Pendant ce temps sur terre ★☆☆☆

Elsa (Megan Northam) ne se remet pas de la mort de son frère Franck, spationaute porté disparu en mission trois ans plus tôt. Alors que son don pour le dessin la destinait aux Beaux-Arts, elle vivote avec un emploi d’aide médicale dans l’EHPAD que dirige sa mère (Catherine Salée) dans une petite ville du Puy-de-Dôme. Mais un beau jour, elle entend la voix de son frère et de ses ravisseurs, des extra-terrestres qui lui proposent un pacte faustien : en échange de cinq corps humains dans lesquels ils souhaitent se glisser pour venir visiter la Terre, ils promettent à Elsa le retour de son frère sain et sauf.

Jérémy Clapin revient là où on ne l’attendait pas. Son premier long-métrage, J’ai perdu mon corps, sorti en 2019, un film d’animation, avait emporté un immense succès mérité. Il aurait pu rester dans cette veine. Il en choisit une autre, hybride. Hybride par la forme : Pendant ce temps sur terre contient des séquences d’animation futuristes, produits de l’imagination d’Elsa qui louchent du côté de René Lanoux (j’ai pensé à La Planète sauvage) et de l’esthétique des BD des années 70 et possède une bande-son absolument hypnotisante signée Dan Levy . Hybride par le sujet : Pendant ce temps sur terre joue sur les registres de plusieurs genres, la science-fiction façon Interstellar (les voix mystérieuses entendues par Elsa sont-elles bien réelles ou le produit de son imagination délirante ?), l’horreur façon David Lynch (cette graine translucide qu’elle se glisse dans l’oreille pour communiquer et qu’elle ne réussit plus à retirer de son organisme), le drame social (le naufrage d’une famille détruite par la disparition de Franck)….

Cette qualité hélas se retourne. Pendant ce temps sur terre souffre de ce mélange des genres – comme déjà avant lui L’Astronaute ou Proxima, deux films français la tête perchée dans les étoiles. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans ces films là, comme si la conquête spatiale ne supportait pas de rester coincée les deux pieds dans la glaise. Qui dit science-fiction, dit voyage intergalactique, navette spatiale, combinaison spatiale, apesanteur, voire petits bonshommes verts, et pas campagne auvergnate, rond-point ou EHPAD.

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Les Fantômes ★☆☆☆

Hamid (Adam Bessa, révélé dans Les Bienheureux et Harka) est un rescapé des prisons syriennes. Exilé à Strasbourg, il traque, pour le compte d’une mystérieuse organisation secrète, son ancien bourreau (Tawfeek Barhom, jeune étudiant en plein conflit de loyauté dans La Conspiration du Caire).

Les Fantômes est un thriller. Il est construit autour de deux séries d’interrogations. La première est en partie éventée par le résumé que je viens d’en faire : qui est Hamid, pour quelle organisation travaille-t-il, qui cherche-t-il ? La seconde restera entière jusqu’à la fin du film : Harfaz est-il bien le criminel que Hamid recherche ?

Les Fantômes respecte tous les codes du film d’espionnage : un héros mystérieux lesté d’un lourd passé et entouré de quelques faire-valoir féminins, une mission périlleuse… Sa musique est particulièrement envoûtante. Mais Les Fantômes souffre d’un budget trop réduit et surtout d’un scénario trop pauvre. Il ne ménage pas son lot de rebondissements qu’on est en droit d’attendre de ce genre de films. Si bien qu’après un début très réussi, qui campe les personnages et la situation, on en vient vite à s’ennuyer.

Notre déception est d’autant plus grande qu’on escomptait beaucoup de ce film tendu inspiré d’une actualité géopolitique si prégnante. Sur la Syrie et ses fantômes, on préfèrera largement Les Âmes perdues.

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Juliette au printemps ★★★☆

Trentenaire, dépressive, Juliette (Izïa Higelin), illustratrice de livres pour enfants, retourne se resourcer en famille dans l’Ain. Elle y retrouve ses parents séparés, son père un peu lunaire (Jean-Pierre Darroussin), sa mère fantasque qui se pique de peindre et passe d’amant en amant (Noémie Lvovsky), sa sœur hyperactive (Sophie Guillemin) qui étouffe auprès d’un mari trop planplan (Eric Caravaca), sa grand-mère qui vient d’être placée en EHPAD et dont Juliette se charge de vider la maison (Liliane Rovère).

