À bicyclette ! ☆☆☆☆


Youri, le fils de Mathias Mlekuz, s’est suicidé en 2022. Son père, dévasté de chagrin, a entrepris de refaire le voyage en vélo que son fils avait effectué quatre ans plus tôt, de La Rochelle à Istanbul. Son vieil ami, Philippe Rebbot, l’accompagne. Il lui souffle l’idée de documenter leur voyage et d’en faire un film.

Perdre un enfant est pour un parent la plus grande souffrance qui puisse s’imaginer. Un suicide la rend plus cruelle encore, ajoutant la culpabilité à la douleur de la perte. J’en parle d’expérience : ma sœur s’est suicidée en 1994, laissant ma mère en miettes.

Dès la première scène, Mathias Mlekuz nous prend en otage de son deuil. Elle se déroule sur les bords de l’Atlantique, près de La Rochelle. Le réalisateur entouré de quelques amis y prononce un discours plein d’émotion et enfourche sa bicyclette. Direction : le Bosphore ! C’est le début d’un long voyage cathartique entre amis. Car le père inconsolable peut s’appuyer sur son ami de toujours : l’acteur Philippe Rebbot, alcoolique, tabagique… et empathique.

Avant de voir L’Attachement, je redoutais la surenchère lacrymale. Le miracle a eu lieu et le film exceptionnel de Carine Tardieu – auquel j’ai bien failli mettre quatre étoiles – m’a emporté. Même crainte à l’entame d’À bicyclette ! Mais la crainte hélas ici s’est révélée fondée. Car très vite, le vrai-faux documentaire s’installe dans un rythme ronronnant : des travellings champêtres avec nos deux cyclistes traversant l’Europe alternent avec de longs dialogues alcoolisés larmoyants durant lesquels Mathias expulse son chagrin et Philippe fait l’apologie de l’amitié. Soyons honnêtes : le film raconte aussi des rencontres comme celle, hilarante, avec une propriétaire de Airbnb control freak et… nudiste.

Le malaise augmente encore lorsqu’on réfléchit à la construction du film. La caméra, muette et invisible, pourrait nous laisser penser qu’elle a glané des moments sur le vif. Mais À bicyclette ! a été écrit et À bicyclette ! est joué – par des acteurs au demeurant excellents. Sa spontanéité ne pouvait être que feinte. Quant Mathias pleure, l’opérateur son a peut-être réclamé une seconde prise à cause d’un bruit parasite. Quand Mathias et Philippe s’engueulent, il a peut-être fallu recommencer la prise parce que la lumière était mauvaise.

Je me suis retrouvé à la fin du film très agacé par ce produit frelaté. J’ai eu le sentiment que son réalisateur, au chagrin, je le répète, ô combien légitime, s’était acheté une psychanalyse aux frais des spectateurs. Sa sincérité indiscutable s’est laissée dépassée par sa roublardise. Mon coup de gueule apparaîtra sans doute bien injuste à ceux que le film a émus. Mais le procédé, impudique et artificieux, ne laisse de me déranger.

La bande-annonce

Le Mohican ★★★☆

Joseph exploite la bergerie qu’il a héritée de son père. Sa localisation en bord de mer suscite bien des convoitises.  Au milieu des splendides résidences balnéaires avec vue sur mer, Joseph fait figure de dernier des Mohicans. Il reçoit d’un caïd de la mafia une offre qu’il ne peut pas refuser, même si l’abandon de sa bergerie et sa reconversion forcée lui sont insupportables. L’altercation entre les deux hommes tourne mal. Un coup de feu part. Joseph doit prendre le maquis, poursuivi à la fois par les gendarmes et par la vendetta.

La Corse est décidément à la mode. Après Borgo en avril –  dont l’héroïne vient de se voir décerner le César de la meilleure actrice, après À son image en septembre, après Le Royaume en novembre, voici à nouveau un film tourné sur l’Île de beauté. Les acteurs non professionnels qu’on y voit, avec leur trogne pas possible et leur accent inimitable, sont d’ailleurs pour certains les mêmes, qui circulent de film en film. Carton plein pour ces films qui, sans complaisance, dressent le portrait kaléidoscopique d’une île si fière de son identité toxique.

