Un 22 juillet ★★☆☆

Le 22 juillet 2011, Anders Breivik, un terroriste d’extrême droite, commet, après une longue planification, un double attentat. Il place dans le centre d’Oslo devant les services du Premier ministre une camionnette remplie d’explosifs. Profitant de la mobilisation des services de police causée par l’explosion, il se rend sur l’île d’Utøya, à une trentaine de kilomètres au nord d’Oslo et il y assassine avec un froid systématisme les jeunes du parti travailliste norvégien qui y étaient réunis en université d’été.

Paul Greengrass, le réalisateur britannique de trois Jason Bourne, de Captain Phillips et de United 93, raconte le double attentat d’Oslo et d’Utøya du 22 juillet 2011. Il adapte le livre-enquête de la journaliste Åsne Seierstad – déjà connue pour avoir ramené d’Afghanistan Le Libraire de Kaboul.

Les mêmes événements, qui ont durablement marqué la Norvège et le monde entier, ont fait l’objet d’un autre film : Utøya , 22 Juillet. Je l’avais vu à sa sortie en salles et l’avais beaucoup aimé. Ce film-là prenait un parti pris radical : filmer en caméra subjective, en un seul plan, la tuerie d’Utøya. Le résultat, immersif, traumatisant, était d’une efficacité redoutable.

Le parti pris de Paul Greengrass est beaucoup plus classique. Dans son film, la tuerie proprement dite n’occupe qu’une quinzaine de minutes. Il s’intéresse à l’avant (un peu) et à l’après (beaucoup).

Il aurait pu choisir de se focaliser sur le seul Breivik, essayer de plonger dans la psyché de ce criminel pathologique, nous faire comprendre le cheminement qui l’a conduit à ces crimes et sa façon d’organiser sa défense. Mais, Paul Greengrass choisit une approche plus chorale. Il s’intéresse non seulement à Breivik, mais aussi à quelques uns des protagonistes du drame : le Premier ministre norvégien, qui accepte de se soumettre à une commission d’enquête et assumera sa part de responsabilité dans l’impréparation des forces de police, deux survivants, l’avocat de Breivik commis d’office…

Cet éclatement polyphonique n’est pas toujours réussi. Si les dilemmes posés à l’avocat sont passionnants (comment défendre un monstre ?), l’histoire des deux survivants (un garçon qui doit courageusement endurer une longue convalescence et une jeune fille secrètement éprise de lui) est beaucoup plus conventionnelle. Reste au milieu d’eux Breivik et ses délires racistes, impeccablement interprété par Anders Danielsen Lie (déjà vu dans La nuit a dévoré le monde, Ce sentiment de l’été et Oslo, 31 août), que le respect scrupuleux des droits de la défense et l’abolition de la peine de mort autorisera à insulter la mémoire des disparus pendant son procès et à survivre à sa condamnation.

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A Very English Scandal ★☆☆☆

À une époque où l’homosexualité n’avait pas encore été dépénalisée, le député libéral britannique Jeremy Thorpe (Hugh Grant) a eu une liaison avec le jeune Norman Scott (Ben Whishaw). Craignant le chantage de son amant, il décide de le faire taire.

La BBC a recruté Stephen Frears, le célèbre réalisateur, pour raconter, dans une mini-série de trois épisodes d’une heure chacun, un des faits divers les plus marquants de la vie politique britannique contemporaine. Avec un soin scrupuleux, mais sans atteindre la magnificence des décors de la saison 3 de The Crown, A Very English Scandal ressuscite l’Angleterre des années soixante-dix.

L’affaire Thorpe était dramatique. Elle s’est conclue par un procès retentissant pour tentative de meurtre qui a révélé à la fois la duplicité de la classe politique et la partialité de la justice.

Stephen Frears aurait pu, à partir de ce scandale passablement abracadabrantesque, croquer un tableau crépusculaire de l’élite politique britannique dans les années 70 ou nouer une intrigue policière tant les rebondissements de l’affaire étaient nombreux et surprenants. Mais il prend un autre parti.

