Barbès, little Algérie ★☆☆☆

Algérien immigré de longue date à Paris, Malek (Sofiane Zermani (rappeur freestyle connu sous son nom de scène Sofiane ou Fianso) emménage à Barbès en plein Covid, dans l’attente de la réouverture imminente de sa petite entreprise de service informatique dans le 12ème. C’est le moment que choisit son neveu Riyad pour débarquer à Paris et s’installer chez lui.

Barbès Little Algérie est le premier film de Hassan Guerrar, un attaché de presse bien connu dans le monde du cinéma. On imagine volontiers la part de lui-même qu’il a mise dans le personnage de Malek, déchiré entre ses deux cultures, désormais enraciné en France où il a fait sa vie, mais une part du cœur restée en Algérie où il n’a pas soldé son lourd passé familial.

Hassan Guerra choisit de filmer un Barbès décadré, loin des clichés qu’il charrie souvent. Certes, la première séquence est filmée au pied du métro aérien, lieu de tous les trafics. Mais les suivants se déroulent devant l’église Saint-Bernard où Malek rejoint les volontaires qui se chargent de distribuer des biens de première nécessité aux indigents. On ne verra pas de rues bondées, d’appartements insalubres ou de prières publiques – la religion est étonnamment absente du film, sinon qu’il se déroule en partie durant le ramadan et est rythmé par ses ruptures – mais au contraire des espaces calmes, estivaux, presque méditerranéens.

Comme souvent les premiers films, surtout s’ils sont en partie autobiographiques, Barbès, Little Algérie veut trop en raconter. Il met en scène, façon comédie italienne, les amitiés chaleureuses que Malek noue, avec des amis du bled (Khaled Benaïssa et Adila Bendimerad ont un sacré abattage dans deux rôles forts en gueule) avec une voisine attirante (on reconnaît Eye Haïdara), avec la responsable des bénévoles de l’église Saint-Bernard (Clotilde Courau décidément abonnée aux rôles de dames patronnesses). Il laisse planer le suspense du dévoilement de lointains secrets de famille. Il prend brutalement la bifurcation d’un drame antique.

Barbès, Little Algérie n’est pas un film déplaisant. Au contraire. On ne saurait remettre en doute la sincérité de son réalisateur. Mais c’est un film sans relief, pénalisé par la médiocre prestation de son interprète principal, certes séduisant mais décidément piètre acteur. Il ne m’aura laissé aucune trace.

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The Outrun ★☆☆☆

Rona a bientôt trente ans. Elle est alcoolique. Son addiction a lentement gangréné sa vie professionnelle et personnelle, poussant à bout son compagnon Daynin, acculé à la rupture. En dernier ressort, Rona décide de quitter Londres et de rentrer chez elle, dans les îles Orcades, à l’extrême nord de l’Ecosse. Elle devra y solder ses traumas infantiles et y trouvera peut-être le chemin de la rédemption.

Adapté du roman autobiographique à succès de Amy Liptrot, qui a raconté son retour sur l’île minuscule de Papay dans l’archipel des Orcades, sa cure de désintoxication et son travail pour la société royale de protection des oiseaux (RSPB), The Outrun (le titre du film n’a pas été traduit alors que le livre éponyme a été publié en France sous celui de L’Ecart) repose sur les épaules de Saoirse Ronan. La bankable actrice irlandaise (Reviens-moi, Brooklyn, Lady Bird…) a acheté les droits du roman, produit son adaptation, choisi elle-même la réalisatrice allemande Nora Fingscheid, révélée par l’étonnant Benni, et annexé le rôle principal.

L’histoire compte deux volets nettement distincts : Londres, les nuits de plus en plus alcoolisées de Rona, les black out de plus en plus nombreux ; les Orcades, ses paysages sauvages, le sevrage, les rechutes et la lente désintoxication. Pour éviter une construction trop binaire, le scénario mélange les temporalités, montrant alternativement Rona ici ou là, avant ou après, au point parfois d’égarer le spectateur dans une chronologie confuse, la couleur de ses cheveux constituant un repère trop fragile.

Certes The Outrun bénéficie de l’impressionnant charisme de Saoirse Ronan. Mais l’histoire que ce film raconte, à l’issue sans surprise, a si souvent été filmée (on pense à Nos vies formidables, à My Beautiful Boy et à Ben is Back mais on pense plus encore à trois films français extraordinairement réussis : La Prière (2018), La fête est finie (2017) et Le Dernier pour la route (2009)) qu’elle peine à susciter le moindre intérêt.

