Motherland ★☆☆☆

1992. Kovas a douze ans. Sa mère Viktorija a fui l’URSS vingt ans plus tôt pour les États-Unis sans espoir de retour. L’indépendance récemment acquise lui permet de faire un voyage en Lituanie et d’y retrouver sa famille. Viktorija rêve de remettre la main sur le grand domaine dont sa famille avait été expropriée. Mais pour faire reconnaître ses droits, il lui faut démarcher une administration corrompue et se débarrasser des occupants sans titre qui se sont installés sur son terrain.

Un joli titre. Gimtine en lituanien signifie patrie, pays d’origine. Les distributeurs internationaux du film ont eu la riche idée de le traduire par Motherland, un néologisme forgé à partir de « fatherland », qu’on pourrait traduire par « la patrie de la mère » voire la « matrie » ce que Arte qui le diffuse n’a pas eu l’audace de faire.

C’est en effet dans le pays de sa mère que revient Kovas. Ou plutôt qu’il y vient car tout porte à croire qu’il n’y a jamais mis les pieds depuis sa naissance, bien que sa mère l’ait élevé dans sa langue. Pour ce petit Américain, qui est né et a grandi à Boston, tout est étrange et déconcertant dans ce « pays natal » filmé à travers ses yeux.

Ce presque-« retour au pays natal » aurait pu donner lieu à de stimulantes réflexions sur le post-soviétisme ou l’indépendance fraîchement acquise de la Lituanie. Mais ce n’est pas ce terrain qui intéresse Tomas Vengris qui, comme Kovas a grandi aux États-Unis de parents lituaniens. Il préfère la piste du roman d’apprentissage comme on en a hélas déjà vu treize à la douzaine, s’attardant, sans qu’ils présentent grand intérêt, sur les premiers émois adolescents du jeune homme, notamment en compagnie de Marija qui l’initie à la conduite automobile.

Sauf à nourrir pour les pays baltes et pour leur timide cinématographie un intérêt suspect, Motherland ne présente guère d’intérêt.

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The Dig ★★☆☆

Edith Pretty (Carey Mulligan) est une jeune veuve qui élève seule son fils unique dans le vaste domaine que lui a légué son mari. Pour faire des fouilles sur son terrain, elle embauche Basil Brown (Ralph Fiennes), un vieil archéologue autodidacte qui y fait bientôt une découverte étonnante : un immense tumulus funéraire renfermant une tombe saxonne et son trésor. La découverte suscite l’intérêt immédiat des experts du British Museum qui entendent se l’approprier.

Le tout dernier film Netflix est arrivé sur les (petits) écrans hier et suscite des critiques mitigées. Certains y voient un mélo anglais ennuyeux. D’autres y voient au contraire une émouvante allégorie sur la mort qui vient et la vie qu’il faut croquer à pleines dents d’ici là.

Les deux critiques, aussi contradictoires soient-elles, me semblent aussi pertinentes l’une que l’autre. La première partie du film, qui s’étire sur près de deux heures et aurait pu faire l’économie d’une bonne vingtaine de minutes, est en effet particulièrement ennuyeuse. On y plonge dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, dans des paysages et des situations qui ne sont pas sans rappeler Downton Abbey. Cette partie se focalise sur Basil Brown. Le jeu, parfait comme toujours, de Ralph Fiennes, tout en retenue, tourne vite court : on comprend rapidement les ressorts qui animent ce personnage silencieux et dur à la tâche. On sent venir inexorablement l’idylle convenue qui rapprochera ces deux cœurs solitaires, unis dans la même entreprise.

Mais le film réussit dans sa seconde partie à se sortir de l’ornière dans laquelle il semblait devoir s’encalminer. Il y réussit grâce à l’arrivée de nouveaux personnages qui donnent un peu d’oxygène à un récit qui s’étouffe dans un duo asthénique : un cousin photographe beau comme le jour (Johnny Flynn) et la femme mal mariée d’un archéologue venu de Londres (Lily James qui ne cesse, depuis sa première apparition dans Downton Abbey d’illuminer tous les films où elle apparaît). Il y réussit car le vrai sujet du film, jusque là invisible, apparaît de mieux en mieux.

