Le Serment des 103 ★★☆☆

Le 28 mars 1972, 103 des 108 propriétaires fonciers du Larzac menacés par l’extension d’un camp militaire, annoncée six mois plus tôt par le ministre de la défense Michel Debré, signaient le serment de s’opposer à tout prix à leur expropriation. À l’occasion du cinquantenaire de cet appel, la chaîne Histoire TV a commandé à Véronique Garcia un 55-minutes. Une salle parisienne proche de mon domicile a organisé une projection débat.

Grâce à leur mobilisation, les paysans du Larzac ont réussi, pendant près de dix années à faire obstacle à leur expropriation jusqu’à l’élection de François Mitterrand qui, en 1981, malgré l’opposition de son ministre de la défense, Charles Hernu, a tenu sa promesse de campagne d’abandonner le projet. Les comités Larzac qui se sont constitués ont embrassé la non-violence : « Faites labour pas la guerre ». Et ils s’y sont tenus, ainsi que les forces de l’ordre : les heurts n’ont jamais causé la moindre victime – même si le plasticage d’une ferme, dont les auteurs n’ont jamais été identifiés, ont bien failli tuer leurs occupants.

La clé de leur succès, que souligne intelligemment le documentaire, a été d’agréger autour de leur cause des oppositions de tous bords : celle des objecteurs de conscience opposés à l’extension du camp militaire, celle des écologistes attachés à la défense d’un mode de vie rural, celle des hippies, qui se cherchaient une cause et un havre après mai-68 et même celle des Indiens d’Amérique venus sur le Larzac témoigner des persécutions subies en Amérique du nord. La convergence des luttes, le Graal des militants, leur intersectionnalité, le Graal des sociologues, s’est rarement aussi bien incarnée que sur le Larzac. Elle n’était pas gagnée d’avance : les paysans, catholiques et conservateurs, ont vu arriver d’un mauvais oeil les « chevelus » et autres « barbus » qui prônaient le jeûne ayurvédique et l’amour libre.

Les panélistes ont évoqué « une page oubliée de notre histoire contemporaine », ignorée des manuels d’histoire de Terminale. J’avais au contraire l’impression que cet épisode était bien connu. La raison en tient sans doute à mon âge : j’ai grandi dans les années 70. Elle tient aussi à l’intérêt que je porte à la désobéissance civile, à son histoire et à sa sociologie : pourquoi le peuple se dresse-t-il contre une décision publique ? quelle forme prend sa mobilisation ? à quoi tient le succès ou l’échec de la contestation ? Autant de questions passionnantes. Avant Notre-Dame des Landes, avant Sainte-Soline, avant l’A69, le Larzac constitue un précédent riche d’enseignements d’une mobilisation réussie.

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Pearl ★★★☆

En 1918, au Texas, Pearl est une jeune fille en fleurs dont le mari parti à la guerre ne donne plus de nouvelles. Pearl étouffe à la ferme entre une mère tyrannique et un père paralysé par une attaque cérébrale. Une audition se tient dans quelques jours où elle compte concourir qui lui permettrait de réaliser son rêve : monter sur scène, quitter cette bourgade et devenir enfin une star.

Pearl est le deuxième volet de la trilogie réalisée par Ti West. Le premier, X, se déroulait en 1979 au Texas dans la ferme de Pearl et d’Howard, un couple de septuagénaires qui se révélaient être de dangereux criminels érotomanes. Pearl est le prequel de X qui raconte comment Pearl, l’hideuse nymphomane du premier volet fut jadis une ravissante jeune fille avant de sombrer dans la folie.

Pour des raisons que je ne comprends pas, Pearl, qui fut directement tourné, en Nouvelle-Zélande, dans la foulée de X, est sorti directement en vidéo en France. C’est à l’occasion de la sortie en salles avant-hier de MaXXXine, le troisième volet de la trilogie, que quelques cinémas à Paris et en province (Marseille, Saint-Etienne, Bayonne…) font le choix pertinent de le programmer.