Dans le rôle de Jeremy Thorpe, Hugh Grant cabotine outrancièrement. Son personnage ressemble moins à Franck Underwood, le héros machiavélique de House of Cards, qu’à un personnage des Monty Python voire à Mr Bean. L’interprétation de Ben Whishaw est plus subtile, même s’il a parfois tendance à en rajouter dans le registre drama queen.

Le problème est que cette bouffonnerie outrée n’est pas vraiment drôle. Un poisson nommé Wanda reste indépassable.

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Paris – Brest ★☆☆☆

Colin (Anthony Bajon) vient d’avoir dix-huit ans. Il ne supporte plus la mesquinerie de ses parents et rêve de quitter Brest pour aller poursuivre ses études à Paris et y réaliser le rêve de sa vie : l’écriture. Deux êtres le retiennent : sa grand-mère et sa fiancée.
Pourtant Colin franchira le pas. Cinq ans plus tard, il est de retour chez lui et solde ses comptes.

Même s’il est peu à peu éclipsé par une génération de réalisateurs plus jeunes, Philippe Lioret reste l’un des grands noms du cinéma social français. On a tous vu et aimé Welcome en 2009 où Vincent Lindon campait un maître nageur généreux. Philippe Lioret a souvent adapté des écrivains français contemporains : Olivier Adam (Je vais bien, ne t’en fais pas), Emmanuel Carrère (Toutes nos envies), Jean-Paul Dubois (Le Fils de Jean). Son dernier film, produit pour la télévision, est tiré d’un roman de Tanguy Viel, un des auteurs-étendards des Editions de Minuit, qui depuis une vingtaine d’années y publie des romans faussement policiers aux thèmes récurrents : les drames intimes, les secrets de famille, les inégalités sociales…

Aussi ai-je profité de sa diffusion en replay – jusqu’au 25 avril – pour voir ce Paris-Brest sur Arte. J’y étais d’autant plus incité que le rôle titre était confié à un acteur prometteur, Anthony Bajon, nommé cette année et l’année précédente au César du meilleur espoir masculin pour Au nom de la terre et La Prière, deux films que j’avais adorés.

Paris-Brest, un titre trompeur. Car il ne s’agit pas d’un aller-simple mais d’un aller-retour entre deux époques que cinq ans séparent : l’époque où Colin décide de quitter Brest et celle où il revient de paris. Et car la sécheresse du récit et le drame à son mitan n’ont pas la légèreté d’une friandise sucrée.

Malheureusement le résultat est décevant. La construction du récit est certes intelligente qui entrelace les deux temporalités. Mais c’est bien la seule subtilité d’une réalisation sinon bien paresseuse. D’habitude si juste, Philippe Lioret cède à la simplicité, réduisant ses personnages à des caricatures univoques : les parents de Colin sont mesquins, sa grand-mère est généreuse, sa fiancée est égoïste. Il n’est pas jusqu’au personnage de Colin lui-même qui manque d’épaisseur. Quand au « drame » autour duquel l’intrigue se noue, il n’a rien de bien dramatique ni de bien surprenant.

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7. Koğuştaki Mucize ☆☆☆☆

Memo est simple d’esprit. Il vit avec sa mère et sa fille, Ova, qu’il élève seul depuis la mort en couches de son épouse dans un petit village turc de carte postale sur les bords de la Méditerranée.
Un drame y survient : la fille d’un haut gradé de l’armée turque meurt accidentellement. Memo, qui était présent sur les lieux et que tout accable, est accusé. Il est jeté en prison et condamné à mort malgré ses cris de dénégations et les tentatives de sa fille de retrouver un témoin qui pourrait l’innocenter.

On en parle beaucoup depuis sa sortie sur Netflix le 23 mars. Sans doute le confinement a-t-il largement contribué à sa popularité. Mais 7. Koğuştaki Mucize avait déjà été accueilli avec enthousiasme en Turquie où il a terminé l’année 2019 en tête du box office.