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Maya, donne-moi un titre ★☆☆☆

Séparé de sa fille Maya par l’Atlantique et le confinement, Michel Gondry a longtemps communiqué avec elle via Internet. Elle lui donnait le titre d’une histoire qui la mettait en scène (« Maya prend son bain », Maya et le hamac »…) ; il lui bricolait en retour, avec des feuilles de dessin, de la colle et des ciseaux, des dessins animés filmés en stop motion, image après image.

Michel Gondry est génial. La chose est entendue. Avec des riens, il fabrique des mondes oniriques, ludiques, drolatiques, fantasmagoriques… On le sait depuis que ce fils de pub est passé derrière la caméra au début des années 2000 faisant avec Eternal Sunshine of a Spotless Mind une entrée fracassante à Hollywood. Mais ce créateur hors normes a refusé de se fondre dans la norme et de devenir, comme tant d’autres expatriés hollywoodiens un exécutant anonyme à la solde des majors.

À soixante ans passés, il continue à revendiquer le droit à l’originalité, à un cinéma artisanal, à un bricolage talentueux. Ses derniers films, tournés en France, en portaient la trace : L’Ecume des Jours, Microbe et Gasoil, Le Livre des solutions (avec Pierre Niney qui prête sa voix à Maya…)…

Le problème est qu’aussi rafraichissant son cinéma soit-il, aussi irrésistibles ses trouvailles soient-elles, elles le sont de moins en moins. On a un peu l’impression que Michel Gondry a tiré sur la corde, qu’il a remisé ses fonds de tiroir, qu’il a utilisé des matériaux qui n’avaient pas vocation à être rendus publics pour en faire un film – et payer ses impôts.

Certes, Maya, donne-moi un titre sonne comme une touchante déclaration d’amour d’un père à sa fille. On imagine aisément l’émotion de cette enfant quand elle reverra ce film dans quelques années. On peut certes l’envier d’avoir un père aussi aimant et aussi créatif. Mais, on est un peu gêné d’être invité à ce qui aurait dû rester dans le cénacle familial.

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Niki ★☆☆☆

Fille d’un père français descendant d’une longue lignée aristocratique et d’une mère américaine, Catherine dite Niki de Saint-Phalle (Charlotte Le Bon) naît en 1930 à Neuilly-sur-Seine, grandit aux Etats-Unis, s’y marie à Harry Matthews (John Robinson), un poète, revient s’installer en France, avec son mari et sa fille Laura née en 1951, et y travaille comme mannequin. Elle traverse en 1953 un grave épisode dépressif, est internée dans un asile psychiatre et retrouve son équilibre mental grâce à la pratique de l’art. Bientôt séparée de son époux, elle s’installe à Paris dans une colonie d’artistes impasse Ronsin dans le 15ème arrondissement. Elle y rencontre Jean Tinguely (Damien Bonnard) et y monte ses premières performances qui la rendront bientôt célèbre.

Le pitch que je viens d’écrire ressemble-t-il à une notice Wikipédia ? La faute à la forme très classique de ce biopic qui raconte entre 1950 et 1960 les dix années de formation de Niki Matthews, qui reprendra son nom de jeune fille après son divorce.

Sa réalisatrice est bien connue. Il s’agit de Céline Sallette, qui signe son tout premier film, après une quarantaine de films devant la caméra, au cinéma (L’Apollonide, Rouge, Mais vous êtes fous…) ou à la télévision (L’École du pouvoir, Vernon Subutex), et de nombreuses prestations théâtrales. Il a été présenté à Cannes dans la section Un certain regard, mais en est reparti bredouille.

Il est certes sublimé par l’interprétation impeccable de Charlotte Le Bon dont la beauté frêle, la fragilité gracile, les yeux immenses dans le visage en triangle font merveille. Mais cette qualité mise à part, Niki est bien fade. Il souffre d’un handicap rédhibitoire : la production n’a pas obtenu les droits de montrer l’œuvre de Niki de Sainte-Phalle dont nous ne verrons rien sinon l’effet qu’elle produit sur les personnages qui la contemplent.