Il est terriblement métaphysique au risque d’écraser le film tout entier sous son poids – comme s’écrasent sur Basil Brown les mottes de terre mal étayées qui manquent l’ensevelir au début de ses travaux. Dans l’Angleterre de 1939 qui va basculer dans la guerre, on comprend qu’il s’agit, dans l’excavation de cette tombe saxonne vieille d’une douzaine de siècles, dans l’entêtement de cette riche propriétaire à mener à bien cette tâche avant une mort qu’elle sait imminente, de retrouver les traces vacillantes de quelques vies enfouies qu’on croyait définitivement enterrées mais qui conservent, aussi vaines fussent-elles, leur sens et leur dignité par delà les siècles.

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Guillermo Vilas : Un classement contesté ★☆☆☆

Dans la seconde moitié des années soixante-dix, Guillermo Vilas comptait parmi les meilleurs du tennis mondial avec Jimmy Connors et Björn Borg. Vainqueur de quatre tournois du Grand Chelem (Roland Garros et l’US Open en 1977, l’Open d’Australie en 1978 et en 1979), champion incontesté de la terre battue, il ne fut jamais consacré numéro un mondial par le classement de l’ATP. Quarante ans plus tard, un journaliste argentin décide de reprendre à zéro les calculs de l’ATP et de rendre à Vilas la reconnaissance dont il a été frustré.

Il y avait bien des façons de parler de Guillermo Vilas, le célèbre tennisman au physique de playboy argentin, séducteur impénitent, poète et guitariste à ses heures perdues. Son service-volée et son incroyable endurance galvanisaient les foules. Il a inventé le lift. Il livra face à Nastase en finale des Masters de 1974 un combat d’anthologie qu’il gagna en cinq sets. C’est grâce à lui notamment que le tennis, jusqu’alors un sport d’amateur et de gentleman, devint à cette époque un show médiatique.

Pourtant, c’est par un angle bien particulier que Mathias Gueilburt aborde pour Netflix la carrière de Vilas : celui de son classement ATP. À l’époque, avant l’informatique, ce classement, lancé depuis 1973 seulement, était encore artisanal et entaché d’erreurs. Eduardo Puppo, un journaliste sportif, tenta sans succès d’en reprendre les calculs. Débordé par l’ampleur de la tâche, il dut s’adjoindre le concours d’un mathématicien roumain, Marian Culpian. Leur travail herculéen démontre que Vilas aurait mérité la place de numéro 1 pendant cinq semaines en 1975 et pendant deux autres début 1976.
L’ATP fut saisie d’une demande de requalification. Elle la rejeta en 2015. le documentaire laisse entendre que ce rejet était arbitraire et n’était guère motivé que par la crainte de voir surgir d’autres contestations. La raison en est en fait plus simple – et moins flatteuse pour Vilas : si le classement des têtes de séries n’avait pas été le même à l’époque, répond l’ATP, les joueurs auraient affronté d’autres adversaires et eu d’autres résultats qu’on ne saurait rétrospectivement reconstituer. Pour le dire autrement : il est impossible de modifier rétroactivement le classement mondial car cette modification aurait empêché les matches qui ont eu lieu de se tenir.

Cette querelle de chiffres et d’historien n’est pas inintéressante. Elle révèle la frustration d’un tennisman qui, faute d’avoir jamais accédé à la première marche du podium, a nourri toute sa vie durant une rancœur poulidorienne. Elle a permis aussi que se noue entre le journaliste don quichottesque et le champion vieillissant (frappé d’une maladie dégénérative, Vilas s’est retiré à Monaco) une amitié attendrissante. Mais elle nous prive d’une enquête qui aurait été autrement plus stimulante sur le tennisman, son jeu, ses matches, sa vie, ses frasques, comme le documentaire L’Empire de la perfection nous en avait fournie sur McEnroe ou la fiction Borg/McEnroe injustement critiquée.

