Elyas ☆☆☆☆

Elyas (Roschdy Zem) était chuteur opérationnel dans les forces spéciales. Revenu à la vie civile après une mission éprouvante en Afghanistan, il n’a pas récupéré des traumatismes qu’il y a subis et souffre désormais d’une sévère paranoïa. Un ancien compagnon d’armes (Dimitri Storoge) lui propose un contrat a priori sans risques : servir de garde du corps à un riche prince moyen-oriental, accompagné de sa femme et de sa fille. Mais cette mission va se révéler plus périlleuse que prévu.

Depuis Nid de guêpes (2001), on connaît le cinéma testostéroné de Florent-Emilio Siri. Il louche du côté des films d’action américains. Il met en scène des héros charismatiques et raconte des histoires hyper-violentes de braquages qui tournent mal ou de sanglantes prises d’otage. On ne pourra pas reprocher au distributeur de nous avoir menti sur la marchandise. Elyas nous donne ce qu’il nous promet : du sang, de la sueur et des larmes. Ici l’histoire improbable (attention spoiler) d’une gamine de treize ans, a priori effrontée et mal élevée mais au final si attachante, que son père, un riche émir a décidé de marier contre son gré à un vieux barbon et qu’une bête de guerre va prendre sous sa coupe façon Léon.

Roschdy Zem chausse le costume cravate du rôle titre, sans oublier les Ray Ban et le PAMAS G1. Il est peut-être l’un des acteurs les plus populaires et les plus respectés du cinéma français. Je n’ai jamais ni lu ni entendu la moindre critique négative à son sujet. Pourtant, on se demande ce qu’il vient faire dans cette série B. Sans doute avait-il, lui aussi, des impôts à payer. À près de soixante ans, même s’il conserve une forme impeccable, il a une bonne dizaine d’années de trop pour le rôle. On dirait Liam Neeson dans Taken 1, 2 ou 3. Et ce n’est pas un compliment !

La bande-annonce

Les Gens d’à côté ★★☆☆

Lucie (Isabelle Huppert), la soixantaine, travaille à la police de Perpignan. Elle peine à se remettre du suicide de son mari, policier lui aussi, survenu un an plus tôt. Un jeune couple et leur ravissante gamine viennent de s’installer dans le pavillon voisin du sien. Julia (Hafsia Herzi) est enseignante ; Yann (Nahuel Pérez Biscayart) est un artiste qui se révèle activiste anti-fa, partisan de l’action violente, sous le coup de plusieurs condamnations judiciaires. Lucie est écartelée entre l’amitié qu’elle ressent pour ses voisins et la réserve que sa profession lui impose.

À quatre-vingts ans passés, André Téchiné cumule deux qualités rares. Il est d’une part l’une des figures tutélaires du cinéma français – même si une plainte pour harcèlement sexuel, classée sans suite pour cause de prescription, a écorné son prestige. Il est d’autre part toujours aussi productif – à l’instar de ces grands cinéastes du monde entier (Eastwood, Miyazaki, Scorsese, Polanski, Loach…)  qui continuent à réaliser des films comme si les ans n’avaient aucune prise sur eux.
André Téchiné (Hôtel des Amériques, Ma saison préférée, Les Roseaux sauvages…) est le cinéaste de l’intime, de l’homosexualité, de la confusion des sentiments. Mais son cinéma s’inscrit dans un environnement social et politique. Cette attention portée au contexte est de plus en plus marquée ces dernières années, au point d’en faire presque un réalisateur « à thèmes » : la radicalisation des jeunes attirés par le jihad en Syrie dans L’Adieu à la nuit, le TPST des soldats français de retour d’opérations extérieures dans Les Âmes sœurs

Les Gens d’à côté s’inscrit dans cette généalogie-là. Ses premières images quasi-documentaires rappellent les films de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon, ayant pour cadre le monde du travail et ses luttes. Sauf qu’ici, il s’agit de la police et de ses syndicats qui alertent les pouvoirs publics sur le nombre alarmant de suicides dans ses rangs.

