Un poète ★★★☆

Oscar Restrepo est un loser magnifique. Ce quinquagénaire disgracieux, dépressif et suicidaire, a tout raté dans sa vie. Il se dit poète, a certes dans sa jeunesse publié deux recueils, mais n’a plus rien publié depuis. Il a eu une fille d’un premier mariage ; mais, après son divorce, il est retourné vivre chez sa mère vieillissante et n’a plus guère de contact avec sa fille qui est en passe d’entrer à l’Université. Il trouve dans l’alcool une échappatoire à son mal-être. Sans emploi, il consent, sous la pression de sa famille, à donner des cours dans un lycée. Il y rencontre une jeune élève issue d’un milieu très pauvre qui se révèle être une grande poétesse cachée.

Un poète nous vient de Colombie. Son action se déroule à Medellin. Elle pourrait se dérouler n’importe où dans le monde car son sujet est universel. Son héros est truculent. Il s’agit d’un acteur amateur, d’un enseignant casté par hasard par le réalisateur Simon Mesa Soto. Il ressemble à un gnome ridicule.

Un poète aurait pu se contenter de regarder son héros se débattre dans sa vie quotidienne : avec sa fille qui ne veut plus le voir, avec sa famille qu’épuisent ses foucades, avec ses collègues poètes qui peinent à cacher leur mépris, avec ses élèves enfin que son enseignement pour le moins hétérodoxe déconcerte. Mais Un poète fait mieux : dans sa seconde moitié, il raconte une histoire, celle de la relation entre Oscar et Yurlady, cette élève douée sur laquelle il projette ses espoirs de poète raté. Cette histoire qui aurait pu être un épisode parmi d’autres de la vie quotidienne du héros prend un tour et une importance inattendus. Elle est surprenante, drôle et dramatique à la fois. Elle interroge les rapports de classe, les rapports de genre.

Cheminant sur la crête entre drame et comédie, Un poète est un film original comme on en voit rarement, subtil et attachant.

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On Falling ★★☆☆

Aurora (Joana Santos) est portugaise. Elle travaille en Ecosse dans une immense plateforme de distribution. Sa scannette au poing, elle arpente inlassablement les allées de l’entrepôt pour y trouver les produits qui doivent être expédiés. Sa productivité et la moindre de ses haltes sont contrôlées à distance. Le soir, Aurora regagne la colocation anonyme qu’elle partage avec d’autres travailleurs immigrés comme elle.

On Falling pourrait être un documentaire sur l’aliénation au travail. C’est une oeuvre de fiction. Son statut ambigu m’a rappelé le livre de Joseph Ponthus au succès amplifié par la disparition précoce de son auteur, À la ligne, et un documentaire sorti en salles en 2013 qui instruisait le procès du travail en abattoir, Entrée du personnel.

Mieux encore qu’un documentaire à charge l’aurait montré, On Falling raconte le quotidien des employés des grandes entreprises de logistique : les cadences débilitantes, la surveillance permanente, la solitude…. Il le fait sans sombrer dans la caricature comme parfois les films de Ken Loach auxquels On Falling fait penser : ici il n’y a pas de « méchant » patron ni de « gentil » travailleur. Le management est aimable et compréhensif. Aurora a le droit de quitter la réunion à laquelle elle est pourtant tenue d’assister. Si elle n’obtient pas une autorisation d’absence pour aller passer un entretien d’embauche, car elle en a fait la demande trop tardivement, elle pourra sans préjudice, le matin même, feindre d’être malade. Mais cette tutelle cauteleuse est peut-être plus terrifiante encore que le serait une direction caricaturalement abusive : ainsi de la barre de chocolat paternaliste offerte à Aurora pour ses bons résultats.

Le scénario multiplie les non-dits. On ne saura rien des motifs qui ont poussé Aurora à venir travailler en Ecosse. On ne saura rien non plus de ses attaches au Portugal, de sa famille, de ses amis qu’elle y a laissés. On comprend qu’elle tire le diable par la queue et qu’une dépense imprévue suffit à mettre l’équilibre de son budget en péril. Dans sa colocation, elle essaie timidement de retrouver un peu de la chaleur humaine qui lui fait si douloureusement défaut. Elle y fait la connaissance d’un autre travailleur immigré comme elle, venu de Pologne. La romance qui se noue, avant de se dénouer bien vite dans un plan muet que je n’oublierai pas de sitôt, est déchirante.

