Pourquoi la guerre ☆☆☆☆

Pourquoi la guerre est le dernier film en date d’Amos Gitaï, le grand réalisateur israélien. Projeté à la Mostra de Venise en septembre 2024, il n’a pas encore trouvé de distributeur en France. J’ai eu la chance de le voir au MK2 Beaubourg.

Pourquoi la guerre fait fond sur les deux courriers que se sont écrits Albert Einstein et Sigmund Freud à l’initiative de la Société des Nations en 1932. Le scientifique, interprété par Micha Lescot, et le père de la psychanalyste, joué par Mathieu Amalric (auquel Amos Gitai avait déjà fait traverser Jérusalem en tramway) recherchent les moyens d’éviter au monde les fléaux de la guerre et, pour ce faire, s’interrogent sur ses origines.

On dira que le propos est d’une brûlante actualité. Je n’en suis pas si sûr. Les échanges entre Einstein et Freud, non contents d’être terriblement fumeux et indigestes, m’ont semblé hors d’âge. Car, si la guerre n’a pas disparu, elle présente aujourd’hui des caractéristiques bien différentes de celles de la Grande Guerre dont les deux épistoliers redoutaient, à raison, la réédition.

Les deux acteurs sont parfaitement grimés pour ressembler le plus possible à leurs illustres personnages. Ils sont filmés avec une fausse distanciation brechtienne dans des postures très théâtrales déclamant leur texte alors même que la forme épistolaire n’avait pas la vocation à être déclamée. S’intercalent entre leurs face-à-face quelques parenthèses musicales d’une grande beauté et des scènes énigmatiques, interprétées par Irène Jacob (une fidèle d’Amos Gitai qui jouait récemment le premier rôle de Shikun) que rejoint son mari, Jérôme Kircher, pour une scène de ménage censée peut-être montrer que la violence au sein du couple est la métaphore de la guerre entre les Nations.

On s’ennuie ferme devant ce cinéma faussement expérimental et on se désespère qu’Amos Gitai qui signa des films si marquants au tournant des années 2000 (Kadosh, Kippour, Kedma), se perde depuis quelques années dans des chemins de traverse aux allures de cul-de-sac.

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Habibi, chanson pour mes ami.e.s ★★★☆

Diplômé de la Fémis, Florent Gouëlou est tombé dans le drag en rencontrant Romain Eck alias Cookie Kunty. Il lui a demandé de jouer dans son court-métrage de fin d’études puis dans son premier long, Trois nuits par semaine, sorti en 2022. Florent Gouëlou a franchi le pas et se produit lui-même sur scène sous les traits de Javel Habibi, une créature aussi élégante qu’accueillante. Monsieur (ou madame ?) Loyal, Javel anime les soirées Habibi avec quatre autres drag-queens une fois par mois à la Flèche d’or, un lieu culturel installé dans l’ancienne gare de Charonne dans le 20ème arrondissement parisien.

Habibi raconte une triple histoire : celle de ce lieu hors normes, un café-concert mais aussi un lieu de vie qui propose des repas solidaires, un café associatif et assure des maraudes, celle du spectacle présenté par Florent/Javel, Les Soirées Habibi et celle des drag-queens qui y performent.

Sa distribution est originale. Le film ne sortira pas en salles mais fera uniquement l’objet de séances spéciales animées par son réalisateur accompagné par quelques un.e.s de ses ami.e.s. J’ai eu la chance d’assister à l’une d’elles, avant de partir en vacances, à Paris, dans une salle archi comble qui, à ma grande surprise, comptait un public très jeune de vingtenaires/trentenaires. Le plaisir que j’ai pris à ce documentaire doit beaucoup à la chaleureuse ambiance qui régnait dans la salle, à la joie communicative des acteurs venus débattre avec les spectateurs et à l’intelligence de leurs réponses aux questions qui leur ont été posées.

Les cinq drag queens des Soirées Habibi ne paient pas de mine. Les croiseriez-vous dans la rue en « civil » vous ne vous retourneriez pas sur eux/elles. Mais après une heure (ou plutôt deux) de patiente préparation, elles sont méconnaissables et transfigurées. Juchées sur des hauts talons improbables, gainées dans des corsets moulants, parées d’un maquillage extravagant, elles sont à couper le souffle.

