Pooja, Sir ★☆☆☆

L’inspectrice Pooja est envoyée dans une ville du sud du Népal en état de siège, où la minorité madhesi proteste pour la défense de ses droits. Le fils d’un député vient d’y être kidnappé. Pooja mène l’enquête en dépit des obstacles qui se dressent devant elle.

Avez-vous déjà vu un film népalais ? Pour moi Pooja, Sir est le premier. Cette rareté doit-elle vous inciter à aller le voir ? Pas sûr.

Ce film rappelle beaucoup un autre, sorti il y a un an tout juste : Santosh mettait en scène une veuve recrutée dans la police indienne qui enquêtait sur un infanticide et se retrouvait en butte à la misogynie de ses collègues.

Pooja elle aussi est une femme au milieu des hommes. Pour se faire respecter elle surjoue la masculinité : coupe à la garçonne, vêtements unisexe, bourrue plus que nécessaire, elle exige de ses subordonnées d’être appelée « Sir ». Voilà le titre expliqué.

Le réalisateur Deepak Rauniyar charge la barque. Son film évoque plusieurs thèmes : le machisme dans la police donc et plus largement le patriarcat rigide qui prévaut dans la société népalaise, mais aussi le racisme dont est victime la minorité indienne au Népal, du fait de sa religion et de sa carnation, mais encore la corruption rampante qui mine les administrations népalaises, civiles et militaires.

Ces sujets sont graves et importants. Ce film a l’avantage de nous les faire connaître. Mais leur évocation, trop insistante, se fait au détriment de l’intrigue policière qui multiplie les rebondissements peu crédibles au risque de perdre le spectateur.

La bande-annonce

Materialists ★☆☆☆

Lucy (Dakota Johnson) est une « match-makeuse » professionnelle. Elle travaille pour l’une des plus prestigieuses agences de rencontres new-yorkaises qui, moyennant quelques dizaines de milliers de dollars, vous trouvera l’âme sœur.e vous correspondant le mieux.
Lucy est célibataire et matérialiste. Son cœur balance entre Harry (Pedro Pascal), un banquier terriblement séduisant, et John (Chris Evans), son ex, éternellement fauché.

J’ai beaucoup hésité à aller voir ce film hollywoodien sorti depuis le 4 juillet. Son affiche et son pitch me laissaient redouter une romcom sans originalité. Si je me suis laissé convaincre, c’est moins par le charme de ses trois têtes d’affiche que sur le nom de sa réalisatrice. Celine Song a en effet signé Past Lives en 2023. Elle y disséquait avec beaucoup de finesse les ressorts du couple. J’en attendais autant de Materalists.

J’ai été amèrement déçu. Certes Dakota Johnson, Pedro Pascal et Chris Evans y sont, chacun à leur façon, sexy en diable. Mais c’est bien là la seule qualité de ce film trop long et au scénario languissant. On se tromperait en croyant qu’il porte un regard froid et cruel sur l’industrie du dating, sur les espoirs qu’elle suscite, sur les déceptions qu’elle cause, sur la part qu’y prennent les apparences et le matérialisme. Au contraire, Materialists délivre la même morale mielleuse que celle qu’Hollywood nous ressasse depuis La Mélodie du bonheur : l’amour, le vrai, ne s’embarrasse pas des différences sociales. Can’t buy me love

La bande-annonce

The Things You Kill ★★☆☆

Après un long séjour d’une quinzaine d’années aux Etats-Unis, Ali est revenu vivre en Turquie. Il enseigne à temps partiel la littérature comparée à l’Université. Il essaie désespérément d’avoir un enfant avec sa femme. Il passe le plus de temps possible avec sa vieille mère, que son père maltraite.

Alireza Khatami est un réalisateur iranien exilé au Canada. Son précédent film, Chroniques de Téhéran, utilisait un procédé sacrément audacieux pour décrire les multiples facettes de la vie quotidienne des Iraniens. Celui-ci est d’un tout autre genre. Comme le résume parfaitement Gaël Golhen dans Première, c’est Kiarostami revu par Lynch. Il raconte, sur le mode apparemment banal de la chronique familiale, une histoire qui vire au polar et au fantastique.