Le Mohican ajoute une pierre à ce qui pourrait constituer un « portrait de la Corse en quatre chapitres ». Il montre qu’elle est l’otage d’une mafia dont la lutte pour l’indépendance est devenue la couverture d’activités lucratives : extorsion de fonds, bétonnage du littoral… Face à elle, comme dans un western hawksien, Joseph n’a rien d’autre à opposer que sa droiture taciturne. Frédéric Farrucci ne l’héroïse pas : Joseph n’est pas un surhomme. Alourdi par quelques kilos en trop, il peine à courir, au point qu’on se demande comment il réussit systématiquement à semer ses poursuivants. Ce n’est pas non plus un as de la gâchette ni un homme des montagnes capable de survivre avec des baies sauvages et le lait des chèvres.

Le Mohican pourrait se borner à raconter cette traque. Mais il ne se limite pas à cette histoire-là. Parallèlement s’en tisse une autre. L’initiative en revient à Vanina, la nièce de Joseph. La pinzutu, émigrée sur le continent, revenue en Corse pour les vacances, va reprendre la bergerie de son oncle et y assurer une continuité sans laquelle elle serait tombée aux mains des promoteurs. Surtout, elle va lancer sur les réseaux sociaux une légende, comme l’une de celles qui circulaient au Far West : la légende du dernier des Mohicans qui résiste, seul, face à la mafia et à l’omerta.

Porté par un Alexis Manenti, qui trouve enfin un rôle à sa mesure en haut de l’affiche, écrit avec un tempo soutenu qui maintient l’attention, Le Mohican est une réussite dont le seul handicap est la comparaison avec les films corses remarquables qui l’ont précédé.

La bande-annonce

A Real Pain ★★☆☆

David (Jesse Eisenberg) et Benji (Kieran Culkin) sont cousins. Ils ont grandi ensemble à New York. David est aussi taiseux que Benji est volubile. Ils décident d’effectuer ensemble en Pologne un circuit sur les traces de leur grand-mère, survivante de la Shoah. Ils rejoignent à Varsovie un groupe de touristes cornaqués par James (Will Sharpe), un guide britannique féru d’histoire.

La bande-annonce de ce film m’avait mis l’eau à la bouche. Elle m’avait laissé escompter un film drôle, touchant et intelligent. Drôle comme ces buddy movies où l’appariement forcé de deux personnages que tout oppose (Brel et Ventura dans L’Emmerdeur, Depardieu et Richard dans La Chèvre) suscite le rire. Touchant comme une visite des lieux de mémoire de la Shoah en Pologne doit immanquablement l’être. Intelligent comme son titre polysémique : A Real Pain signifie à la fois, au pied de la lettre, un vrai chagrin, comme celui que provoque la mort d’une aïeule et qui relativise les petites irritations dont nos jours sont tissés mais A Real Pain peut aussi signifier l’enquiquineur, le boulet.

Tous ces ingrédients étaient au rendez-vous. L’alliance de la carpe et du lapin, de David le timoré avec Benji, le fort-en-gueule, produit son lot escompté de situations comiques. La visite de la Pologne, du ghetto de Varsovie au camp de Maidanek, suscite évidemment un silence respectueux comme elle invite à une réflexion sur le tourisme de la Shoah (on se souvient du livre de Jonathan Safran Froer Tout est illuminé et de son adaptation à l’écran avec Elijah Wood parti sur les traces du shtetl de son grand-père en Galicie). A Real Pain a un petit parfum allenien (d’ailleurs Jesse Eisenberg a joué deux fois chez Woody Allen en 2012 et 2016) avec ses dialogues ciselés et pleins d’ironie, et la place laissée à la musique – ici les oeuvres célébrissimes pour piano de Chopin.

