Trois amies ★★★☆

Joan (India Hair), Alice (Camille Cottin) et Rebecca sont lyonnaises. Joan et Alice enseignent en collège l’anglais et l’histoire respectivement. Dans l’attente d’un poste, Rebecca, professeure d’arts plastiques, est employée au musée gallo-romain de Fourvière. Joan vit avec Victor (Vincent Macaigne) mais elle n’est plus amoureuse de son conjoint et hésite à le lui dire. Alice lui oppose le modèle du couple qu’elle forme avec Eric (Grégoire Ludig) : un couple soudé mais sans amour. Rebecca entretient quant à elle une relation secrète avec un homme marié… qui s’avère être Eric lui-même.

On connaît Emmanuel Mouret depuis maintenant plus de vingt ans. Ce plus si jeune quinquagénaire signe ici son douzième long-métrage. Il jouait dans les premiers, des comédies souvent légères tournées sous le soleil provençal de sa ville natale, Marseille. Depuis Caprice (2015), il s’est effacé et son cinéma s’est fait plus grave. Trois amies prend le virage affiché de la tragédie avec la mort brutale de l’un de ses protagonistes – que la bande-annonce nous aura dévoilé – qui en devient le narrateur d’outre-tombe.

Trois amies ressemble aux deux derniers films d’Emmanuel Mouret : Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, Chronique d’une liaison passagère. Il enthousiasmera ceux qui les ont aimés et déplaira à ceux qui ne les ont pas goûtés. Et les autres qui ne les ont pas vus ? je les incite sincèrement à s’y frotter. Il leur faudra peut-être un petit moment acclimatation pour s’habituer aux tics de son cinéma : les dialogues mal écrits rendent aux acteurs la tâche bien ardue.
Grégoire Ludig ne s’en sort pas. Camille Cottin n’y est pas à l’aise : elle qui fut si lumineuse dans ses derniers films brille ici par son absence et sa fadeur. Je ne sais que penser d’India Hair, qu’on croyait condamnée aux seconds rôles et à laquelle Emmanuel Mouret offre la tête d’affiche. En revanche, j’ai été enthousiasmé par Sara Forestier qu’on n’avait plus vue depuis bien longtemps et dont on réalise combien elle nous avait manqué. J’ai adoré son rôle et la profondeur qu’elle lui donne.

Le scénario de Trois amies est d’une étonnante densité pour un film qui ne dépasse pas deux heures. Ce marivaudage étonnant contient bien des rebondissements sans lesquels l’attention du spectateur se serait peut-être lassée. Ce scénario nous fait voyager sur la carte de Tendre et contient jusqu’à son tout dernier plan une surprise qui pimente un happy end qui, sans elle, aurait été trop convenu.

La bande-annonce

Au boulot ! ★★☆☆

François Ruffin et Gilles Perret sont de retour. Après Merci Patron !, réalisé par le seul premier (César du meilleur documentaire 2017 et succès-surprise au box office avec 5000.000 entrées), le sympathique duo avait signé ensemble J’veux du soleil !, road movie à travers la France des Gilets jaunes, et Debout les femmes !, enquête documentée sur les emplois du lien.

J’avais mis trois étoiles à chacun de ces films, diablement efficaces, drôles et politiques. Pourquoi deux seulement à celui-ci qui en réutilise avec autant d’efficacité les mêmes recettes ? Parce que le procédé qui sent un peu le réchauffé a perdu de son authenticité.

Merci Patron !, J’veux du soleil !, Debout les femmes ! et Au boulot ! partagent bien des points communs. Commençons par les plus anecdotiques. Leurs titres claquent, en forme de slogans, ponctués d’un emphatique point d’exclamation. Le même dessinateur, Thibaut Soulcié, en signe les affiches. François Ruffin en est le héros récurrent et sympathique, sorte de Tintin de la France périphérique. À vingt-trois ans à peine, il fonde à Amiens en 1999 un trimestriel satirique Fakir. En 2017, grâce notamment à la notoriété que lui a apportée le succès de Merci Patron !, il fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale. Il incarne désormais à la gauche de la gauche, une alternative au mélenchonisme qu’il accuse d’avoir trahi les classes populaires.

Au boulot ! utilise la même recette que Merci Patron ! : personnifier un sujet. Dans Merci Patron ! c’était Bernard Arnault qui personnifiait le capitalisme honni ; dans Au boulot ! les deux co-réalisateurs ont dégotté une personnalité tellement caricaturale qu’on pourrait douter de sa réalité : la trentaine fashionista, blonde jusqu’au bout des ongles, impeccablement manucurés, Sarah Saldmann est une avocate et une chroniqueuse qui a acquis une petite célébrité par ses sorties fracassantes sur les plateaux TV où elle fustige sans filtre, comme Laurent Wauquiez l’avait fait en son temps, l’assistanat. La prenant au mot, François Ruffin la défie de passer une semaine dans la peau d’un smicard. Contre toute attente, Sarah Saldmann accepte le défi et s’embarque avec son cornac dans un Tour de France des working poor : à Lyon avec un livreur soumis à des cadences infernales, à Boulogne-sur-Mer, dans une usine de conditionnement des produits de la pêche, à  Amiens dans un restaurant, à Saint-Etienne auprès d’une aide à domicile, à Abbeville dans une antenne du Secours populaire….

Le procédé rappelle celui utilisé dans Debout les femmes ! : François Ruffin y racontait la mission parlementaire sur les métiers du lien qu’il avait effectuée en binôme avec Bruno Bonnell, un député macroniste, ancien chef d’entreprise, chantre d’un capitalisme et d’un esprit d’entreprise contre lesquels Ruffin s’est toujours battu. La bande-annonce de Au boulot ! liste les situations inattendues que cette conjugaison des contraires fait naître. La précieuse ridicule, la « Cruella BCBG » se retrouve dans un environnement qu’elle ne connaissait pas, y découvre la dure réalité des prétendus « assistés » qu’elle accusait sans les connaître et, sans surprise, voit ses préjugés voler en éclats. Une dispute hors caméra, dont on se demande d’ailleurs si elle n’a pas compromis la sortie du film, le prive néanmoins du happy end escompté, Ruffin & Perret lui substituant un happening franchement raté.

Ruffin & Perret savent y faire. Leur documentaire est diablement efficace. Quiconque a fustigé sans en rien connaître la « culture de l’assistanat » ne s’y reprendra pas après l’avoir vu. Pour autant, même si on se trouve mesquin d’y trouver à redire, la générosité affichée de leur démarche cache une part de rouerie qui suscite des réserves.

La bande-annonce