Certes, on pourra reprocher à On Falling son minimalisme. Cinq fois, six fois, sept fois, la même scène se répète. Mais cette répétition a un sens : comme dans le livre de Ponthus, elle nous fait ressentir l’abrutissement causé par la répétition sempiternelle des mêmes gestes au travail.

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Klára déménage ★☆☆☆

La vie de Klára a basculé. Mariée, mère de deux enfants, elle a décidé de déménager et de s’installer dans un petit appartement du centre ville. Sa meilleure amie Ági lui prête main forte pour transporter ses cartons de déménagement dans sa petite Peugeot rouge.

Klára déménage est un film minuscule. Il se déroule à Budapest un 2 janvier. « 2 janvier » est d’ailleurs son titre original que les distributeurs internationaux ont conservé, à l’exception des distributeurs français qui lui ont préféré une forme verbale, assez rare (on pense à Camille redouble).

Son idée n’était pas idiote : raconter à travers la noria des cartons et les allers-retours en voiture le délitement d’un couple. Mais le procédé fait vite long feu, même si le scénario a l’intelligence d’apporter à chaque épisode une légère variante, par exemple en ajoutant un troisième personnage (le frère de Klára ou son nouvel amoureux).

Le premier plan du film, qui commence avec Ági et le dernier, qui finit avec elle qui, après avoir passé la journée à aider son amie, va rejoindre son compagnon, interrogent. La vraie héroïne du film, comme d’ailleurs l’affiche tendrait à le suggérer, n’est-elle pas Ági plutôt que Klára ? Ce changement de focale est intéressant. Mais il est trop tardif et trop évanescent pour donner du sel à un film qui en est par trop dépourvu.

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La Disparition de Josef Mengele ★★☆☆

Josef Mengele est tristement célèbre pour les crimes qu’il a commis à Auschwitz où ce médecin, obsédé par la gémellité, a pratiqué des expérimentations sur des prisonniers. Après la Seconde Guerre mondiale, il s’est réfugié en Amérique latine et s’y est caché jusqu’à sa mort en 1979. Le romancier strasbourgeois Olivier Guez a consacré un livre soigneusement documenté à sa longue cavale, couronné par le prix Renaudot en 2017.

Réalisateur russe exilé en Allemagne, Kirill Serebrennikov s’est emparé de ce roman pour évoquer à sa façon cette figure monstrueuse du XXe siècle. On y trouve les traits caractéristiques du réalisateur de Leto, de La Fièvre de Petrov, de La Femme de Tchaïkovski et de Limonov : l’usage très stylisé du noir et blanc – que viendra interrompre une seule scène en couleurs sur laquelle nous reviendrons – des plans-séquences d’une maîtrise époustouflante – tel celui d’un mariage organisé parmi la fine fleur de la diaspora nazie de Buenos Aires – une mise en scène enfiévrée….

Présenté à Cannes Première, une sélection parallèle créée en 2021, La Disparition de Josef Mengele a divisé la critique avant de décourager le public qui l’a boudé. Certains ont salué le souffle du réalisateur et le talent de son acteur principal, August Diehl (Une vie cachée), qui relève le défi d’interpréter Mengele à tous les âges de sa vie sans sombrer dans la caricature. J’aurais scrupule à ne pas leur donner raison. Mais d’autres s’interrogent sur le sens de ce biopic répétitif qui montre un homme habité par ses démons, encroûté dans ses certitudes que rien, pas même la visite de son fils et les questions légitimes que celui-ci lui pose, ne vient ébranler.

Le débat se focalise sur cette fameuse séquence en couleurs située au mitan du film. Il s’agit, nous dit-on, d’images tournées à Auschwitz par un officier SS avec sa caméra amateur. On y voit Mengele et ses collaborateurs procéder au tri des prisonniers à l’arrivée des convois de déportation, envoyant les plus fragiles à la chambre à gaz, en prélevant d’autres pour d’horribles expérimentations dont ils ne sortiront pas vivants. On le voit également opérer au bloc. La scène est ponctuée par un concert donné par un orchestre de nabots difformes. Elle crée, à dessein, le malaise. Exhibitionnisme malsain ? ou souci de montrer l’immontrable ?