Sorti la même semaine que Lee Miller, Niki lui ressemble caricaturalement : le même genre, le biopic, quasiment la même époque et les mêmes décors (la première scène de Lee Miller, sur les bords de la Méditerranée, aurait pu être glissée à l’identique dans Niki), la même héroïne féminine en butte au patriarcat de l’époque qui parvient non sans mal à s’affirmer grâce à son art.
Comme Lee Miller, Niki de Saint-Phalle a été violée par son père dans son enfance et a porté toute sa vie  durant ce lourd secret avant d’en faire l’aveu tardif. Ce viol l’a durablement traumatisée – comme il avait traumatisé la photographe américaine. Mais on a l’impression désagréable que l’évocation parfois complaisante de ces agressions sexuelles est devenue le passage obligé de toute biographie qui se respecte. Comme si  c’était devenue une condition nécessaire sinon suffisante à la reconnaissance du statut d’artiste et à la réalisation d’un biopic.

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La Sirène à barbe ★☆☆☆

La Sirène à barbe est le nom d’un cabaret dieppois. C’est désormais le titre du film que lui consacre Nicolas Bellechombre assisté à la réalisation par Arthur Delamotte et au scénario par Shimon Urier.

Le parti pris est celui de la fiction qui prend pour héros Erwan, un jeune Dieppois qui ose un jour franchir le seuil du cabaret et va y découvrir l’amour. Nicolas Bellechombre se revendique en effet du « cinéma du réel ». Peut-être la voie plus balisée du documentaire aurait-elle mieux convenu pour nous faire découvrir cette troupe attachante, les circonstances de sa constitution, les difficultés quotidiennes auxquelles elle doit faire face pour faire vivre cette minuscule salle de spectacles perdue dans ce petit port de pêche normand dont la quiétude est rythmée par les arrivées et les départs du ferry pour la lointaine Angleterre. C’est à Brighton d’ailleurs, où la troupe a été invitée à se présenter, que le film se terminera.

La troupe s’est retrouvée à Paris pour présenter son film au Saint-André des Arts mercredi 2 octobre. Sa joie de vivre faisait plaisir à voir. On était un peu triste pour elle du public clairsemé venu assister à ce débat et hésitant à lui poser les questions qu’elle attendait avec impatience.

La vérité hélas oblige à dire que La Sirène à barbe n’est pas un grand film. Même si l’image en est soignée, le scénario, proche du roman-photo, est à la peine ; et le jeu des acteurs, pour la plupart amateurs, aussi engagés soient-ils, par trop hésitant. Certes La Sirène à Barbe a le mérite de nous entraîner dans l’univers fascinant du cabaret, du travestissement. Mais d’autres films, d’autres documentaires avaient déjà raconté quasiment la même histoire : Les Reines de la nuit, Parole de King, Des Garçons de province, Last Dance

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Libres ☆☆☆☆

Libres est un reportage mené dans douze monastères espagnols auprès de leurs locataires, des moines ou des moniales qui ont choisi de se couper du monde pour se rapprocher de Dieu.

La réclusion monacale est un sujet qui me fascine. J’ai gardé un souvenir envoûtant du Grand silence de Philip Gröning, un documentaire de 2h42 sur les moines de la Grande Chartreuse, sorti en 2005. Je n’avais pas raté  en 2017 Silentium, sur les sœurs bénédictines de Habstahl dans le Jura souabe.

J’aurais pourtant dû me méfier de Libres. Son affiche, qui louche vers les publicités pour parfum masculin de luxe, aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Ses producteurs, la très conservatrice société Saje et une fondation finançant les communautés monastiques, aussi.

Libres est peut-être l’un des plus mauvais documentaires que j’aie jamais vus. J’ai bien failli quitter la salle avant la fin de la séance. Et, si j’y suis resté, c’est pour pouvoir fielleusement accumuler les multiples éléments à charge que je m’apprête à lister dans cette rageuse critique.

Le premier tient à la forme. Libres ressemble à son affiche. Il filme les couvents dans leur écrin naturel, verte campagne, sauvage littoral, sublime coucher de soleil, avec d’interminables panoramiques aériens. Libres est lesté d’une insupportable musique façon Vangelis dans 1492, alors qu’il aurait pu être accompagné de tant de joyaux de la musique sacrée. Il a l’esthétique d’une longue publicité. Publicité qui, par sa forme ressemble à celle, sur papier glacé, pour un produit de luxe. Publicité qu’on croirait commandée par l’Office de tourisme de la Castille ou des Asturies pour vanter la beauté des paysages de ces régions.