Entre ACAB (All Cops are Bastard) et #JesoutiensnosFDO, André Téchiné, comme toujours, évite le manichéisme. Son film ne prend pas la défense de la police pas plus qu’il ne fait l’apologie de la violence révolutionnaire. Il se place à hauteur d’hommes – ou plutôt de femme. Car le film est raconté à travers les yeux de Lucie, doublée d’une voix off redondante, dont la loyauté est mise à mal : loyauté d’une part à l’égard de ses voisins avec lesquels des liens d’amitiés se sont noués, d’autant plus puissants que Lucie n’en a pas beaucoup d’autres, loyauté d’autre part à l’égard de ses collègues, de son mari décédé et de sa profession.

Le problème des Gens d’à côté vient de son scénario, trop appliqué, trop lent, trop prévisible et pas toujours très crédible. Il vient aussi de ses acteurs. Isabelle Huppert a au moins dix ans de trop pour le rôle. Ses séances de jogging répétitives, dans son sweat shirt et sous sa capuche, frisent le ridicule. Hafsia Herzi est à mes yeux, presque aussi calamiteuse, dont je trouve le jeu terriblement faux. Échappe à mon courroux le seul Nahuel Perez Biscayart qui, décidément, d’un film à l’autre, habite toujours ses rôles avec la même incandescence. Les quelques pas de danse improvisée qu’il esquisse sur un parking nocturne constituent ma séquence préférée de ce film moyen.

La bande-annonce

Sons ★★☆☆

Eva (Sidse Babett Knudsen) est une gardienne de prison qui aime son travail, pourtant ingrat, et l’exerce avec le plus d’humanité possible. Son comportement change du tout au tout à l’arrivée d’un nouveau prisonnier, Mikkel, incarcéré dans le quartier de haute sécurité où Eva réussit à se faire muter.

Sons est le deuxième film de Gustav Möller, auréolé par le succès de son premier, The Guilty en 2018. Il se déroulait  en temps réel, dans un centre d’appel de la police. La même unité de lieu est respectée dans Sons qui ne sort quasiment pas de la prison où Eva travaille. Ce sentiment de claustrophobie est encore accentué par le format de l’image et par le son spatial.

Sons se déroule dans une prison, un lieu éminemment cinématographique et souvent filmé: Un condamné à mort s’est échappéLe TrouMidnight ExpressLes ÉvadésUn prophèteDog PoundOmblineLa TaulardeÉperdument… sans parler de la série Prison Break. Le plus souvent, la prison est vue du côté des taulards. Ici, c’est le point de vue d’une gardienne qui prévaut – comme dans le récent Borgo qui se déroulait en Corse et était inspiré d’un fait divers meurtrier.

Le film est tendu par une question : quel lien unit Eva et Mikkel ? Son titre nous a mis sur une piste, sans qu’on puisse avec précision en tirer des conclusions. La bande-annonce laisse planer le doute et le première moitié du film aussi. Lorsque la réponse se dévoile, Sons prend un tour différent. Le spectateur  n’est plus suspendu à une question sans réponse mais à une situation dont le film explore désormais les développements. Il est difficile d’en parler sans dévoiler cette fameuse réponse, sinon pour dire que le pluriel de son titre nous offre une clé d’explication.

Sons est un film oppressant et puissant. Est-il totalement crédible ? je ne connais pas assez le milieu pénitentiaire et ses usages pour l’affirmer ; mais j’ai trouvé que les libertés que s’autorisait Eva sur la personne de Mikkel dépassaient largement ce qu’un gardien est en droit de faire. Deuxième réserve : j’ai trouvé peu crédible le changement de comportement d’Eva dans la seconde partie du film, qui abandonne soudainement le sadisme dont elle avait fait preuve jusqu’alors.

Reste l’interprétation remarquable des deux acteurs, qui réussissent l’un comme l’autre à faire passer toute une gamme d’émotions dans un jeu pourtant tout en retenue. Chez Eva, le désir de vengeance et la compassion ; chez Mikkel, la violence rentrée qui menace à chaque instant d’exploser et la fragilité du gamin mal dégrossi.