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Le Roi ★★☆☆

Le roi d’Angleterre Henry IV (Ben Mendelsohn) est mourant. Son fils aîné (Timothée Chalamet) n’a aucune aspiration à régner car il sait que le trône l’obligera à mener des guerres auxquelles il répugne et à être entouré de conseillers dont il ne peut se fier. Pourtant, quand la mort emporte enfin le vieux roi, Henry V assume bravement sa succession. Les humiliations répétées que le roi de France lui envoie le décident à lui déclarer la guerre et à franchir la Manche. Après le siège d’Harfleur, les deux armées se font face à Azincourt. Pour vaincre, Henry V peut compter sur son vieil ami, Sir John Falstaff (Joel Edgerton)

Fallait-il oser aller se frotter aux pièces les plus intimidantes du répertoire shakespearien ? Les épaules du jeune Timothée Chalamet, la coqueluche des jeunes filles en fleurs, n’étaient-elles pas trop frêles pour endosser l’armure jadis revêtue par Laurence Olivier (en 1944) et par Kenneth Branagh (en 1989) ? Jon Edgerton serait-il aussi truculent – et aussi obèse – qu’Orson Welles dans le rôle de Falstaff ?

Si l’on mesure la réussite du Roi à ces aunes-là, la comparaison, jouée d’avance, ne pourra que tourner à son désavantage. Mais si on ignore ces précédents écrasants, le réalisateur David Michôd, dont les précédents films ne laissaient pas augurer qu’il s’aventure dans ces eaux-là, s’en sort avec les honneurs.

Sans doute, Le Roi, qui s’étire pendant cent-quarante minutes, dure-t-il une demie heure de trop et comporte-t-il un ventre mou. Sans doute sa fin à rebondissement manque-t-elle de rythme – même si le rebondissement final est inattendu et donne tout son sens au film. Sans doute enfin peut-on critiquer la prestation de ces deux principaux acteurs – ce que les réseaux sociaux se sont empressés de faire avec une joie méchante : Timothée Chalamet qui ne quitte pas de tout le film le même rictus concentré et Robert Pattinson qui pousse la caricature trop loin, avec un accent outré, dans le rôle du Dauphin de France.

Mais Le Roi réussit superbement à faire ce que ses illustres prédécesseurs focalisés sur le texte de Shakespeare et le jeu des acteurs, négligeaient : restituer les sensations d’une époque. Quand on regarde Le Roi, on entend les bruits de ripaille et de bataille du XVème siècle, on respire ses odeurs de sueur et de merde, on sent presque la boue d’Azincourt nous coller sous les pieds et le poids de ses armures monstrueuses, censées transformer les cavaliers qui les portaient en tanks invincibles au risque de les réduire à des scarabées impotents, peser sur nos épaules.

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Le Diable, tout le temps ★★★☆

Aux confins de l’Ohio et de la Virginie occidentale, de la Seconde guerre mondiale aux années soixante, le destin de plusieurs personnages se croise. Parmi eux, Alvin Russell (Tom Holland). Sa mère (Haley Bennett) est morte d’un cancer pendant son enfance. Son père (Bill Skarsgård), déjà traumatisé par les atrocités qu’il a vécues dans le Pacifique sud pendant la Seconde guerre mondiale, ne s’est pas remis du décès de sa femme. Le jeune Alvin est élevé par sa grand-mère auprès d’une autre orpheline, Lenora (Eliza Scanlen), dont la mère (Mia Wasikowska) a été sauvagement assassinée. Lenora, profondément pieuse, tombe sous l’emprise d’un pasteur pervers (Robert Pattinson) dont Alvin jure de se venger. Mais il croise bientôt la route de deux amants meurtriers protégé par un shérif véreux.