Si l’on en croit les commentaires très clivés qu’on en lit, 7. Koğuştaki Mucize est en train de susciter une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes, opposant la France d’en haut à celle d’en bas, les Gilets jaunes et les élites parisiennes arrogantes, ceux qui croyaient à la chloroquine et ceux qui n’y croyaient pas.

Les uns, les plus sincères, crient au génie, évoquent un « déluge d’émotions », encensent  » le film le plus triste [qu’ils ont] vu depuis La Ligne verte » « d’une moralité sans nom » (sic).

Les autres reconnaissent honnêtement avoir versé leurs larmes. Mais, pas étouffés pour un sou par leur mépris de classe, ils se moquent d’une affiche tape-à-l’oeil, comme on n’en fait plus depuis les années soixante, d’une musique sirupeuse et envahissante, de ses ralentis maladroits, d’une lumière qui rappelle les pires télénovelas brésiliennes, de personnages manichéens à souhait (le héros forrestgumpien, la gamine attendrissante, la mamie vieillissante, la maîtresse d’école sexy à souhait, le colonel très très méchant…) d’un scénario aux rebondissements prévisibles et surtout d’une insistance putassière à vouloir à chaque scène faire pleurer dans les chaumières.

Devinez dans quel camp je me range…

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Uncut Gems ★★★☆

Howard Ratner ne s’arrête jamais. Ce Juif new-yorkais de 48 ans, propriétaire d’une bijouterie, vit dans un angoisse permanente. Atrabilaire, il est convaincu de souffrir du même cancer du côlon que celui qui a emporté son père. Sa vie privée est chaotique, entre sa femme, dont il est en train de se séparer, ses enfants et sa maîtresse qu’il a installée dans l’appartement qu’il possède en ville. Mais c’est surtout ses problèmes d’argent qui le minent. Accro aux paris sportifs et au basket, Howard engage le moindre dollar qu’il gagne sur des mises de plus en plus hasardeuses sans mesurer l’impatience grandissante de ses créanciers qui entendent bien récupérer leur mise. Pour résoudre tous ses problèmes, Howard a peut-être trouvé la martingale : une opale noire éthiopienne dont la valeur estimée avoisine le million de dollars.

Imaginez un semi-marathon mené au rythme d’un 400 mètres, une voiture roulant en troisième à 180 km/h, une pavane jouée au tempo d’une mazurka. Bref imaginez un film en sur-régime de 2h15. Vous aurez Uncut Gems.

Car sitôt passée la première scène qui se déroule dans une mine éthiopienne et aboutit par un étonnant tunnel dans le colon du héros, le film démarre à un rythme haletant qu’il ne quittera jamais. Uncut Gems ne nous laisse pas respirer, qui suit pas à pas la course folle de Howard – dont on s’étonne qu’il ne finisse pas terrassé par un arrêt cardiaque. Ce rythme fou est encore accentué par une musique envahissante.

L’expérience est rude. Et je mentirai en disant que j’y ai pris du plaisir. J’avais éprouvé les mêmes sentiments devant le précédents films des frères Safdie, Good Time, en 2017. Mais, après la scène finale qui m’a cloué à mon siège – ou plutôt à mon canapé, car hélas, Uncut gems, production Netflix, n’est pas sorti en salles – et le générique de fin, au moment de réfléchir à ce que j’allais écrire dans ma critique, je n’ai eu qu’un mot : Waouh !

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Okja ★★★☆

Lucy Mirando (Tilda Swinton), la dirigeante hystérique et narcissique d’une firme multinationale, lance à grands renforts de publicité une nouvelle variété de porc génétiquement modifié, plus charnu et plus goûtu. Mi-dinosaure, mi-hippopotame, la truie Okja, le plus beau des spécimens, a été amoureusement élevée en Corée, dans une ferme perdue dans les montagnes, par une orpheline (Seo-Hyun Ahn) et son grand-père. Le vétérinaire de la firme Mirando (Jake Gyllenhaal méconnaissable) est chargé de la convoyer jusqu’à New York où elle devra être exhibée lors d’une parade géante. Mais, la jeune orpheline, aidée d’un groupe de militants du Front de libération des animaux entend bien faire pièce à ce projet criminel.