Comme l’avait fait fin 2019 un autre documentaire remarquable, Les Reines de la nuitHabibi dévoile les coulisses du drag, raconte l’obsession voire l’addiction de ces performeuses, qui consacrent leur temps libre et dépensent des fortunes, à acheter, dessiner, coudre, bricoler des tenues et des accessoires. On les voit aussi répéter leurs numéros et les interpréter avec un étonnant professionnalisme. Florent Gouëlou , qui se pose à lui-même la question, interroge leur schizophrénie : leur personnage de scène est-il un autre Moi ?

Habibi est une ode à la liberté – liberté d’être celui/celle que l’on veut – et à l’amitié. C’est aussi un film étonnamment pudique qui ne dit rien de la vie amoureuse et sexuelle de ses personnages. Sont-ils hétéro ? homo ? bi ? on n’en saura rien car tel n’est pas le sujet du film… et tant pis pour notre curiosité déplacée !

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Blitz ★☆☆☆

Londres en 1941 est victime des bombardements aériens de l’aviation allemande. Sa population se terre dans les abris sous-terrains. Ses enfants sont envoyés loin de la capitale. Mais le petit George, neuf ans, refuse d’être séparé de sa mère, Rita (Saoirse Ronan), qui l’élève seule. Il saute du train qui le conduit à la campagne et revient, à ses risques et périls, à Londres. Apprenant sa disparition, sa mère, folle d’inquiétude, part à sa recherche.

Blitz sera diffusé sur Apple TV à partir du 22 novembre. Mais, par dérogation à la chronologie des médias (qui interdit avant un certain délai, la diffusion par d’autres médias, des films sortis en salles) il a bénéficié en France d’un visa cinématographique temporaire de deux jours sur un nombre limité d’écran (2° de l’art. R. 211-45 du code du cinéma et de l’image animée). C’est ainsi que j’ai eu la chance de le voir dans une petite salle du Quartier latin dimanche dernier.

Je m’y suis précipité à cause de la renommée de son réalisateur qui a signé notamment Hunger, Shame ou Twelve Years a Slave, Oscar 2014 du meilleur film. J’y suis allé aussi à cause de Saoirse Ronan, dont je m’enorguillis de savoir prononcer le prénom [Ser-sha] et, plus sérieusement, dont j’aime tous les films. J’y suis allé enfin à cause du sujet du film, diablement cinématographique (Les Heures sombres, Hope and Glory…).

J’ai hélas été très déçu. Certes, on en prend plein les yeux – et on est bien content de pouvoir en profiter devant un grand écran plutôt que sur celui, étriqué, de son ordinateur. Mais ces quelques scènes grandioses, comme la première, d’un incendie dantesque, qui ouvre le film, sont la seule qualité d’une oeuvre très planplan au scénario cousu de fil blanc (1. George se perd 2. George retrouve son chemin) et à la morale convenue (le racisme, c’est mal et les marionettes sont en fait actionnées par des humains)

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Le Serment des 103 ★★☆☆

Le 28 mars 1972, 103 des 108 propriétaires fonciers du Larzac menacés par l’extension d’un camp militaire, annoncée six mois plus tôt par le ministre de la défense Michel Debré, signaient le serment de s’opposer à tout prix à leur expropriation. À l’occasion du cinquantenaire de cet appel, la chaîne Histoire TV a commandé à Véronique Garcia un 55-minutes. Une salle parisienne proche de mon domicile a organisé une projection débat.

Grâce à leur mobilisation, les paysans du Larzac ont réussi, pendant près de dix années à faire obstacle à leur expropriation jusqu’à l’élection de François Mitterrand qui, en 1981, malgré l’opposition de son ministre de la défense, Charles Hernu, a tenu sa promesse de campagne d’abandonner le projet. Les comités Larzac qui se sont constitués ont embrassé la non-violence : « Faites labour pas la guerre ». Et ils s’y sont tenus, ainsi que les forces de l’ordre : les heurts n’ont jamais causé la moindre victime – même si le plasticage d’une ferme, dont les auteurs n’ont jamais été identifiés, ont bien failli tuer leurs occupants.

La clé de leur succès, que souligne intelligemment le documentaire, a été d’agréger autour de leur cause des oppositions de tous bords : celle des objecteurs de conscience opposés à l’extension du camp militaire, celle des écologistes attachés à la défense d’un mode de vie rural, celle des hippies, qui se cherchaient une cause et un havre après mai-68 et même celle des Indiens d’Amérique venus sur le Larzac témoigner des persécutions subies en Amérique du nord. La convergence des luttes, le Graal des militants, leur intersectionnalité, le Graal des sociologues, s’est rarement aussi bien incarnée que sur le Larzac. Elle n’était pas gagnée d’avance : les paysans, catholiques et conservateurs, ont vu arriver d’un mauvais oeil les « chevelus » et autres « barbus » qui prônaient le jeûne ayurvédique et l’amour libre.

