Carré 35 ★★★☆

Eric Caravaca mène l’enquête auprès de ses proches sur sa sœur aînée, née en 1960 au Maroc, morte trois ans plus tard seulement, dont l’existence lui a été cachée toute son enfance et dont sa mère a détruit le souvenir.

Connaissez-vous Eric Caravaca ? Pas une star mais un de mes acteurs préférés dont le jeu discret, la présence silencieuse touchent juste à chaque coup. Il a été révélé par C’est quoi la vie ? qui lui valut le César du meilleur espoir masculin en 2000. Il est consacré par La Chambre des officiers dont il jouait le rôle principal d’une gueule cassée par la Première guerre mondiale. Ces deux films étaient réalisés par François Dupeyron auquel il dédicace ce documentaire autobiographique.

Sa famille en est le sujet. Plus précisément le lourd secret de famille qu’elle cache. Quel est-il ? Il s’agit d’une sœur, morte au berceau avant la naissance de ses deux frères cadets, enterrée au Carré 35 du cimetière français de Casablanca. Son existence n’est pas l’enjeu du film. Elle est évoquée dans la bande annonce et posée comme point de départ dès les premières images du film que Eric Caravaca lui-même commente de sa belle voix grave.

Le suspens est ailleurs. Dans le secret qui entoure sa courte vie et sa mort brutale. Quels en sont les causes ? On ne saura pas la part de mise en scène dans la réalisation d’Eric Caravaca. A-t-il demandé à ses parents de rejouer des confessions déjà données ? Ou les a-t-il débusquées en direct derrière l’œil inquisiteur de sa caméra ? Toujours est-il qu’il mène l’enquête, sans brutalité, sans lancer de vindicte. « Qui était ma sœur ? De quoi est-elle morte ? » Sa mère esquive. Son père, sur le seuil de la mort, qu’un cancer qu’on devine a laissé chauve, lui dit la vérité. Eric Caravaca la pressentait. Il nous l’avait laissé deviner à demi-mot.

La vie de Christine, cette sœur méconnue, résonne avec la Grande histoire. Celle de la décolonisation. Les Caravaca sont des Espagnols installés au Maroc depuis une génération que l’indépendance du royaume chérifien conduira à l’exil, en Algérie d’abord, en France ensuite après un court retour au Maroc. Ils ont fait le deuil de leur fille avec autant de brutalité que celui de leur vie sur l’autre rive de la Méditerranée. Ils ont tu sa mort comme la France refusait alors de regarder en face la réalité des guerres de décolonisation que le réalisateur nous montre sans fard à travers quelques archives d’une rare violence.

Son documentaire introspectif trouve le ton juste. Il a l’élégance de sa courte durée, refusant d’en rajouter là où la concision s’impose. Il évite les pièges symétriques de l’absolution et de la vindicte. Eric Caravaca refuse d’accuser sa mère mais cherche simplement à la comprendre. Il remet à sa juste place la mémoire face à l’oubli. Il a touché chez moi la corde particulièrement sensible du secret de famille auquel je veux depuis longtemps consacrer sinon un documentaire aussi réussi que celui d’Eric Caravaca du moins un roman autobiographique pour solde de tout compte.

La bande-annonce

 

Le Sens de la fête ★★★☆

Max est traiteur. Sa spécialité : l’organisation des mariages. Mais les années passant, la lassitude s’est installée. Et le mariage de Pierre et Héléna, organisé dans un splendide château du XVIIème siècle, pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

J’ai tardé à aller voir le dernier film des Toledano/Nakache. Non que je n’ai pas aimé leurs précédents succès : Je préfère qu’on reste amis, Intouchables et même Samba qui me méritait pas les mauvaises critiques qui l’ont accueilli. Mais parce que j’avais l’impression, après avoir vu la bande-annonce, que le film ne me surprendrait pas.

Et c’est vrai : Le Sens de la fête n’est pas surprenant. Comme annoncé, il s’agit de suivre, l’espace d’une nuit, un mariage filmé depuis ses coulisses, dont les héros ne seraient pas les mariés et leurs convives mais les organisateurs de la fête, toutes ces petites mains invisibles qui s’activent en coulisses pour garantir sa réussite.

Sauf que. Sauf que Toledano/Nakache font mouche. Pas tant dans l’écriture du scénario qui suit son long cours tranquille que dans celle des dialogues aux petits oignons et dans la direction d’acteurs tous impeccables. Le cinéma français, dans sa diversité d’âges et de talents, s’est donné rendez-vous : les valeurs confirmées (Jean-Pierre Rouve en photographe narcissique, Gilles Lellouche en DJ allumé, Hélène Vincent en belle-maman fofolle), les valeurs montantes (Vincent Macaigne en prof de français dépressif, Benjamin Larvenhe en marié prétentieux, Eye Haidara en chef de rang énervée).