Le résumé que je viens de faire du Diable, tout le temps – au risque d’en révéler quelques uns des ressorts – est passablement confus ? Oui, aussi grands furent les efforts que j’ai déployés pour le simplifier.
Cela signifie-t-il pour autant que le film soit incompréhensible ? Non. Il réussit le miracle de rendre très fluide une narration pourtant passablement emberlificotée.

Il est l’adaptation fidèle d’un roman à succès de Donald Ray Pollock sorti en 2012 et immédiatement salué par la critique. Le roman emprunte au style dit du « Country noir ». Il s’agit d’un sous-genre du roman noir dont l’action se déroule dans l’Amérique profonde, celle des rednecks, des white trash. Faulkner en fut l’inspirateur avant l’heure. Le style a traversé l’Atlantique et on en retrouve la trace dans les « polars ruraux » qui rencontrent depuis quelques années en France un grand succès, signés par Franck Bouysse (Né d’aucune femme, Buveurs de vent), Cécile Coulon (Une bête au paradis) ou Colin Niel (Seules les bêtes brillamment porté à l’écran l’été dernier).

Le Diable, tout le temps s’inscrit dans une riche généalogie cinématographique. Tourné dans les Appalaches, il utilise les mêmes décors que Délivrance. Le couple d’amants criminels interprété par Jason Clarke (abonné au rôle de méchant) et Riley Keough (la petit-fille de Elvis Presley révélée dans Mad Max: Fury Road) semble tout droit sorti d’un roman noir de James Ellroy ou des Tueurs de la lune de miel. Mais ce sont peut-être les références à la religion, à la bigoterie, au charlatanisme qui sont les plus frappantes et qui évoquent les rôles immenses tenus par Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur, Burt Lancaster dans Elmer Gantry ou, plus près de nous, Daniel Day-Lewis dans There Will Be Blood. Il n’y a pas un mais deux prédicateurs torturés dans Le Diable tout le temps : Harry Melling (le cousin d’Harry Potter) et Robert Pattinson qui ont le courage l’un et l’autre d’endosser des rôles terriblement antipathiques.

Mais il n’est nul besoin d’avoir vu tous ces films – ni d’en faire l’étalage – pour apprécier Le Diable, tout le temps. Il faut simplement avoir le cœur bien accroché et se laisser emporter dans cette histoire à la fois terriblement lyrique et atrocement cruelle.

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Eurovision Song Contest: The Story of Fire Saga ★★★☆

Lars Erickssong (Will Ferrell) est né et a grandi à Húsavík , un minuscule port de pêche perdu au nord de l’Islande. Depuis qu’il a vu à la télé Abba emporter le concours en 1974, il nourrit une obsession : remporter l’Eurovision. Il l’a fait partager à Sigrit Ericksdottír (Rachel McAdams) qui l’aime depuis toujours d’un amour sans réciprocité. Rien ne saurait le dissuader : ni l’hostilité de son père (Pierce Brosnan), ni ses médiocres talents.

Eurovision Song Contest est une immense bouffonnerie et se revendique comme telle. Le matériau est en or : ce concours de l’Eurovision qui, sans qu’il soit besoin d’en rajouter, est déjà à lui seul si hilarant avec ses groupes de hard rock biélorusses et ses drag queens autrichiennes [je tremble que la phrase qui précède me valle une accusation de transphobie].

Cet humour volontiers outrancier n’est pas sans rappeler celui des frères Farrelly dont Will Ferrell fut longtemps l’homme lige. C’est d’ailleurs le principal reproche qu’on pourrait adresser à ce film : il aurait pu être tourné dix ans plus tôt et a d’ailleurs pour têtes d’affiche deux acteurs qui étaient au summum de leur popularité dans les années 2000. Will Ferrell a d’ailleurs dépassé sa date de péremption dans un rôle pour lequel il accuse une bonne vingtaine d’années en trop. Rachel McAdams en revanche n’a rien perdu de son charme ni de son humour. Sa performance crève l’écran.

