Germaine Acogny, l’essence de la danse ★☆☆☆

La danseuse Germaine Acogny a créé à Toubab Dialaw, sur la Petite Côte, à l’est de Dakar, un lieu unique, l’École des sables. Le documentaire très classique de l’Allemande Greta-Marie Becker nous en ouvre les portes.

Avec quelques images d’archives, il revient sur l’histoire de cette danseuse née au Bénin en 1944, élève de Béjart, qui administra pour lui dans les années 70 l’antenne africaine de son école de danse à Dakar avant de voler de ses propres ailes.

La documentariste a gagné la confiance de la danseuse qui lui a ouvert son intimité et lui a raconté le couple étonnant qu’elle forme avec Helmut Vogt, un architecte allemand qui a dressé les plans de l’École des sables.

Une structure est née, dans un site splendide. Des stages de danse y sont organisés, qui attirent des danseurs du continent africain et d’ailleurs. On aurait aimé en savoir plus sur leur organisation et sur le recrutement des danseurs. Ces stages sont-ils ouverts à tous ? ou bien ses participants sont-ils sélectionnés ? Qui les finance ? les danseurs ? leurs compagnies ? leurs pays ? les tarifs varient-ils selon que le stagiaire est africain ou pas ? Germaine Acogny dirige-t-elle une compagnie par ailleurs qui recruterait ses danseurs parmi ses anciens stagiaires ?

On est un peu frustré de ces questions sans réponse. On se console en regardant les danseurs s’exercer. On voit aussi quelques images des spectacles donnés par Germaine Acogny elle-même en solo ou avec ses danseurs, par exemple Le Sacre du printemps ou dans Fagaala sur le génocide au Rwanda.

La bande-annonce

Jeunesse (retour au pays) ★☆☆☆

Retour au pays est le troisième volet d’une trilogie monstre, d’une durée totale de près de dix heures. J’avais vu le premier volet à sa sortie en janvier 2024, mais avais renoncé au deuxième en avril dernier.

La raison en était que j’avais trouvé le premier certes intéressant mais trop long (3h32). La durée du deuxième m’avait rebuté (3h47). C’est seulement parce que celle du troisième était plus comestible (2h32) et que les critiques étaient si élogieuses que je me suis fait violence pour le voir.

Je n’ai pas grand-chose à en dire de plus que je n’aie déjà dit dans ma première critique. Wang Bing a filmé pendant cinq ans, entre 2014 et 2019, les ouvriers d’une cité-dortoir du Zhejiang, près de Shanghai, spécialisée dans l’industrie textile. Souvent originaires de la « Chine de l’intérieur », ils sont employés dans une myriade de petits ateliers indépendants, répondant à la commande au plus bas prix.

Jeunesse dresse un portrait très dur de cette jeunesse-là, rude à la tâche, obsédée par le maigre salaire qu’un travail harassant lui permet de gagner, et par les moyens de ne pas le gaspiller trop vite, dans la boisson ou le jeu. Jeunesse a les qualités des grands documentaires : réussir, à partir de petits faits quotidiens captés sur le vif, à parler de l’universel, ici la condition ouvrière dans une société hyper-capitalistique.

Mais, à mes yeux, Jeunesse souffre d’un handicap rédhibitoire : sa durée. Je ne vois pas en quoi ses dix heures le servent. Je vois au contraire trop bien en quoi elles le desservent : pousser à bout la résistance du spectateur qui, passée la première heure, s’ennuie ferme, s’impatiente et/ou s’endort.

La bande-annonce

Rock Bottom ★☆☆☆

En 1974, Robert Wyatt, qui vient d’entamer une carrière solo après avoir quitté le groupe Soft Machine, sort l’album Rock Bottom. L’année précédente, Wyatt, en état d’ébriété, était tombé du quatrième étage d’un immeuble londonien où se déroulait une soirée sous substances. La chute l’avait laissé paraplégique. Il avait déjà entamé la composition de Rock Bottom qu’il a achevé durant sa longue convalescence avec le soutien d’Alfreda Benge, une poétesse et une illustratrice, qui dessinera la couverture de la pochette. Robert et « Alfie » se marient le jour de la sortie de l’album.

Rock Bottom est « l’un des chefs-d’œuvre les plus originaux de l’histoire du rock » (Alain Dister). C’est un album de rock progressif à l’intersection du jazz et du rock. À l’occasion de son cinquantième anniversaire, la réalisatrice espagnole Maria Trénor lui donne une seconde jeunesse en prenant quelques libertés avec les faits. Elle fait tomber Wyatt d’un brownstone new yorkais et imagine que Bob et Alfie ont vécu ensemble à Majorque, aux Baléares – alors qu’ils ont ébauché les chansons de Rock Bottom à Venise où Alfie travaillait sur le film de Nicolas Roeg Don’t Look Now.