Les panélistes ont évoqué « une page oubliée de notre histoire contemporaine », ignorée des manuels d’histoire de Terminale. J’avais au contraire l’impression que cet épisode était bien connu. La raison en tient sans doute à mon âge : j’ai grandi dans les années 70. Elle tient aussi à l’intérêt que je porte à la désobéissance civile, à son histoire et à sa sociologie : pourquoi le peuple se dresse-t-il contre une décision publique ? quelle forme prend sa mobilisation ? à quoi tient le succès ou l’échec de la contestation ? Autant de questions passionnantes. Avant Notre-Dame des Landes, avant Sainte-Soline, avant l’A69, le Larzac constitue un précédent riche d’enseignements d’une mobilisation réussie.

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Pearl ★★★☆

En 1918, au Texas, Pearl est une jeune fille en fleurs dont le mari parti à la guerre ne donne plus de nouvelles. Pearl étouffe à la ferme entre une mère tyrannique et un père paralysé par une attaque cérébrale. Une audition se tient dans quelques jours où elle compte concourir qui lui permettrait de réaliser son rêve : monter sur scène, quitter cette bourgade et devenir enfin une star.

Pearl est le deuxième volet de la trilogie réalisée par Ti West. Le premier, X, se déroulait en 1979 au Texas dans la ferme de Pearl et d’Howard, un couple de septuagénaires qui se révélaient être de dangereux criminels érotomanes. Pearl est le prequel de X qui raconte comment Pearl, l’hideuse nymphomane du premier volet fut jadis une ravissante jeune fille avant de sombrer dans la folie.

Pour des raisons que je ne comprends pas, Pearl, qui fut directement tourné, en Nouvelle-Zélande, dans la foulée de X, est sorti directement en vidéo en France. C’est à l’occasion de la sortie en salles avant-hier de MaXXXine, le troisième volet de la trilogie, que quelques cinémas à Paris et en province (Marseille, Saint-Etienne, Bayonne…) font le choix pertinent de le programmer.

Autant j’ai été peu convaincu par X et par MaXXXine, autant j’ai été enthousiasmé par Pearl. Le premier film de la trilogie, particulièrement sanglant – il est interdit en France aux moins de seize ans – est un remake paresseux de massacre à la tronçonneuse, qui met en scène une demi-douzaine de jeunes gens partis tourner un film porno en Super-8 dans une ferme isolée du Texas avant d’être sauvagement assassinés les uns après les autres. Le troisième film de la trilogie, moins traumatisant – il n’est qu’interdit aux moins de douze ans – se perd dans une improbable enquête policière à la recherche d’un tueur en série dans les rues poisseuses du Los Angeles des années 80.

Le deuxième est tout entier resserré autour de son héroïne et ne raconte qu’une chose : comment Pearl sombre lentement dans la folie. Son parcours est à la fois logique et monstrueux. Pearl est le produit de son milieu et de son hérédité : c’est une jeune fille charmante, douée, qui nourrit l’espoir légitime de « vivre la vie qu’elle mérite » – la formule reviendra dans MaXXXine – et de quitter la ferme qui l’a vue naître. Le cinématographe, un art nouveau à l’époque, cristallise ses fantasmes et ses rêves de célébrité.

Mais cette peinture banale d’une entrée dans l’âge adulte conventionnelle dérape. Il y a chez Pearl quelque chose qui ne tourne pas rond, une déviance criminelle qui l’a conduite à s’en prendre d’abord à des animaux inoffensifs avant de tourner sa rage vers des proies plus grosses.

Mia Goth, qui a participé à l’écriture du scénario avec Ti West, est de tous les plans de cette histoire, ramassée sur quelques jours à peine. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Elle incarne à merveille une saine jeune fille américaine au sourire Ultra-Brite. Mais sous le vernis des apparences, la folie sourd. On la remarque à quelques détails annonciateurs. Son explosion est impressionnante.

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Maestro ★☆☆☆

Leonard Bernstein (1918-1990) est beaucoup plus célèbre aux Etats-Unis que dans le reste du monde. C’est dire la notoriété de ce compositeur de génie qui fut aussi un immense chef d’orchestre, un pédagogue hors pair et un dénicheur de talents.
Maestro prend le parti de raconter sa vie à travers sa relation avec Felicia Montealegre, une actrice chilienne qu’il épousa en 1951 et avec laquelle il eut trois enfants.