Autant j’ai été peu convaincu par X et par MaXXXine, autant j’ai été enthousiasmé par Pearl. Le premier film de la trilogie, particulièrement sanglant – il est interdit en France aux moins de seize ans – est un remake paresseux de massacre à la tronçonneuse, qui met en scène une demi-douzaine de jeunes gens partis tourner un film porno en Super-8 dans une ferme isolée du Texas avant d’être sauvagement assassinés les uns après les autres. Le troisième film de la trilogie, moins traumatisant – il n’est qu’interdit aux moins de douze ans – se perd dans une improbable enquête policière à la recherche d’un tueur en série dans les rues poisseuses du Los Angeles des années 80.

Le deuxième est tout entier resserré autour de son héroïne et ne raconte qu’une chose : comment Pearl sombre lentement dans la folie. Son parcours est à la fois logique et monstrueux. Pearl est le produit de son milieu et de son hérédité : c’est une jeune fille charmante, douée, qui nourrit l’espoir légitime de « vivre la vie qu’elle mérite » – la formule reviendra dans MaXXXine – et de quitter la ferme qui l’a vue naître. Le cinématographe, un art nouveau à l’époque, cristallise ses fantasmes et ses rêves de célébrité.

Mais cette peinture banale d’une entrée dans l’âge adulte conventionnelle dérape. Il y a chez Pearl quelque chose qui ne tourne pas rond, une déviance criminelle qui l’a conduite à s’en prendre d’abord à des animaux inoffensifs avant de tourner sa rage vers des proies plus grosses.

Mia Goth, qui a participé à l’écriture du scénario avec Ti West, est de tous les plans de cette histoire, ramassée sur quelques jours à peine. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Elle incarne à merveille une saine jeune fille américaine au sourire Ultra-Brite. Mais sous le vernis des apparences, la folie sourd. On la remarque à quelques détails annonciateurs. Son explosion est impressionnante.

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Maestro ★☆☆☆

Leonard Bernstein (1918-1990) est beaucoup plus célèbre aux Etats-Unis que dans le reste du monde. C’est dire la notoriété de ce compositeur de génie qui fut aussi un immense chef d’orchestre, un pédagogue hors pair et un dénicheur de talents.
Maestro prend le parti de raconter sa vie à travers sa relation avec Felicia Montealegre, une actrice chilienne qu’il épousa en 1951 et avec laquelle il eut trois enfants.

Maestro est LE film Netflix des fêtes, celui que, dans le monde entier, des millions de spectateurs ont regardé  en famille, réunis par la magie de Noël, noyés dans les vapeurs alcoolisées du (mauvais ?) champagne bu la veille et les reflux acides de saumon et de foie gras. Pour faire bonne figure, c’est donc dûment équipé de mon tube de citrate de bétaïne que je l’ai regardé entre mes deux fils avant-hier. Le premier nous a quittés au bout d’une heure ; le second m’a stoïquement accompagné jusqu’au bout. Son jugement, implacable, n’en est pas moins tombé : « décousu »

Certes Maestro est un film magistral. On sait par avance qu’il vaudra à ses deux acteurs au moins une nomination et peut-être une statuette aux prochains Oscars, sauf si Cilian Murphy (Oppenheimer) et Lily Gladstone (Killers of the Flower Moon) se mettent sur leur chemin. Co-producteur, réalisateur, co-scénariste, Bradley Cooper fait le pari réussi de singer Bernstein au prix d’un maquillage stupéfiant. Si l’Oscar du meilleur nez était attribué, il l’emporterait haut la main ! Mais c’est aussi sa voix qu’il restitue, qui nous est si familière depuis qu’on a été biberonné à sa présentation de Pierre et le loup, et qui l’est plus encore à des générations d’Américains qui l’ont entendue chaque semaine.
Quant à Carey Mulligan, certaines critiques affirment non sans motifs qu’elle est l’héroïne du film. C’est sans doute lui donner plus d’importance qu’elle n’en a. Son personnage n’en reste pas moins essentiel. Fan de la première heure depuis Une éducation qui est l’un de mes films fétiches, en passant par Drive, Shame, Loin de la foule déchaînée et She Said, je manque de l’objectivité la plus élémentaire pour la critiquer sans verser dans le dithyrambe.

