Hiding Saddam Hussein ★★☆☆

En décembre 2003, Saddam Hussein, traqué par les 150.000 soldats américains de l’armée d’occupation, est débusqué dans un petit village de la vallée du Tigre. Les images de son arrestation font le tour du monde et suscitent un iconique « Ladies and Gentlemen, We Got Him! » de l’administrateur civil américain en Irak, Paul Bremer. Saddam Hussein sera jugé, condamné à mort et pendu en décembre 2006.
Pendant 235 jours, un modeste fermier l’avait caché. Il témoigne.

Le pitch de ce documentaire est bigrement alléchant. Comment diable Saddam Hussein s’est-il caché de la première armée du monde pendant près de huit mois ? Où s’est-il terré ? Sur quelle complicité comptait-il pour échapper à ses poursuivants ? La réponse est simple : il s’est fait passer pour un vieux paysan dans une ferme tranquille des bords du Tigre.

L’histoire est racontée fort simplement. Alaa Namiq est filmé face caméra. En habit traditionnel, dishdasha et kaffiyeh, assis à même le sol, il s’exprime d’une voix claire et nous tient en haleine pendant une heure et demie en racontant chacun des épisodes de cette histoire incroyable : l’arrivée du raïs, entouré de ses gardes du corps, la crainte révérencieuse qu’il inspire, son installation à la ferme, les visites épisodiques que lui rendent ses fils et son secrétaire particulier, la brutale descente des soldats américains qui, dûment renseignés, débusquent vite le fugitif. Pour donner plus de vie à ce récit, les scènes qu’il raconte sont rejouées par des acteurs.

Hiding Saddam Hussein insiste sur les liens pleins d’humanité qui se sont noués entre ce fermier et son invité pas comme les autres. Son affiche en témoigne qui le montre aidant Saddam à traverser à gué une rivière. Dans une autre scène du film, Alla Namiq raconte avoir donné son bain au raïs et se l’être fait donner par celui-ci en retour. Cette petite musique-là est touchante. Mais, à trop s’y laisser bercer, on risque d’oublier le dictateur sanguinaire qui n’hésita pas à exterminer sa propre population et qui l’entraîna dans deux conflits suicidaires.

La bande-annonce

Blitz ★☆☆☆

Londres en 1941 est victime des bombardements aériens de l’aviation allemande. Sa population se terre dans les abris sous-terrains. Ses enfants sont envoyés loin de la capitale. Mais le petit George, neuf ans, refuse d’être séparé de sa mère, Rita (Saoirse Ronan), qui l’élève seule. Il saute du train qui le conduit à la campagne et revient, à ses risques et périls, à Londres. Apprenant sa disparition, sa mère, folle d’inquiétude, part à sa recherche.

Blitz sera diffusé sur Apple TV à partir du 22 novembre. Mais, par dérogation à la chronologie des médias (qui interdit avant un certain délai, la diffusion par d’autres médias, des films sortis en salles) il a bénéficié en France d’un visa cinématographique temporaire de deux jours sur un nombre limité d’écran (2° de l’art. R. 211-45 du code du cinéma et de l’image animée). C’est ainsi que j’ai eu la chance de le voir dans une petite salle du Quartier latin dimanche dernier.

Je m’y suis précipité à cause de la renommée de son réalisateur qui a signé notamment Hunger, Shame ou Twelve Years a Slave, Oscar 2014 du meilleur film. J’y suis allé aussi à cause de Saoirse Ronan, dont je m’enorguillis de savoir prononcer le prénom [Ser-sha] et, plus sérieusement, dont j’aime tous les films. J’y suis allé enfin à cause du sujet du film, diablement cinématographique (Les Heures sombres, Hope and Glory…).

J’ai hélas été très déçu. Certes, on en prend plein les yeux – et on est bien content de pouvoir en profiter devant un grand écran plutôt que sur celui, étriqué, de son ordinateur. Mais ces quelques scènes grandioses, comme la première, d’un incendie dantesque, qui ouvre le film, sont la seule qualité d’une oeuvre très planplan au scénario cousu de fil blanc (1. George se perd 2. George retrouve son chemin) et à la morale convenue (le racisme, c’est mal et les marionettes sont en fait actionnées par des humains)

La bande-annonce

Gladiator II ★★☆☆

Dix-huit ans ont passé depuis la mort du gladiateur Maximus Decimus (Russell Crowe, en froid avec la production, dont on n’aura même pas droit à un cameo). Son fils Lucius (Paul Mescal) a fui en Numidie. Mais, défait par l’armée du général Acacius (Pedro Pascal), il est réduit en esclavage et ramené à Rome. Macrinus (Denzel Washington), qui complote contre l’empereur Caracalla, le repère et en fait son plus vaillant gladiateur.