La réalisatrice Blandine Lenoir avait déjà signé deux films remarquables : Aurore sur la crise existentielle d’une Agnès Jaoui en pleine ménopause, Annie colère sur le combat pour la décriminalisation de l’avortement au début des années 70. Son troisième est au moins aussi réussi. Pourtant son pitch tellement banal n’augure rien de bon. Il nous promet, tout au mieux, l’histoire convenue d’un retour au pays natal, d’une escapade en province d’une Parisienne dépressive, dont on sait par avance qu’elle sortira régénérée de ces quelques jours auprès des siens.

Avec un motif insignifiant, Juliette au printemps réussit pourtant le miracle de nous intéresser et de nous émouvoir. Il le doit d’abord à une panoplie d’acteurs qui comptent parmi les tout meilleurs du moment. Chacun dans son registre, Jean-Pierre Darroussin et Noémie Lvovsky font ce qu’ils savent si bien faire : lui incarne le lait de la tendresse humaine, elle la folie douce. Leur interprétation en deviendrait presque lassante si elle n’était pas à chaque fois si précisément juste. Celle qui crève l’écran, c’est Sophie Guillemin. La jeune révélation de L’Ennui de Cédric Kahn à la fin des années 90 a pris de longs chemins de traverse. Elle s’est convertie à l’Islam, a porté le voile, avant de revenir, Dieu merci, au cinéma. Depuis quelques années, la quarantaine épanouie, on la revoit enfin. Ici, elle tient un rôle étonnant de mère au foyer control freak et d’amante dionysiaque (on n’oubliera pas de sitôt ses galipettes dénudées avec son fantomatique amant). La seule qui détonne dans ce casting plaqué or, c’est Izïa Higelin, peut-être trop radieuse, trop souriante, trop solaire, pour interpréter une héroïne frappée par la neurasthénie (Nina Meurisse ou Suzanne Jouannet auraient été des choix plus judicieux).

Sa réussite, Juliette au printemps la doit aussi à un scénario qui nous ménage dans sa seconde partie une révélation déchirante. L’évoquer est déjà trop en dire. Chaque famille cache des secrets. Celui-ci n’en est pas tout à fait un. Il n’en est que d’autant plus émouvant. Il arracherait des larmes à une pierre.

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In Water ★★☆☆/☆☆☆☆

Un jeune réalisateur et deux acteurs sont partis tourner un court métrage au bord de la mer. Leur budget est serré. Le réalisateur, à court d’idées, n’a aucun plan de tournage. Mais l’inspiration lui vient soudainement et le tournage peut commencer…

À soixante ans passés, Hong Sangsoo n’a jamais été aussi prolifique. Ce n’est pas deux mais presque trois films par an qu’il parvient à tourner et à sortir : Walk Up  en février 2024, ce In Water en juin et A Traveler’s Needs, présenté au dernier festival de Berlin, programmé pour l’automne prochain.

Une telle productivité est-elle obtenue au détriment de la qualité ? Hong Sangsoo bâcle-t-il ses films ? Je l’ai souvent pensé et parfois écrit dans des critiques « coups de gueule » (Hotel by the River, Yourself and Yours…). Et puis est venu un moment où, mithridatisé, j’ai fini par m’habituer à ce cinéma et ai accepté d’en reconnaître les qualités.

À considérer In Water, on pourrait facilement crier au foutage de gueule. Il s’agit en effet d’un film d’une heure à peine, qui se définit de justesse comme un long métrage, dont l’intrigue tient sur un timbre poste et dont, comme s’il n’avait pas déjà suffisamment de tares, l’image est floutée, comme si le budget serré du tournage n’avait pas permis d’en fignoler la mise au point.

Deux opinions radicalement différentes peuvent alors s’affronter. La première verra dans ce flou artistique un parti pris audacieux, le questionnement d’un dogme cinématographique jamais remis en cause (pourquoi l’image de tous les films est-elle si parfaitement nette ?), une expérimentation quasi-picturale dans la veine des impressionnistes que Hong Sangsoo vénère, la tentative pour le réalisateur, qui est affecté de troubles de la vision, d’en faire partager l’expérience à ses spectateurs…
L’autre, nettement moins indulgente, verra dans ce flou pas vraiment artistique un foutage de gueule, un manque de respect pour les spectateurs, condamnés à avaler deux aspirines à la sortie de la salle, une tentative absurde de pousser le cinéma dans ses limites (et pourquoi pas demain un film sans images ?), la seule originalité bien artificielle d’un film qui, par ailleurs, se réduit à presque rien.

