Nouvelle Vague ★★★☆

À la fin des années cinquante, à Paris, quelques jeunes gens bourrés de talent travaillent aux Cahiers de cinéma et rêvent de réaliser leurs premiers films. Le succès des Quatre Cents Coups à Cannes en 1959 les y incite. Parmi eux, Jean-Luc Godard réussit à obtenir un financement d’un producteur, Georges de Beauregard. Il tournera À bout de souffle avec un jeune espoir français, Jean-Paul Belmondo, et une starlette américaine, Jean Seberg, récemment révélée par Preminger.
Le tournage commence à Paris. Les méthodes hétérodoxes de Godard désarçonnent son équipe technique et ses acteurs et ulcèrent Beauregard.

Richard Linklater est décidément un cinéaste étonnant qui, depuis trente ans, loin des modes mainstream, essaie constamment de se remettre en question et de relever de nouveaux défis. Il est l’auteur de la trilogie Before Sunset/ Before Sunrise/ Before Midnight avec le duo Ethan Hawke/ Julie Delpy. Il a surtout réalisé l’un des tout meilleurs films du siècle, Boyhood, qui suit pendant une dizaine d’années, de l’enfance à l’adolescence un jeune garçon élevé par des parents divorcés.

Il relève avec Nouvelle Vague un double pari sacrément culotté : tourner un vrai/faux making of du film le plus iconique de la Nouvelle Vague et retrouver l’esprit pionner de ces jeunes cinéastes iconoclastes.

Le résultat est saisissant d’authenticité. Tourné en noir et blanc et en 4:3, Nouvelle Vague nous replonge dans le Saint-Germain des Prés de Truffaut, Chabrol, Varda et Melville (interprété par Tom Novembre, un des rares noms du casting qui ne compte quasiment que des inconnus), mieux qu’une séance au Champo – qui a droit à son caméo – ne saurait le faire. Je laisse à plus cinéphile que moi le soin de traquer quelques erreurs ; mais, du peu que je connais de la vie et de l’oeuvre de Godard, et du tournage, fameux, d’À bout de souffle, je n’en ai repéré aucune. J’ai au contraire été sensible au soin jaloux avec lequel Linklater reconstitue ce tournage dans les lieux mêmes où il a eu lieu, les acteurs, leur apparence, leur tenue…

Le mieux étant l’ennemi du bien, c’est cette fidélité scrupuleuse qui aurait pu constituer la principale limite du film. L’obsession de la reconstitution aurait pu étouffer tout le reste. Mais Linklater réussit à éviter cet écueil. Si sa reconstitution est ultra-fidèle, elle laisse vivre la folle originalité de Godard, son culot bravache, sa prétention un peu folle de redéfinir la grammaire du cinéma, de le libérer de toutes les contraintes qui l’enserraient. Godard n’a pas trente ans ; mais, avec Truffaut et Chabrol, avec un appétit gargantuesque, il a tout vu pendant ses années aux Cahiers et prétend avoir tout compris du cinéma.

Sous nos yeux, il le réinvente. C’est un pur fantasme de cinéphile devenu réalité.

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Left-Handed Girl ★★★☆

Une mère célibataire et ses deux filles reviennent s’installer à Taipei. La mère, Shu-Fen, ouvre un stand de nouilles dans une échoppe d’un marché de nuit et tire le diable par la queue pour en payer le loyer, alors que son ex-mari sans ressources se meurt à l’hôpital. Sa fille aînée, I-Ann, est bilang girl dans un magasin qui vend des cigarettes et des noix d’arec. Sa cadette, I-Jing, une charmante gamine de cinq ans, découvre son nouvel environnement avec ravissement. Seule ombre au tableau pour elle : son grand-père s’est fâché en découvrant qu’elle était gauchère.

La bande-annonce de Left-Handed Girl ne m’avait pas inspiré confiance. J’augurais un film puéril filmant à hauteur d’enfant une gamine adorable mais horripilante façon chatons kawai. je me trompais lourdement et ai eu bien raison de passer par-dessus mes préjugés.

C’est que ce film est signé Shih-Ching Tsou, la compagne à la ville de Sean Baker qui a travaillé auprès de lui dans tous ses films depuis vingt ans, Sean Baker étant crédité comme coscénariste, coproducteur et monteur de Left-Handed Girl. On y retrouve tout ce qui faisait le sel des premiers films quasi-documentaires du réalisateur américain, Palme d’or 2024 pour Anora : des plans filmés à l’Iphone au plus près des acteurs et de leur respiration, un soin jaloux apporté aux personnages, à leurs ambiguïtés, à leur milieu, un scénario ciselé (alors qu’il est souvent le laissé-pour-compte de ce cinéma naturaliste, comme on l’a vu récemment par exemple dans Ciudad sin sueño).