Maestro est LE film Netflix des fêtes, celui que, dans le monde entier, des millions de spectateurs ont regardé  en famille, réunis par la magie de Noël, noyés dans les vapeurs alcoolisées du (mauvais ?) champagne bu la veille et les reflux acides de saumon et de foie gras. Pour faire bonne figure, c’est donc dûment équipé de mon tube de citrate de bétaïne que je l’ai regardé entre mes deux fils avant-hier. Le premier nous a quittés au bout d’une heure ; le second m’a stoïquement accompagné jusqu’au bout. Son jugement, implacable, n’en est pas moins tombé : « décousu »

Certes Maestro est un film magistral. On sait par avance qu’il vaudra à ses deux acteurs au moins une nomination et peut-être une statuette aux prochains Oscars, sauf si Cilian Murphy (Oppenheimer) et Lily Gladstone (Killers of the Flower Moon) se mettent sur leur chemin. Co-producteur, réalisateur, co-scénariste, Bradley Cooper fait le pari réussi de singer Bernstein au prix d’un maquillage stupéfiant. Si l’Oscar du meilleur nez était attribué, il l’emporterait haut la main ! Mais c’est aussi sa voix qu’il restitue, qui nous est si familière depuis qu’on a été biberonné à sa présentation de Pierre et le loup, et qui l’est plus encore à des générations d’Américains qui l’ont entendue chaque semaine.
Quant à Carey Mulligan, certaines critiques affirment non sans motifs qu’elle est l’héroïne du film. C’est sans doute lui donner plus d’importance qu’elle n’en a. Son personnage n’en reste pas moins essentiel. Fan de la première heure depuis Une éducation qui est l’un de mes films fétiches, en passant par Drive, Shame, Loin de la foule déchaînée et She Said, je manque de l’objectivité la plus élémentaire pour la critiquer sans verser dans le dithyrambe.

Il n’en reste pas moins, comme le disait mon aîné d’un mot, que Maestro est « décousu ». Décousu dans sa forme, qui, si elle suit globalement la chronologie, s’autorise des flash forwards et des ellipses parfois déconcertantes. Un exemple : le film, sans qu’on en comprenne vraiment la raison, oscille entre le noir et blanc et la couleur, le 16:9 et le 4:3. Pourquoi ?

Décousu surtout dans le sujet qu’il entend traiter. S’agit-il du génie musical de Bernstein ? Sans doute. Bradley Cooper a apporté par exemple un soin jaloux à reconstituer mimétiquement la fameuse direction par Bernstein de la symphonie n° 2 de Mahler en 1973 dans la cathédrale d’Ely près de Cambridge. Mais, on aurait aimé en voir plus et surtout en entendre plus. Quelle frustration de passer sous silence West Side Story, le chef d’oeuvre de Bernstein, dont on ne saura rien de la composition et dont on entendra à peine quelques mesures de l’introduction.

On aura compris que le vrai sujet de Maestro est la vie privée de Bernstein, sa bisexualité revendiquée, étonnamment transgressive pour son temps. Le problème est qu’à force d’être normalisée, à force d’être « cool » (on rit volontiers quand Bernstein cajole un bambin en racontant qu’il a été successivement l’amant de sa mère et de son père), cette bisexualité n’a plus rien de problématique. Elle n’est ni douloureuse, ni enthousiasmante, pour Bernstein lui-même comme pour son épouse aimante. Elle nous devient tout simplement indifférente.

Et c’est bien le comble pour un film qui aurait dû nous transporter. Sa luxuriance nous laisse sur le bord du chemin.

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À l’Ouest rien de nouveau ★★★☆

À peine sorti de l’adolescence, Paul Bäumer décide, contre la volonté de ses parents, de s’engager avec plusieurs camarades d’école dans les rangs de l’armée allemande en 1917. Envoyé en France, au Chemin des Dames, il plonge dans l’horreur de la guerre de tranchées. La fin des combats approche. Les plénipotentiaires allemands, dirigés par le social-démocrate Matthias Erzberger (Daniel Brühl), négocient à Rethondes. Mais pendant ce temps les deux états-majors continuent à se livrer une guerre sans répit. Paul survivra-t-il jusqu’à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918 ?

La nouvelle adaptation du célèbre roman d’Erich Maria Remarque, après celle de 1930 par Lewis Milestone, fut l’un des produits d’appel de Netflix l’an passé, avec Blonde de Andrew Dominik, après The Power of the Dog de Jane Campion et Don’t Look Up l’année précédente. Nommé neuf fois aux Oscars, À l’Ouest rien de nouveau empocha quatre statuettes : meilleur film international, meilleure musique, meilleure photographie, meilleurs décors.