Car, tiraillé par ses problèmes personnels, la précarité de son emploi à l’Université, ses difficultés à avoir un enfant, Ali nourrit des doutes sur les circonstances du décès brutal de sa mère. Il en vient à en accuser son père, un tyran domestique qui terrorise toute la famille, bat sa femme mais possède aussi peut-être des qualités cachées.

Prix du jury et prix de la critique au dernier festival Reims Polar, The Things You Kill est particulièrement réussi si on accepte les questions que le film laisse ouvertes. Je m’en suis posé une. Puis deux. Puis trois. Et je suis sorti de la salle sans réponses. C’est une sensation un peu frustrante – même si les films hollywoodiens ont souvent le défaut inverse de refermer scrupuleusement toutes les portes qu’ils ont ouvertes. Le spectateur veut savoir. Le cinéaste a trois possibilités : lui donner la réponse, lui laisser la deviner (ce qui est à mes yeux la marque des meilleurs scénarios comme Mulholland Drive) ou encore, ce qui est je crois le cas ici, n’en donner aucune pour la bonne et simple raison qu’il n’y en a pas.

La bande-annonce

Sorry, Baby ★★★☆

Agnes (Eva Victor) accueille pendant quelques jours chez elle dans le Massachussetts sa meilleure amie Lydie qui est partie vivre à New York, s’y est mariée et lui annonce qu’elle attend un enfant. Agnes et Lydie ont passé leur doctorat en littérature anglaise ensemble dans la faculté où Agnes vient d’être titularisée. Quelques années plus tôt, la jeune femme y a vécu un traumatisme dont elle partage avec Lydie le secret et dont elle peine à se relever.

Produit par A24, la société américaine tellement tendance, Sorry, Baby a été projeté à Sundance en janvier, y a remporté le prix du meilleur scénario avant de clôturer la dernière Quinzaine des cinéastes à Cannes. Sorry Baby révèle une réalisatrice et une actrice née en 1994, venue du web où ses vidéos sont devenues virales. Elle m’a rappelé par sa taille, sa silhouette dégingandée et le thème de son film, Greta Gerwig et son personnage dans Frances A.

Sorry, Baby est organisé selon une construction intelligente en cinq chapitres. Le premier et le dernier, qui enserrent le récit, se déroulent au présent, à quelques mois d’intervalle à peine pour laisser le temps à Lydie d’accoucher. Les trois autres se succèdent dans le passé depuis cet événement fondateur qu’on a tôt fait de deviner. Cette structure  est parfaitement adaptée au sujet du film : la reconstruction post-traumatique.

Sorry, Baby vaut surtout par son actrice principale. Elle est atypique, perchée en haut de son 1m80, sans le moindre maquillage ni le moindre bijou. Son agression l’a traumatisée mais elle ne s’y réduit pas et ne verse jamais dans la misanthropie. Au contraire, elle saisit les mains qui lui sont tendues : celles de sa meilleure amie avec laquelle les liens noués à l’université ne se sont jamais distendus, celles d’un inconnu avec qui elle partage un sandwich sur un parking désaffecté, celles de son voisin dont la maladresse et la gentillesse la touchent.

Eve Victor ne se contente pas de raconter une histoire. Elle le fait selon une grammaire mûrement réfléchie. Grâce à son scénario destructuré, on l’a dit. Grâce aussi à l’attention qu’elle porte au cadrage. Son héroïne est toujours filmée dans l’embrasure d’une porte, à travers une fenêtre, comme si son corps immense était entravé dans un cadre qui la limite.

Sorry, Baby est un film doux et amer à la fois, touchant sans être mielleux. Une réussite.

La bande-annonce

Dìdi ★★★☆

Nous sommes à Fremont, en Californie, près de San Francisco en 2008, à l’époque où naissaient Facebook et les réseaux sociaux.
Christopher a treize ans. Ses amis l’ont surnommé Wang-Wang ; sa mère qui l’élève seule avec sa grand-mère l’appelle plus affectueusement Dìdi. Sa sœur aînée, avec laquelle il ne cesse de se chamailler, s’apprête à faire son entrée à l’université. Son père, absent, travaille au loin à Taïwan.