Car Left-Handed Girl ne se borne pas à suivre une gamine sautiller joyeusement entre les étals chamarrés du marché de nuit de Taipei. Il raconte aussi une histoire avec un début, un milieu, une fin. Cette histoire nous réserve, lors de la soirée d’anniversaire qui en constitue l’acmé, une sacrée surprise. Mais, dans mon désir de vous mettre l’eau à la bouche, j’en ai déjà trop dit…

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L’Intérêt d’Adam ★★★☆

Lucy (Léa Drucker) est infirmière en chef dans un service de pédiatrie. Adam, quatre ans, gravement malnutri, y a été hospitalisé. Les droits de visite de sa mère, Rebecca (Anamaria Vartolomei), ont été restreints par une ordonnance judiciaire d’éloignement ; car Rebecca exerçait sur lui semble-t-il une influence toxique. Mais Adam refuse de s’alimenter sans sa mère et Rebecca, unie à son fils par une relation symbiotique refuse de le quitter.

Hasard heureux ou malheureux de la programmation : L’Intérêt d’Adam sort trois semaines à peine après En première ligne, le remarquable film suisse qui suivait sans la lâcher Leonie Benesch dans un hôpital bâlois pendant toute une garde harassante.

Qui aura vu les deux aura spontanément tendance à les hiérarchiser. Pour moi, c’est match nul : je les ai autant aimés l’un que l’autre, plaçant le premier en tête de mes films préférés du mois d’août et le second pas loin du sommet de septembre avec Sirāt et Connemara.

En première ligne est un film transversal : il passe en revue l’ensemble des situations auxquelles une infirmière se trouve confrontée pendant une garde. L’Intérêt d’Adam est un film longitudinal : il s’attache à un patient, même s’il en évoque brièvement – et aurait pu en faire l’économie – quelques autres : la famille congolaise nombreuse et bruyante communiquant mal en français, la mineure musulmane relevant d’un curetage qu’elle ne veut pas que sa mère apprenne…

Quelles sont les causes de la malnutrition et de la sarcopénie dont souffre Adam ? Sa mère en est-elle responsable ? Par quels enchaînements en est-elle arrivée à maltraiter ainsi son enfant ? Souffre-t-elle d’un syndrome de Münchhausen par procuration, voulant à tout prix susciter la compassion pour son fils  au point de provoquer chez lui un état pathologique ? Le film aurait pu, à la façon d’une enquête policière, remonter ce fil-là et chercher les origines de cette situation. Mais il refuse cette facilité pour s’intéresser au temps présent. Il se pose une seule question, en temps réel : comment séparer Rebecca, qui s’y refuse, de son fils ?

On pourrait craindre qu’un scénario si étique ne suffise pas à un film. La réponse est dans sa durée – 1h18 à peine – et dans la qualité de son écriture qui ne réserve ni ventre mou ni temps faible. Comme En première ligneL’Intérêt d’Adam ne laisse à Lucy et aux spectateurs qui ne la lâchent pas d’une semelle aucun répit. Avec elle, on partage le stress quasiment irrespirable de cette longue course folle.

En sortant du film, une amie espiègle me disait que son meilleur interprète était la barrette à cheveux de Lucy, filmée de dos dans les longs couloirs du service. C’est faire peu de cas des deux actrices qui portent le film à bout de bras et qui sont venues le présenter dimanche soir à l’avant-première à laquelle j’ai eu le privilège d’assister. Léa Drucker y est aussi impressionnante que dans Dossier 137 dont je dirai à sa sortie le 19 novembre le bien immense que j’en pense. Elle réussit à être en même temps impériale – on ne résiste pas à ses commandements – et empathique. Anamaria Vartolomei, la peau grasse, le cheveu filasse, a un rôle ingrat qu’elle interprète avec une brûlante incandescence.

Après En première ligne, après L’Intérêt d’Adam, je ne me précipiterai pas pour voir un autre film sur l’hôpital. Mais je suis profondément heureux d’avoir vu ces deux-là.