Maria Trenor utilise la rotoscopie qui consiste à filmer d’abord les acteurs en prises de vues réelles pour ensuite dessiner les contours des silhouettes, image après image. Elle nous entraîne dans une folle immersion psychédélique, zébrée d’éclairs surréalistes, censée retranscrire l’état de transe dans lequel la drogue puis les médicaments ont plongé Wyatt durant tout son processus créatif. L’effet est hypnotisant. Rock Bottom fait partie de ces films qu’on peut, qu’on doit regarder dans un état second, sans s’attacher à leur linéarité, en se laissant submerger par ses images et par un son envoûtant.

Ce n’est certainement pas ma came…. mais ça n’en est pas moins pour autant de la très bonne came.

La bande-annonce

Sam fait plus rire ★★★☆

Samantha Cowell (Rachel Sennott) est une stand-uppeuse. Elle vit en colocation avec deux de ses collègues qui se produisent chaque soir dans une salle de Toronto. Elle peine à se relever d’un trauma qui l’empêche de remonter sur scène. Quelques années plus tôt, elle a été embauchée par un père de famille pour s’occuper de sa fille, Brooke, pendant la longue hospitalisation de sa mère.

Avec son titre en forme de calembour, Sam fait plus rire (I Used to Be Funny) pourrait laisser augurer une comédie gentillette avec son héroïne en pleine crise de la page blanche qui retrouvera, une fois purgées ses angoisses, le chemin des tréteaux. Mais ce premier film canadien est autrement plus grave.

Il souffre de la comparaison avec Sorry, Baby sorti une semaine plus tôt seulement. Que ses distributeurs n’aient pas modifié la date de sa sortie est une sottise et un crime. Qui, en plein été, ira voir deux fois le même film, le premier, d’ailleurs bien mieux distribué, pouvant à bon droit se vanter de bien des qualités ?

Pourtant, le second n’en manque pas. La première est sa construction qui multiplie les flashbacks et les flashforwards sans pour autant égarer le spectateur. Cette construction est plus audacieuse que celle, beaucoup plus linéaire et planplan de Sorry, Baby. La deuxième est le brouillard qui entoure le traumatisme subi par l’héroïne, là où celui subi par celle de Sorry, Baby se laissait deviner beaucoup plus facilement. La troisième est la révélation Rachel Sennott, son naturel, son humour, son charme.

J’ai mis trois étoiles à Sorry, Baby. Je n’ose pas en mettre quatre à Sam fait plus rire. Il est loin d’être le meilleur film de l’année. Il n’en a d’ailleurs pas la prétention. Mais je veux me faire l’avocat de ce film remarquable pénalisé par une date de sortie calamiteuse et une programmation en salles bien timide.

La bande-annonce

Kouté Vwa ★☆☆☆

Melrick, treize ans, passe ses vacances en Guyane chez sa grand-mère. Il s’initie au tambour. La mémoire de son oncle, tambouyé lui aussi, tué dix ans plus tôt dans une rixe, ressurgit.

Les films sur la Guyane sont rares. C’est l’exotisme de celui-ci, aux frontières de la fiction et du documentaire, qui m’a conduit à le voir le mois dernier à Paris malgré sa très médiocre distribution.

Son sujet est touchant. Son réalisateur a voulu rendre hommage à son cousin, Lucas Diomar, tué à l’âge de dix- huit ans seulement, d’un coup de couteau. Il utilise des images d’époque, notamment celles de ses funérailles avec lesquelles s’ouvre le film.

Kouté Vwa invite à une réflexion sur le crime, la vengeance et le pardon, à travers notamment un long dialogue entre le garçonnet et sa grand-mère dont la piété religieuse l’a beaucoup soutenue. Il ne montre pas grand-chose de la Guyane, tournant le dos, d’ailleurs sans doute à bon escient, à une approche touristique qui se serait traduite par une succession de cartes postales. On regrette en revanche qu’il ne s’ouvre pas à une réflexion plus générale sur la situation de ce département ultramarin et les défis qu’il doit relever : une population jeune et en forte croissance, un déficit commercial structurel, un fort taux de chômage, le double fléau de l’orpaillage et du trafic de cocaïne…

La bande-annonce

Perla ★★☆☆

Au début des années 80, Perla vit à Vienne, élève seule sa fille, bientôt adolescente et essaie non sans mal d’exposer ses toiles. Elle fait la connaissance de Josef, qui quitte pour elle sa femme et file avec elle le parfait amour.
Mais on découvre lentement le lourd passé que cache Perla. Une dizaine d’années plus tôt, ne souffrant plus le régime communiste, elle a quitté la Tchécoslovaquie dans des circonstances dramatiques. Elle a laissé derrière elle son conjoint, Andrej, le père de Julia. Jusqu’au jour où Andrej retrouve sa trace et lui demande de revenir en Tchécoslovaquie.