La bande-annonce

Santosh ★★☆☆

À la mort de son mari, un gardien de la paix tué lors de manifestations, Santosh (Shahana Goswami, héroïne de Made in Bangladesh) bénéficie d’un « recrutement compassionnel » dans la police et hérite de son emploi. Elle découvre un milieu violent, misogyne et classiste. Elle enquête sur la disparition d’une fillette dont le cadavre est retrouvé au fond d’un puits. Elle ne peut guère compter que sur le soutien de sa supérieure, l’inspectrice Sharma, qui ne se laisse pas ébranlée par le machisme de ses collègues. Bien vite, une piste s’esquisse…

Santosh est le premier film de fiction d’une réalisatrice indo-britannique. L’idée, dit-elle, lui est venue de réaliser un documentaire sur les femmes dans la police indienne. mais, faute de disposer des autorisations pour le tourner, elle a opté pour la fiction. Il a été projeté au dernier festival de Cannes dans la section Un certain regard – alors qu’un autre film indien, All We Imagine as Light, le premier en sélection officielle depuis trente ans, y obtenait le Grand Prix du jury.

Santosh est un thriller dont le fil rouge est l’enquête menée par son héroïne et sa supérieure. Mais c’est surtout un film politique qui traite de plusieurs sujets brûlants : les violences policières, le statut des femmes en Inde, celui des Intouchables, toujours victimes de discriminations à la fois religieuses et économiques, la corruption des élites… Cet ambitieux tour d’horizon donne à ce film tout son intérêt, surtout chez le spectateur occidental curieux de l’Inde et de son évolution socio-politique ; mais il en constitue aussi la principale limite artistique. Santosh est un chouïa trop démonstratif, un chouïa trop appliqué dans le traitement de tous ces enjeux.

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Frères ★☆☆☆

En 1948, en Charente-Maritime, deux frères, âgés de six ans à peine, s’enfuient de l’orphelinat qui les hébergeait de peur d’être accusés d’un crime qu’ils n’ont pas commis. Ils se réfugient dans les bois et y survivent pendant six ans.
Le temps a passé. Michel (Yvan Attal) et Patrick (Mathieu Kassovitz) ont fait leur vie. L’un est devenu un brillant architecte, l’autre un grand médecin. Mais ils ont été marqués indélébilement par cette épreuve hors normes qui les a soudés à jamais.

Aussi incroyable qu’elle semble, Frères s’inspire d’une histoire vraie. Un carton nous explique qu’après la Seconde Guerre mondiale des centaines de milliers d’enfants avaient perdu leurs parents.

Comme son affiche, le scénario de Frères fait des allers-retours entre deux époques. On y voit alternativement les deux gamins lutter contre la faim et contre le froid avec comme seules armes leur ingéniosité et leur solidarité, et les deux adultes tenter de panser leur trauma (cette seconde histoire devrait logiquement se dérouler à la fin des années 80 mais, bizarrement, on y voit des téléphones portables).

Frères sonne faux. Il sonne faux dans la robinsonnade des deux orphelins, trop maquillés, trop bien coiffés pour être crédibles. Il sonne faux dans l’échappée des deux adultes dans leur cabane au Canada (fine allusion à Line Renaud !), qui ressemble là aussi plus à un séjour Découvertes qu’à un ermitage suicidaire.

La bande-annonce

León ★★☆☆

Julia vient de perdre sa compagne, Barby. Les deux femmes tenaient ensemble un restaurant. Elles élevaient ensemble León, le fils de Barby. Malgré les liens si forts qui l’unissent à cet enfant, Julia n’a aucun droit sur lui. Elle doit céder la place à la mère de Barby et au père de León.

Voilà un film qui aurait été parfaitement adapté pour précéder un débat des Dossiers de l’écran sur l’homoparentalité – et une entrée en matière que je devrais arrêter de répéter pour l’avoir faite déjà trop souvent et pour éviter de passer pour un indécrottable boomer. On voit en effet venir avec ses gros sabots le film prévisible mettant en scène une héroïne lesbienne, qui avait si amoureusement élevé le fils de sa compagne et qui s’en voit brutalement séparée à la mort de celle-ci, faute de posséder le moindre droit sur lui – et la revendication subséquente d’une nécessaire modification de la législation sur le sujet.

Dieu merci, León est plus subtil qu’il n’y paraît. La raison en est dans un montage ultra nerveux qui raccourcit les scènes au maximum et qui joue sur leur chronologie. La Julia endeuillée qui essaie de reconstruire sa vie sans Barby, de maintenir à flot son restaurant, de tenir tête à la mère de Barby et à son ancien compagnon, alterne avec celle, heureuse et épanouie, qui partageait la vie de son amoureuse.