Pour autant A Real Pain m’a laissé sur ma faim. J’y ai pris moins de plaisir qu’escompté. Il m’a donné une sensation de trop peu, comme celle que procure un joueur de tennis qui retient ses coups. La faute, une fois encore, à une bande-annonce qui révèle les principales chevilles du film et ne laisse aucune place à la surprise. La faute à un scénario trop modeste dont l’élégance et le refus du sensationnalisme se retournent contre lui : ainsi de la seule rencontre du film avec des autochtones, devant l’ancienne maison de la grand-mère, ainsi de l’épilogue du film.

La bande-annonce

Les Damnés ★☆☆☆

En pleine guerre de Sécession, une compagnie est missionnée dans l’Ouest des Etats-Unis encore inexploré, pour en prendre possession au nom de l’Union. Composée de volontaires plus ou moins inexpérimentés, elle se retrouve vite abandonnée à elle face aux attaques, à la faim et au froid.

Roberto Minervini est un documentariste italien installé aux Etats-Unis. Dans What You Gonna Do When The World’s On Fire?, il filmait les membres de la communauté afro-américaine de Bâton-Rouge en Louisiane traumatisée par la multiplication des crimes racistes et l’inaction de la police. Sélectionné dans la section « Un certain regard » au dernier festival de Cannes, Les Damnés est son premier film de fiction. Mais on y retrouve son souci de documenter la condition militaire de jeunes recrues pendant la Guerre de Sécession.

À rebours des innombrables westerns, plus ou moins récents, tournés avec cette toile de fond, Les Damnés ne raconte pas une geste héroïque, des combats hauts en couleur, une page glorieuse de l’histoire américaine. Au contraire, il montre le quotidien banal et monotone d’une compagnie de soldats : le campement qu’on installe et qu’on quitte, les repas pris dans des écuelles malpropres, les tentes dans lesquelles on se blottit pour trouver un refuge contre le froid mordant, les tours de garde qui se succèdent face à un horizon immobile…
Les Damnés montrent ces soldats dans leur quotidien. Il leur donne la parole, dans de longs dialogues au coin du feu où chacun raconte à tour de rôle les motifs de son engagement : tel vient de Virginie, mais s’est rangé du côté de l’Union par conviction anti-esclavagiste, tel autre, âgé de seize ans à peine, s’est enrôlé pour ne pas être séparé de son frère….

Les Damnés voudrait nous faire partager l’ennui et l’émollience qui gagnent bientôt ces soldats perdus, qui ignorent le but de leur mission et ne comprennent rien aux coups du sort qui s’abattent sur eux. D’où viennent ces coups de feu qui les déciment ? Où quatre d’entre eux sont-ils envoyés en mission de reconnaissance ? Les acteurs – qui ont tourné le film sans scénario – semblent ne rien en savoir. Le spectateur en sait évidemment encore moins qu’eux. Perdu, désemparé, il a tôt fait de lâcher prise et de se désintéresser d’une histoire qui n’en est pas une.

La bande-annonce

Young Hearts ★☆☆☆

Tout va bien pour Elias, jeune collégien dans un petit village flamand. Ses parents l’adorent. Son grand-père habite tout près, dans une ferme qu’il administre seul depuis la mort de sa grand-mère. Elias a même une petite amie, Valérie, et une bande de copains fidèles.
Mais tout change lorsque s’installe un nouveau voisin. Jeune veuf, ce Bruxellois a deux enfants. L’aîné, Alexander, éveille chez Elias des sentiments inédits.

Les films sur l’homosexualité sont souvent dramatiques. Leurs héros y sont torturés par des sentiments qu’ils essaient vainement de réprimer. Ils sont en conflit avec leurs parents, leurs familles. Ils rencontrent dans leur entourage une homophobie plus ou moins haineuse. Qu’on pense à l’iconique Call Me by Your Name, à Moonlight ou encore aux films du Belge Lukas Dhont Girl (dont je ne me suis toujours pas remis du dénouement) ou Close.