Il n’en reste pas moins, comme le disait mon aîné d’un mot, que Maestro est « décousu ». Décousu dans sa forme, qui, si elle suit globalement la chronologie, s’autorise des flash forwards et des ellipses parfois déconcertantes. Un exemple : le film, sans qu’on en comprenne vraiment la raison, oscille entre le noir et blanc et la couleur, le 16:9 et le 4:3. Pourquoi ?

Décousu surtout dans le sujet qu’il entend traiter. S’agit-il du génie musical de Bernstein ? Sans doute. Bradley Cooper a apporté par exemple un soin jaloux à reconstituer mimétiquement la fameuse direction par Bernstein de la symphonie n° 2 de Mahler en 1973 dans la cathédrale d’Ely près de Cambridge. Mais, on aurait aimé en voir plus et surtout en entendre plus. Quelle frustration de passer sous silence West Side Story, le chef d’oeuvre de Bernstein, dont on ne saura rien de la composition et dont on entendra à peine quelques mesures de l’introduction.

On aura compris que le vrai sujet de Maestro est la vie privée de Bernstein, sa bisexualité revendiquée, étonnamment transgressive pour son temps. Le problème est qu’à force d’être normalisée, à force d’être « cool » (on rit volontiers quand Bernstein cajole un bambin en racontant qu’il a été successivement l’amant de sa mère et de son père), cette bisexualité n’a plus rien de problématique. Elle n’est ni douloureuse, ni enthousiasmante, pour Bernstein lui-même comme pour son épouse aimante. Elle nous devient tout simplement indifférente.

Et c’est bien le comble pour un film qui aurait dû nous transporter. Sa luxuriance nous laisse sur le bord du chemin.

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À l’Ouest rien de nouveau ★★★☆

À peine sorti de l’adolescence, Paul Bäumer décide, contre la volonté de ses parents, de s’engager avec plusieurs camarades d’école dans les rangs de l’armée allemande en 1917. Envoyé en France, au Chemin des Dames, il plonge dans l’horreur de la guerre de tranchées. La fin des combats approche. Les plénipotentiaires allemands, dirigés par le social-démocrate Matthias Erzberger (Daniel Brühl), négocient à Rethondes. Mais pendant ce temps les deux états-majors continuent à se livrer une guerre sans répit. Paul survivra-t-il jusqu’à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918 ?

La nouvelle adaptation du célèbre roman d’Erich Maria Remarque, après celle de 1930 par Lewis Milestone, fut l’un des produits d’appel de Netflix l’an passé, avec Blonde de Andrew Dominik, après The Power of the Dog de Jane Campion et Don’t Look Up l’année précédente. Nommé neuf fois aux Oscars, À l’Ouest rien de nouveau empocha quatre statuettes : meilleur film international, meilleure musique, meilleure photographie, meilleurs décors.

J’ai eu la chance de le voir sur grand écran dans la seule salle parisienne à le projeter, à l’occasion d’une unique séance dont je me demande par quel tour de passe-passe juridique elle a pu avoir lieu. Je n’imaginais pas qu’il puisse en être autrement : par son sujet, par son traitement, par l’ampleur et l’ambition de ses prises de vue, À l’Ouest rien de nouveau doit être vu en salle. Le regarder sur sa TV ou, pire, sur son ordinateur est un sacrilège.

Son sujet est bien connu et a déjà souvent été traité. Difficile de se confronter à 1917, le chef d’oeuvre (indépassable ?) de Sam Mendes. À l’Ouest… raconte l’horreur de la Première Guerre mondiale vue à travers les yeux d’une jeune recrue allemande.
Le film s’éloigne du livre pour mettre en scène dans sa seconde moitié un compte à rebours, dans les derniers jours de la guerre. Un montage alterné montre d’une part la vie sur le front de Paul et ses camarades et d’autre part, dans le confort douillet d’un wagon ferroviaire, les efforts désespérés du plénipotentiaire allemand pour signer le plus vite possible un armistice qui épargnera des vies humaines inutilement sacrifiées.