Près d’un quart de siècle après avoir signé ce film d’anthologie, qui avait réhabilité un genre passé de mode, le péplum, et avait transformé Russell Crowe en star mondiale, Ridley Scott, 86 ans, remet le couvert. Quelques vétérans l’accompagnent : le même chef décorateur, la même costumière, le même directeur de la photographie… et Connie Nielsen dont la classe intemporelle et la parfaite francophonie ont illuminé l’avant-première VIP organisée dimanche soir au Pathé Palace boulevard des Capucines.

Le complexe de sept salles vient de rouvrir après sept ans de travaux. C’est le siège social et le cinéma de référence du groupe dirigé par Jérôme Seydoux. Les places y sont vendues 25 euros. Ce surcoût se justifie par un service de luxe : écran géant, son cristallin, sièges inclinables (et chauffants !) capitonnés en cuir, doubles accoudoirs, confiseries servies à la place dans un palace réaménagé par Renzo Piano dans un style Art déco. Le public sera-t-il au rendez-vous ? Acceptera-t-il de payer ce prix pour voir un film qu’il pourrait voir pour bien moins cher dans une salle de cinéma ordinaire – ou quelques mois plus tard sur une plateforme ? Considèrera-t-il que ce loisir là est bon marché si on compare son prix à celui d’une place au théâtre, au concert ou à l’opéra ?

Mais je m’égare. L’objet de cette critique est Gladiator II (en chiffres romains s’il vous plaît).

Autant le dire tout à trac : le spectateur en a pour son argent – surtout lorsqu’il n’a pas payé sa place, comme ce fut le cas pour mon fils et moi ! Gladiator II a coûté 250 millions de dollars. C’est l’un des films les plus chers de l’histoire du cinéma. Et cet argent se voit, dans les batailles épiques, dans les reconstitutions de Rome, dans les combats organisés au Colisée. Certains diront même qu’il se voit un peu trop. Bon public, incapable de retenir un Waouh! d’admiration devant, par exemple, le rhinocéros caparaçonné que Lucius doit combattre dans l’arène, je ne mégoterai pas.

Je me demande si Gladiator II est fidèle à l’histoire romaine. De ce que j’ai pu lire de la vie de Caracalla et de son successeur Macrin (interprété par Denzel Washington, cabotin à souhait), je comprends que le scénario s’est autorisé quelques libertés. Je serais curieux de savoir si les monuments, tels qu’on les voit dans quelques plans aériens bluffants, sont bien ceux qui existaient à l’époque.

Mais je m’égare encore une fois.
Mon problème est que je n’ai, tout bien réfléchi, pas grand’chose à dire de ce film. Tout le ramène à son écrasant prédécesseur. Et tout, dans la comparaison, tourne à son désavantage. La musique par exemple n’est jamais aussi majestueuse que quand elle reprend celle de Hans Zimmer. Le scénario semble n’avoir pas d’autre fonction que de fournir de molles transitions entre deux combats de gladiateurs. Ceux-ci sont condamnés à la surenchère : après une troupe de babouins enragés – pas très réussis -, le rhinocéros susmentionné, une bataille nautique avec des requins anachroniques, qu’inventer d’autre ?
Mais c’est avec le héros que le bât blesse le plus. Gladiator, c’était Russell Crowe, sa masculinité hypertestostéronée, sa carrure impressionnante. Paul Mescal ne lui arrive pas à la cheville. Au propre comme au figuré. Il a beau avoir fait des heures de salle, il n’a pas la carrure. Et pas le charisme non plus.

La bande-annonce

The Substance ★★★☆

Actrice jadis oscarisée, star sur le déclin, Elizabeth Sparkle (Demi Moore) anime une émission quotidienne d’aérobic sur une chaîne télévisée. Menacée de licenciement par son patron (Denis Quaid) le jour de son cinquantième anniversaire, Elizabeth reçoit une publicité pour une mystérieuse substance. Son injection lui redonnerait une nouvelle jeunesse. Mais une condition doit être respectée : tous les sept jours, l’ancienne et la nouvelle version de soi doivent permuter.