Young Hearts a une immense vertu : il donne, pour une fois, de l’homosexualité une image heureuse. Il envoie aux jeunes garçons (et aux jeunes filles) une image positive, bien différente de celle que ressassent les films mettant en scène des adolescents LGBT. Le message qu’il leur adresse est salutaire : « Si tu es homosexuel.le, tu n’es pas voué.e à vivre mille et un tourments ; tu pourras connaître le grand amour sans endurer l’homophobie de ton entourage ».

Un tel message ne détonne pas dans un clip du ministre chargé de la lutte contre la discrimination et contre la haine envers les personnes LGBT. Il passe nettement moins bien dans un film. Young Hearts sombre dans le ridicule à force de bienveillance. Tout le monde y est beau, tout le monde y est gentil. À commencer par Elias – auquel j’aurais donné onze ans à peine – et à ses yeux trop bleus. Sa mère le chérit, son père aussi, même s’il ne vit que pour son travail : il est chanteur de variété et se produit dans des concerts dont le jeune Elias est encore trop jeune pour percevoir le ridicule. Ses copains, qu’on aurait imaginés plus homophobes à quatorze ans, ne tiquent pas à son coming out. Il n’est pas jusqu’à Valérie, sa petite amie, qui n’accepte gracieusement de céder la place…

La bande-annonce

L’Attachement ★★★☆

Sandra (Valéria Bruni Tedeschi), quinquagénaire féministe, célibataire et indépendante, se retrouve bien malgré elle impliquée dans la vie de son voisin Alex (Pio Marmaï) dont l’épouse décède brutalement en donnant naissance à une petite fille. La défunte laisse à Alex un orphelin, Elliot, né d’un premier mariage avec un amour d’enfance (Raphaël Quenard). Elliot, traumatisé par la mort de sa mère, reporte son affection sur sa voisine tandis qu’Alex peine à se reconstruire.

Une bande-annonce qui nous promet « un hymne à la vie » est pour moi – et pour mon fils qui a hérité d’on-ne-sait-où une ironie mordante – un repoussoir immédiat. Celle de L’Attachement avait eu ce défaut-là. Aussi ai-je laissé passer son avant-première et ne me suis-je pas rué le voir dès le jour de sa sortie. Heureusement, je me suis rattrapé le week-end suivant et n’ai pas raté ce film auquel j’ai bien failli mettre ces fameuses quatre étoiles que j’octroie si chichement.

Car L’Attachement m’a brisé le cœur. Dès la première scène, celle de la mort de la mère d’Elliott, à laquelle pourtant la bande-annonce nous a préparés, j’ai sorti mon premier Kleenex. J’en ai sorti beaucoup d’autres, notamment lors d’une scène où Emilia (Vimala Pons), la pétulante pédiatre avec laquelle peut-être Alex refera sa vie, pleure derrière une porte fermée.

C’est peut-être cet excès de larmes versées qui m’a retenu de donner à L’Attachement sa quatrième étoile. J’ai essayé, à tort ou à raison, de mettre de côté l’émotion qu’il avait fait naître en moi pour le juger objectivement. La froide objectivité me conduit à dire que c’est un très bon film, mais que ça n’en est pas un qui marquera l’histoire du cinéma et qui restera dans les mémoires. D’où ces trois étoiles seulement – dont tu auras compris, ami lecteur qui me connais bien, que je les regrette.

L’Attachement est l’adaptation d’un livre d’Alice Ferney paru en 2020, L’Intimité. On pourrait s’interroger sur ce glissement. Il me semble bienvenu. L’attachement est en effet un sentiment précieux et rare, différent de l’amour et de l’amitié, sur lequel cette histoire nous invite à nous interroger. L’Intimité était l’oeuvre d’Alice Ferney, une écrivaine , diplômée de l’Essec (!), que j’aime énormément. Son dernier, Deux Innocents, fut même mon livre préféré en 2023.