Après une première partie en Islande qui raconte la qualification rocambolesque du duo, la seconde se transpose à Édimbourg où est censée se dérouler la finale de l’Eurovision. Les deux chanteurs y retrouvent leurs concurrents lors d’une soirée endiablée qui se transforme en vidéo clip façon Bollywood. On reconnaît au passage quelques uns des chanteurs de l’Eurovision tels Conchita Wurst, Netta ou Bilal Hassani. Les chansons de la BOF, très riche, sont au diapason de celles qu’on entend chaque année à l’Eurovision : gentiment ridicules mais en même temps terriblement galvanisantes.

Eurovision Song Contest ne se moque pas seulement du concours européen et de son décorum si caricatural. Il se moque aussi des Islandais, décrits comme un peuple innocemment consanguin, uniformément vêtu de pulls de Noël kitschs et discutant à ses heures perdues avec les elfes. Le film a été tourné sur place et son moindre atout n’est pas de nous montrer les incroyables paysages de ce sympathique pays.

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Forte ☆☆☆☆

Nour (Mehla Bedia) a une vingtaine de kilos en trop, un CDI dans une salle de fitness où elle assure l’accueil en en tenant la compta, une mère très collante et deux meilleurs-amis-pour-la-vie. Nour est une footballeuse talentueuse ; mais son surpoids la complexe. Avec Sissi (Valérie Lemercier), la coach farfelue de son club, elle veut s’initier à un sport plus féminin : la Pole dance.

Grossophobie. Forte fait partie de ces comédies françaises qui tiennent tout entier dans leur pitch. Avant même son commencement, on sait déjà à quoi on aura droit : une fille en surpoids qui, après quelques épisodes drôles sinon embarrassants, apprendra à s’accepter telle qu’elle est. En mineur lui fait écho le personnage de Steph (Bastien Ughetto), dont la sexualité est encore hésitante et qui trouvera à ses questionnements une réponse étonnante.
Sauf que le scénario de Forte, si l’acceptation de soi constitue son sujet, part dans une mauvaise direction : en quoi réussir à se contorsionner sensuellement autour d’une barre métallique constituera-t-il pour Nour la meilleure façon de s’accepter ? Le football où elle excelle (Mehla Bedia avait commencé, dans la vraie vie, une carrière professionnelle au PSG) n’aurait-il pas été un meilleur terrain d’accomplissement ?

Dans le meilleur des cas, on peut escompter passer un bon moment, entre éclats de rire et émouvante empathie. Dans le pire, on ne décrochera pas un sourire et les passages plus graves ne provoqueront qu’un silence consterné. Hélas, Forte – un titre qui, on l’aura compris, renvoie aussi bien au surpoids de l’héroïne qu’à sa force de caractère – relève plutôt de la seconde catégorie.

Pourtant Melha Bedia, l’actrice principale, aussi co-scénariste et co-dialoguiste, s’était bien entourée : son grand frère Ramzy Bedia, Valérie Lemercier, Jonathan Cohen et Alison Wheeler font les utilités. Le problème est que, sauf à être d’une coupable indulgence, elle n’est jamais ni drôle ni émouvante. Son bagout ne fait pas rire ; ses complexes ne font pas réfléchir.

Forte devait sortir le 18 mars 2020. Son affiche avait commencé à décorer les métros et les bus. Las ! le confinement lui barrait l’accès en salles – mais permettait à ses affiches de rester en place pendant plus de deux mois (à côtés de celles de Pinocchio et de Sans un bruit 2). Finalement, Forte est sorti directement sur Amazon Prime – alors que la plupart des films programmés en mars-avril-mai allait trouver finalement, durant l’été ou le début de l’automne, un chemin en salles. Pas sûr que le cinéma y ait perdu au change.