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Les Pistolets en plastique ★☆☆☆

Après avoir tué sa femme et ses enfants, Paul Bernardin a disparu. Il s’est réfugié en Argentine et y coule désormais des jours paisibles. Un policier croit l’avoir reconnu à Roissy à l’embarquement d’un vol vers Copenhague. Mais l’individu, dénommé Michel Uzès, arrêté et interrogé par la police danoise, s’avère n’être qu’un paisible danseur de country. Deux femmes, autopromues enquêtrices, consacrent leur temps libre à la traque du fugitif et mettent la main sur Michel Uzès dont elle sont bien décidées à arracher les aveux.

J’ai tellement aimé le dernier spectacle des Chiens de Navarre, La vie est une fête, aux Bouffes du Nord, que je me suis précipité au dernier film de Jean-Christophe Meurisse. J’avais oublié qu’il avait auparavant signé Oranges sanguines, trop acide à mon goût.

Les Chiens de Navarre, ça passe ou ça casse. Ce mélange d’humour noir, politiquement incorrect, flirtant avec les limites de la vulgarité, enthousiasme ou irrite. Ça dépend des pièces – ou des films. Ça dépend aussi peut-être de l’humeur du spectateur.

J’aurais dû a priori être charmé par cette franche déconnade qui prend pour prétexte l’affaire Dupont de Ligonnès et les confuses théories que sa disparition en 2011 a fait naître. On imagine qu’il a refait sa vie au Texas alors que le plus probable – le cousin de mon beau-frère est policier municipal et tient sur cette affaire des informations confidentielles de première main – est qu’il a été enlevé par des extra-terrestres… ou bien qu’il s’est suicidé dans le massif de l’Estérel une fois ses méfaits accomplis.

La sauce d’ailleurs monte dans la première demi-heure qui nous introduit à la galerie de personnages, tous plus déjantés les uns que les autres, une mention spéciale à Gaëtan Pau dans le rôle de Michel Uzès. Le film commence d’ailleurs très fort avec le dialogue de deux médecins légistes (Jonathan Cohen et Fred Tousch) en train de dépecer un cadavre. Mais, si la sauce monte, elle ne prend pas ( je ne suis pas très sûr de ma métaphore culinaire !). Pire, elle retombe (idem). La curiosité amusée que Les Pistolets en plastique a suscité dans sa première moitié se mue en lassitude sinon en irritation. On réalise bien vite que l’affaire XDDL n’est qu’un prétexte à l’accumulation de saynètes plus ou moins réussies, plus ou moins drôles, dénonçant en vrac les théories du complot, l’ultracrépidarianisme des internautes, l’incompétence de la police, etc.

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Kinds of Kindness ★★★☆

Trois films en un.
Un employé (Jesse Plemons), dont chaque détail de la vie quotidienne est régi par son patron (Willem Dafoe), décide de se libérer de ce joug tyrannique avant de regretter sa décision.
Un policier (le même Jesse Plemons) sombre dans la folie après la disparition de sa femme (Emma Stone) et son retour inespéré.
Deux adeptes d’une secte sont à la recherche de l’Elue.

Yórgos Lánthimos compte décidément parmi les réalisateurs les plus stimulants de l’époque. Il est difficile de trouver dans sa filmographie un seul titre qui ne soit pas fascinant : The Lobster (prix du Jury à Cannes en 2015), Mise à mort du cerf sacré (le film préféré de mon fils cadet), La Favorite (neuf nominations aux Oscars et la statuette de la meilleure actrice pour Olivia Colman), Pauvres Créatures (Lion d’or à Venise à 2023)…

Dans cette liste prestigieuse, Kinds of Kindness, tourné à la Nouvelle-Orléans pendant la postproduction de Pauvres Créatures, avec un budget de 15 millions de dollars – contre 25 pour Pauvres Créatures – pourrait presque faire figure d’oeuvre mineure, de trou normand entre deux réalisations plus substantielles. Exit la dystopie inquiétante de The Lobster, les décors et les costumes géorgiens de La Favorite, le gothique steampunk de Pauvres Créatures, l’action de Kinds of Kindness se déroule banalement dans l’Amérique d’aujourd’hui. Cet entremets, aussi mineur soit-il, a quand même été sélectionné en compétition officielle à Cannes et Jesse Plemons y a emporté le prix d’interprétation masculine.