Ce montage nerveux crée un suspens et une tension savamment orchestrés. Outre la violence des scènes de guerre, le film, qui a la majestueuse durée des films les plus prestigieux, nous tient en haleine jusqu’à la dernière minute.

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Columbus ★★☆☆

C’est l’histoire d’une rencontre improbable à Columbus dans l’Ohio entre deux individus dont les chemins n’auraient pas dû se croiser.
Jin, métis américano-coréen, y débarque en toute urgence en provenance de Séoul au chevet de son vieux père qui vient de sombrer dans le coma.
Casey, de dix ans sa cadette, y a grandi et, par dévotion pour sa mère, refuse d’en partir.
L’architecture moderniste de cette ville au demeurant anodine va les rapprocher.

Après avoir vu After Yang, j’ai été curieux du précédent film de Kogonada, datant de 2017, qui n’était pas sorti en salles à l’époque, mais que le Grand Action a eu la bonne idée de reprogrammer.

J’avais été très sensible à la douceur d’After Yang que j’ai retrouvée avec délice dans Columbus. Loin de la mode actuelle des caméras portées et des plans séquences épileptiques, Kogonada prend son temps. Il filme en plan fixe. Tout y est calme et volupté. Qu’on s’intéresse ou pas à l’architecture contemporaine, on suivra avec un vif intérêt le tour guidé auquel il nous invite dans cette ville de l’Ohio dont on ignorait les richesses méconnues.

Le lien qui se construit entre les deux personnages est de la même nature. Aucune passion enfiévrée, aucune tension sexuelle qui se conclurait fatalement, à la fin du film, par leur union amoureuse. Rien qu’une douce amitié asexuée et, osons le mot, post-moderne.

Cette réussite doit beaucoup à la jeune Haley Lu Richardson. Elle n’est pas exceptionnellement jolie comme le sont parfois les starlettes. Elle aurait même d’ailleurs quelques kilos en trop par rapport à la norme draconienne qu’elles se doivent de respecter. Mais elle a un charme fou, une douceur irrésistible, dans sa relation à sa mère, à Jin et même à son collègue bibliothécaire avec lequel une romance aurait pu s’ébaucher.

Columbus ne raconte pas grand-chose. Mais ce pas grand-chose est déjà beaucoup.

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Operation finale ★★☆☆

Le nazi Adolf Eichmann, l’homme de la Solution finale, s’était enfui sous une fausse identité en Argentine à la fin de la Seconde guerre mondiale. Il y fut identifié par une jeune fille qui fréquentait son fils. L’information parvint au Mossad qui décida de monter une opération commando à hauts risques pour l’appréhender et l’exfiltrer d’Argentine vers Israël où il serait jugé. Operation finale raconte l’histoire de ce commando.

L’arrestation et le jugement d’Eichmann à Jerusalem m’ont toujours passionné. Car ils combinent trois éléments fascinants. 1. La Shoah et l’intérêt morbide qu’elle suscite. 2. L’opération commando rocambolesque, digne des meilleurs films d’espionnage, qui a réussi à kidnapper Eichmann à Buenos Aires et à le dissimuler dans un avion El Al en partance pour Israël. 3. Le procès d’Eichmann à Jerusalem, ce qu’il a révélé sur la « banalité du mal » et l’analyse si intelligente qu’en fit à chaud Hannah Arendt.

Il était évident que le cinéma allait s’emparer d’une matière aussi riche. Ce fut le cas dès 1961 avec Opération Eichmann. En 1979, The House on Garibaldi Street, le livre de Isser Harel, le directeur du Mossad qui supervisa les opérations, fut adapté pour la télévision. En 1996, toujours pour la télévision américaine est tourné The Man Who Captured Eichmann avec Robert Duvall dans le rôle d’Eichmann. En 1999, j’avais vu dans les salles en France le remarquable documentaire co-réalisé par Eyal Sivan et Rony Brauman, Un spécialiste, portrait d’un criminel moderne. Il m’avait tellement marqué que j’en avais même lu le livre qui en avait été tiré et que je retrouve avec nostalgie, rempli de mes pattes de mouche illisibles. Enfin, en 2007, un film britannico-hongrois (sic) réalisé par Robert Young était sobrement intitulé Eichmann.