J’ai eu la chance de le voir sur grand écran dans la seule salle parisienne à le projeter, à l’occasion d’une unique séance dont je me demande par quel tour de passe-passe juridique elle a pu avoir lieu. Je n’imaginais pas qu’il puisse en être autrement : par son sujet, par son traitement, par l’ampleur et l’ambition de ses prises de vue, À l’Ouest rien de nouveau doit être vu en salle. Le regarder sur sa TV ou, pire, sur son ordinateur est un sacrilège.

Son sujet est bien connu et a déjà souvent été traité. Difficile de se confronter à 1917, le chef d’oeuvre (indépassable ?) de Sam Mendes. À l’Ouest… raconte l’horreur de la Première Guerre mondiale vue à travers les yeux d’une jeune recrue allemande.
Le film s’éloigne du livre pour mettre en scène dans sa seconde moitié un compte à rebours, dans les derniers jours de la guerre. Un montage alterné montre d’une part la vie sur le front de Paul et ses camarades et d’autre part, dans le confort douillet d’un wagon ferroviaire, les efforts désespérés du plénipotentiaire allemand pour signer le plus vite possible un armistice qui épargnera des vies humaines inutilement sacrifiées.

Ce montage nerveux crée un suspens et une tension savamment orchestrés. Outre la violence des scènes de guerre, le film, qui a la majestueuse durée des films les plus prestigieux, nous tient en haleine jusqu’à la dernière minute.

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Columbus ★★☆☆

C’est l’histoire d’une rencontre improbable à Columbus dans l’Ohio entre deux individus dont les chemins n’auraient pas dû se croiser.
Jin, métis américano-coréen, y débarque en toute urgence en provenance de Séoul au chevet de son vieux père qui vient de sombrer dans le coma.
Casey, de dix ans sa cadette, y a grandi et, par dévotion pour sa mère, refuse d’en partir.
L’architecture moderniste de cette ville au demeurant anodine va les rapprocher.

Après avoir vu After Yang, j’ai été curieux du précédent film de Kogonada, datant de 2017, qui n’était pas sorti en salles à l’époque, mais que le Grand Action a eu la bonne idée de reprogrammer.

J’avais été très sensible à la douceur d’After Yang que j’ai retrouvée avec délice dans Columbus. Loin de la mode actuelle des caméras portées et des plans séquences épileptiques, Kogonada prend son temps. Il filme en plan fixe. Tout y est calme et volupté. Qu’on s’intéresse ou pas à l’architecture contemporaine, on suivra avec un vif intérêt le tour guidé auquel il nous invite dans cette ville de l’Ohio dont on ignorait les richesses méconnues.

Le lien qui se construit entre les deux personnages est de la même nature. Aucune passion enfiévrée, aucune tension sexuelle qui se conclurait fatalement, à la fin du film, par leur union amoureuse. Rien qu’une douce amitié asexuée et, osons le mot, post-moderne.

Cette réussite doit beaucoup à la jeune Haley Lu Richardson. Elle n’est pas exceptionnellement jolie comme le sont parfois les starlettes. Elle aurait même d’ailleurs quelques kilos en trop par rapport à la norme draconienne qu’elles se doivent de respecter. Mais elle a un charme fou, une douceur irrésistible, dans sa relation à sa mère, à Jin et même à son collègue bibliothécaire avec lequel une romance aurait pu s’ébaucher.

Columbus ne raconte pas grand-chose. Mais ce pas grand-chose est déjà beaucoup.

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Operation finale ★★☆☆

Le nazi Adolf Eichmann, l’homme de la Solution finale, s’était enfui sous une fausse identité en Argentine à la fin de la Seconde guerre mondiale. Il y fut identifié par une jeune fille qui fréquentait son fils. L’information parvint au Mossad qui décida de monter une opération commando à hauts risques pour l’appréhender et l’exfiltrer d’Argentine vers Israël où il serait jugé. Operation finale raconte l’histoire de ce commando.

L’arrestation et le jugement d’Eichmann à Jerusalem m’ont toujours passionné. Car ils combinent trois éléments fascinants. 1. La Shoah et l’intérêt morbide qu’elle suscite. 2. L’opération commando rocambolesque, digne des meilleurs films d’espionnage, qui a réussi à kidnapper Eichmann à Buenos Aires et à le dissimuler dans un avion El Al en partance pour Israël. 3. Le procès d’Eichmann à Jerusalem, ce qu’il a révélé sur la « banalité du mal » et l’analyse si intelligente qu’en fit à chaud Hannah Arendt.