Kinds of Kindness – un titre déconcertant – est un film à sketches en trois volets platement mis bout à bout. J’ai déjà souvent dit les réticences que m’inspirait ce genre. J’ai l’impression d’être face à des ébauches, trop courtes et trop pauvres pour constituer à elles seules la substance d’un seul film. Je plonge dans l’une qui se termine trop vite, avant de zapper à une autre. Je suis irrémédiablement condamné à les hiérarchiser et à reprocher aux sketches que j’aime le moins d’être moins convaincants que les autres.

Pour autant, Kinds of Kindness n’en reste pas moins mille fois plus intéressant que le tout-venant cinématographique. Comme le dit excellemment l’excellente Marie Sauvion : « Le travail de Yórgos Lánthimos, de fait, ne captive jamais tant que par l’abîme qu’il ouvre ». Les trois sketches du film sont joués par le même casting plaqué or : Emma Stone, que je place tout en haut de mon Olympe depuis La La Land évidemment, Willem Dafoe qui réussit à bientôt soixante-dix ans à être toujours aussi excellent et toujours aussi diablement sexy, Margaret Quilley, dont l’expressivité du jeu me comble depuis que je l’ai découverte dans une pub pour Kenzo en 2016, Jesse Plimons qui a amplement mérité sa statuette cannoise….

Comme les autres films de Yórgos Lánthimos, Kinds of Kindness nous plonge dans un délicieux malaise. S’il fallait trouver un lien entre ces trois sketches, dont ni les personnages ni les histoires ne sont reliés, c’est peut-être le sujet qu’ils traitent. Et là encore, le plus simple est de citer Marie Sauvion : « Libre arbitre, servitude volontaire, foi aveugle, sadomasochisme, tout pose question, ici, à commencer par ce qu’on est capable de faire ou d’endurer par amour ». L’ambiance est lourde, oppressante ; elle contraste avec le soleil omniprésent du sud des Etats-Unis et les tenues décontractées des personnages. Le malaise est amplifié par la caméra, ses lents travelings, ses plans en fisheye qui distordent les lignes de fuite, sa musique qui alterne les tubes les plus addictifs (je n’arrive pas à me sortir Sweet Dreams d’Eurythmics de la tête depuis hier) et les partitions atonales de piano.

Kinds of Kindness contient au moins trois scènes d’anthologie, à hurler de rire ou d’horreur. Elles valent à elles seules le détour.

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Le Comte de Monte-Cristo ★★★☆

Qu’on l’ait lu ou pas, on connaît tous l’histoire du Comte de Monte-Cristo comme on connaît celle des Misérables ou de Cyrano de Bergerac. En 1815, alors qu’il s’apprête à épouser la belle Mercedes, le jeune capitaine de marine Edmond Dantès est injustement enfermé au château d’If. Il parvient à s’en échapper grâce à la complicité de l’abbé Faria et à mettre la main sur le trésor perdu des Templiers. Il va traquer ceux qui l’ont trahi et mettre son immense richesse au service de son insatiable vengeance.

Fort du succès remporté par Les Trois Mousquetaires, le duo Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patelière, produit par Pathé, remet le couvert. Son ambition revendiquée : signer un blockbuster à la française en adaptant les grands classiques qui font partie de l’imaginaire populaire. Le projet n’est peut-être pas d’une créativité folle (quel sera le prochain opus ? Sans famille ? Notre-Dame de Paris ?) ; mais il n’en s’agit pas moins d’un travail soigné, dans des décors éblouissants, avec des costumes somptueux et une caméra virevoltante.

Plus qu’un blockbuster, un terme américain et galvaudé qui décrit plus un genre qu’un produit, Le Comte de Monte-Cristo renoue avec la tradition des péplums façon Ben Hur ou Lawrence d’Arabie. C’est un film énorme, de près de trois heures qui nous emporte. Il réussit le pari d’une durée hors norme qui n’est jamais ennuyeuse. Je m’ennuie tellement à des films d’une heure trente que je dois féliciter ses auteurs de ne pas m’avoir laissé une seconde pour regarder ma montre pendant près de trois heures de rang.