Libres filme douze monastères catholiques. Il n’est pas venu à l’idée du réalisateur d’élargir son spectre à d’autres religions. Libres filme douze monastères du nord-ouest de l’Espagne. Pas plus ne lui est-il venu à l’esprit de quitter le périmètre géographique confiné où il s’est cantonné pour sortir de son pays ou même de sa région.

Le carton qui ouvre ce documentaire nous promet de nous faire pénétrer dans des lieux où aucune caméra n’était jamais allée. Mensonges ! Avec une rare banalité, Libres ne franchit pas les limites du parloir et enchaîne les interviews face caméra posant à une douzaine de moines ou de moniales les mêmes questions convenues. On n’apprendra rien des monastères où Libres a été tourné, de leur construction, de leur histoire, des règles qui les régissent (il faut être attentif pour deviner que certains sont bénédictins, d’autres franciscains).

Libres est divisé en trois chapitres, dont les titres sont inspirés d’un verset de l’Evangile selon Saint-Jean : le Chemin, la Vérité, la Vie. Les témoignages recueillis sont interchangeables et répétitifs : la réclusion monacale serait le meilleur moyen d’accéder à Dieu et d’entrer au Paradis. Rien n’est dit des obstacles sur ce chemin, de l’acédie, des relations aigres avec ses compagnons de prière, de la solitude… Ces hommes et ces femmes, dont on ne saurait mettre en doute la sincérité de la foi, semblent étonnamment autocentrés, donnant de l’Evangile et du message qu’il porte, une image bien peu altruiste.

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Un Amor ★★★☆

Nat a décidé de tout quitter. Elle ne supporte plus son travail d’interprète à l’OAR et les récits traumatisants des demandeurs d’asile. Elle se réfugie dans un minuscule village de la Rioja dans le nord de l’Espagne. Elle y loue à un propriétaire sans scrupule une bâtisse en ruines dont le toit prend l’eau. Ses voisins lui portent une attention mielleuse aux relents troubles. L’un d’entre eux, Andreas, lui met entre les mains un marché.

Isabel Coixet en a marre d’être sans cesse renvoyée à ses premiers films. Cette réalisatrice catalane, aujourd’hui âgée de 64 ans, a eu le tort de signer au début des années 2000 deux bijoux : Ma vie sans moi (2003), où Sarah Polley interprète le rôle d’une jeune mère qui choisit de ne pas dire à sa famille qu’elle souffre d’un cancer incurable, m’avait arraché des sanglots ; The Secret Life of Words (2005), qui met face à face sur une plate-forme pétrolière une infirmière malentendante et un homme rendu aveugle par un grave accident, était poignant. Cette autodidacte volcanique, à l’humour décapant, a touché à tous les genres : la publicité, les clips, les séries, les courts et les longs métrages, pas toujours distribués en France.

Présenté au festival international de San Sebastian en septembre 2023, sorti dans la foulée dans les salles espagnoles, sept fois nominé aux Goyas, Un Amor a mis près d’un an à traverser les Pyrénées. Une salle pleine à craquer des amis, nombreux, de la réalisatrice et de son conjoint, l’avocat des droits de l’homme Reed Brody, l’a chaleureusement applaudi lors de sa projection en avant-première au Grand Action lundi dernier.

Isabel nous avait prévenus avant la projection : « le film gratte ». Le fameux marché qu’Andreas met entre les mains de Nat, et dont on dira rien pour ne pas le divulgâcher, est sacrément surprenant, pour ne pas dire qu’il manque de crédibilité. Un Amor évoque irrésistiblement As Bestas, les paysages pluvieux du nord de l’Espagne, la dureté des relations de voisinage qui règnent entre les néo-ruraux, venus y chercher un second départ, et les habitants du cru. L’interprétation de Hovak Keuchkerian, un ancien boxeur, champion d’Espagne poids lourds, à la stature de colosse et aux poignes de bûcheron, m’a rappelé Denis Ménochet, Gregory Gadebois ou Raphaël Thiery dans L’Homme d’argile. La sensualité animale du film évoque enfin celle de L’Amant de Lady Chatterley.