Faust, La Peau de chagrin, Dorian Gray… quels sacrifices sommes-nous prêts à consentir pour obtenir ce que nous désirons par-dessus tout ? Aujourd’hui, il s’agirait de l’éternelle jeunesse, d’une vision « plus jeune, plus belle, plus parfaite » de soi-même comme le promet la publicité de cette mystérieuse substance dont on ne saura pas d’où elle vient, combien elle coûte, qui la propose à Elizabeth ni dans quel but…. au point qu’on se demanderait presque si tout le film n’est pas qu’un cauchemar éveillé.

Coralie Fargeat n’avait tourné qu’un seul long, Revenge, un revenge porn movie sacrément efficace. Après ce premier film qui empruntait aux codes du film d’horreur, on aurait pu croire qu’elle serait revenue au cinéma mainstream avec ce film de studio, ses stars, sa sélection à Cannes. Mais, comme sa cadette en cinéma Julia Decourneau (Grave, Titane), Coralie Fargeot décide de creuser le sillon du body horror. Pour qui ne connaîtrait pas l’expression, une explication wikipédiesque est nécessaire : le body horror est un sous-genre du film d’horreur mettant en scène des mutations perturbantes du corps humain. David Cronenberg (Shivers, La Mouche…) est considéré comme le principal initiateur du genre ; mais on en trouve de nombreux exemples dans les anime japonais (Akira, Tetsuo…).

Des mutations perturbantes du corps humain, The Substance nous en réserve son lot. La première n’est pas la plus désagréable où l’on voit Demi Moore (née en 1962), qui ose le full frontal picture – elle avait déjà défrayé la chronique en couverture de Vanity Fair en 1991 – se muer en Margaret Quiley (née en 1994), peau de pêche, seins en pomme, fesses galbées…. Le cochon qui sommeille en chacun d’entre nous en prend plein les yeux avant de comprendre que le male gaze est le principal accusé de ce body horror féministe à la morale passablement rebattue : le culte narcissique de la beauté, le jeunisme, la lutte contre le vieillissement sont des impasses.

On aurait aimé que le film s’arrête vingt minutes plus tôt. Mais le scénario, qui a, contre toute raison, obtenu un prix à Cannes, en rajoute jusqu’à l’overdose. [attention spoiler] Alors que l’histoire aurait pu très efficacement s’arrêter avant l’ultime transformation d’Elizabeth/Sue, il nous sert une ultime séquence dont on devine par avance l’atrocité. La série B devient série Z suscitant au choix le dégoût ou l’éclat de rire avec une surenchère monstrueuse et sanguinolente (mon fils aîné, qui travaille dans le métier, me dit que plus une goutte de faux sang n’était disponible sur le marché dans les jours qui ont suivi le tournage).

Quel verdict ? j’ai beaucoup hésité. Je me serais spontanément limité à deux étoiles en raison des excès de ce film trop gore à mon goût. Mais cette note trop médiane n’aurait pas rendu justice à ce film hors normes, dont la photographie, la musique et les personnages perdus dans leurs addictions m’ont rappelé l’iconique Requiem for a Dream.

La bande-annonce

Here – Les plus belles années de notre vie ★★☆☆

Here relève un défi sacrément culotté : tourner tout un film sans jamais bouger la caméra. Un film qui ne raconterait pas une histoire censée se dérouler en deux heures, en une semaine, voire l’espace d’une vie, mais qui remonterait aux dinosaures, à leur extermination sous une pluie d’astéroïdes et à la naissance de l’humanité.

Robert Zemeckis est le petit frère de cinéma de Steven Spielberg. Son cadet de six ans, il a réalisé des films presque aussi populaires que lui : la trilogie Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit, Forrest Gump, Seul au monde…. Comme James Cameron, il a toujours été fasciné par les effets visuels et les nouvelles technologies : les trucages, la performance capture, la 3D numérique, l’utilisation de l’IA….

L’idée de Here lui est venue du roman graphique de Richard McGuire qui raconte l’histoire du monde de 3 500 000 000 av. J.C. jusqu’à l’an 22 175 depuis un point de vue fixe : l’angle d’un salon de Perth Amboy dans le New Jersey où l’auteur a grandi. Sacrée gageure  technologique et scénaristique que Robert Zemeckis relève haut la main grâce à deux procédés. Des inserts dans l’image qui permettent de passer avec beaucoup de fluidité d’une époque à l’autre, sans jamais égarer le spectateur. Des flashbacks et des flash forward qui rompent avec la plate chronologie des histoires qui aurait été vite ennuyeuse.