Le film par lequel le scandale arrive. Souvenez vous. C’était en 2017. En un temps où l’on se serrait les mains, où on allait au cinéma et où le Festival de Cannes avait lieu au mois de mai ! Production phare de Netflix, Okja était en sélection officielle alors qu’il n’avait pas vocation à être distribué en salles. Trois ans plus tard, après Roma et Marriage Story, la transgression semble étrangement anodine. L’apocalypse prophétisée par les anti-Netflix s’est réalisée en un clin d’oeil : depuis le 16 mars, plus personne ne va en salles et tout le monde regarde Netflix !

Le confinement m’a donc permis de regarder ce film que son absence de diffusion en salles à l’époque m’avait privé de voir. Ma réception en a été biaisée par ce qui s’est passé entretemps dans la carrière de son réalisateur : en 2019, Bong Joon-Ho sort Parasite qui rafle tous les prix (Oscar, BAFTA, Golden Globe, César…). Non pas que le réalisateur coréen en fut à son coup d’essai. Ses précédents opus (Memories of Murder, The Host, Snowpiercer…) lui avaient déjà taillé une sérieuse notoriété. Mais il a acquis avec Parasite une stature mondiale qu’il n’avait pas jusqu’alors.

Aussi est-il inéluctable de regarder aujourd’hui Okja à travers le prisme déformant de Parasite et d’y trouver les mêmes qualités. D’une part, l’inventivité du scénario. En une époque où les studios hollywoodiens mettent en scène les mêmes personnages répétitifs d’adolescentes mal dans leur peau ou de quarantenaires en crise, il faut reconnaître à Bong Joon-Ho une audace rafraichissante à raconter des histoires décoiffantes.

Il le fait en jouant sur plusieurs registres. Et c’est ce qui fait la richesse de son cinéma, dans Okja comme dans Parasite. Okja compte plusieurs niveaux de lecture. C’est un conte à la Miyazaki qui débute dans un Eden campagnard et met en scène des personnages simples vivant en harmonie avec la nature. C’est un film d’action avec une scène de poursuite dans un centre commercial séoulien à la Jason Bourne. C’est un film d’anticipation au budget de cinquante millions de dollars qui fait la part belle aux images de synthèse.

C’est enfin, et surtout, une critique acerbe de notre société contemporaine, de sa dérive consumériste, du danger que fait peser la production d’OGM et de la souffrance imposée aux animaux d’abattoir. Et le moindre des paradoxes d’Okja est d’avoir servi de fer de lance à une nouvelle major hollywoodienne disruptive pour casser les règles sur lesquelles le cinéma mondial était assis depuis soixante ans.

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Official Secrets ★★★☆

En mars 2003, alors que les États-Unis et le Royaume Uni s’apprêtaient à déclencher les hostilités contre l’Irak de Saddam Hussein en dépit d’une opinion publique hostile à la guerre, Katharine Gun, une employée du GCHQ, le service de renseignements électroniques britannique, a fait fuiter un mémo confidentiel de la NSA demandant à Londres son soutien pour connaître et influencer le vote des membres du Conseil de sécurité des Nations Unies sur une résolution autorisant le déclenchement des hostilités.

Vous avez réussi à lire jusqu’au bout la phrase qui précède, inutilement longue et alambiquée ? Vous vous passionnez pour la géopolitique et l’histoire des relations internationales ? Vous aimez le droit ? Vous allez adorer Official Secrets, un film terriblement intelligent inspiré de faits réels.