La réalisatrice Alexandra Makarová dit avoir puisé dans l’histoire de sa mère et de sa grand-mère pour écrire ce scénario. Il a la texture amère des films consacrés aux anciennes démocraties populaires, à leur surveillance policière, à leurs hivers interminables, à leurs conditions de vie misérables : Good Bye, Lenin !, La Vie des autres, Barbara

Perla est donc un film politique sur l’Europe de l’Est et sur le régime dictatorial qui y régna jusqu’à la chute du Mur. Mais il ne se résume pas à cette seule dimension. C’est surtout un drame intimiste sur une femme, déchirée entre son présent en Autriche avec Josef et son passé en Slovaquie avec Andrej. Rebeka Poláková est impeccable dans le rôle-titre.

On pourrait déduire de son titre et de son affiche que Perla en est le seul caractère et que toute l’intrigue  du film tourne autour d’elle. Ce serait oublier le rôle joué par sa fille. Même si l’histoire n’est pas racontée à travers ses yeux, c’est son point de vue qui donne au film un relief qui lui aurait sinon fait défaut. Elle aime sa mère, a un besoin viscéral de son amour, autant qu’elle la juge et lui reproche ses choix.

La bande-annonce

Gangs of Taïwan ★☆☆☆

Zhong-Han est muet. Il a quitté la campagne pour la ville. À Taïpei, un vieux couple de restaurateurs lui offre le gîte et le couvert en échange de son travail. Zhong-han fait par ailleurs partie d’une bande de voyous qui travaillent pour la mafia et intimident les créanciers défaillants.

La bande-annonce de Gangs of Taïwan m’avait mis l’eau à la bouche. J’espérais y retrouver l’énergie des films de gangsters chinois ou hongkongais de John Woo ou d’Andrew Lau. D’autant que ce début août est bien plat avant une rentrée qui s’annonce alléchante : Alpha, Valeur sentimentale, Connemara, Sirat, Chien 51

Gangs of Taïwan embrasse large. Il évoque les manifestations démocratiques à Hong Kong (l’intrigue se déroule en 2019), la corruption qui gangrène la classe politique taïwanaise, la dégradation des conditions socio-économiques… Comme si la barque n’était pas assez chargée, il y rajoute une histoire d’amour entre le héros et une caissière de supérette.

Le résultat dure plus de deux heures. Je serais injuste de dire que je m’y suis ennuyé ; car le scénario compte son lot de rebondissements. Mais à mes yeux Gangs of Taïwan rejoindra très vite le rang des films pas désagréables mais oubliables.

La bande-annonce

Aux jours qui viennent ★★☆☆

Joachim (Bastien Bouillon) est un homme violent, prisonnier de ses addictions, qui fait souffrir les femmes qui tombent sous son emprise. Laura (Zita Hanrot) a réussi à s’en libérer. Elle élève désormais seule à Nice leur fille, Lou, et se reconstruit lentement, même si la vie quotidienne n’est pas toujours facile. Joachim est désormais en couple avec Shirine (Alexia Chardard) et manifeste à son égard les premiers symptômes de la jalousie et de l’agressivité, identiques à ceux dont Laura a si douloureusement pâti. Aussi c’est elle que Shirine appelle à l’aide.

Aux jours qui viennent est un film à thème, sur la violence masculine. On ne saurait l’en blâmer tant le sujet est d’une douloureuse actualité. Sur ce thème-là, Jusqu’à la garde fut peut-être l’un des meilleurs films français de ces dix dernières années. D’ailleurs Aux jours qui viennent souffre de l’ombre portée de ce précédent d’anthologie, couvert de prix (quatre Césars en 2019).

Le film a un défaut : un scénario qui multiplie les incohérences. Il aurait gagné à se concentrer sur la ville de Nice que Nathalie Najem filme comme n’importe quelle métropole, pluvieuse et bruyante, loin de l’image de carte postale qu’on en a. Il fait un long détour inutile par la Sicile. Il se termine par une scène totalement improbable sur le rooftop d’un hôtel de luxe.

Le film a en revanche une qualité : l’interprétation de ses acteurs. Il faut dire un mot de Maya Hirsbein, la gamine de neuf ans à peine qui interprète le rôle de la fille de Laura. Belle comme un cœur, elle évite le piège dans lequel tombent souvent les très jeunes acteurs et présente une telle ressemblance avec sa mère sur scène qu’on sort de la salle convaincu qu’elle en est réellement la fille à la ville. Mention aussi à Zita Hanrot, découverte dans Fatima qui lui valut le César du meilleur jeune espoir féminin en 2016. On la revoit toujours avec plaisir (La Vie scolaire, Rouge) mais on regrette qu’elle peine à trouver le film ou le rôle qui feront d’elle une star.