Tous ces seconds rôles gravitent autour de Jean-Pierre Bacri. Lui donner le premier rôle était un pari audacieux. Bacri est bien sûr une valeur connue et confirmée. Mais sa présence au cœur du film – et de son affiche qui n’est pas sans rappeler celle de La Grande Bellezza – lui donne une identité qui ne va pas de soi : ne va-t-elle pas dissuader les jeunes spectateurs sans pour autant convaincre les vieux qui l’ont trop vu ? Pour autant, on ne peut que se féliciter que les réalisateurs n’aient pas cédé à la facilité de confier le rôle principal à un acteur plus bankable. Car Bacri, tout en étant toujours le même, est au sommet de son art : on ne l’a jamais vu aussi bougon, aussi fatigué, aussi attendrissant.

La bande-annonce

Faute d’amour ★★★★

Un couple se déchire. Un enfant en paie le prix.
Boris et Zhenya sont en plein divorce. Ils vivent encore sous le même toit – qu’ils tentent en vain de vendre – mais ne sont plus capables d’y passer cinq minutes sans s’agonir d’injures. Ils ont d’ailleurs recommencé à faire leur vie chacun de leur côté : Zhenya a rencontré un homme plus âgé et plus aisé, Boris a fait un enfant à une femme plus jeune qui vit encore avec sa mère.
Entre eux deux Alyocha souffre en silence. Jusqu’à disparaître. Cette disparition rapprochera-t-elle ses parents ? ou les libèrera-t-elle d’un poids ?

Amateurs de feel good movie passez votre chemin. Faute d’amour est un film éprouvant. Comme dans L’Économie du couple, on y vit un divorce en temps réel. Comme dans Le Ruban blanc de Hanneke ou Scènes de la vie conjugale de Bergman, on y entend jusqu’au malaise des disputes d’une effarante violence. Comme dans Elena ou Leviathan, Zviaguintsev y poursuit le procès à charge de la société russe et de sa dérive individualiste.

J’ai été durablement traumatisé par une scène. Elle se déroule au début du film. La raconter n’est pas le spoiler. Il s’agit d’une dispute entre Boris et Zhenya au sujet de leur appartement qu’ils tardent à vendre et de leur fils dont ils ne savent que faire : ils se battent moins pour sa garde que pour s’en débarrasser en le plaçant en internat. La scène s’interrompt quand Zhenya passe aux toilettes. En poussant la porte, le spectateur découvre le petit Alyosha, tapi dans l’ombre, étouffant un sanglot, le visage déformé par le chagrin et la peur, auditeur silencieux de la dispute dont il est l’enjeu. On se demande comment on a pu obtenir d’un enfant de douze ans de tels sanglots, un tel rictus – qui rappelle Le Cri de Munch. Une scène plus effrayante que bien des films d’horreur.

Boris et Zhenya sont des monstres d’égoïsme. Zhenya est la pire des deux. On la voit avec son nouvelle amant, nue et lascive, lui susurrer des mots d’amour en lui racontant l’horreur de sa grossesse, les affres de l’accouchement, le dégoût des premiers contacts avec son fils. Quand elle rencontre sa mère, on comprendra d’où lui vient une telle dureté : on ne donne rien quand on n’a rien reçu. Boris ne vaut guère mieux. Il travaille dans une entreprise exigeant de la part de ses employés le respect d’une stricte orthodoxie. Le divorce équivaudrait pour lui au licenciement. Et on le sent plus soucieux de cacher ses déboires conjugaux à son employeur que de retrouver son fils.

Quand Alyocha disparaît, Boris et Zhenya, qui avaient découché chacun de leur côté avec leur compagnon, mettent trente six heures à s’en rendre compte. Ils contactent la police qui refuse de les aider. Ils ont finalement recours à une milice privée, le Groupe de recherches des enfants perdus, curieuse cohorte muette de bénévoles, dans un pays gangrené par l’appât du gain, qui consacrent leur temps à aider des familles à la recherche de leurs enfants.

Alyocha a-t-il fugué ? A-t-il été enlevé ? Ses parents le retrouveront-ils vivant ? On vous laissera, cher spectateur qui avez accepté de regarder ce film traumatisant, le découvrir. Vous serez surpris. Je ne suis pas sûr d’avoir compris la fin du film. J’aimerais en discuter avec vous.

La bande-annonce

120 battements par minute ★★★★

À Paris. Au début des années 90. L’épidémie du Sida fait rage. Act up Paris milite pour dénoncer l’inaction du gouvernement et le cynisme des laboratoires pharmaceutiques. Portrait de groupe : Sophie, la pasionaria, Nathan, le nouveau est « séro-neg », Sean est « séropo » et livre une course contre la mort avec la mort qui menace, le sens politique de Thibault, le président, ne convainc pas toujours ses camarades…

Qui a dit que le cinéma français manquait de souffle ? Le troisième film de Robin Campillo – déjà remarqué pour Les Revenants et Eastern Boys – en a plus qu’à son tour. Il l’a montré à Cannes dont il est revenu avec le Grand Prix  alors que les pronostiqueurs unanimes – moi y compris – lui promettaient la Palme. Il l’a montré en faisant la couv’ de Télérama et la Une du Monde et en donnant à un été cinématographique bien tristounet un peu de piment.