Il était évident que le cinéma allait s’emparer d’une matière aussi riche. Ce fut le cas dès 1961 avec Opération Eichmann. En 1979, The House on Garibaldi Street, le livre de Isser Harel, le directeur du Mossad qui supervisa les opérations, fut adapté pour la télévision. En 1996, toujours pour la télévision américaine est tourné The Man Who Captured Eichmann avec Robert Duvall dans le rôle d’Eichmann. En 1999, j’avais vu dans les salles en France le remarquable documentaire co-réalisé par Eyal Sivan et Rony Brauman, Un spécialiste, portrait d’un criminel moderne. Il m’avait tellement marqué que j’en avais même lu le livre qui en avait été tiré et que je retrouve avec nostalgie, rempli de mes pattes de mouche illisibles. Enfin, en 2007, un film britannico-hongrois (sic) réalisé par Robert Young était sobrement intitulé Eichmann.

Le film de Chris Weitz (un homme de cinéma américain connu pour avoir prêté la main en tant que réalisateur, scénariste ou producteur, à des films aussi différents que American Pie, Twilight ou Rogue One) s’inscrit dans cette longue généalogie. Il rassemble un casting international autour de l’excellent Oscar Isaac. L’inoxydable Ben Kingsley y incarne l’ancien nazi à la perfection. Mélanie Laurent joue les utilités françaises – et paie ses impôts. La lecture du générique nous apprend que l’informe Mme Eichmann, quinquagénaire et boudinée, est interprétée par la sublime Gretta Scacchi qui, dans les années quatre-vingts incarnait mon idéal féminin.

Brièvement sorti aux Etats-Unis fin 2018 avant d’être racheté par Netflix pour sa diffusion mondiale, Operation finale se regarde sans déplaisir bien qu’on en connaisse par avance les rebondissements les plus rocambolesques et l’épilogue glaçant.

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The Prison Experiment ★★☆☆

En 1971, à l’université de Stanford en Californie, le professeur Zimbardo a mené une expérience qui a mal tourné. Son hypothèse de travail était que la situation est plus déterminante que la personnalité des individus pour influencer leur comportement. Pour la démontrer il a réparti aléatoirement une population de dix-huit étudiants, recrutés par petites annonces, en deux groupes : un groupe de gardiens et un groupe de prisonniers. Les premiers, abusant de l’autorité arbitraire qui leur est conférée, vont très vite faire preuve de sadisme tandis que la plupart des seconds ont accepté les humiliations qu’ils ont subies.

L’expérience du professeur Zimbardo a défrayé la chronique. Elle divise encore la communauté scientifique qui remet en cause son protocole et ses conclusions. Elle a beaucoup inspiré le cinéma. Un film allemand a été tourné en 2001 par Olivier Hirschbiegel, le réalisateur de La Chute, tiré de Black Box, un roman de Marco Giordano très librement inspiré des faits. Ce film a d’ailleurs fait l’objet d’un remake américain en 2010 avec Adrien Brody.

Le film de 2015 de Kyle Patrick Alvarez rassemble autour de Billy Crudup qui interprète le professeur Zimbardo quelques uns des jeunes talents prometteurs de Hollywood : Tye Sheridan, qui jouera trois ans plus tard le rôle principal de Ready Player One de Steven Spielbergh, Ezra Miller, le héros inquiétant de We Need to Talk About Kevin, Olivia Thirlby…

The Prison Experiment a une grande qualité : sa fidélité aux faits qu’il reproduit scrupuleusement jusqu’à la tenue des matons, qui portaient des lunettes de soleil réfléchissantes pour éviter toute interaction visuelle avec les prisonniers, habillés d’une blouse, coiffés d’un bas nylon, désignés par leur matricule. Pendant les six jours que durera l’expérience, la tension montera, devenant vite irrespirable, illustrant ce que Zimbardo théorisera plus tard sous le nom révélateur d’effet Lucifer : n’importe quel individu placé dans une situation d’autorité peut se transformer en monstre sadique.

Mais cette fidélité est paradoxalement la principale faiblesse d’un film qui donne le sentiment, une fois terminé, qu’on aurait mieux utiliser son temps à lire la notice Wikipédia consacrée à l’expérience de Stanford plutôt qu’à le regarder.

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