Nous vient des Etats-Unis, auréolé du prix du public du festival de Sundance 2024, ce premier film, qu’on imagine volontiers en tout ou en partie autobiographique, signé par un jeune réalisateur taïwano-américain né en 1994 à Fremont.

Dìdi peut se lire à trois niveaux.

C’est d’abord un film sur la pré-adolescence, la sortie de l’enfance. On a beau en avoir vu des dizaines, depuis Les Quatre Cents Coups et La Boum, on se laisse toujours prendre à leur charme. Leurs héros y vivent avec une intensité folle leurs premières fois : premier élan amoureux, premiers interdits transgressés, premières tentatives souvent maladroites de passer pour plus grand qu’on n’est auprès de ses aînés (une phrase dont Lacan ferait son miel)… Qui a eu un jour quatorze ans et a fumé sa première cigarette en cachette de ses parents ou a embrassé un Stéphane ou une Stéphanie pendant un cours d’EPS ne pourra qu’être ému.e par la « nervosité » de Dìdi à côté de la si jolie Viviane.

C’est ensuite un film sur le choc des cultures. C’est d’ailleurs ce qui en fait a priori le sel et l’intérêt. Dìdi n’est pas seulement l’histoire mille fois racontée d’un pré-ado dans une banlieue américaine anomique mais celle d’un pré-ado sino-américain qui doit jongler entre deux cultures. Ce genre de films-là, qui raconte l’histoire d’une intégration pas toujours facile d’une minorité dans une terre d’immigration, n’est pas nouveau non plus, en France (Dans la cuisine des Nguyen, Tout simplement noir…) ou aux Etats-Unis (la série Fresh Off the Boat qui raconte la vie d’une famille taïwanaise en Floride). Il est aussi politiquement correct en diable.

Mais Dìdi comporte un troisième niveau de lecture. C’est l’histoire d’une relation mère-fils et frère-sœur profondément émouvante. Le jeune Christopher mène la vie dure à sa mère et à sa sœur. Mais on sent bien que l’animosité qu’il manifeste à leur égard est la manière maladroite pour lui de leur exprimer son amour. On me dira que cette relation a déjà, elle aussi, été filmée, qu’elle est aussi très bisounours. Ce n’est pas faux. Mais Dìdi le fait avec une justesse qui m’a infiniment ému.

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Valensole 1965 ☆☆☆☆

À l’aube du 1er juillet 1965, à Valensole, près de Manosque, Maurice Masse, un paysan, affirme avoir vu une soucoupe volante se poser dans son champ de lavande et deux extra-terrestres en sortir.

Ce témoignage avait réjoui les gazetiers l’espace d’un été, qui s’étaient gentiment moqué des hallucinations de ce paysan provençal. Le petit bourg bas-alpin (car le département s’appelait alors les Basses-Alpes avant d’opter en 1970 pour un titre moins dépréciatif) connut une célébrité éphémère et vit affluer les curieux, les hippies et les ufologues.

Le problème du film de Dominique Filhol est qu’il traite l’histoire au premier degré. Il le fait sur le mode de la reconstitution historique à la Pagnol, avec l’accent obligatoire pour tous ses personnages et des couchers de soleil somptueux sur la lavande provençale. On se croirait dans une publicité pour Ricard ou pour l’Occitane ! Pastichant Raimu ou Gabin, Matthias Van Khache joue Maurice Masse, étourdi par sa mésaventure, honteux de l’avoir racontée et d’être devenu la risée de tout un pays. Vahina Giocante, jeune première dans les années 2000, se reconvertit dans le rôle d’une sage épouse, prête à croire pour le bonheur de son mari à ses mensonges.

