans Pendant ce temps sur terre et Fario) et Laïla (Natacha Krief), décident de quitter  la France et un quotidien qui les étouffe pour rejoindre en Syrie l’Etat islamique. Elles se retrouvent bientôt à Raqqa, dans une madafa, gouvernée d’une main de fer par Madame (Lubna Abazal).

Rabia raconte une situation qui appartient désormais à l’Histoire et qui a déjà été abondamment filmée : le califat proclamé en 2014 par Daech au nord de la Syrie. Le cinéma a déjà souvent décrit ces jeunes gens, endoctrinés via Internet, qui décident de rejoindre Daech au grand dam de leurs parents : Les Cowboys, Le ciel attendra, Mon cher enfant, ExfiltrésL’Adieu à la nuit, Les Filles d’Olfa… Le plus souvent, ces films se déroulent en France et adoptent le point de vue des parents qui cherchent à comprendre les motifs du départ de leurs enfants ; mais parfois ils les suivent en Syrie comme le belge Rebel ou la mini-série Kalifat diffusée sur Netflix pendant le Covid.

Rabia documente un aspect précis de cette page d’histoire. Il nous plonge à l’intérieur d’une madafa, une maison où les femmes sont enfermées dans l’attente de leur mariage avec un djihadiste. La réalisatrice, allemande, a raconté que ces lieux, dont elle avait appris l’existence grâce au témoignage de survivantes rentrées de Syrie, lui rappelait les Lebensborn nazis, ces pouponnières où grandissaient de fiers rejetons de la race aryenne. Sans avoir besoin de cette funeste référence, le lieu donne froid dans le dos, où s’exerce une violence déshumanisante contre des jeunes femmes, venues du monde entier, dont le passeport et le téléphone portable  ont été confisqués et dont le seul avenir sera d’accepter le mari qui leur sera donné et de lui faire des enfants, avant qu’il ne tombe au combat en martyr.

Aussi intéressant que soit le sujet, Rabia ne convainc pas tout à fait. La faute à une mise en scène qui ne parvient pas à faire oublier son artificialité de carton pâte. L’intérieur de la madafa a été reconstitué dans les locaux désaffectés de France Tabac en Dordogne et cela se sent. Lubna Azabal est certes impeccable et implacable dans son rôle de garde-chiourme sadique. Mais son personnage, comme le reste de l’histoire est trop caricatural, trop artificiel.
Le scénario oublie une dimension passionnante : l’avenir de ces femmes, ballotées entre la Syrie qu’elles cherchent à fuir et leur pays d’origine qui leur reproche leur participation à l’entreprise criminelle dont elles furent les complices avant d’en devenir les victimes. Il oublie aussi d’évoquer leurs enfants, parfois nés de viols sordides ou de vraies histoires d’amour et auxquels, en tout état de cause, on ne saurait reprocher les crimes de leurs pères.

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Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres ★★☆☆

L’oeuvre de Leni Riefenstahl (1902-2003) sent le soufre. La réalisatrice du Triomphe de la volonté (1935) et des Dieux du stade (1938) s’est vu reprocher de s’être fait la propagandiste complaisante du régime nazi. Toute sa vie durant, elle s’est défendue en affirmant qu’elle ne s’intéressait qu’à l’art, pas à la politique. Le documentariste allemand Andres Veiel a eu accès aux 700 cartons de ses archives. Il instruit son procès.

« Peut-on séparer l’oeuvre de l’artiste ? ». La question revient sans cesse, chaque fois qu’un artiste voit planer sur lui la menace d’une condamnation pour un acte commis dans sa vie privée. J’ai tendance moi-même à y répondre par la positive, n’appréciant guère les appels à la censure contre Depardieu, Allen ou Polanski. Le cas Riefensthal pourrait-il me faire reconsidérer ma position trop tranchée ?

Leni Riefenstahl a certes révolutionné l’art du documentaire, en utilisant notamment la plongée et la contre-plongée. Elle a pour ce faire mobilisé des moyens techniques inédits. Mais cette inventivité technique était indubitablement au service d’une idéologie haïssable dont, bien qu’elle s’en défende, Leni Riefenstahl, fut la complice zélée. Certes, la quasi-totalité de la population allemande soutenait Hitler dans les années Trente. Certes encore, on ne pouvait à l’époque imaginer que Hitler allait entraîner son pays dans une guerre totale et que son antisémitisme pathologique allait provoquer la Shoah – même si une lecture attentive de Mein Kampf (1925) aurait pu laisser augurer le pire.

Pour autant, la défense de Leni Riefenstahl ne tient pas, qui toute sa vie durant, avec une énergie pathétique a intenté des procès en diffamation à tous ceux qui lui reprochaient son compagnonnage avec le nazisme. « Je n’ai jamais gazé personne » clame-t-elle. C’est vrai ! Mais n’avoir gazé personne n’innocente pas pour autant Leni Riefenstahl d’avoir soutenu une idéologie qui a gazé six millions de victimes. « Je ne savais rien de ce qui se déroulait dans les camps de concentration » C’est (peut-être) encore vrai. Mais, là encore, c’est un peu court : si elle ne savait rien, c’est aussi parce que ça l’arrangeait bien de ne rien savoir !