Le résultat en est métamorphosé. Le fond reste assez banal – même s’il évite la manichéisme qu’on pouvait craindre – mais la forme lui donne un rythme particulièrement entraînant.

La bande-annonce

Saravah (1969) ★★★☆

« Saravah n’est pas un documentaire mais un document » écrit l’éditeur Patrick Frémeaux. C’est l’oeuvre de Pierre Barouh, un musicien français né en 1934. Il composa La Bicyclette pour Yves Montand et interpréta Un homme et une femme sur une composition de Francis Lai. Durant ce tournage il rencontra Anouk Aimée à laquelle il fut marié pendant trois ans. Il fonda en 1965 le label Saravah qui fit découvrir la bossa nova en France et émerger les talents de Jacques Higelin ou de Brigitte Fontaine. En voix off, au début du film, il se présente comme « le plus Brésilien des Français » et adresse au spectateur une invitation qui ne se refuse pas : l’emmener en voyage au Brésil.

Saravah fut tourné en trois jours à peine à Rio de Janeiro pendant le carnaval durant l’hiver 1969. Mal sonorisé, le film ne sortit jamais en salles. Mais grâce à une restauration impeccable, il en trouve enfin le chemin plus de soixante ans plus tard.

Saravah dure une heure à peine. C’est bien court, mais cela nous donne juste le temps de croiser quelques unes des légendes de la samba brésilienne qui interprètent à l’improviste ses classiques. Un immense sourire aux lèvres, Pierre Barouh, dans un portugais hésitant, les invite à se dévoiler ce qu’elles font volontiers. Certains sont des stars installées, tel le saxophoniste Pixinguinha qui habite une rue qui porte son nom ; d’autres sont en pleine ascension comme le guitariste Baden Powell ou la chanteuse Maria Bethânia.

Voir Saravah aujourd’hui, c’est (re)plonger dans le Brésil des années soixante dont le carnaval et le samba constituaient des échappatoires hédonistes à l’oppressante dictature militaire. C’est se laisser lentement gagner par l’émolliente douceur de cette musique si sensuelle. C’est immanquablement n’avoir à la sortie de la salle qu’une seule envie : se ruer sur les autres standards créés par ces musiciens de légende.

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The Summer with Carmen ★★☆☆

Deux amis homosexuels, Démosthène, bloc de virilité  velue sculpté dans le marbre de l’Attique, et Nikitas, androgyne aux cheveux mauves, passent l’après-midi sur une plage naturiste près d’Athènes. Ils réfléchissent au film drôle, sexy, grec et à petit budget qu’ils pourraient réaliser pour un producteur français. Ce film raconterait les événements qui se sont déroulés deux étés plus tôt, lorsque le couple formé par Démosthène et son compagnon de l’époque, Panos, a éclaté, laissant l’amant esseulé en compagnie de Carmen, le chihuahua recueilli par Panos.

The Summer with Carmen est un film estival qui a le bon goût de sortir au mois de juin. Je l’ai vu dans une salle du Marais, un jour de Gay Pride, au milieu d’une douzaine de spectateurs, exclusivement masculins, caricaturalement métrosexuels (si tant est que ce qualificatif ne soit pas aujourd’hui dangereusement démodé).

The Summer with Carmen affiche la couleur : c’est une romance gay, pas triste et ensoleillée. On y voit, comme sur son affiche, des hommes débordant de virilité et légèrement vêtus, affichant sans gêne leur insolente nudité recto-verso. Le temps n’est plus où l’on s’en offusquait….

Cet intérêt voyeuriste aurait pu être le seul atout du film, l’histoire bien conventionnelle qu’il raconte n’en présentant guère : rupture amoureuse, passades hédonistes, règlements de comptes familiaux… Mais The Summer with Carmen est sauvé par une astuce scénaristique : c’est un film dans le film qui se déroule l’espace d’une après-midi ensoleillée avec de longs flashbacks. Nikitas, la plume à la main, prend des notes pour son futur film et rappelle les grandes règles qui président normalement à l’écriture d’un scénario. Bien évidemment, le film qui est en train de se réaliser sous nos yeux les violera toutes les unes après les autres.