Valensole 1965 se tient au plus près des faits. C’est bien sa limite ; car les faits se limitent à pas grand chose. Pourtant, le sujet n’était pas inintéressant qui se serait prêté à toutes sortes de développements, des plus comiques aux plus sérieux. Les soucoupes volantes et les petits bonhommes verts – comme les apparitions de la Vierge au siècle précédent – sont des faits sociologiques passionnants qui nous disent beaucoup de notre époque, de nos peurs, de nos fantasmes. Il est d’ailleurs étonnant qu’on n’en croise plus guère. Pourtant le sujet n’a rien perdu de son actualité à l’heure des intox et des débunkages plus ou moins convaincants. Si certains croient que la Terre est plate – ou que Brigitte Macron est un homme – pourquoi ne croirait-on pas qu’existent dans l’Univers des formes d’existence extra-terrestre ?!

Des petits bonhommes verts ont-ils vraiment croisé la route de Maurice Masse le 1er juillet 1965 ? Le film aurait été bien maladroit s’il avait tranché cette énigme, dans un sens ou dans un autre. Il évite cet écueil ; mais il échoue sur tant d’autres que son résultat ne se hisse pas au-dessus du niveau d’un mauvais téléfilm.

La bande-annonce

Eddington ★★☆☆

À Eddington, une bourgade du Nouveau-Mexique, pendant la pandémie du Covid, deux hommes s’affrontent. Le maire, Ted Garcia (Pedro Pascal), fait campagne pour sa réélection. Le sheriff, Joe Cross (Joaquin Phoenix), se dresse contre lui et présente sa candidature. Au cœur de leur conflit : la construction d’un centre de stockage de données, la mise en œuvre des mesures de distanciation sociale décidées pour enrayer la pandémie et des secrets enfouis autour de Louise (Emma Stone), la femme de Joe. Tout dégénère quand des manifestants Black Lives Matter viennent défiler dans les rues de la paisible bourgade.

Ari Aster est devenu l’enfant prodige de Hollywood, et de la société de production A24 qui y donne le la, avec deux films qui ont réinventé la grammaire du film d’horreur, Hérédité et Midsommar (mon film préféré de 2019). Le troisième, Beau is Afraid, donnait le beau (!), ou plutôt le mauvais, rôle à Joaquin Phoenix. C’est lui qui, au risque de voler la vedette à ses prestigieux partenaires, est encore au centre du quatrième film d’Ari Aster qui, en apparence, est plus mainstream.

Il s’agit d’un néo-western qui brasse des sujets très contemporains. Le premier est notre réaction au confinement décidé pour enrayer la propagation du Covid : faut-il l’appliquer avec une rigueur d’airain comme le prône le maire ? ou autoriser au cas par cas des dérogations comme le croit le sheriff, qui prend le parti d’un client asthmatique d’une supérette interdit d’accès au motif qu’il refuse de porter un masque ?

Le sujet, qui n’a pas encore été si souvent traité alors qu’il nous a tous universellement touchés, aurait pu à lui seul nourrir tout un film. Mais Ari Aster a le défaut des bons élèves qui, voulant bien faire, en font trop. À ce premier sujet, il en surajoute d’autres : le complotisme, dont les différentes variables (ou variants !) sont incarnés par la mère de Louise et par un séduisant gourou, le racisme avec le mouvement Black Lives Matter et la culpabilité tournée en ridicule des jeunes Blancs qui y adhérent, le pouvoir insidieux des GAFA, l’omniprésence des écrans et l’effet amplificateur des réseaux sociaux, les droits des Amérindiens, etc…

La coupe est pleine. Elle déborde vite. D’autant que le scénario de Eddington prend des bifurcations étonnantes. Je pensais que le film raconterait la campagne électorale mettant aux prises les deux candidats, avec son lot de rebondissements et son issue indécise. Je m’en serais volontiers satisfait et pense que le film aurait été excellent. Mais brutalement, alors que rien ne le laissait augurer, il prend une direction différente. Je n’en dirai pas plus pour laisser à ceux qui ne l’ont pas encore vu le plaisir de le decouvrir. Mais je peux dire que toute la subtilité de la première partie du film disparaît laissant la place à un combat manichéen avec des ennemis que je n’ai pas réussi à identifier (merci de m’éclairer en mp).