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Météors ★★★☆

En Haute-Marne, à Saint-Dizier, une ville écrasée par le chômage et l’ennui, Mika (Paul Kircher), Daniel (Idir Azougli) et Tony (Salif Cissé) forment un trio inséparable. Après une soirée de beuverie qui tourne mal, Mika et Daniel sont rattrapés par la Justice. Ils ont six mois, d’ici l’audience de leur procès, pour s’amender et, s’agissant de Daniel, pour soigner la cirrhose qui le ronge. Grâce à Tony, le duo trouve à s’employer sur un site d’enfouissement de déchets radioactifs.

Il aura fallu attendre plus de huit ans le nouveau film de Hubert Charuel, le réalisateur de Petit Paysan, succès surprise de l’automne 2017 (550.000 entrées, trois Césars). La surprenante réussite de son premier film a-t-elle inhibé le jeune réalisateur ? Son second est sorti le mois dernier sans guère de publicité. Il n’a pas rencontré son public et est quasiment sorti des écrans après quelques semaines à peine. C’est immérité. Car Météors – un titre à la signification cryptique – a bien des qualités.

La première est, comme Petit Paysan avant lui, de décrire un milieu, ici après la paysannerie la France périphérique, une ville moyenne sans grâce, surplombée par la tour Miko (le glacier y a installé son usine en 1954, aujourd’hui désaffectée) et survolée par les Rafale de la Base aérienne 113.

La deuxième est de diriger un trio d’acteurs d’une étonnante qualité. Même si je ne porte pas Paul Kircher dans mon cœur – je trouve à ce « fils de » un jeu très réduit – force m’est de reconnaître qu’il est parfait dans le rôle de Mika. Comme Salif Cissé, découvert chez Guillaume Brac et qu’on voit de plus en plus souvent dans des rôles d’une admirable diversité (Spectateurs !Le Répondeur). Mais c’est le nouveau venu Idir Azougli, la casquette à l’envers, le poil au menton, l’accent marseillais, qui leur vole la vedette.

La troisième est un scénario qui évite un écueil très fréquent : se borner à camper des personnages sans les faire vivre. Météors a un début, un milieu, une fin, trois composantes qui pourraient sembler évidentes mais qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Il contient son lot de rebondissements qui font avancer l’action et les personnages et maintiennent la tension et l’attention pendant tout le film jusqu’à son dénouement inattendu.

La quatrième, la principale, est le sujet qu’il traite, l’amitié masculine, façon Des souris et des hommes, avec ses pudeurs et son intensité. Aucune romance superflue ne l’en dévie. Il le fait avec humour et avec gravité. Météors réussit à être léger et sérieux à la fois.

L’insuccès de ce film précieux est injuste.

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Springsteen: Deliver Me From Nowhere ★☆☆☆

En 1982, après le succès mondial de The River et la tournée qui l’a accompagné, Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) ressent le besoin de se resourcer. Il loue une maison dans le New Jersey près de sa ville natale. Sur un magnétophone à cassettes, muni seulement de sa guitare acoustique et de son harmonica, il enregistre les chansons qu’il a écrites à partir de ses recherches, notamment sur les meurtres en série commis par Charles Starkweather dans les années 1950 au Nebraska. Il enregistre même une première version de Born in the USA qui ne sera finalement pas retenue dans cet album. Son label Columbia est très inquiet de ses choix artistiques ; mais son manager Jon Landau (Jeremy Strong) lui apporte un soutien sans faille.
Pendant la composition de cet album, Springsteen a une liaison avec la sœur d’un ancien camarade d’école ; mais cette bluette ne l’empêche pas de sombrer dans une profonde dépression.

Encore un nouveau biopic musical ? hélas oui. Après Bob Marley, après Elton John, après Elvis Presley, après Bob Dylan, et avant John Lennon, Mick Jagger et David Bowie auxquels finira bien par être consacrés un biopic, il était inévitable que Bruce Springsteen, le « Boss », ait droit au sien.