L’Attachement peut se prêter à une lecture sociologique. Son histoire est emblématique des familles recomposées. Il n’y a aucun lien de sang entre le petit Elliot et Alex, qui rencontre sa mère alors qu’Elliot est nourrisson, qui l’épouse, qui conçoit avec elle un autre enfant, sa demi-soeur. Il y en a encore moins entre Elliot et Emilia, avec laquelle Alex fait son deuil de sa femme. Et que dire des liens entre Elliot et Sandra, la voisine ? Pourtant circulent entre eux un amour, une amitié, en un mot un attachement terriblement puissant.

Carine Tardieu est à la réalisation. Elle n’est pas célèbre. Pourtant tous ses films – L’Attachement est le cinquième en dix-huit ans – qui creusent à l’os les liens du cœur, visent juste : La Tête de Maman, Du vent dans mes mollets, Ôtez-moi d’un doute sur une amour contrariée par la découverte d’un lien de filiation inconnu, Les Jeunes Amants sur la liaison adultère d’un homme avec une femme plus âgée que lui…

Elle dirige un trio d’acteurs impeccables. Valéria Bruni-Tedeschi, Pio Marmaï et Vimala Pons ont la même qualité et le même défaut : ils ont de l’énergie à revendre et une fâcheuse tendance, lorsqu’ils sont abandonnés à eux-mêmes, au surrégime. ce qui frappe ici, c’est leur sobriété. Valéria Bruni Tedeschi, trop souvent abonnée aux rôles d’hystériques (si ce mot peut encore être utilisé), est parfaite de retenue. Mais c’est Vimala Pons qui, comme d’habitude, m’a transporté, même si sa dernière scène ne m’a pas semblé très crédible.

La bande-annonce

Strip-tease intégral ★★☆☆

1985 ! C’est en 1985 que la première émission de Strip-tease a été diffusée sur la RTBF. Des centaines allaient suivre, relayées en France par Canal puis par France 3, jusqu’en 2012.

L’émission a déjà engendré des produits dérivés cinématographiques : Ni juge, ni soumise en 2018 (qui avait raflé le César et le Magritte du meilleur documentaire mais avait suscité de ma part quelques réserves déontologiques) et Poulet frites en 2022. Avec ce troisième opus, le format change. Il ne s’agit plus, comme dans les deux premiers, d’une seule histoire, mais de cinq épisodes sans lien entre eux. On y voit successivement deux influenceuses à Dubaï, une comédienne amatrice quinquagénaire qui peine à monter son spectacle pendant le off d’Avignon, une famille catholique très prout-prout, un médecin hypocondriaque que la crainte d’une pathologie cardiaque entraîne sur les traces de son vrai père et enfin un étonnant médecin légiste qui démembre un cadavre durant un long plan fixe malaisant, mais dont la toute dernière scène révèlera le jardin secret.

On y retrouve ce qui faisait le sel de l’émission : des personnages ordinaires et perchés à la fois, le don de la caméra pour se faire oublier et capter des moments lunaires, une sociologie de notre quotidien… Pour autant, on comprend mal l’intérêt d’une diffusion en salles de ce qui était et devrait rester de la (remarquable) télévision.

La bande-annonce

When the Light Breaks ★★★☆

Una et Diddi étudient ensemble à la faculté des beaux-arts de Reykjavik, appartiennent au même groupe de musique et filent le parfait amour. Seul problème : Diddi est officiellement en couple avec son amie d’enfance, Klara. La situation devrait toutefois se résoudre rapidement : Diddi doit prendre, dès le lendemain, l’avion pour annoncer à Klara son intention de rompre.

When the Light Breaks se déroule dans un court laps de temps, celui qui sépare deux couchers de soleil sur la baie de Reykjavik. Son titre original Ljósbrot est un mot islandais qui associe deux notions dont l’une signifie la lumière et l’autre casser. Il renvoie à la fois au coucher de soleil et à la mort de Diddi.

Car Diddi mourra à l’aube. Ne criez pas au divulgâchage ! La bande-annonce l’évoque et l’événement intervient dans les toutes premières minutes du film. On comprend alors mieux son sujet : celui du deuil impossible d’Una, obligée de ravaler son chagrin devant les amis éplorés de Diddi et devant Klara arrivée de toute urgence de sa lointaine province.

