Cassandre ★★★☆

Cassandre se souvient de son adolescence détraquée. En 1998, elle avait quatorze ans. Pensionnaire dans un lycée militaire non mixte, elle était rentrée passer l’été chez ses parents, dans la Sarthe. Son père, un colonel de cavalerie rayé des cadres, y fait régner une discipline de fer. Sa mère, au contraire, totalement farfelue, professe un mode de vie soixante-huitard. Son frère aîné, passablement idiot, revient d’une année aux Etats-Unis et porte à sa cadette un intérêt pesant.
Loin de ce milieu toxique, Cassandre trouve dans le centre de loisirs où elle pratique l’équitation un environnement autrement plus amical.

Cassandre est le premier film, écrit et réalisé par Hélène Merlin. Elle ne cache pas la part d’autobiographie qu’il contient. C’est un film étonnant, à cheval sur plusieurs genres, qui évite le piège du film à thèse.

Tourné dans une chaleureuse lumière estivale, il a la saveur d’une comédie familiale, comme son affiche trompeuse pourrait le laisser penser. Ses personnages sont savoureux. On se demande un instant ce que l’administrateur général de la Comédie-Française est venu y faire, loin des films en costumes auxquels il nous avait habitués, avant de découvrir toute la palette de talents d’Eric Ruf, malaisant à souhait, dans le rôle d’un pater familias tyrannique. Zabou Breitman incarne une forme de folie douce. Le jeune Florian Lesieur interprète à merveille un grand dadais mal dégrossi dont on se demande constamment s’il est gentiment retardé ou dangereusement pervers.

Cassandre est aussi un coming-of-age movie, un film sur la sortie de l’adolescence – même si Cassandre est bien jeune pour sortir de l’adolescence… et Billie Blain, 21 ans, un chouïa trop vieille pour le rôle. La jeune actrice porte le film sur ses épaules. On l’avait déjà aperçue dans L’Astragale, Sparring, La Sainte famille, Le Règne animal. Elle éclate dans ce rôle qu’elle interprète avec une candeur rafraîchissante, parfaitement respectueuse des règles strictes qui rythment la vie de sa famille et éblouie de découvrir au centre équestre un autre style de vie.

Cassandre est enfin un conte noir, qui se déroule dans un grand château perdu au fond des bois, avec deux adultes anonymes dont on ne connaîtra jamais le prénom. Son action se déroule l’espace d’un été mais elle est mise en abyme doublement : par la voix off de la narratrice et par sa silhouette à l’âge adulte, manipulant une marionnette censée la représenter.

L’immense qualité de Cassandre est de ne pas sombrer dans le voyeurisme ni dans le manichéisme. La réaction de Zabou Breitman à la fin du film est à ce titre particulièrement déstabilisante : les arguments qu’elle invoque pour minorer les faits et continuer à se voiler la face pour maintenir les apparences sont dangereusement convaincants.

La bande-annonce

Le Village aux portes du paradis ★☆☆☆

Dans un petit village côtier du sud de la Somalie, un fossoyeur élève seul son fils et essaie tant bien que mal de rassembler l’argent nécessaire à lui fournir une bonne éducation. Sa sœur, récemment divorcée, revient vivre sous son toit et cherche elle aussi à rassembler le capital lui permettant d’ouvrir une petite boutique de couture.

Sans doute a-t-on déjà vu des films qui se déroulaient en Somalie ou au large de ses côtes : La Chute du Faucon noir (2002), Hijacking (2012), Capitaine Philips (2013) … Mais ce Village aux portes du paradis, tourné par un réalisateur somalien, en Somalie même, est sans doute le premier film authentiquement somalien diffusé en France depuis l’âge d’or du cinéma somalien dans les années 70. Depuis lors, le régime socialiste de Siad Barre a été renversé laissant le pays sombrer dans l’anarchie, sa partie nord, qui fut jadis colonie britannique, retrouvant progressivement un semblant de stabilité, alors que sa partie sud, ancienne colonie italienne, reste divisée entre clans rivaux, influences étrangères et montée de l’islamisme fondamentaliste.

Le Village aux portes du paradis exhale donc un indéniable exotisme, même si ce qu’on voit de la Somalie, des rivages quasi désertiques battus par le vent, des banlieues anomiques jonchées de sacs plastique, ne donne guère envie d’y aller en villégiature.

Cet exotisme suffit-il à donner de l’intérêt à ce film ? J’avais eu la faiblesse de l’accepter, s’agissant d’un récent film djiboutien, un autre pays à la production cinématographique confidentielle, La Femme du fossoyeur sorti en avril 2022. Je n’aurai pas une telle indulgence avec ce film-là. Certes, il est moins naïf et moins gnangnan que le résumé que j’en ai fait pouvait le laisser craindre. Il y a au contraire dans les personnages et dans le montage une austérité rugueuse qui refuse toute complaisance. Mais cette austérité, étirée pendant plus de deux heures, devient vite étouffante sinon exaspérante.

La bande-annonce