Official Secrets a pour héroïne une lanceuse d’alerte, interprétée par la gracile Keira Knightley – qui pour une fois, ne joue pas en crinoline, une jeune femme d’un roman de Jane Austen. Profondément hostile à la guerre contre l’Irak – à l’instar d’une large majorité de la population britannique – révulsée par les mensonges de Bush et de Blair – qui voulaient faire croire à l’existence d’armes de destruction massive en Irak pour convaincre l’opinion de l’urgente nécessité d’un conflit – elle entre grâce à ses fonctions au GCHQ en possession d’un document qui révèle la conspiration dont le gouvernement américain se rend coupable. Le divulguera-t-elle au risque de violer la loi qu’elle a juré de respecter au moment de son recrutement et au risque de mettre en cause sa vie et celle de la famille ? Le suspense est mince. Quelle stratégie de défense adoptera-t-elle avec l’aide de son avocat (interprété par le mielleux Ralph Fiennes qui semble porter sur ses frêles épaules tout le malheur du monde) ? La question est déjà plus intéressante.

Star system oblige, le film prend le parti de raconter l’histoire du personnage interprété par Keira Knightley. Mais on sent le scénario hésiter à suivre une piste différente et pas moins stimulante : il s’agit d’abandonner un instant la lanceuse d’alerte et de s’intéresser à la façon dont la presse va recevoir ses informations et décider de leur publication. Pendant une demi-heure le scénario bifurque et nous entraîne, comme les excellents Spotlight ou Pentagon papers l’avaient déjà fait, au sein de la rédaction de The Observer. On y retrouve une poignée de journalistes courageux, interprétés par des seconds couteaux britanniques (Matt Smith, le prince Philipp de The Crown, Matthew Goode, Rhys Ifans…). Et on en viendrait presque à regretter que cette piste-là, à laquelle on commençait à s’attacher, ne soit pas plus creusée.

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Les Deux Papes ★★☆☆

2005. Jean-Paul II est mort. « Un nouveau pape est appelé à régner. Araignée ? Quel drôle de nom. »
Oups… je m’égare.
2005 donc. Le conclave se réunit dans la Chapelle Sixtine pour élire un nouveau pape. Doyen du collège des cardinaux, Joseph Ratzinger (Anthony Hopkins) est le grand favori. Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il incarne la continuité d’un pape très populaire mais aussi très conservateur. Pourtant, au sein du conclave, des voix s’élèvent en faveur de Jorge Bergoglio (Jonathan Pryce), un jésuite argentin aux positions plus progressistes.
Sept ans plus tard, le cardinal Bergoglio, atteint par la limite d’âge, souhaite renoncer à son office. Ratzinger, élu pape sous le nom de Benoît XVI, le convoque dans sa résidence d’été, à Castel Gandolfo, pour le mettre dans la confidence d’un incroyable secret.

La renonciation de Benoît XVI est un des actes les plus importants qu’a vécu la papauté ces dernières décennies, un des plus surprenants, des plus « disruptifs » de la part d’un pape réputé au contraire pour sa fidélité au dogme.
Il était tentant d’en raconter l’histoire, quitte à en simplifier les enjeux. On aurait volontiers imaginé une pièce de théâtre, un huis clos mettant en présence les deux papes, comme Talleyrand et Fouché dans Le Souper, ou Choltitz et Nording dans Diplomatie. Le réalisateur brésilien Fernando Mereilles (qu’on avait connu plus audacieux dans ses précédents films La Cité de Dieu, The Constant Gardener, Blindness, 360) n’ose pas opter pour ce parti pris radical. Si les face-à-face entre les deux hommes, à Castel Gandolfo d’abord, dans la Chapelle Sixtine ensuite, constituent le plat de résistance du film, il s’est senti obligé de les entourer d’amuse-bouche et de trous normands.