Le parti retenu n’est pas de raconter sa vie depuis son enfance – même si des références y seront faites via des flashbacks lourdingues en noir et blanc – mais de se concentrer sur un épisode bien précis de sa vie. C’est le même parti qui avait été retenu dans Un parfait inconnu sur Bob Dylan. Ici, le réalisateur Scott Cooper utilise un livre éponyme de Warren Zanes consacré à la confection d’un album méconnu, coincé entre les deux méga-succès de The River (1980) et Born in the USA (1984).

Le sujet touchera-t-il les fans de Bruce ? Peut-être. Quant aux autres ? pas sûr.
Parce qu’il est de la farine désormais insipide et répétitive dont sont faits tant de biopics vus et revus où l’on voit naître comme par miracle des morceaux d’anthologie – ainsi de l’enregistrement de Born in the USA sous les yeux (et les oreilles) ébahis de tout le studio.

Sans doute Jeremy Allen White, connu des amateurs de séries pour Shameless et pour The Bear, habite-t-il le rôle, interprétant le chanteur, ses jeans serrés, ses cheveux gras, à la perfection. Mais cela ne suffit pas à faire un film. La romance bien terne qu’il noue avec une blonde peroxydée n’apporte rien à l’histoire. Sans surprise, trop classique, Springsteen est un mauvais service rendu au chanteur légendaire qui, à mes yeux, aurait plus mérité le Nobel de littérature que cet ours mal léché de Bob Dylan.

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L’homme qui rétrécit ★☆☆☆

Paul (Jean Dujardin) est un homme ordinaire qui vit avec sa femme (Marie-Josée Croze) et sa petite fille dans une maison d’architecte au bord de la mer du Nord. Il est la victime d’un phénomène que la médecine ne parvient pas à expliquer : il rétrécit de jour en jour. Réduit à quelques centimètres à peine, il tombe dans la cave de sa maison, est abandonné des siens et doit mener une lutte à mort contre la faim, la soif et les prédateurs alors que son rapetissement continue inexorablement.

Avez-vous comme moi gardé un souvenir inoubliable de L’homme qui rétrécit, le film américain de 1957 adapté du roman de Richard Matheson publié un an plus tôt ? Ses trucages maladroits où l’on voyait un chat et une araignée énormes pourchasser le malheureux héros réduit à rien vous ont-ils comme moi marqué à jamais ? Si tel est le cas, vous avez peut-être, comme moi, eu la curiosité d’aller voir ce remake tardif, réalisé quelque soixante-dix ans (!) plus tard.

Exit la peur des radiations nucléaires qui étaient la cause du rapetissement du héros. Elle a été supplantée par celle du dérèglement climatique. Mais dans les deux films, on ne s’apesantira guère sur la question. Le sujet est ailleurs.

Il est traité en deux parties d’inégale longueur. La première voit un homme ordinaire confronté à un phénomène extraordinaire. C’est la partie la moins convaincante notamment à cause des effets spéciaux particulièrement maladroits qu’elle utilise. Elle pose aussi un problème de scénario : comment imaginer que le héros se replie sur lui-même et refuse d’être soigné ?

La seconde partie est la plus attendue, surtout si l’on se souvient du film de 1957. On y voit le fameux chat et la non moins fameuse araignée aux dimensions monstrueuses et notre malheureux héros fragilisé par sa taille lilliputienne et son coffre imperceptible qui rend inaudibles ses appels à l’aide.
Certes, les effets spéciaux ont fait quelques progrès depuis soixante-dix ans. L’araignée est vraiment monstrueuse et la menace qu’elle fait planer dans ce sous-sol aimante toute la seconde moitié du film.

Mais ces scènes iconiques et assez peu crédibles (comment Paul se hisse-t-il hors de l’aquarium où il est tombé ?) ne suffisent pas à elles seules hélas à justifier l’intérêt du film. Il est irrémédiablement plombé par une voix off métaphysique sur le cosmos et le sens de la vie, ânonnée sur un ton sentencieux, le même que dans Sur les chemins noirs, par Jean Dujardin.

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Smashing Machine ★☆☆☆

Mark Kerr est un lutteur américain qui, à la fin des années 90, fut l’un des pionniers des MMA (mixed martial arts, anciennement appelés combat libre ou free-fight). Après deux défaites, sa carrière connut une longue éclipse. Accro aux antalgiques, Mark Kerr dut subir une cure de désintoxication. Il ne réussit jamais à revenir au top niveau.