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Connemara ★★★☆

Hélène (Mélanie Thierry) est au mitan de sa vie. Son couple bat de l’aile ; son travail dans une société de conseil parisienne la lessive. Avant de s’effondrer, elle décide de retourner vivre à Épinal, où elle a grandi. Elle y retrouve Christophe Marchal (Bastien Bouillon), un ancien ami de lycée, ex-star de l’équipe de hockey locale.

Après Leurs enfants après eux, prix Goncourt 2018, Nicolas Mathieu, soudainement promu au rang d’écrivain à succès, écrit quatre ans plus tard Connemara. Les réactions sont tièdes voire hostiles.
Leurs enfants après eux a été adapté à l’écran l’an passé. L’accueil n’a pas été très bon. Je lui ai reproché son écriture trop lâche qui voulait à tout prix faire rentrer un livre touffu dans un film, fût-il de deux heures vingt.

J’ai préféré, comme beaucoup, le Goncourt au roman suivant de Nicolas Mathieu. Mais s’agissant de leurs adaptations cinématographiques, mon classement est inverse. J’ai préféré Connemara à Leurs enfants après eux. À cela deux raisons.

La première tient à la qualité de la mise en scène. Homme orchestre, Alex Lutz est aussi bon devant la caméra (son interprétation sauve du naufrage le très mauvais Fils de) que derrière. Pour mélanger les temporalités d’Hélène, son présent quadragénaire et son passé adolescent vingt ans plus tôt, pour rendre compte aussi du chaos qu’est devenue sa vie, Connemara adopte un montage très rapide, multiplie les flash-back, désaccorde le son et l’image, l’image d’un plan mordant sur le son du plan suivant. Ainsi formulé, le procédé peut sembler bien indigeste ; mais le résultat très fluide, quoiqu’à la longue un peu répétitif, est efficace.

La seconde est l’interprétation. J’ai déjà avoué, subjectivement, l’horripilation que suscite en moi le jeune Paul Kircher, tête d’affiche de Leurs enfants après eux. Je crois avoir aussi dit mon engouement à la fois pour Mélanie Thierry et pour Bastien Boillon. Ils sont tous les deux parfaits dans le rôle. L’ironie de la programmation est que Bastien Boillon vient de jouer quasiment le même rôle dans  Partir un jour qui a fait l’ouverture du festival de Cannes. Ce qui est plus ironique encore est qu’il y partageait l’affiche avec Juliette Armanet qui déclencha une petite polémique en août 2024 en critiquant en des termes peu amènes la chanson de Michel Sardou Les Lacs du Connemara.

Cette chanson joue un rôle bien particulier dans le livre au point d’en avoir inspiré le titre. On l’entend à la fois dans les fins de soirée à HEC et dans les mariages de la « France périphérique » comme celui (attention spoiler) qui clôt le film. Elle constitue donc à la fois un patrimoine commun et un marqueur social.

Connemara était un livre de quatre cents pages qui creusait la question sociale : la fracture entre la France d’en haut, celle des sociétés de conseil parisiennes, et celle d’en bas, celle des hockeyeurs vosgiens amateurs et des banquets de mariage trop arrosés. Le film qu’Alex Lutz en a tiré est moins politique. Il se focalise sur Hélène et sur sa midlife crisis, son ras-le-bol d’une vie parisienne dont elle ne supporte plus le rythme frénétique, son aspiration à une vie plus simple, son retour nostalgique dans la ville de son enfance, son attirance pour celui qui, vingt ans plus tôt, faisait battre le cœur de toutes les lycéennes et qu’elle, la forte en thème recluse dans ses bouquins, n’avait pas eu le courage d’aborder… Il prend le parti du romantisme, filmant dans des clairs-obscurs david-hamiltoniens les corps dénudés des amants qui s’accorchent l’un à l’autre pour s’empêcher de tomber.

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Sirāt ★★★☆

Une rave se déroule au milieu du désert marocain. Un homme (Sergi Lopez) se faufile au milieu des participants, à la recherche de sa fille, disparue quelques semaines plus tôt. Son fils l’accompagne. Lorsque la rave est interrompue par la police, Luis et son fils suivent une bande de ravers et leurs deux camping-cars qui traversent le désert pour rejoindre le lieu de leur prochaine teuf.

Sirāt nous vient de Cannes avec une réputation écrasante. Il y a remporté le Prix du jury et y a raté d’un cheveu, dit-on, la Palme d’or décernée au film iranien de Jafar Panahi, actualité politique oblige.