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Le Tigre blanc ★★☆☆

Balram est un enfant particulièrement doué dont le seul défaut est d’être né dans l’Inde rurale. La mort de son père, la tutelle écrasante de sa grand-mère lui ferment les portes de l’école. Sa seule possibilité d’ascension sociale passe par un emploi dans la famille du potentat local, un homme violent et corrompu. Balram devient le chauffeur de son fils et de sa belle-fille qui reviennent tous les deux des Etats-Unis et affichent plus de respect pour leurs domestiques que leurs aînés. Mais ce discours moderniste ne résiste pas au drame qui survient un soir…

Le Tigre blanc est d’abord un livre écrit en 2008 par Aravind Adiga. Il a sa place au panthéon des grands romans indiens avec les œuvres de Salman Rushdie, de Vikram Seth, de Rohinton Mistry, de Vikram Chandra, d’Amitav Gosh ou de Kiran Desai. Tous ces livres ont en commun leur souffle et leur ambition : à travers le destin individuel de quelques personnages pleins d’énergie, piégés dans un système étouffant et injuste, il y est question de modernité et de tradition, de relations de classes, d’ascension sociale, de liberté individuelle.

Ces œuvres là ont pour certaines été portées à l’écran. Attention à l’amalgame ! Il ne s’agit pas ici du cinéma de Bollywood, de ses comédies musicales un peu mièvres, souvent trop longues et toujours trop sucrées. Il s’agit d’un cinéma qui, comme ce Tigre blanc, se concocte à cheval sur plusieurs continents : si son action se déroule en Inde, la production en est souvent américaine ou européenne.
Slumdog Millionaire en est l’exemple le plus fameux. Sorti en 2008, adapté d’un roman de Vikas Swarup, réalisé par le Britannique Danny Doyle, ce film a connu un succès mondial mérité : huit Oscars (dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur), sept Bafta, quatre Golden Globes – et le César du meilleur film étranger.

Le Tigre blanc marche sur ses traces. Son histoire lui ressemble, qui met en avant un jeune Indien pauvre mais plein de ressources. Mais son traitement est plus grave.

Le Tigre blanc explore le thème de la domesticité. Un thème universel qui avait déjà été traité en Inde avec l’excellent Monsieur, en Asie avec The Housemaid ou Parasite, en Amérique latine avec La Nana, Une seconde mère, Roma ou Trois étés, au Royaume-Uni dans The Servant de Losey et dans la série à succès Downton Abbey, en France avec La Cérémonie de Chabrol, sans parler du Journal d’une femme de chambre. Le thème est d’une grande richesse qui peut se prêter à toutes sortes de traitements, romantique, comique ou tragique. Entre les maîtres et leurs domestiques se tisse en effet un lien structurellement inégalitaire et paradoxalement très intime.

C’est sur cette matière très fertile que se construit Le Tigre blanc. Son seul défaut est de le faire sans surprise. On sait, dès le commencement, que si Balram ne veut pas être écrasé par ses maîtres, il devra utiliser les mêmes armes qu’eux. Du coup, son cynisme revendiqué vide de l’émotion qu’elles auraient dû susciter les épreuves qu’il traverse. Reste néanmoins l’exotisme d’un film qui, deux heures durant, nous fait voyager dans un pays si dépaysant. Un luxe précieux en ces temps de confinement…

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Dick Johnson Is Dead ★★★☆

Kirsten Johnson est documentariste. Elle vient de perdre sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle va bientôt perdre son père, frappé du même mal, auquel elle est profondément attachée.
Pour conjurer l’inévitable, elle décide d’en faire le héros d’un documentaire loufoque où il jouera sa propre mort et son arrivée au paradis.

Dick Johnson Is Dead est à la fois très drôle et très émouvant. Ce documentaire bénéficie d’un personnage en or : Dick Johnson lui-même, un anti-Tatie Danielle. Cet octogénaire tout en rondeur, ancien psychiatre, est le père ou le grand-père qu’on rêverait tous d’avoir. D’où tient-il son inaltérable bonne humeur ? De sa foi profonde (il est adventiste du septième jour) ? De la vie qui semble-t-il lui fut douce même si on n’en apprend pas grand-chose ? De l’amour dont l’entourent sa fille et son fils ?