Le film de Chris Weitz (un homme de cinéma américain connu pour avoir prêté la main en tant que réalisateur, scénariste ou producteur, à des films aussi différents que American Pie, Twilight ou Rogue One) s’inscrit dans cette longue généalogie. Il rassemble un casting international autour de l’excellent Oscar Isaac. L’inoxydable Ben Kingsley y incarne l’ancien nazi à la perfection. Mélanie Laurent joue les utilités françaises – et paie ses impôts. La lecture du générique nous apprend que l’informe Mme Eichmann, quinquagénaire et boudinée, est interprétée par la sublime Gretta Scacchi qui, dans les années quatre-vingts incarnait mon idéal féminin.

Brièvement sorti aux Etats-Unis fin 2018 avant d’être racheté par Netflix pour sa diffusion mondiale, Operation finale se regarde sans déplaisir bien qu’on en connaisse par avance les rebondissements les plus rocambolesques et l’épilogue glaçant.

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The Prison Experiment ★★☆☆

En 1971, à l’université de Stanford en Californie, le professeur Zimbardo a mené une expérience qui a mal tourné. Son hypothèse de travail était que la situation est plus déterminante que la personnalité des individus pour influencer leur comportement. Pour la démontrer il a réparti aléatoirement une population de dix-huit étudiants, recrutés par petites annonces, en deux groupes : un groupe de gardiens et un groupe de prisonniers. Les premiers, abusant de l’autorité arbitraire qui leur est conférée, vont très vite faire preuve de sadisme tandis que la plupart des seconds ont accepté les humiliations qu’ils ont subies.

L’expérience du professeur Zimbardo a défrayé la chronique. Elle divise encore la communauté scientifique qui remet en cause son protocole et ses conclusions. Elle a beaucoup inspiré le cinéma. Un film allemand a été tourné en 2001 par Olivier Hirschbiegel, le réalisateur de La Chute, tiré de Black Box, un roman de Marco Giordano très librement inspiré des faits. Ce film a d’ailleurs fait l’objet d’un remake américain en 2010 avec Adrien Brody.

Le film de 2015 de Kyle Patrick Alvarez rassemble autour de Billy Crudup qui interprète le professeur Zimbardo quelques uns des jeunes talents prometteurs de Hollywood : Tye Sheridan, qui jouera trois ans plus tard le rôle principal de Ready Player One de Steven Spielbergh, Ezra Miller, le héros inquiétant de We Need to Talk About Kevin, Olivia Thirlby…

The Prison Experiment a une grande qualité : sa fidélité aux faits qu’il reproduit scrupuleusement jusqu’à la tenue des matons, qui portaient des lunettes de soleil réfléchissantes pour éviter toute interaction visuelle avec les prisonniers, habillés d’une blouse, coiffés d’un bas nylon, désignés par leur matricule. Pendant les six jours que durera l’expérience, la tension montera, devenant vite irrespirable, illustrant ce que Zimbardo théorisera plus tard sous le nom révélateur d’effet Lucifer : n’importe quel individu placé dans une situation d’autorité peut se transformer en monstre sadique.

Mais cette fidélité est paradoxalement la principale faiblesse d’un film qui donne le sentiment, une fois terminé, qu’on aurait mieux utiliser son temps à lire la notice Wikipédia consacrée à l’expérience de Stanford plutôt qu’à le regarder.

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Outlaw King ★☆☆☆

Au tournant du XIVème siècle, l’Angleterre d’Edouard Ier, profitant d’une crise de succession à la tête du royaume d’Écosse, a progressivement mis la main sur son voisin septentrional. Mais le joug de Londres est mal ressenti par ce peuple viscéralement attaché à son indépendance.
Robert Bruce (Chris Pine) a dû faire allégeance au roi d’Angleterre. Mais dès 1306, il se met hors-la-loi en assassinant son rival John Comyn et en se faisant couronner roi d’Écosse. Edouard Ier vieillissant envoie son fils, le futur Edouard II (Billy Howle), mater la rébellion écossaise.