Son sujet est diablement original. Sirāt commence comme un documentaire musical sur une rave party filmée au milieu du désert. Un petit film français passé inaperçu s’y était essayé l’an dernier, After d’Anthony Lapia. Gaspar Noé l’avait fait également dans Climax. Oliver Laxe, qui connaît bien son sujet, y réussit très bien filmant les corps en transe des raveurs (le raveur rêve-t-il ?!) qui s’abandonnent au rythme pulsatile de la musique techno.

Mais le documentaire musical façon Woodstock prend au bout d’une demi-heure une autre direction en se focalisant sur Esteban, son fils et la bande de teufeurs qui traversent le désert en caravane vers le sud. Les paysages sont majestueux et rappellent ceux de Cent mille dollars au soleil. Les allusions cinématographiques sont d’ailleurs (trop ?) nombreuses, la troupe bohème à laquelle Esteban s’est agrégé évoquant, elle, les monstres de Freaks.

Le film menace de s’enliser dans les sables du désert et dans la pesante métaphore métaphysique que son titre ésotérique appelle (le Sirāt est dans l’Islam un pont sur l’enfer qui mène au paradis). Mais il est sauvé par deux scènes scotchantes. La première est aussi inattendue que brutale. Rien dans le scénario ne la laissait escompter. Elle leste le film d’une gravité qu’il ne parvenait pas à atteindre jusque là. La seconde est au contraire beaucoup plus longue. Elle place les personnages, et les spectateurs avec eux, au cœur d’un suspens irrespirable. Elle a vocation à devenir anthologique. À elle seule elle donne au film une valeur qu’il n’aurait pas eue sinon.

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Slow ★★★☆

Elena, la trentaine, danseuse contemporaine, rencontre , à l’occasion d’un cours qu’elle donne à un groupe de  jeunes malentendants, Dovydas, interprète en langue des signes. Entre lui et elle, le courant passe et la séduction opère. Mais leur romance se heurte à la brutale confession de Dovydas : il est asexuel. Dovydas a beau aimer Elena, il n’a aucun désir sexuel pour elle. Elena doit avec lui inventer la grammaire d’une relation pour elle inédite, où l’amour et le désir ne se conjuguent pas nécessairement.

Slow s’empare d’un sujet à la mode, dont certaines revues grand public ont déjà fait leur une aguicheuse : l’asexualité. Soit, à rebours de la norme hétérosexuelle (encore ?) majoritaire, l’une des formes de sexualité alternatives, le A de LGBTQIA. À ce titre, Slow avait parfaitement sa place à la 30ème édition du Festival du film LGBTQIA &+++ de Paris
Chéries-Chéris en novembre dernier où il était projeté en avant-première.

À ma connaissance, le sujet n’avait pas encore été traité au cinéma et la jeune réalisatrice lituanienne Marija Kavtaradze a eu un sacré flair en s’en emparant. Elle le fait en inversant les rôles : c’est la femme ici qui est en demande sexuelle et c’est l’homme qui, à l’opposé des schémas patriarcaux, la réfrène.

Tourné à Hollywood, le film aurait raconté le lent apprivoisement de Dovydas par Lena, parsemé de quelques rebondissements, jusqu’à sa finale conversion à la norme hétérosexuelle scellée par un mariage en blanc devant leurs familles et leurs amis aussi soulagés qu’heureux. Slow a le bon goût et l’intelligence de nous éviter tous ces poncifs, jusqu’à son dénouement inattendu que je n’ai pas le droit de révéler. Pour un film sur l’asexualité, c’est un film étonnamment sexuel où l’on voit longtemps et souvent les deux amants couchés ensemble sans coucher ensemble. Ces scènes-là – qui, l’air de rien, interrogent les stéréotypes des scènes d’amour au cinéma – sont d’une étonnante sensualité.

Slow nous vient de Lituanie, un petit pays mal connu dont la production cinématographique est pourtant riche : Arūnas Žebriūnas, Šarūnas Bartas… La langue qu’on y entend y est délicieusement exotique, comme les prénoms des personnages (Dovydas !). Les deux acteurs sont remarquables : Greta Grineviciute, qui n’a pas les canons de la danseuse classique, explose de sensualité et Kęstutis Cicėnas est d’autant plus désirable qu’il se refuse.