Benny Safdie, qui tournait jusqu’à présent toujours avec son frère Josh (Good Time, Uncut Gems), s’est lancé en solo dans un biopic, celui d’une ancienne star des MMA. Il s’est adjoint un atout de poids, Dwayne Johnson, alias The Rock, et son hallucinante musculature.

C’est là que réside le principal intérêt du film et la curiosité qu’il suscite : cette montagne de muscles hypertestostéronés et luisants d’huile, l’ambiance électrisante des arènes de MMA avec ce mélange dérangeant de la plus abjecte violence et du kitsch d’un spectacle hollywoodien.

Le problème de Smashing machine est qu’il ne nous propose pas grand chose de plus. Il voudrait, comme de bien entendu, souligner les failles d’un homme, coincé entre l’image de toute-puissance et d’hypervirilité qu’il projette et ses blessures intérieures. Le personnage de sa femme, remarquablement interprétée par Emily Blunt, qui joue à la perfection un rôle difficile de bimbo vulgaire et provocante, est convoqué à cette fin. Mais ce pan-là de la vie de Mark Kerr ne s’avère pas très intéressant, comparé à ce qu’il vit sur le ring.

Le cinéma américain a fait du boxeur/catcheur/lutteur une de ses figures emblématiques – alors que le cinéma français ne s’y est guère intéressé : Raging Bull, Rocky, Million Dollar Baby, The WrestlerFighterFoxcatcher, Iron Claw… Je ne suis pas certain que Smashing Machine trouve sa place dans ce glorieux lignage.

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La Femme la plus riche du monde ★★☆☆

Marianne Farrère (Isabelle Huppert) a beau être la femme la plus riche du monde, elle s’ennuie dans son hôtel particulier neuilléen. Sa vie est rythmée par les conseils d’administration de la multinationale qu’elle a héritée de son père et par les interviews qu’elle donne à la presse. Un jour, un photographe fantasque Pierre-Alain Fantin (Laurent Lafitte) vient prendre quelques clichés d’elle pour une revue à la mode. La milliardaire s’enflamme pour l’artiste excentrique et homosexuel. Ses outrances et sa vie débridée l’amusent. Elle fait de lui son ami et, au grand dam de son entourage, le bénéficiaire de ses libéralités.

Thiery Klifa s’est emparé avec gourmandise de l’affaire Bettencourt-Banier. Liliane Bettencourt, l’héritière vieillissante de L’Oréal, s’était entichée, on s’en souvient, de François-Marie Banier, ce photographe à la réputation sulfureuse. Sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers, l’avait attaqué pour abus de faiblesse, reprochant au photographe d’avoir obtenu de sa mère près d’un milliard d’euros de dons en numéraire ou en nature. L’accusation se fonde notamment sur des enregistrements réalisés clandestinement par le majordome de Liliane Bettencourt. L’affaire se conclut par un accord entre les parties en 2010. Mais son volet pénal, que le film n’évoque pas, conduit à la condamnation en 2016 de François-Marie Banier à quatre ans d’emprisonnement avec sursis.

Cette affaire croquignolesque est l’occasion pour Thierry Klifa de dresser un portrait mordant de ces ultra-riches. Il n’a pas mégoté sur les costumes et les décors d’un luxe incroyable et d’une élégance parfaite. La production y a-t-elle englouti l’essentiel de son budget ? C’est probable et c’est pertinent.

L’affaire aurait pu être traitée avec moins de nuances, sur le mode du vaudeville ou bien sur celui de la critique de classe cinglante. Thierry Klifa évite ces deux écueils. Il ne verse pas dans la caricature. Marianne Farrère/Bettencourt n’est pas – ou du moins pas seulement – une milliardaire qui a perdu le sens des réalités ; c’est d’abord une femme qui revit au contact d’un homme qui lui change les idées.  Il faut reconnaître, même si d’aucuns ne la portent pas dans leur cœur, qu’Isabelle Huppert est parfaite dans ce rôle. Laurent Lafitte est également parfait dans le sien ; mais c’est pour lui un pléonasme. L’homosexualité affichée de Fantin/Banier permet d’écarter immédiatement l’hypothèse farfelue d’une romance et, au contraire, de questionner la construction d’un lien amical plus profond encore.