À cette seconde partie binaire se greffe, alors que le film n’a déjà que trop duré, un long épilogue censé se dérouler quelques années (?) après les faits. Sous couvert de raconter ce que chaque personnage est devenu, comme le font traditionnellement les épilogues hollywoodiens, il a en fait rajouté à ma perplexité et à mon incompréhension.

La bande-annonce

Les Filles désir ★★☆☆

Marseille l’été. Omar et ses potes ont grandi dans le même quartier. Gamins, ils ont fréquenté le centre aéré qu’ils gèrent aujourd’hui eux-mêmes en essayant de ne pas mouiller dans les trafics louches qui enrichissent les petits caïds. Omar est en couple avec Yasmine. Mais le retour de Carmen, une amie d’enfance, tombée dans la prostitution après la mort de son père, sème la zizanie.

Prïncia Cair anime une troupe de théâtre amateur à Marseille depuis huit ans. Avec sa co-scénariste Léna Mardi et sa productrice Johanna Nahon, elle a choisi de tourner un long métrage en laissant la part belle à sa troupe d’acteurs, étroitement associés à l’écriture.

Le résultat s’en ressent. Pour le meilleur et pour le pire. On sent dans cette troupe circuler une énergie aussi radieuse que le soleil qui brûle Marseille et la Méditerranée. Les Filles désir filme un collectif d’où émergent des individualités talentueuses : Omar s’est attribué le rôle du chef de bande, tour à tour protecteur et autoritaire, Yasmine, tout en silences, peine à trouver sa place sous la coupe d’Omar et dans ce groupe exclusivement féminin, Carmen, belle comme la tentation, est l’élément corrupteur et révélateur du groupe, comme l’était le personnage anonyme interprété par Terence Stamp dans Théorème. Les Filles désir propose une réflexion stimulante sur le statut de la femme dans ces bandes hypervirilistes de cacous marseillais, qui essaie d’échapper à l’assignation binaire maman ou putain.

Les Filles désir rappelle Shéhérazade. Il partage avec le succès surprise de 2018 (trois Césars : celui du meilleur premier film et des meilleures révélations masculine et féminine) une même lumière, une même sonorité – qui aurait  nécessité l’insert de sous-titres tant l’argot marseillais est parfois difficile à comprendre – et une même vitalité. Aura-t-il le même succès ? Hélas, il est à craindre que non. Car le film, mal distribué, risque de passer inaperçu et de disparaître vite.

Il souffre aussi d’un handicap : la fin de son scénario et son dernier quart d’heure qui, quittant la bande de copains, se focalise sur Yasmine et Carmen, dans un duo qui rappelle à la fois celui de Divines et de Thelma et Louise.

La bande-annonce

La Trilogie d’Oslo ★★☆☆

Une adolescente couche sur le papier l’amour qu’elle éprouve pour sa professeure de français. Une oncologue et l’infirmier qui travaille avec elle se font des confessions sexuelles dans le ferry qui traverse le fjord d’Oslo. Un ramoneur raconte à son patron et à sa femme l’aventure éphémère qu’il vient d’avoir avec l’un de ses clients.

Chaque mercredi depuis le premier de juillet est sorti l’un des trois volets de la Trilogie d’Oslo de Dag Johan Haugerud : Rêves d’abord, Amour ensuite, Désir enfin (dont le titre norvégien, Sex, semble plus direct). Ces trois films ont été présentés dans un ordre différent en 2024 Désir au festival de Berlin, en 2025 Amour au festival de Venise et en 2025 Rêves au festival de Berlin où il a décroché l’Ours d’or. On pourrait longuement épiloguer sur leur séquence et discuter le choix des distributeurs : les rêves suscitent-ils le désir et conduisent-ils à l’amour ? Toujours est-il que ces trois films sont indépendants les uns des autres et peuvent se voir ensemble ou séparément, en tout ou en partie, dans n’importe quel ordre.

Ces trois films nous viennent de Scandinavie, une région du monde décidément à l’honneur ces temps-ci entre la sortie de Loveable à la mi-juin et celle fin juillet du dernier film de Joachim Trier, Valeur sentimentale, annoncé comme le coup de cœur de l’été. Ils partagent une manière très française d’intellectualiser l’amour. Si l’expression n’était pas si galvaudée, on dirait que la Trilogie d’Oslo redessine une carte du Tendre queer et post-moderne, frappée au sceau de l’empathie.