On le découvre à quatre vingt ans passés, veuf depuis déjà quelques années, entouré de ses petits-enfants bruyants et joueurs. Son état de santé déclinant l’oblige à fermer son cabinet de consultation (on travaille vieux aux Etats-Unis) et à quitter Seattle pour aller habiter à New York avec sa fille. Il lui faut vendre sa voiture et renoncer à conduire. C’est la première renonciation, douloureuse, à son indépendance. Il y en aura d’autres…

Dick Johnson Is Dead n’entretient aucun suspens et ne contient aucun coup de théâtre. La vie hélas n’en présente guère dont on sait d’avance l’inéluctable conclusion. C’est avec cette conscience éclairée et un solide sens de l’humour que Kirsten Johnson l’affronte. L’acceptation sereine de l’irrémissible dégradation de l’état de santé de son père est sa seule ligne de conduite. Elle n’exclut pas un profond chagrin et une sourde colère. Elle est ponctuée de ces scènes de pure comédie où elle filme la mort de son père dans un escalier glissant, au volant, sur un trottoir, etc.

Son documentaire pourra sembler nombriliste et un peu vain. Il n’en reste pas moins un témoignage profondément touchant d’amour filial.

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Seberg ★☆☆☆

En 1968, Jean Seberg (Kristen Stewart) a trente ans à peine et est déjà une star. La petite fiancée de l’Amérique, née à Marshalltown (Iowa) doit sa renommée à son interprétation de Jeanne d’Arc dans le film de Preminger – durant lequel elle fut gravement brûlée. Avec À bout de souffle de Godard, elle est devenue une icône de la Nouvelle Vague. Elle vit à Paris avec son mari, Romain Gary (Yvan Attal), dont elle a eu un fils.
Jean Seberg est aussi une femme engagée que le combat pour les droits de l’homme dans son pays ne laisse pas insensible. Adhérente au NAACP depuis son plus jeune âge, elle prend fait et cause pour les Black Panthers et leur verse des dons généreux. Ses engagements vont attirer l’attention du FBI qui la place sous surveillance. Harcelée, dénigrée, la jeune actrice va lentement glisser dans la folie.

Seberg n’est pas tout à fait un biopic. Il ne raconte pas toute la vie de Jean Seberg, mais se concentre sur quelques années bien particulières : celles de son engagement au côté des Black Panthers et de sa mise sous surveillance par le FBI.

Ce parti pris appelle plusieurs commentaires. Le premier est un regret : celui d’un choix qui laisse de côté la période la plus intéressante peut-être de la vie de l’actrice, celle des débuts de cette jeune ingénue, encore mineure, de son arrivée en France, de sa rencontre avec le flamboyant Romain Gary (la journaliste Ariane Chemin vient de consacrer un bref livre à leur mariage en catimini en 1962 dans un petit village corse).

Il appelle aussi une critique : les libertés prises avec l’histoire. Seberg a tendance à héroïser l’actrice, la transformant en pasionaria de l’antiracisme. C’est lui faire sans doute trop d’honneur. Seberg, qui était en pleine séparation avec son mari, le trompait éhontément et a eu une liaison avec Hakim Jamal, un lointain cousin de Malcom X, qui la battait et l’extorquait.

Le film est construit autour d’une seule idée : la paranoïa de Jean Seberg ne lui était pas imputable mais avait pour cause la mise sous écoute dont elle fut l’objet. Il voudrait se conclure avec une note positive, en inventant le personnage – totalement fictif – d’un agent du FBI qui, sous le poids du remords, lui dévoile le dispositif policier déployé autour d’elle. La fin de l’histoire, on le sait, est plus triste : Jean Seberg s’est lentement enfoncée dans l’alcool et dans les médicaments jusqu’à se suicider en 1979.

Seberg est une grosse production hollywoodienne portée par l’interprétation de Kristen Stewart. Yvan Attal se sort sans démériter de l’interprétation périlleuse de Romain Gary, dont il copie la barbe et les gilets. Projeté hors compétition à Venise et à Deauville en 2019, Seberg n’est jamais sorti en salles et n’est accessible qu’en VOD.

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