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Sam fait plus rire ★★★☆

Samantha Cowell (Rachel Sennott) est une stand-uppeuse. Elle vit en colocation avec deux de ses collègues qui se produisent chaque soir dans une salle de Toronto. Elle peine à se relever d’un trauma qui l’empêche de remonter sur scène. Quelques années plus tôt, elle a été embauchée par un père de famille pour s’occuper de sa fille, Brooke, pendant la longue hospitalisation de sa mère.

Avec son titre en forme de calembour, Sam fait plus rire (I Used to Be Funny) pourrait laisser augurer une comédie gentillette avec son héroïne en pleine crise de la page blanche qui retrouvera, une fois purgées ses angoisses, le chemin des tréteaux. Mais ce premier film canadien est autrement plus grave.

Il souffre de la comparaison avec Sorry, Baby sorti une semaine plus tôt seulement. Que ses distributeurs n’aient pas modifié la date de sa sortie est une sottise et un crime. Qui, en plein été, ira voir deux fois le même film, le premier, d’ailleurs bien mieux distribué, pouvant à bon droit se vanter de bien des qualités ?

Pourtant, le second n’en manque pas. La première est sa construction qui multiplie les flashbacks et les flashforwards sans pour autant égarer le spectateur. Cette construction est plus audacieuse que celle, beaucoup plus linéaire et planplan de Sorry, Baby. La deuxième est le brouillard qui entoure le traumatisme subi par l’héroïne, là où celui subi par celle de Sorry, Baby se laissait deviner beaucoup plus facilement. La troisième est la révélation Rachel Sennott, son naturel, son humour, son charme.

J’ai mis trois étoiles à Sorry, Baby. Je n’ose pas en mettre quatre à Sam fait plus rire. Il est loin d’être le meilleur film de l’année. Il n’en a d’ailleurs pas la prétention. Mais je veux me faire l’avocat de ce film remarquable pénalisé par une date de sortie calamiteuse et une programmation en salles bien timide.

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Touch ★★★☆

Sentant venir sa fin prochaine, Kristofer quitte son pays, l’Islande pour l’Angleterre. Il remonte l’histoire de sa vie et se rend à Londres où, cinquante ans plus tôt, jeune étudiant, il travailla dans un restaurant japonais et y tomba amoureux de la fille du propriétaire.

Il ne faut pas se fier à l’affiche, horriblement kitsch, au titre (dont je n’ai pas compris le sens), ni même au pitch sirupeux de ce film. Touch n’est pas une RomCom en cuisine. C’est au contraire un film d’une grande délicatesse qui joue sur une corde qui me fait fondre : la nostalgie des amours passées.

Il est construit à partir de flash-backs entre le présent, les premiers mois de l’année 2020, une époque que nous avons tous en mémoire car c’est celle où le monde entier s’est confiné pour se protéger du Covid, et le passé, la fin des sixties dans un quartier populaire de Londres soigneusement reconstitué.
Il met en scène un vieil Islandais, Kristofer, dont le médecin vient de diagnostiquer une maladie neurodégénérative. Kristofer revient sur les lieux où, cinquante ans plus tôt, il a vécu une idylle. Son voyage se transforme en quête et en enquête sur les traces de Miko, cette jeune femme qui le marqua pour la vie et qui a mystérieusement disparu.

On me dira que Touch est bien mielleux et prévisible. Ce ne sera pas faux, même si, en ce qui me concerne, je n’avais pas anticipé les bifurcations prises par le scénario. J’ai trouvé les deux protagonistes si beaux, si jeunes, si touchants que j’ai aveuglément adhéré à la romance qui les rapproche, au risque d’y perdre tout sens critique.

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Sorry, Baby ★★★☆

Agnes (Eva Victor) accueille pendant quelques jours chez elle dans le Massachussetts sa meilleure amie Lydie qui est partie vivre à New York, s’y est mariée et lui annonce qu’elle attend un enfant. Agnes et Lydie ont passé leur doctorat en littérature anglaise ensemble dans la faculté où Agnes vient d’être titularisée. Quelques années plus tôt, la jeune femme y a vécu un traumatisme dont elle partage avec Lydie le secret et dont elle peine à se relever.

Produit par A24, la société américaine tellement tendance, Sorry, Baby a été projeté à Sundance en janvier, y a remporté le prix du meilleur scénario avant de clôturer la dernière Quinzaine des cinéastes à Cannes. Sorry Baby révèle une réalisatrice et une actrice née en 1994, venue du web où ses vidéos sont devenues virales. Elle m’a rappelé par sa taille, sa silhouette dégingandée et le thème de son film, Greta Gerwig et son personnage dans Frances A.