Le sujet est à mon sens inédit. J’en connaissais le symétrique : celui du deuil obligé du compagnon qu’on a cessé d’aimer et qu’on est tenu de pleurer (je pense à Emmanuelle Devos dans Ceux qui restent). Il est poignant. Il est très riche scénaristiquement : on imagine volontiers les développements, tragiques ou pourquoi pas comiques, qui peuvent en être tirés.

Le reproche qu’on pourrait adresser à Rúnar Rúnarsson est de ne pas avoir tiré tout le parti d’aussi riches prémices. When the Light Breaks se révèle, à l’expérience, un peu décevant qui, après une première moitié captivante, laquelle met lentement l’action en scène, jusqu’à la réunion de ces cinq ou six amis unis par le même chagrin, s’étiole et s’étire dans sa seconde.

Mais il lui sera beaucoup pardonné pour au moins quatre raisons. La première, la plus touristique, est le plaisir d’entr’apercevoir quelques uns des paysages les plus iconiques de la capitale islandaise : son église luthérienne, sa salle de concert, le Tjörnin… La deuxième est le sublime oratorio Odi et Amo de Jóhann Jóhannsson – qu’on peut entendre dans la bande-annonce. La troisième est le visage hyperboréen de Elín Hall, sylphide à la peau lactescente picotée de taches de rousseur, coupe garçonne, look androgyne. La dernière est le plan final, d’une ravageuse tendresse, qui résout à la perfection le dilemme dans lequel Una était enlisée.

La bande-annonce

Presence ★★☆☆

Toute l’action de Presence se déroule dans une spacieuse maison géorgienne à deux étages d’une banlieue huppée. Elle est filmée en caméra subjective à travers les yeux de l’occupant des lieux : un fantôme, un esprit. Il voit s’installer une famille typiquement américaine. La mère (Lucy Liu passée à la postérité il y a un quart de siècle grâce à ses rôles dans Charlie et ses drôles de dames et Kill Bill) porte la culotte, l’oreille rivée à son portable, embarquée dans des magouilles pas claires dont le père (Chris Sullivan) s’inquiète légitimement. Le fils aîné espère entrer dans une bonne université grâce à ses résultats en sport. La cadette, Chloé, se remet difficilement du brusque décès de sa meilleure amie. Elle seule sent confusément la présence d’un esprit dans les murs.

Steven Soderbergh est décidément un réalisateur hors pair. Il décroche à vingt-six ans à peine la Palme d’or avec son premier film, Sexe, Mensonges et Vidéo. Il devient avec Quentin Tarantino le fer de lance du cinéma américain. Pendant toute sa carrière, il alterne des films grand public (Erin Brockovich, Traffic, Ocean’s Eleven, Solaris…) et des oeuvres plus confidentielles à la limite de l’expérimentation. Il s’est même payé le luxe d’annoncer sa retraite… avant de revenir sur sa décision.

Ce touche-à-tout de génie a fait son miel d’un scénario écrit par David Koepp (le scénariste des Jurassic Park, des Indiana Jones, des Mission impossible…). On imagine volontiers ce qui l’a attiré dans ce récit raconté par les yeux d’un spectre, dans un espace clos dont il ne peut s’échapper. S’attribuant les fonctions de chef opérateur, Soderbergh a lui-même tenu la caméra pendant tout le film, s’amusant à tourner des plans-séquences décoiffants qui courent d’un étage à l’autre.

Le résultat n’est toutefois qu’à moitié convaincant. Presence tient tout entier dans la promesse sur laquelle il est construit : le tour de force d’une histoire filmée du point de vue d’un fantôme. La forme l’emporte sur le fond qui se révèle tout compte fait assez décevant. Les états d’âme de Chloé et la liaison toxique qu’elle entretient avec Ryan, un camarade de lycée de son frère, ne sont pas très intéressants. Quant à l’épilogue, il a pour seule qualité mais aussi pour énorme défaut, de donner la clé de l’énigme sur laquelle tout le film était construit : Presence aurait eu peut-être plus de sel si l’identité de son principal protagoniste nous était restée cachée.