Le Comte de Monte-Cristo est à prendre au premier degré. Il n’essaie pas de rendre crédible des situations ou des rebondissements qui, dans le livre déjà, ne l’étaient guère. Je me souviens, enfant, d’en avoir vu à la télévision une adaptation. J’en ai un souvenir marquant. J’en avais tout aimé : les personnages follement romantiques, l’omnipuissance de son héros, sorte de Bruce Wayne (le héros masqué de Batman) avant l’heure, son projet vengeur et l’habileté avec laquelle Dantès le met en oeuvre… Je pense – sans en être entièrement certain – qu’il s’agissait de la mini-série en quatre épisodes de Denys de La Patellière, le propre père du co-réalisateur Alexandre de La Patellière – qui est né la même année que moi et qui raconte qu’il accompagnait émerveillé son père sur le plateau.

J’aurais aimé mettre quatre étoiles à ce Comte de Monte-Cristo. Mais hélas, je n’y arrive pas. Les raisons en sont multiples et mauvaises. La première est que, connaissant trop bien l’intrigue, elle me surprend moins : on sait par avance par exemple le subterfuge que Dantès utilise pour s’évader du château d’If et le succès de son entreprise. La seconde est que je suis sans doute trop vieux pour goûter ces films-là. À dix ans, j’étais fasciné et transporté. À cinquante, j’ai perdu mon âme d’enfant.

PS : Avez-vous reconnu la langue que parlent Dantès et Haydée ? Roumain ? Maltais ?

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La Base ★☆☆☆

Vadim Dumesh est un jeune documentariste qui a grandi en Lettonie et qui s’est formé en Israël avant de s’installer en France. Il a posé sa caméra dans la base arrière taxi (BAT) de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Il a lui-même tourné quelques images, mais il a surtout demandé à plusieurs chauffeurs de taxis de filmer eux-mêmes leurs quotidiens avec leur téléphone portable. Pendant le tournage, l’ancienne base a fermé et les chauffeurs ont déménagé vers un nouveau lieu, plus fonctionnel, mais moins chaleureux.

Vadim Dumesh s’est emparé d’un sujet passionnant. Qui sont les centaines de taxis parisiens qui, chaque jour, accueillent à Roissy les touristes étrangers qui y atterrissent ? Que font-ils durant la longue attente à laquelle ils sont contraints entre deux courses ?

Comme c’est hélas souvent le cas dans le documentaire aujourd’hui, chez Wiseman comme chez Philibert, aucune explication n’accompagne La Base. Aucune voix off, aucun carton, aucun diagramme ne vient éclairer l’organisation des taxis à Roissy. La règle, d’airain, s’applique : les images et les paroles sont les seules sources d’information mises à la disposition du spectateur.

Lors de la projection débat à laquelle j’ai eu la chance d’assister, les questions ont fusé précisément sur l’organisation de la profession. Vadim Dumesh, ouvert et souriant, y a volontiers répondu, aidé par plusieurs chauffeurs présents dans la salle et parfois acteurs du film – ainsi de Nicolas et de ses improbables cravates. Face à tant d’interrogations frustrées, Vadim Dumesh s’est défendu : son film, a-t-il dit, n’avait pas pour objet de décrire l’organisation des taxis à Roissy mais de montrer comment une profession s’était saisie d’un lieu – la base – et d’un moment – l’attente entre deux courses – pour en faire « quelque chose » : un temps de repos, de détente, d’échanges, de socialisation pour des professionnels condamnés à un emploi très solitaire.

L’argument est recevable ; mais il n’est qu’en partie fondé. La Base fait naître bien des questions auxquelles le seul visionnage du film, si on n’a pas la chance de bénéficier du débat qui le suit, ne fournit pas les réponses. Sans doute est-il intéressant de voir comment les chauffeurs s’approprient ce lieu, mais il l’est plus encore d’en comprendre l’origine et l’économie.

Faute de nous fournir cet arrière-plan, La Base se réduit à une succession de scènes mal filmées, sans queue ni tête, dont le seul fil directeur serait le déménagement de l’ancienne base à la nouvelle, et les seuls repères quelques figures cosmopolites hautes en couleurs : Jean-Jacques, le patriarche, Ahmad et Madame Vong, une des rares femmes du lieu (la profession compte 5 % seulement de femmes).