Sorry, Baby est organisé selon une construction intelligente en cinq chapitres. Le premier et le dernier, qui enserrent le récit, se déroulent au présent, à quelques mois d’intervalle à peine pour laisser le temps à Lydie d’accoucher. Les trois autres se succèdent dans le passé depuis cet événement fondateur qu’on a tôt fait de deviner. Cette structure  est parfaitement adaptée au sujet du film : la reconstruction post-traumatique.

Sorry, Baby vaut surtout par son actrice principale. Elle est atypique, perchée en haut de son 1m80, sans le moindre maquillage ni le moindre bijou. Son agression l’a traumatisée mais elle ne s’y réduit pas et ne verse jamais dans la misanthropie. Au contraire, elle saisit les mains qui lui sont tendues : celles de sa meilleure amie avec laquelle les liens noués à l’université ne se sont jamais distendus, celles d’un inconnu avec qui elle partage un sandwich sur un parking désaffecté, celles de son voisin dont la maladresse et la gentillesse la touchent.

Eve Victor ne se contente pas de raconter une histoire. Elle le fait selon une grammaire mûrement réfléchie. Grâce à son scénario destructuré, on l’a dit. Grâce aussi à l’attention qu’elle porte au cadrage. Son héroïne est toujours filmée dans l’embrasure d’une porte, à travers une fenêtre, comme si son corps immense était entravé dans un cadre qui la limite.

Sorry, Baby est un film doux et amer à la fois, touchant sans être mielleux. Une réussite.

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Dìdi ★★★☆

Nous sommes à Fremont, en Californie, près de San Francisco en 2008, à l’époque où naissaient Facebook et les réseaux sociaux.
Christopher a treize ans. Ses amis l’ont surnommé Wang-Wang ; sa mère qui l’élève seule avec sa grand-mère l’appelle plus affectueusement Dìdi. Sa sœur aînée, avec laquelle il ne cesse de se chamailler, s’apprête à faire son entrée à l’université. Son père, absent, travaille au loin à Taïwan.

Nous vient des Etats-Unis, auréolé du prix du public du festival de Sundance 2024, ce premier film, qu’on imagine volontiers en tout ou en partie autobiographique, signé par un jeune réalisateur taïwano-américain né en 1994 à Fremont.

Dìdi peut se lire à trois niveaux.

C’est d’abord un film sur la pré-adolescence, la sortie de l’enfance. On a beau en avoir vu des dizaines, depuis Les Quatre Cents Coups et La Boum, on se laisse toujours prendre à leur charme. Leurs héros y vivent avec une intensité folle leurs premières fois : premier élan amoureux, premiers interdits transgressés, premières tentatives souvent maladroites de passer pour plus grand qu’on n’est auprès de ses aînés (une phrase dont Lacan ferait son miel)… Qui a eu un jour quatorze ans et a fumé sa première cigarette en cachette de ses parents ou a embrassé un Stéphane ou une Stéphanie pendant un cours d’EPS ne pourra qu’être ému.e par la « nervosité » de Dìdi à côté de la si jolie Viviane.

C’est ensuite un film sur le choc des cultures. C’est d’ailleurs ce qui en fait a priori le sel et l’intérêt. Dìdi n’est pas seulement l’histoire mille fois racontée d’un pré-ado dans une banlieue américaine anomique mais celle d’un pré-ado sino-américain qui doit jongler entre deux cultures. Ce genre de films-là, qui raconte l’histoire d’une intégration pas toujours facile d’une minorité dans une terre d’immigration, n’est pas nouveau non plus, en France (Dans la cuisine des Nguyen, Tout simplement noir…) ou aux Etats-Unis (la série Fresh Off the Boat qui raconte la vie d’une famille taïwanaise en Floride). Il est aussi politiquement correct en diable.

Mais Dìdi comporte un troisième niveau de lecture. C’est l’histoire d’une relation mère-fils et frère-sœur profondément émouvante. Le jeune Christopher mène la vie dure à sa mère et à sa sœur. Mais on sent bien que l’animosité qu’il manifeste à leur égard est la manière maladroite pour lui de leur exprimer son amour. On me dira que cette relation a déjà, elle aussi, été filmée, qu’elle est aussi très bisounours. Ce n’est pas faux. Mais Dìdi le fait avec une justesse qui m’a infiniment ému.

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