Et c’est bien dommage. Car le film aurait dû se focaliser sur leurs rencontres. Il aurait dû confronter leurs visions antagonistes de l’Église : un attachement irréductible et d’une imparable cohérence intellectuelle au Dogme chez Benoît, une vision d’une Église en mouvement, obligée de s’adapter au monde dans lequel elle vit, chez le futur pape François. Il aurait dû creuser les grands dossiers qui ont fait tomber Benoît qui ne sont mentionnés qu’en passant : les scandales financiers à la Banque vaticane, le silence gardé sur les abus sexuels commis par certains religieux, l’attachement forcené de la Curie romaine à ses privilèges…

Le film s’égare dans des chemins de traverse. Des flash-back sépia nous montrent le jeune Bergoglio au mitan des années cinquante hésiter sur sa vocation apostolique dans une Buenos Aires sépia. On le voit ensuite, en couleurs, sous la dictature argentine, prendre des positions compromettantes qui le hanteront tout le reste de sa vie. On le voit enfin dans les années 2000 mener son sacerdoce au contact des plus pauvres dans les banlieues de Buenos Aires. Ces développements certes nous éclairent sur la personnalité du pape François et son passé ; mais ils nous éloignent du vrai sujet du film qui aurait dû être la confrontation entre les deux hommes.

Mais nous sommes dimanche. Les cloches sonnent. La messe nous appelle. Il est temps de clore cette critique.

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Marriage story ★★★☆

Charlie (Adam Driver) est un metteur en scène qui dirige à New York une troupe d’avant-garde. Nicole (Scarlett Johansson) est une jeune actrice hollywoodienne qui, après avoir rencontré Charlie, a décidé de quitter la Californie pour s’installer et travailler avec lui sur la Côte Est.
Charlie et Nicole ont eu un garçon, Henry, huit ans. Mais Charlie et Nicole ne s’aiment plus. Quand Nicole se voit proposer un premier rôle dans une série à succès à Hollywood, elle décide de rentrer en Californie, chez ses parents, et d’engager une procédure de divorce. Les deux époux souhaitent qu’elle soit la moins traumatisante possible. Mais ils se déchirent bientôt autour de la garde de Henry.

Il y a des feel-good movies. Il y a aussi des feel-bad movies. Les premiers sont plus attractifs que les seconds : on préfère en général se faire du bien que du mal. Le monde dans lequel on vit serait si triste, la charge mentale si lourde que nous aspirerions à des loisirs récréatifs qui nous le ferait trouver plus drôle et nous la ferait trouver plus légère.
« Les chants désespérés sont les chants les plus beaux et j’en sais d’éternels qui sont de purs sanglots ». Il faut réhabiliter les sujets graves, les feel-bad movie, les unhappy ending. J’ai vu Docteur Jivago à quinze ans et ne me suis jamais remis de sa scène finale. Idem pour Titanic quinze ans plus tard. Et pour La La Land quinze ans après. Sans parler de West Side Story, des Parapluies de Cherbourg ou de Roméo et Juliette

Ce long paragraphe inutile ne sert à rien. Sinon à vous rappeler mon Top 5, fidèle lecteur, en ces périodes de palmarès, et de vous prévenir : Marriage Story, contrairement à ce que son titre annonce, n’est pas une comédie sur le mariage ou sur le re-mariage mais parle d’un sujet triste.

Quarante ans après Kramer vs. Kramer (cinq Oscars dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur), Noah Baumbach raconte au scalpel un divorce. Il sait de quoi il parle : il est passé par là. Après cinq ans de mariage, il s’est séparé de Jennifer Jason Leigh en 2010 – pour se mettre en couple l’année suivante avec Greta Gerwig (de vingt ans sa cadette). Son divorce a traîné trois ans et n’a été prononcé qu’en 2013.

Le divorce aurait dû se faire à l’amiable. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Bientôt Charlie et Nicole s’écharpent par avocats interposés. Dans le rôle de l’avocate de Nicole, Laura Dern, mielleuse et machiavélique, livre une prestation époustouflante – qui doit beaucoup, osons le dire, à une silhouette qui, époustouflante, l’est elle aussi.
Le scénario parvient excellement à rendre compte de ce glissement inéluctable. Dans la plus grande scène du film, qui à elle seule dure près d’un quart d’heure, on voit les deux héros tenter de s’entendre, faisant preuve l’un comme l’autre de bonne volonté, refusant de se laisser enfermer dans leurs rôles, mais cédant peu à peu à leurs émotions dans un lent crescendo qui se conclut par des hurlements.