Si on l’analyse, on distingue six histoires dans Here. La première se déroule au temps des Amérindiens ; la seconde à l’Indépendance avec Benjamin Franklin pour héros ; la troisième au début du vingtième siècle avec un pionnier de l’aviation et son épouse, terrifiée par les risques qu’il prend (on reconnaît Michelle Dockery, personnage récurrent de Downton Abbey) ; la quatrième juste avant la seconde guerre mondiale chez un inventeur hédoniste. La dernière, la sixième, se déroule de nos jours, met en scène une famille afro-américaine (témoignage de l’évolution sociologique de la population américaine) et est marquée par la crise du Covid.

Le cinquième épisode est le plus long. Il constitue le cœur du film. On pourrait même se demander si Here n’aurait pas dû se focaliser sur lui. Il s’agit de l’histoire de Richard (Tom Hanks) de sa naissance , au lendemain de la Seconde guerre mondiale, quasiment jusqu’à sa mort. Son père, ancien combattant qui peine à se réacclimater à la vie civile, et sa mère (la rousse Kelly Reilly qui enflammait L’Auberge espagnole il y a près d’un quart de siècle) s’installent dans cette maison de banlieue où Richard va naître et grandir. Faute de moyens, Richard y passera sa vie avec sa femme (Robin Wright) et sa fille sans pouvoir jamais concrétiser ses rêves d’autonomie. Richard aurait aimé être peintre ; mais il devra se résoudre à vendre des assurances pour faire vivre sa famille.

Here a reçu un accueil critique très tiède. Il est sorti en catimini en France où il n’a fait l’objet d’aucune projection de presse. Ces réactions se comprennent : on peut trouver le film un peu long, une fois dissipée la curiosité suscitée par son parti pris culotté. On peut lui reprocher sa multiplicité d’histoires inégalement développées, seule celle de Richard, de ses parents et de Margaret étant réellement creusée. On peut aussi éprouver un malaise face aux effets spéciaux utilisés pour rajeunir outrancièrement Tom Hanks et Robin Wright. Pour autant, j’avoue avoir pris beaucoup de plaisir à ce film dont le scénario sans temps mort m’a tenu en haleine de bout en bout. Et j’ai trouvé la toute dernière scène particulièrement émouvante.

La bande-annonce

Trois amies ★★★☆

Joan (India Hair), Alice (Camille Cottin) et Rebecca sont lyonnaises. Joan et Alice enseignent en collège l’anglais et l’histoire respectivement. Dans l’attente d’un poste, Rebecca, professeure d’arts plastiques, est employée au musée gallo-romain de Fourvière. Joan vit avec Victor (Vincent Macaigne) mais elle n’est plus amoureuse de son conjoint et hésite à le lui dire. Alice lui oppose le modèle du couple qu’elle forme avec Eric (Grégoire Ludig) : un couple soudé mais sans amour. Rebecca entretient quant à elle une relation secrète avec un homme marié… qui s’avère être Eric lui-même.

On connaît Emmanuel Mouret depuis maintenant plus de vingt ans. Ce plus si jeune quinquagénaire signe ici son douzième long-métrage. Il jouait dans les premiers, des comédies souvent légères tournées sous le soleil provençal de sa ville natale, Marseille. Depuis Caprice (2015), il s’est effacé et son cinéma s’est fait plus grave. Trois amies prend le virage affiché de la tragédie avec la mort brutale de l’un de ses protagonistes – que la bande-annonce nous aura dévoilé – qui en devient le narrateur d’outre-tombe.

Trois amies ressemble aux deux derniers films d’Emmanuel Mouret : Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, Chronique d’une liaison passagère. Il enthousiasmera ceux qui les ont aimés et déplaira à ceux qui ne les ont pas goûtés. Et les autres qui ne les ont pas vus ? je les incite sincèrement à s’y frotter. Il leur faudra peut-être un petit moment acclimatation pour s’habituer aux tics de son cinéma : les dialogues mal écrits rendent aux acteurs la tâche bien ardue.
Grégoire Ludig ne s’en sort pas. Camille Cottin n’y est pas à l’aise : elle qui fut si lumineuse dans ses derniers films brille ici par son absence et sa fadeur. Je ne sais que penser d’India Hair, qu’on croyait condamnée aux seconds rôles et à laquelle Emmanuel Mouret offre la tête d’affiche. En revanche, j’ai été enthousiasmé par Sara Forestier qu’on n’avait plus vue depuis bien longtemps et dont on réalise combien elle nous avait manqué. J’ai adoré son rôle et la profondeur qu’elle lui donne.