Le documentaire de Andres Veiel ne présente pas Leni Riefenstahl sous son meilleur jour. Comme l’indique son affiche française, on y voit une vieille femme narcissique, obsédée, même à 98 ans, de l’image qu’elle donne d’elle-même, exigeant du chef éclairagiste qu’il efface les rides qui pourtant ravinent son vieux visage. Quelques révélations achèvent de la discréditer : le sort qu’elle a réservé à son directeur de la photographie, qu’elle a laissé enfermer dans un asile psychiatrique et stériliser, sa présence en septembre 1939, sur le front polonais, où elle a utilisé des Roms comme figurants dans l’un de ses films et a assisté sans protester à l’exécution de Juifs polonais. Jusqu’à sa fascination dans les années soixante pour les Noubas du sud du Soudan qui témoigne d’un goût suspect pour une race exempte de toute impureté.

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No Other Land ★★☆☆

Basel Adra, un activiste palestinien, est né et a grandi au sud de la Cisjordanie dans un petit village bédouin de la zone C, Masafer Yatta, sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Épaulé par Yuval Abraham, un journaliste israélien arabophone, il a documenté de 2019 à 2023 la destruction de son village par l’armée israélienne, s’appuyant sur un jugement de la Cour suprême israélienne pour en déloger ses habitants et y créer un camp militaire.

Couronné du prix du meilleur documentaire au dernier festival du film de Berlin, No Other Land est un film militant. Il est constitué d’une succession d’images tremblantes, tournées la plupart du temps grâce à un téléphone portable, en plein cœur de l’action. Ces images rendent compte d’une situation qui ne peut que choquer : la lutte de David contre Goliath, de la puissante armée israélienne  et de colons ivres de violence contre des familles de Bédouins, implantés sur ces terres depuis plusieurs générations, dont les habitations sont détruites par des bulldozers. Les habitants, contraints de se terrer dans des grottes insalubres pour survivre, n’ont d’autre ressource que de reconstruire la nuit ce qui est détruit le jour. Mais dans ce combat déséquilibré, c’est Goliath qui l’emporte, rasant les maisons, expulsant les habitants, confisquant leurs voitures, bouchant leurs puits.

Filmer. Basel Adra n’avait que cette arme à opposer aux militaires venus détruire les maisons de son village. Il postait ses images sur YouTube pour sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale. C’est par ce biais que Yuval et Basel se sont rencontrés et qu’un collectif israélo-palestinien s’est constitué. Exemple admirable et dérisoire à la fois de la capacité des ressortissants de ces deux peuples à faire cause commune autour de certaines valeurs.

No Other Land manque cruellement de contrepoint. La situation nous est décrite uniquement du point de vue palestinien. Pour déchirante qu’elle soit, elle est pourtant la conséquence d’une décision de justice rendue par une Cour suprême d’un État démocratique. Le film se clôt en octobre 2023. Les représailles annoncées par Netanyahou contre Gaza désinhibent la violence des colons israéliens qui n’hésitent pas à faire usage de la force contre les Bédouins de Masafer Yatta et assassinent le frère de Basel sous ses yeux. Cette violence est inacceptable. Mais on regrette que pas un mot ne soit dit de celle, tout aussi inadmissible, déployée par le Hamas dans ses attaques du 7 octobre.

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Les Reines du drame ☆☆☆☆

En 2055, Steevyshady (Bilal Hassani, le représentant drag de la France au concours Eurovision 2019) raconte la longue et toxique histoire d’amour qui, pendant un demi-siècle a réuni, Mimi Madamour (Luiza Aura), une jeune starlette révélée par un concours de chant télévisé, et Billie Kohler (Gia Ventura) une icône punk.

Les Reines du drame – un clin d’œil à l’expression Drama Queen – est un film qui sort de l’ordinaire. Il explore une veine queer et kitsch qui résonne avec notre époque gender fluid. Comédie musicale remplie de tubes disco sucrés comme des bonbons ou de singles punk acides, Les Reines du drame convoque Mylène Farmer, Britney Spears, Mariah Carey et Buffy contre les vampires. J’étais de loin le plus vieux spectateur dans la salle du Marais qui le projetait hier – et sans doute le plus hétérosexuel.

Les Reines du drame est à la fois un éloge de la liberté sexuelle et du droit d’assumer sa différence, et une critique ironique du star system et de ses dérives.

Ce cinéma-là, dont on ne sait s’il faut le prendre au premier ou au énième degré, est sans doute rafraichissant. Le problème est qu’il est très mauvais. Car il échoue à raconter une histoire, se contentant de nous présenter deux héroïnes et une relation amoureuse dont les tenants et les aboutissants nous sont par avance connus. Car il échoue à mettre en scène un récit, filmant chaque scène comme la précédente, sans temps mort ni changement de rythme, donnant très vite à cette accumulation de chansons (la palme allant à « Je t’ai fistée jusqu’au cœur », répété ad nauseam), de costumes kitsch une tournure répétitive et ennuyeuse alors qu’on en attendait tout le contraire.

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