Outlaw King commence quasiment au moment de l’histoire d’Écosse où Braveheart, le film de 1995 de Mel Gibson (avec Sophie Marceau !) se terminait. On peut d’ailleurs le suspecter d’avoir voulu chasser sur les mêmes terres son succès public et critique en en reproduisant les mêmes ingrédients : une coûteuse reconstitution de l’Écosse médiévale, de la violence des combats qui l’opposa à l’Angleterre des Plantagenêts, de son irréductible nationalisme.

Le film produit par Netflix a coûté cent vingt millions de dollars. Et cet argent se voit. Le spectateur en prend plein les yeux devant la majestueuse beauté des paysages écossais et la sombre mêlée des armées en guerre. Son seul regret : ne pas pouvoir jouir du spectacle devant un grand écran.

Mais Outlaw King souffre de son académisme guindé. Rien ne dépasse dans sa reconstitution scrupuleuse du combat mené par Robert Bruce et sa poignée de desperados pour défendre son pays. Sans doute ce combat prend-il une résonnance particulière au lendemain du Brexit et du succès du SNP, le parti nationaliste favorable à un référendum qui, après celui de 2014 perdu d’un cheveu, pourrait ouvrir la voie de l’indépendance. Mais cette dimension-là ne suffit pas à elle seule à donner suffisamment d’intérêt à ce spectacle trop convenu.

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Le Bal des folles ★★☆☆

À la fin du dix-neuvième siècle, Eugénie Cléry (Lou de Laâge) est une jeune fille de la haute bourgeoisie parisienne dont les parents collets montés n’apprécient guère les foucades féministes. Quand Eugénie prétend communiquer avec les esprits, ils la placent à l’asile de la Salpêtrière dans le service du docteur Charcot qui met en oeuvre des méthodes révolutionnaires pour soigner l’aliénation mentale. Terrifiée par son nouvel environnement, Eugénie apprend à connaître les autres convalescentes. Elle supplie qu’on la libère et révèle ses dons à Geneviève, l’infirmière en chef (Mélanie Laurent).

Il ne faisait guère de doute que le roman de Victoria Mas (la fille de), gros succès de la rentrée littéraire 2019, serait promptement porté à l’écran. Il possédait en effet toutes les qualités d’une oeuvre cinématographique : un sujet en or (le sort des aliénées à la fin du dix-neuvième siècle), des personnages bien trempées (la pure Eugénie, la menaçante Geneviève…), une histoire riche en rebondissements qui s’achève dans une folle bacchanale, digne des tableaux enfiévrés de James Ensor.

Quelques mois à peine après la sortie du livre, le projet de Mélanie Laurent était déjà sur les rails avec une brillante distribution. Mélanie Laurent elle-même interprèterait le rôle de Geneviève ; la jeune Lou de Laâge, éternel espoir du cinéma français, jouerait celui d’Eugénie. Les deux héroïnes seraient entourées de seconds rôles prestigieux : André Marcon (qu’on vient de voir dans Illusions perdues et dans Boîte noire), Emmanuelle Bercot, le jeune Benjamin Voisin (Lucien de Rubempré dans l’adaptation de Balzac), Valérie Stroh (qui m’enflammait quand elle était jeune et jouait dans les films de René Féret)…

Gaumont aurait dû le produire, mais y renonça. Amazon, qui poursuit sa stratégie d’expansion mondiale, le reprit en chemin et en fit le porte-étendard de sa chaine de VOD pour un lancement à grands frais en septembre dernier, loin hélas des salles de cinéma où cette oeuvre-là aurait eu pourtant sa place.

C’est pitié en effet de regarder sur son ordinateur ou, pire, sur sa tablette, ce film en costumes qui utilise l’hôpital de la Marine de Rochefort pour reconstituer la Salpêtrière. Tout y est léché dans la reconstitution de la France de la Troisième République, depuis la foule qui se presse au Panthéon pour l’enterrement de Victor Hugo jusqu’à ces culs de basse-fosse où l’on cantonnait les malheureuses aliénées et où on les soumettait aux pires expérimentations.