Comme Rohmer qui aimait tant filmer Paris, Dag Johan Haugerud qui mène de concert depuis soixante ans une carrière de cinéaste, de dramaturge et d’écrivain, aime filmer Oslo. Ses trois films en montrent la figure tutélaire des tours de son hôtel de ville – où le prix Nobel de la Paix est remis chaque année – son fjord profond traversée par les bateaux, ses avenues boisées. Tout y est beau, opulent et un peu triste aussi.

La Trilogie d’Oslo parle d’amour et de sexe, parfois en termes très crus. Il interroge l’impact des sites de rencontre sur nos amours, en mettant par exemple en scène un personnage gay qui rencontre ses partenaires grâce à Grindr sur le ferry qui relie Oslo à Nesodden. Il évoque sans tabou l’homosexualité, la bisexualité, la pansexualité – comme le faisait, dans le registre qui était le sien Le Rendez-vous de l’été que j’avais tellement aimé. Pour autant, cette apparente liberté rencontre quelques cordes de rappel :  l’adolescente amoureuse de Rêves fait la douloureuse expérience d’un amour non partagé, l’oncologue de Amour découvre au lendemain d’une folle nuit d’amour que son amant est marié, l’épouse du ramoneur de Désir lui fait payer le prix de sa franchise.

Réflexion désenchantée d’un quinquagénaire racorni : je pensais que discuter à l’infini de l’amour était une maladie adolescente à laquelle l’âge et l’expérience remédiaient. Je découvre, sinon dans ma vie qui n’a pas tant de profondeur, du moins au cinéma qui m’ouvre à mille autres vies, qu’il n’y a pas d’âge pour se questionner.

La bande-annonce

In the Summers ★★★☆

Vicente a deux filles. Leur mère a obtenu leur garde et les élève en Californie. Mais chaque été, Violeta et Eva prennent l’avion pour le Nouveau-Mexique et viennent passer quelques semaines de vacances chez leur père.

In the Summers est le premier film, tourné sans stars, d’une réalisatrice américano-colombienne qui a puisé dans ses souvenirs d’enfance. Sa bande-annonce m’avait laissé craindre le pire : l’incontournable rédemption d’un père qui réussira à combattre les démons qui le rongent pour retrouver l’amour de ses filles qu’il aime si fort.

Mais, primé à Deauville et à Sundance, In the Summers est autrement plus subtil que le pathos gluant que je m’étais inventé.

Sur la forme : avec quasiment aucune indication de lieu (même si on parvient à comprendre que l’action se déroule dans une petite ville perdue du Nouveau-Mexique proche de la frontière) ni de temps, In the Summers laisse lentement se deviner son sujet : raconter une relation père-filles à travers quatre étés passés ensemble, sans rien dire des (longues) périodes qui les séparent. Lors du tout premier, Eva et Violeta sont encore des fillettes d’une dizaine d’années à peine. Lors du quatrième, elles sont devenues adultes.

Sur le fond : In the Summers est beaucoup plus ambigu qu’une happy end story. Il doit sa justesse à son personnage principal interprété par René Pérez Joglar alias Residente, rappeur portoricain connu sur la scène musicale, qui se révèle un acteur étonnant. Dès la première scène, au soin maniaque qu’il prend à rapetasser sa maison pour y recevoir ses filles, on perçoit son anxiété, son souci de bien faire, sa peur que ses addictions à l’alcool et à la drogue ne reprennent le dessus. On ne dira rien de plus sur la façon dont sa relation avec ses filles évolue d’un été à l’autre, sachant qu’on en a déjà peut-être trop dit en évoquant l’absence de happy end. Disons simplement que le film réussit à nous surprendre en évitant les rebondissements les plus convenus.

Dépourvu de tout pathos et de toute complaisance, In the summers surprend par l’originalité de sa construction et par la justesse de son ton.

La bande-annonce