Marriage Story est en ligne sur Netflix. C’est une énigme et un scandale. Que des œuvres de cette qualité ne soient pas distribuées au cinéma mais réservées aux seuls abonnés d’une chaîne payante est à la fois le signe de l’incroyable culot de Netflix, qui, après Roma et The Irishman, se positionne désormais sur tous les segments du cinéma, même le plus auteuriste, et un défi pour la salle qui aurait dû être son réceptacle naturel.

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The Irishman ★☆☆☆

Frank Sheeran (1920-2003) a raconté sa vie dans un livre intitulé « J’ai tué Jimmy Hoffa » dans lequel il revendique l’assassinat en 1975 du chef des Teamsters américains. Le titre original de ces mémoires est moins tonitruant : « I Heard You Paint Houses ». Tels auraient été les premiers mots adressés par Hoffa à Sheeran. Il s’agissait moins de saluer ses talents de peintre en bâtiment que d’évoquer à demi mots sa profession de tueur à gages, l’expression renvoyant au sang de ses victimes giclant sur les murs des maisons où elles étaient exécutées.

Un Irlandais devenu italien. Le sujet est posé. Il est de ceux que Scorsese affectionne, qui constitua déjà la toile de fond de quelques uns de ses plus grands films : Les Affranchis, Casino, Les Infiltrés. Il opte pour un titre différent de celui, trop elliptique, du livre qu’il adapte : ce sera The Irishman, qui donne la vedette à Robert De Niro, son acteur fétiche, même s’il partage l’affiche  avec deux autres acteurs d’anthologie, Al Pacino (qui n’avait jamais tourné avec Scorsese) et Joe Pesci (un fidèle de la première heure), sans oublier Harvey Keitel qui tenait un rôle dans le tout premier film de Scorsese tourné en….1967.

Petits meurtres entre amis. Autant dire qu’on est entre vieilles connaissances septuagénaires. Autant dire que The Irishman a des airs intemporels de testament. Martin Scorsese aurait pu signer le même film, avec les mêmes personnages, le même scénario, il y a vingt ou trente ans, à l’époque glorieuse des Affranchis ou de Casino – qui, lui, comptait une figure féminine (ah ! Sharon Stone !) dont hélas The Irishman est dépourvu.

Le maestro prend son temps. The Irishman dure plus de trois heures et avance à un rythme de corbillard. Scorsese veut bien qu’on l’enterre ; mais la cérémonie se fera au tempo qu’il aura décidé ; et le tempo n’est pas prestissimo. Du coup, on s’ennuie un peu. La première heure est languissante, qui met en place un procédé qui mélange trois temporalités (les confessions de Sheeran racontées en flashback depuis une maison de retraite, une virée automobile en 1975 des couples Sheeran et Buffalino, la vie proprement dite de Sheeran depuis la fin de la Seconde guerre mondiale), dont on peine à comprendre l’architecture. Tout s’accélère avec l’entrée en scène de Jimmy Hoffa, campé par un Al Pacino toujours aussi ébouriffant, quels que soient les toupets qui le coiffent.

Martin Scorsese fait des infidélités aux salles obscures en sortant son film sur Netflix. Le procédé, venant d’un des monstres sacrés du septième art, peut surprendre. Scorsese sur Netflix ? Et puis quoi encore ? Gracq publié en poche ? Chostakovitch en replay sur NRJ ? Soulages exposé aux Quatre Temps ?
Le problème de cette modalité de diffusion est qu’elle m’a privé du recueillement et de la concentration que la salle impose. Devant un (petit) écran d’ordinateur, distrait par toutes les sollicitations de la vie quotidienne, je ne me suis pas plongé dans le film. J’en ai saucissonné le visionnage en trois épisodes. J’ai du coup eu l’impression de regarder une mauvaise mini-série. L’aurais je vu en salle trois heures de rang, je me serais peut-être forgé une toute autre opinion.

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