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Camping du lac ★☆☆☆

La réalisatrice Eléonore Saintagnan part vers la mer sur un coup de tête. Une panne automobile l’oblige à interrompre son voyage et à s’installer dans un camping, au bord d’un lac, en Bretagne. Une légende liée au saint-patron du coin, Corentin, y circule autour d’un mystérieux poisson qui hanterait les fonds du lac. Avec sa caméra et son micro, Eléonore Saintagnan filme ce qui l’entoure : un vieil Américain, chanteur de country, à la recherche de sa fille, une mère de famille qui élève quelques poules, un tatoueur, un couple de vieux retraités…

Fiction ou documentaire ? Camping du lac revendique la fiction, mais louche plutôt du côté du documentaire. Il se déroule sur les bords du plus grand lac de Bretagne, le lac de Guerlédan dans les monts d’Armor, qui, ainsi filmés, ont des airs de Jura ou de Vosges.

Le prétexte en est inoffensif. S’agit-il d’une reconstitution historique de la vie de Saint Corentin comme ses dix premières minutes pourraient le laisser croire ? une enquête sociologique sur la France des campings ? ou encore, lorsque [attention spoiler] on découvre enfin le mystérieux poisson du lac, un conte onirique et écologique ? Le film peine à trouver sa voie et à prendre son envol. Y eût-il réussi, il s’arrête au bout de soixante-dix minutes à peine, victime de sa propre modestie.

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Let’s Get Lost (1988) ★★★☆

Chet Baker (1929-1988) fut sans doute l’un des plus grands musiciens de jazz du vingtième siècle. La sensualité de son jeu, sa voix de velours et son visage d’ange lui valurent une immense célébrité dans les années 50. Mais Chet Baker se drogua toute sa vie durant et fit souffrir son entourage.

Le photographe Bruce Weber rencontre en 1986 un vieil homme, qui n’a pas atteint ses soixante ans mais en fait au moins dix de plus. Chet Baker est au crépuscule de sa vie. Il mourra quelques mois plus tard, avant même la sortie du film, en se défénestrant du deuxième étage de son hôtel à Amsterdam. Le tournage, raconte Weber, fut particulièrement chaotique, devant tenir compte des sautes d’humeur de Chet Baker, constamment sous emprise.

Let’s Get Lost – du nom d’un standard de 1943 devenu célèbre grâce à l’interprétation qu’il en fit en 1955 – nous montre le jazzman à deux âges de sa vie. Dans les années 50, alors qu’il fait ses premiers pas dans le monde du jazz, dans le sillage de Charlie Parker qui lui donne sa chance et avec le saxophoniste Gerry Mulligan avec lequel il forme un quartet bientôt fameux, Chet Baker est d’une beauté surréelle, mélange de James Dean et de Jack Kerouac. Il devient vite le « prince du cool », la coqueluche de l’Amérique.
Mais ce visage angélique cache une âme tourmentée, torturée par la drogue. L’histoire de sa vie sera celle d’une longue déchéance qui le laisse essoré, à bout de souffle, le visage parcheminé, prématurément vieilli à cinquante ans à peine quand Bruce Weber le filme.

Dans un noir et blanc intemporel, Bruce Weber utilise des images d’archives notamment les célèbres photos de William Claxton. Il suit Chet Baker dans ses déambulations à Los Angeles, sur la plage de Santa Monica, sur la banquette arrière de ces décapotables qu’il aimait tant, dans le studio où il enregistre encore. Enfin, il interroge ses proches.

L’épreuve tourne vite au jeu de massacre quand il interviewe ses ex-compagnes. C’est que Chet Baker a eu une vie privée agitée : trois mariages, quatre enfants qu’il n’a guère élevés, des liaisons adultérines à la pelle… On comprend que Carol Jackson – la mère de trois de ses enfants et sa dernière épouse dont il ne divorça jamais – Diane Vavra – qu’il rencontra en 1970 et qui lui fut proche jusqu’à la fin de ses jours – et Ruth Young – une chanteuse de jazz avec qui il entretint une liaison au début des années 70 – ne mâchent pas leurs mots.
Mais la plus cruelle est la propre mère de Chet Baker, Vera Moser, une octogénaire permanentée, dont on imagine les heures qu’elle a passées pour se préparer à cette interview. Certes, elle ne cache pas sa fierté devant le talent inné et le succès de son fils mais elle garde un silence pudique lorsque Bruce Weber lui demande s’il fut un bon fils.

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