Loin de crouler sous toutes ces références écrasantes, Un Amor trouve sa voie bien à lui. Il le doit à l’interprétation fiévreuse de Laia Costa. La jeune actrice espagnole crevait l’écran dans Victoria, le film berlinois tourné en un seul plan-séquence. Un Amor repose tout entier sur ses (pas si) frêles épaules. C’est à travers ses yeux qu’on découvre ce bout du monde reculé. C’est à travers les errances de son désir qu’on l’accompagne jusqu’à la séquence libératrice finale.

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The Apprentice ★★☆☆

Comme son titre, emprunté à l’émission de téléréalité diffusée sur NBC en 2004, l’annonce, The Apprentice raconte les années de formation de Donald J Trump dans les décennies 70 et 80, sous la houlette de Roy Cohn (1927-1986), un avocat sans scrupules, venu de la droite républicaine (il fut le conseiller juridique de McCarthy et le procureur général qui envoya à la chaise électrique les époux Rosenberg).

Les Etats-Unis sont décidément un pays fascinant. Comment un tel film, sans concession pour son ancien (et futur ?) président, a-t-il pu s’écrire, se financer, se tourner, être distribué sans en être empêché par une armée d’avocats ? Si Kamala Harris avait besoin d’un clip de campagne, certes un peu long, The Apprentice en serait un tout trouvé.

À force de voir le septuagénaire, on avait oublié que Donal Trump, né en 1946, avait été jeune. Dans les années 70, il marche encore sur les traces de son père, un magnat de l’immobilier. Écrasé par la figure paternelle, il trouve en Roy Cohn une figure paternelle de substitution, qui l’introduit au gotha new yorkais et le sort de quelques mauvais pas. C’est auprès de lui qu’il se forge un mental de tueur, un cynisme à toute épreuve et une idéologie simpliste : le monde est composé de deux catégories d’individus, les winners et les losers.

The Apprentice ne reconnaît au futur 45ème président des Etats-Unis aucune circonstance atténuante. Donald Trump ne montre aucune compassion pour son frère aîné, qui mourra alcoolique en 1981. C’est un prédateur sexuel qui jette son dévolu sur une mannequin tchécoslovaque, Ivana Zelníčková, qui lui fera trois enfants avant d’être copieusement trompée et répudiée. C’est surtout un homme d’affaires sans scrupules à l’ego étourdissant. The Apprentice ne lui épargne rien, qui stigmatise son obésité, sa calvitie.

Le film est servi par l’interprétation impressionnante de ses deux héros. Sebastian Stan pousse la ressemblance avec son personnage à un point inouï. Mais Jeremy Strong n’est pas loin de lui voler la vedette dans le rôle, vénéneux à souhait, de Roy Cohn, tour à tour sublimement maléfique et pathétiquement pitoyable.

The Apprentice est remarquablement écrit. Son scénario, qui revisite l’histoire américaine des décennies 70 et 80, la chute de Nixon, la quasi-faillite de la ville de New York, les années disco et Sida, est mené à un rythme d’enfer. The Apprentice n’a qu’un seul défaut : son héros est tellement détestable qu’un film qui lui est tout entier consacré n’est franchement pas agréable à voir.

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Lee Miller ★☆☆☆

Née aux Etats-Uni en 1907, Lee Miller émigre très jeune à Paris où elle fait la une de Vogue, devient la muse de Man Ray et sa maîtresse, participe au mouvement surréaliste. La Seconde Guerre mondiale la trouve à Londres où elle est devenue reporter pour Vogue. À la Libération elle est missionnée sur le continent. Elle accompagnera l’avancée des armées américaines en compagnie de David Sherman, photographe pour Life. Elle y prendra des clichés passés à la postérité.

Il y avait de quoi saliver à l’annonce de ce biopic mettant en scène l’une des plus célèbres photographes de guerre du siècle dernier interprétée par Kate Winslet, l’une des plus fameuses actrices du siècle présent. Sa réplique du tac au tac à la question sexiste que lui a posée Pierre Lescure la semaine dernière pendant la promotion du film lui a procuré une publicité supplémentaire.