Charcot y voit son étoile écornée, au mépris d’ailleurs de la réalité historique. De ce point de vue, le film Augustine d’Alice Winocour (2012) où Vincent Lindon interprétait le rôle du grand neurologue était plus convaincant.

Comme dans les grands romans du dix-neuvième siècle – on pense beaucoup à Zola en lisant Le Bal des folles ou en en regardant l’adaptation, ce qui est plus un éloge qu’un reproche – l’oeuvre est manichéenne, les rebondissements parfois téléphonés (on imagine mal comment M. Cléry décide d’abandonner sans espoir de retour sa fille à l’asile et on ne dira rien du dénouement pas vraiment crédible). Tout est un peu trop prévisible dans une histoire cousue de fil blanc.

Autre reproche : le sort misérable des aliénées aurait gagné à être incarné, non pas par une jeune bourgeoise dotée de dons extra-lucides, sorte de Superwoman dans les chaînes, mais au contraire par une femme ordinaire comme l’était l’héroïne du film d’Alice Winocour.

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La Main de Dieu ★★★☆

Naples. Années 80. Fabietto est un adolescent, le Walkman vissé aux oreilles, qui grandit au cœur d’une famille aimante avec trois choses en tête : les filles, le football et le cinéma. Nourrissant une attirance trouble pour sa tante, la gironde Patrizia, il a hâte de perdre son pucelage comme son frère aîné avant lui. Fan du SSC Napoli, il atttend avec impatience l’arrivée de Maradona au club napolitain et applaudit au but que la star argentine marque en demi-finale du Mondial grâce à la « main de Dieu ». Fasciné par le cinéma et le théâtre, il sent sourdre en lui une vocation qui ne demande qu’à s’exprimer.

Tous les amoureux de Rome – et ils sont légion – s’accordent sur un point : nul mieux que Sorrentino n’a jamais filmé la capitale italienne dans La Grande Bellezza. Les amoureux de Naples s’accorderont presque sur le même. La Main de Dieu annonce dès son premier plan son intention : rendre un hommage à Naples, la ville natale du réalisateur. On s’étonne d’ailleurs que son nom n’ait pas été choisi comme titre du film.

Choisir comme titre La Main de Dieu, c’est risquer d’induire le spectateur en erreur. C’est risquer de lui faire croire qu’il s’agit d’un film sur Maradona ou, à tout le moins, sur son passage à Naples. Tel n’est pas le cas. La star argentine n’est tout au plus qu’une silhouette, un élément de contexte. Qui s’intéresse à son parcours serait mieux inspiré de voir – ou de revoir – le superbe documentaire d’Asif Kapadia sorti en juillet 2019.

La Main de Dieu est une autobiographie à peine déguisée du réalisateur, né à Naples en 1970. On pourrait renâcler à cet exercice nombriliste et complaisant dont on attend, sans guère de surprise que son jeune héros découvre l’amour, applaudisse Maradona et achète sa première caméra. Le scénario prend toutefois quelques libertés par rapport à cette trame convenue, l’une notamment dont on ne dira rien de plus sous peine de divulgâchage.

Mais moins que la richesse du scénario – qui réussit à nous embarquer pendant plus de deux heures sans qu’on voit le temps passer – c’est la truculence du jeu des acteurs qui donne tout son sel à La Main de Dieu. Les premières scènes de famille donnent un peu le tournis. Oncle paternel ? Grand-père ? Simple voisin ? On ne comprend pas qui est qui. Mais peu importe. Le cinéma italien est ici à son meilleur, dans ces bruyantes scènes de groupes où les altercations fusent. On pense à Fellini bien sûr, à ses monstres, à ses sabbats joyeux. On rêve aussi à ses prochaines vacances d’été en espérant peut-être retourner à Capri ou à Sorrente pour regarder le soleil se coucher sur Naples.

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