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Love Lies Bleeding ★★☆☆

Lou (Kristen Stewart) gère une salle de sports dans une banlieue sans âme d’Albuquerque au Nouveau-Mexique où débarque un beau jour de 1989 Jackie (Katy O’Brian), SDF bodybuildeuse en quête de célébrité. Entre les deux femmes, c’est le coup de foudre. Mais les histoires de famille de Lou – un père chef de gang, une sœur battue par son mari – vont aspirer les deux femmes dans une spirale de violence.

Love Lies Bleeding est un produit délicieusement attirant. Son interdiction aux moins de douze ans en accroît le charme vénéneux. Il emprunte à plusieurs sources. La filiation la plus clairement revendiquée, qu’il s’agisse de l’époque du film ou de son affiche, est bien entendu Thelma et Louise. Les thrillers lesbiens sont en train de devenir un genre en soi, comme le montre le dernier film du frère Coen (au singulier !), Drive-Away Dolls. C’est aussi aux frères Coen (au pluriel) qu’on pense et à tous les films qui se déroulent dans une Amérique redneck, avec des personnages trumpiens à souhait, fans de la gâchette, et des cadavres qui débordent des placards, depuis Fargo et Pulp Fiction jusqu’au tout récent LaRoy en attendant avec impatience le prochain Lanthimos, Kinds of Kindness. Et Love Lies Bleeding contient beaucoup d’autres références, qui font la joie du cinéphile et/ou du fétichiste : Wonder Woman, Hulk, L’Attaque de la femme de 50 pieds, Pumping Iron

Love Lies Bleeding campe de sacrés personnages. Dans le rôle de Lou, Kristen Stewart a l’humilité de s’effacer derrière sa partenaire interprétée par l’étonnante Katy O’Brian. Ed Harris y démontre, si besoin en était, une fois encore son immense talent avec une perruque déconcertante. Le scénario bien huilé de Love Lies Bleeding nous tient en haleine pendant toute la durée du film, à condition d’en accepter les invraisemblances.

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Tehachapi ★☆☆☆

En 2019, JR est parti à Tehachapi, à deux heures de Los Angeles, travailler avec une trentaine de prisonniers d’un quartier de haute sécurité d’un pénitencier d’Etat à la réalisation, dans la cour de leur établissement, d’un immense collage d’une photographie les représentant en contre-plongée.

JR est un plasticien désormais célèbre qui a réussi à inventer une marque de fabrique mondialement connue. Il plaque dans des lieux emblématiques, la Cour du Louvre, une favela de Rio de Janeiro, le Panthéon, le mur de séparation entre Israël et la Palestine, des photographies géantes.

Après Visages, Villages, co-réalisé avec Agnès Varda en 2017, JR nous amène loin de l’hexagone, dans un milieu hyper-référencé, celui des prisons américaines. Les condamnés qu’il y rencontre y servent de longues peines pour des crimes dont on ne saura rien, mais dont on devine sans peine la gravité. Leur mine est patibulaire, leur corps recouvert de tatouages, souvent inquiétants. L’un d’entre eux, Kevin, porte même une croix gammée sur la joue.

Le documentaire de JR transpire la bienveillance, au point de frôler le trop-plein. Tout le monde y est beau, tout le monde y est gentil. Le premier, c’est JR lui-même qui se donne le beau rôle, même s’il reste sagement caché derrière ses lunettes et sous son chapeau. Mais les vrais héros, ce sont ces prisonniers repentants, écrasés par un système judiciaire et pénitentiaire qui les a condamnés à des peines disproportionnées, et qui, au bout de longues années, n’aspirent qu’à une seule chose : sortir de Tehachapi et retrouver une vie normale. Comme de bien entendu, le projet artistique de JR va les y aider.

Je n’aime pas le rôle que j’endosse, celui du scrogneugneu qui trouve à redire à cette noble entreprise, débordante d’humanité. Pour autant, je serais fort hypocrite si je l’encensais sans réserve. Certes, la démarche de JR est noble et belle. Il y a une admirable vertu à chercher en chaque homme (désolé ! il n’y a pas de femmes à Tehachapi !) ce qu’il y a de bon en lui, en dépit des crimes commis. Mais il y a dans ce documentaire un manque si déconcertant de contre-point que son propos, admirable, finit par perdre de sa force.

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