Le scénario de Trois amies est d’une étonnante densité pour un film qui ne dépasse pas deux heures. Ce marivaudage étonnant contient bien des rebondissements sans lesquels l’attention du spectateur se serait peut-être lassée. Ce scénario nous fait voyager sur la carte de Tendre et contient jusqu’à son tout dernier plan une surprise qui pimente un happy end qui, sans elle, aurait été trop convenu.

La bande-annonce

Au boulot ! ★★☆☆

François Ruffin et Gilles Perret sont de retour. Après Merci Patron !, réalisé par le seul premier (César du meilleur documentaire 2017 et succès-surprise au box office avec 5000.000 entrées), le sympathique duo avait signé ensemble J’veux du soleil !, road movie à travers la France des Gilets jaunes, et Debout les femmes !, enquête documentée sur les emplois du lien.

J’avais mis trois étoiles à chacun de ces films, diablement efficaces, drôles et politiques. Pourquoi deux seulement à celui-ci qui en réutilise avec autant d’efficacité les mêmes recettes ? Parce que le procédé qui sent un peu le réchauffé a perdu de son authenticité.

Merci Patron !, J’veux du soleil !, Debout les femmes ! et Au boulot ! partagent bien des points communs. Commençons par les plus anecdotiques. Leurs titres claquent, en forme de slogans, ponctués d’un emphatique point d’exclamation. Le même dessinateur, Thibaut Soulcié, en signe les affiches. François Ruffin en est le héros récurrent et sympathique, sorte de Tintin de la France périphérique. À vingt-trois ans à peine, il fonde à Amiens en 1999 un trimestriel satirique Fakir. En 2017, grâce notamment à la notoriété que lui a apportée le succès de Merci Patron !, il fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale. Il incarne désormais à la gauche de la gauche, une alternative au mélenchonisme qu’il accuse d’avoir trahi les classes populaires.

Au boulot ! utilise la même recette que Merci Patron ! : personnifier un sujet. Dans Merci Patron ! c’était Bernard Arnault qui personnifiait le capitalisme honni ; dans Au boulot ! les deux co-réalisateurs ont dégotté une personnalité tellement caricaturale qu’on pourrait douter de sa réalité : la trentaine fashionista, blonde jusqu’au bout des ongles, impeccablement manucurés, Sarah Saldmann est une avocate et une chroniqueuse qui a acquis une petite célébrité par ses sorties fracassantes sur les plateaux TV où elle fustige sans filtre, comme Laurent Wauquiez l’avait fait en son temps, l’assistanat. La prenant au mot, François Ruffin la défie de passer une semaine dans la peau d’un smicard. Contre toute attente, Sarah Saldmann accepte le défi et s’embarque avec son cornac dans un Tour de France des working poor : à Lyon avec un livreur soumis à des cadences infernales, à Boulogne-sur-Mer, dans une usine de conditionnement des produits de la pêche, à  Amiens dans un restaurant, à Saint-Etienne auprès d’une aide à domicile, à Abbeville dans une antenne du Secours populaire….

Le procédé rappelle celui utilisé dans Debout les femmes ! : François Ruffin y racontait la mission parlementaire sur les métiers du lien qu’il avait effectuée en binôme avec Bruno Bonnell, un député macroniste, ancien chef d’entreprise, chantre d’un capitalisme et d’un esprit d’entreprise contre lesquels Ruffin s’est toujours battu. La bande-annonce de Au boulot ! liste les situations inattendues que cette conjugaison des contraires fait naître. La précieuse ridicule, la « Cruella BCBG » se retrouve dans un environnement qu’elle ne connaissait pas, y découvre la dure réalité des prétendus « assistés » qu’elle accusait sans les connaître et, sans surprise, voit ses préjugés voler en éclats. Une dispute hors caméra, dont on se demande d’ailleurs si elle n’a pas compromis la sortie du film, le prive néanmoins du happy end escompté, Ruffin & Perret lui substituant un happening franchement raté.

Ruffin & Perret savent y faire. Leur documentaire est diablement efficace. Quiconque a fustigé sans en rien connaître la « culture de l’assistanat » ne s’y reprendra pas après l’avoir vu. Pour autant, même si on se trouve mesquin d’y trouver à redire, la générosité affichée de leur démarche cache une part de rouerie qui suscite des réserves.

La bande-annonce