Il faut saluer aussi la qualité des seconds rôles, tous impeccables, à commencer par celui du majordome interprété par Raphaël Personnaz, condamné par ses fonctions à garder un silence respectueux alors que les frasques de Fantin le scandalisent. Mention spéciale à André Marcon qui montre ici, une fois encore, quel acteur établi il est.

La situation des personnages, aussi intéressante qu’elle soit, est vite stabilisée et n’évolue guère. La question autour de laquelle le film se construit – Fantin/Banier était-il un escroc qui a sciemment plumé une veuve fortunée ou bien un artiste fantasque qui a profité des libéralités de sa riche amie sans y voir malice ? – est très rapidement posée et les développements subséquents ne permettent guère, au bout de deux heures, d’y répondre mieux qu’après trente minutes.

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L’Étranger ★☆☆☆

Meursault (Benjamin Voisin), la vingtaine, vit à Alger. Il exerce un petit emploi de bureau. Tout lui semble étranger : la mort de sa mère et son enterrement, qui ne lui arrachent pas une larme, l’amour pur que lui voue Marie (Rebecca Marder) qui le laisse indifférent, jusqu’à l’assassinat d’un Arabe qu’il abat froidement sur la plage où il passait le dimanche en compagnie de son voisin, le proxénète Raymond Sintès (Pierre Lottin).

L’Étranger est, de l’avis général, un grand livre, un des plus marquants du XXième siècle, qui occupe sa place méritée dans tous les programmes scolaires de littérature française. L’adaptation qu’en tire François Ozon lui est d’une grande fidélité. Après celle de Visconti, dont il est de bon ton de dire qu’elle fut ratée et qui, en son temps, m’avait copieusement rasé, celle-ci fera certainement date.

Pourtant la critique que je vais en faire est un coup de gueule. Coup de gueule outré, subjectif et lui-même critiquable. Il tient avant tout à ma relation à ce roman de Camus que je n’ai jamais aimé. Je me souviens de mon incompréhension voire de mon désarroi en classe de troisième (ou peut-être de seconde ? je ne sais pas (sic)) devant cette lecture imposée. Cet anti-héros contrastait tellement avec les figures chevaleresques de mes romans préférés : Jean Valjean, Etienne Lantier, Julien Sorel, Lucien de Rubempré… Pourquoi tant d’apathie ? pourquoi tant d’indifférence au monde qui l’entoure ? Avec ma fougue adolescente, j’avais envie – et cette envie ne m’a jamais quitté – de secouer Meursault, de lui enjoindre d’aimer la vie et ses promesses, plutôt que de sombrer dans une résignation suicidaire.

On me répliquera – et on aura raison – que Meursault incarne la condition humaine mieux que les grands héros glorieux de la littérature du XIXème. Certes. Pour autant, mon incompréhension et mon aversion pour ce roman n’ont jamais disparu. Au-delà de sa figure principale, un point m’a toujours gêné dans sa construction que je trouve déséquilibrée. : sa seconde partie, rythmée par les tête-à-tête de Meursault en prison avec son avocat, les juges et un aumônier, m’a toujours semblé interminable.

L’adaptation qu’en signe Ozon est, disé-je, d’une grande fidélité. Sa seule originalité : éviter l’incipit tant attendu (« Aujourd’hui Maman est morte… ») et commencer en prison avec les mots « J’ai tué un Arabe » – auxquels fera écho lors du générique de fin la chanson culte de The Cure.

Pour autant, le film rencontre selon moi deux écueils. Le premier est une image hyper-léchée, en noir et blanc, qui caresse les corps parfaits de Benjamin Voisin et Rebecca Marder, qui se pâme devant les paysages sublimes qu’Ozon et son équipe sont allés filmer au Maroc. Son esthétique est plus proche des pubs pour les parfums Armani ou Paco Rabanne que de la littérature existentialiste.

Le second est la recontextualisation, politiquement très bien pensante, de la question coloniale, gommée par Camus en son temps. Ozon filme l’Algérie française, son régime d’apartheid, ses Français bas du front et ses Arabes invisibilisés… et, avec Kamel Daoud, redonne une identité à l’Arabe tué par Meursault que Camus n’avait même pas nommé. N’en jetez plus !

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