La bande-annonce

La Fabrique du mensonge ★★☆☆

Les films sur la Seconde Guerre mondiale sont légion ; mais rares sont ceux qui choisissent de se focaliser sur les chefs nazis. La Chute (2004), sur les derniers jours d’Hitler dans le bunker de Berlin, fait exception ; l’interprétation de Bruno Ganz a durablement marqué les esprits.

Joachim A. Lang a choisi de s’intéresser à Joseph Goebbels, le ministre de la propagande du Reich. Le titre original allemand est particulièrement intelligent : Führer und Verführer, qui, jouant sur la paronymie, signifie « Le Führer et le séducteur ». À l’international, le film est diffusé sous le titre « Goebbels and the Führer ». Le titre français est moins immédiatement compréhensible qui renvoie à un sujet d’une brûlante actualité : la propagande, la fabrication de fausses nouvelles et la manière dont un régime autoritaire utilise l’information pour manipuler l’opinion publique.

Ce constant rappel de l’actualité du sujet – la célèbre citation de Primo Levi « C’est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau » est martelée au début et à la fin du film pour nous rentrer dans la tête – n’est pas la dimension la plus pertinente de ce film. Comme si la Seconde Guerre mondiale et les délires du régime nazi ne se suffisaient pas à eux seuls pour nourrir la mouture d’un film.

Pour l’historien, comme pour le cinéphile, est autrement plus intéressante la description de la garde rapprochée du Führer, aveuglément fidèle à son chef, mais divisée par de sourdes rivalités. Dans cet aréopage exclusivement masculin, Joseph Goebbels est un personnage à part. Affligé d’une maladie osseuse qui le privera de l’usage de son pied droit, il est réformé en 1914 et ne peut se parer, comme Goering, son ennemi intime, du titre d’ancien combattant. De petite taille (il mesure 1m65 à peine), il est bien loin des canons de beauté de la race aryenne. Rallié de la première heure au NSDAP, il a en charge la propagande qu’il manie avec une maîtrise éprouvée pour permettre l’accession de Hitler au pouvoir en 1933 puis le durcissement de la dictature.

La Fabrique du mensonge puise dans une documentation abondante, notamment dans le Journal de Goebbels. Il fait alterner des images de fiction et des images d’archives – telles que le fameux discours de 1943 au palais des sports de Berlin.

Contrairement à l’idée qu’on pouvait s’en faire, Goebbels n’a pas été toujours en accord avec Hitler. Le film montre par exemple ses réticences au bellicisme à tout crin du Führer à partir de 1938, le ministre de la Propagande ayant bien senti que l’opinion publique allemande y était réticente. Mais la dévotion au Führer pour lequel Goebbels nourrissait un amour quasi-filial finissait toujours par l’emporter.

On découvre aussi le couple qu’il formait avec Magda, érigé en modèle dans l’Allemagne nazie, avec leurs six enfants adorables. Il a en fait connu bien des déboires. Goebbels a bien failli divorcer en 1938 pour épouser une actrice tchèque, Lída Baarová, mais en a été empêché par Hitler lui-même. La scène est presque comique qui voit le Führer, en plein préparatifs de guerre, devoir intercéder entre Joseph et Magda fermement décidés à se séparer. Et la figure de Magda, réduite à cause des conditions de son suicide, à une nazie chevronnée et une mère sacrificielle, apparaît autrement plus complexe dans le film.

La Fabrique du mensonge n’atteint pas son double but affiché : nous expliquer comment l’information est manipulée et nous prémunir contre le risque de bégaiement de l’Histoire. Mais il réussit fort bien à décrire l’une des figures les plus célèbres mais aussi les moins connues de l’entourage d’Hitler.

La bande-annonce