La déception hélas est à la hauteur de l’attente suscitée. Malgré la débauche de moyens et d’effets spéciaux, Lee (Lee Miller dans sa version française) ne parvient pas à se hisser au-dessus du lot. La faute à un scénario qui, pour la millionième fois, recourt au flashback, mettant en scène l’héroïne au crépuscule de sa vie répondant aux questions du journaliste (Josh O’Connor) venu l’interviewer. La faute aux approximations d’une superproduction hollywoodienne qui horripile le spectateur français : un stagiaire de troisième n’aurait-il pas pu vérifier sur Google Maps que Mougins n’est pas une commune balnéaire ou qu’il est douteux qu’un panneau de signalisation à la frontière franco-allemande indique la destination de Leipzig ? La faute à une histoire qui coche un peu trop scrupuleusement les étapes de son reportage : la prise de Saint-Malo par la 83ème division aéroportée sous le napalm américain, l’ouverture des camps de la mort et bien sûr cette photo iconique prise dans la baignoire d’Hitler à Munich.

La faute surtout selon moi – mais j’ai conscience de m’aventurer sur un terrain dangereux – à un parti pris féministe qui, avant de considérer Lee Miller comme une photographe la considère comme une femme. Une femme en butte au sexisme ordinaire qui prévalait dans les années quarante et qui prévalait de plus fort dans les rangs de l’armée. Une femme qui sait se jouer de tous les obstacles à force d’intelligence, d’humour, d’aplomb ou d’entêtement. Une femme traumatisée dans sa petite enfance et qui en fait la confession au moment le plus incongru du film, comme si le scénariste avait été contraint de placer ce passage obligé quelque part et n’importe où.

On me dira que Lee Miller est le portrait d’une « femme puissante » – l’expression est à la mode – interprétée par une des actrices les plus représentatives de cet empowerment. Ce n’est pas faux. Mais je regrette que son biopic à l’êre #MeToo se réduise à la liste des obstacles qu’elle a dû franchir pour être reconnue. Comme l’avait montré l’excellent livre de Marc Lambron, L’Œil du silence (Flammarion, 1983), la principale qualité de Lee Miller, la raison pour laquelle elle est entrée dans la légende n’était pas son sexe, mais ses photos. Et on regrettera qu’il faille attendre le générique de fin pour les voir.

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L’Histoire de Souleymane ★★★☆

Souleymane Bagaré a fui la Guinée à la recherche d’une vie meilleure pour lui et pour sa mère malade laissée au pays. Il a traversé le Sahara, la Méditerranée et a rejoint la France. À Paris, il tire le diable par la queue, dort au 115, sillonne la ville à vélo pour y livrer des repas, alors que son statut de demandeur d’asile lui interdit de travailler. Il comparaît dans deux jours à l’Ofpra qui statuera sur sa demande de titre. Son dossier est fragile : faute d’avoir lui-même subi des persécutions, Souleymane s’est procuré  auprès d’un compatriote moyennant finances un récit apocryphe qu’il peine à mémoriser.

L’Histoire de Souleymane nous vient de Cannes où il a obtenu le prix du jury et où Abou Sangaré a remporté le prix du meilleur acteur, alors même qu’il était sous le coup d’une OQTF. C’est le troisième film de Boris Lojkine, un normalien, agrégé de philo, passé par le documentaire, auteur de Hope et du remarquable Camille dont l’actrice principale, Nina Meurisse, illumine la dernière et la plus longue scène de ce film.

Le scénario de L’Histoire de Souleymane est étouffant. Son rythme haletant m’a rappelé celui d’À plein temps. Les héros de ces deux films doivent relever le même défi d’un quotidien en apparence anodin. On dira que Souleymane a la poisse. Mais ce n’est pas le cas. Sa vie n’est pas qu’une succession d’avanies. La quasi-totalité de ses livraisons se passent bien, les personnes qu’il croise font souvent preuve à son égard de gentillesse ; mais il suffit d’une chute à vélo, d’une altercation avec un restaurateur, d’une autre avec le titulaire de son compte Uber pour que tout dérape.

Le scénario manque d’être victime de cette facilité : ajouter à ce quotidien déjà bien chargé une déconvenue supplémentaire. Mais il n’y cède pas. Comme chez les frères Dardenne, il filme un héros qu’on qualifierait à tort de résilient : Souleymane a-t-il en effet le luxe de pouvoir ne pas l’être ? Quel choix a-t-il sinon encaisser les coups du sort en serrant les dents ?

Comme la Lily de Pierre Perret, venue vider les poubelles à Paris, Souleymane est politiquement correct. À l’image repoussoir de l’immigré, délinquant et/ou paresseux, il oppose celle, autrement vertueuse, du damné de la terre qui demande simplement à jouir des fruits de son travail honnêtement gagnés dans son pays d’accueil. Il serait bien cynique de s’en moquer.

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