Mais celui qui aimante l’écran, c’est Bastien Bouillon. Le gentil flic de La Nuit du 12, le gentil pote peroxydé de Partir un jour démontre l’ampleur de son talent en se muant en toxico pas gentil du tout, susceptible d’exploser d’une seconde à l’autre et d’assommer de coups sa compagne. Sa prestation écrase celle des autres actrices pourtant talentueuses (on retrouve avec plaisir Marianne Basler, dans le rôle de la mère perchée de Joachim, dans deux scènes parfaites) et donne au film toute sa toxicité.

La bande-annonce

Frantz Fanon ☆☆☆☆

Passé à la postérité pour ses écrits anticolonialistes (Peaux noires, Masques blancs en 1951, Les Damnés de la terre en 1961) et pour son engagement aux côtés des indépendantistes algériens, Frantz Fanon fut médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville de 1953 à 1956. Fanon s’employa à y mettre en oeuvre les méthodes de la « psychothérapie institutionnelle » qu’il avait apprises de son maître, le docteur François Tosquelles à l’hôpital de Saint-Alban.

Ce Fanon-là sort trois mois après celui réalisé par Jean-Claude Barny qui avait engrangé un beau succès public, dépassant les deux cent mille entrées. Pourquoi un tel doublon ? Parce qu’on fête cette année le centenaire de la naissance de Fanon. Parce que surtout les deux projets se sont montés parallèlement en s’ignorant mutuellement, le premier en France, le second, qui lui est en fait antérieur, en Algérie. On imagine volontiers l’agacement de chacune des équipes quand elles ont appris l’existence du projet de l’autre.

Car les deux films se superposent parfaitement. Seule différence : celui de Jean-Claude Barny se prolongeant jusqu’à la mort de Fanon alors que celui de Abdenour Zahzah s’arrête à son départ de Blida. Autre différence : le film de Zahzah ne parle quasiment pas de l’engagement politique de Fanon ni de ses livres, se bornant scrupuleusement à décrire son activité réformatrice au sein de l’hôpital.

Tout ce qu’il raconte et qu’on a déjà vu dans le précédent film est l’engagement du médecin auprès de ses malades pour en améliorer le sort à rebours des usages rétrogrades qui prévalaient à l’époque et malgré les résistances de ses collègues conservateurs et racistes.

J’avais éreinté le Fanon de Barny, ne lui mettant aucune étoile. Pourtant, il surpasse sur tous les tableaux celui de Zahzah qui accumule les défauts. Son manque de budget se voit à chaque plan. Le pire : son interprétation calamiteuse par des acteurs qui récitent besogneusement leur texte (la prime allant à la malheureuse interprète de Josie Fanon là où Deborah François arrivait à lui donner tant de charme).

S’il n’y avait eu Valensole 1965, Frantz Fanon aurait emporté haut la main le prix du navet de l’été.

La bande-annonce

Touch ★★★☆

Sentant venir sa fin prochaine, Kristofer quitte son pays, l’Islande pour l’Angleterre. Il remonte l’histoire de sa vie et se rend à Londres où, cinquante ans plus tôt, jeune étudiant, il travailla dans un restaurant japonais et y tomba amoureux de la fille du propriétaire.

Il ne faut pas se fier à l’affiche, horriblement kitsch, au titre (dont je n’ai pas compris le sens), ni même au pitch sirupeux de ce film. Touch n’est pas une RomCom en cuisine. C’est au contraire un film d’une grande délicatesse qui joue sur une corde qui me fait fondre : la nostalgie des amours passées.

Il est construit à partir de flash-backs entre le présent, les premiers mois de l’année 2020, une époque que nous avons tous en mémoire car c’est celle où le monde entier s’est confiné pour se protéger du Covid, et le passé, la fin des sixties dans un quartier populaire de Londres soigneusement reconstitué.
Il met en scène un vieil Islandais, Kristofer, dont le médecin vient de diagnostiquer une maladie neurodégénérative. Kristofer revient sur les lieux où, cinquante ans plus tôt, il a vécu une idylle. Son voyage se transforme en quête et en enquête sur les traces de Miko, cette jeune femme qui le marqua pour la vie et qui a mystérieusement disparu.

On me dira que Touch est bien mielleux et prévisible. Ce ne sera pas faux, même si, en ce qui me concerne, je n’avais pas anticipé les bifurcations prises par le scénario. J’ai trouvé les deux protagonistes si beaux, si jeunes, si touchants que j’ai aveuglément adhéré à la romance qui les rapproche, au risque d’y perdre tout sens critique.

La bande-annonce