Manuel d’action politique. On a beaucoup dit que 120 bpm chroniquait les années Sida. Ce n’est vrai qu’en partie. Sans doute évoque-t-il la lutte contre l’épidémie à travers les actions coup-de-poing (les « zaps ») d’Act Up : zap des laboratoires Roche (peureusement rebaptisé « Melton Pharm » sans doute pour s’éviter des poursuites judiciaires) qui refusaient de diffuser les résultats des essais de leur anti-protéase, actions de prévention dans les lycées, « die-in », Gay Pride… Mais l’ambition de Robin Campillo n’est pas de faire l’histoire d’un mouvement. L’eût-elle été, il aurait attaché plus de soin à en décrire la chronologie alors que le film se déroule sans souci de progression. Les scènes les moins convaincantes du film sont d’ailleurs celles où il utilise des archives d’époque, béquille inutile à un récit qui n’en avait pas besoin.
En revanche, Campillo relève un défi : décrire la discussion politique et sa mutation en action. Rien de plus difficile à filmer que l’AG d’une association. Rien de plus ennuyeux que des militants qui prennent la parole en désordre. Pourtant, dès la première minute, avec une pédagogie évidente, 120 bpm nous fait pénétrer dans une RH (« rencontre hebdomadaire ») de Act up, nous en explique les codes (on n’applaudit ni ne siffle), nous en présente les protagonistes et les enjeux.

Du collectif à l’individu. Après nous avoir raconté les actions d’Act Up, 120 bpm se resserre progressivement vers le destin de ses membres. Et plus particulièrement vers celui du couple formé par Arnaud et Sean (l’exceptionnel Nahuel Perez Biscayart qu’on reverra le mois prochain dans l’adaptation du Goncourt de Pierre Le maître Au revoir là-haut). Il aurait pu y perdre son unité. Il n’en est rien. Sa durée exceptionnelle (deux heures vingt qui filent sans qu’on les perçoive) le lui permet sans doute.
Ce couple est bouleversant. Sa première nuit d’amour est l’une des plus belles jamais filmées. Moins par son esthétisme – comme le sont trop souvent les scènes de sexe. Moins par sa longueur – qui rappelle celle de « La Vie d’Adèle« . Moins par sa crudité – le film d’ailleurs n’est pas interdit aux moins de douze ans. Mais par ses… dialogues ! Les scènes de sexe au cinéma sont quasiment toujours muettes : les deux héros (hétérosexuels) se séduisent, s’embrassent et s’enlacent dans une musique d’un romantisme échevelé pendant que la caméra détourne pudiquement les yeux vers un coucher de soleil ou un feu de cheminée. Rien de tel ici où Arnaud et Sean se parlent, se racontent, se confient.

L’épilogue du film arrachera évidemment des sanglots aux plus endurcis. Je me souviens de mon émotion devant Philadelphia. Je ne sais pas si elle serait toujours aussi forte vingt-trois ans après. J’ai l’impression que Philadelphia était noyé dans un pathos excessif – et une musique envahissante. Ce qui m’a frappé dans 120 bpm est la pudeur de ces dernières scènes, leur refus de la grandiloquence, le soin apporté aux détails vrais et peut-être vécus (la mère qui prépare du café et peine à refermer le clic-clac du salon). À ceux qui n’ont pas encore vu 120 bpm et qui s’y précipiteront sitôt terminé la lecture de cette critique, j’offre en cadeau une dernière surprise : l’ultime réaction de vie, la pulsion de vie qui l’inspire contre toute décence, mais le deuil qui fait son chemin dans les sanglots qui l’accompagneront.

La bande-annonce

Dunkerque ★★★★

Mai 1940. Les Alliés sont en déroute. Acculés dans la poche de Dunkerque, face aux falaises anglaises si proches et pourtant inaccessibles, ils sont coincés entre la mer et le feu ennemi.

C’est peu dire que le film de Christopher Nolan était attendu. Première en a même fait sa couverture quatre mois avant sa sortie. Après avoir réinventé le film de super héros avec la trilogie des Batman, après avoir dynamité la science fiction avec Inception et Interstellar, le génial réalisateur, véritable Kubrick des temps modernes, allait-il réaliser LE film de guerre ?

Les critiques, qui en attendaient peut-être un peu trop, semblent faire la fine bouche. Elles sont excellentes, mais pas dithyrambiques. Elles sont uniformément construites sur le même modèle du « Oui… mais », énumérant dans une première partie toutes les incontestables qualités de Dunkerque avant d’en déplorer dans une seconde, plus courte, les regrettables défauts.

Tournant le dos au savant balancement binaire auquel j’ai pourtant un attachement viscéral, je serai moins chipoteur et accorderai volontiers quatre étoiles à ce film extraordinaire – même s’il ne dépasse pas l’indépassable La La Land dont vous savez, fidèle lecteur, l’enthousiasme délirant qu’il a suscité chez moi au cœur de l’hiver 2017.

Dunkerque est un vrai bonheur de cinéma qu’il faut à tout prix aller voir dans une salle obscure THX Dolby etc. Amateurs de DVD ou de streaming, remisez vos pantoufles et venez en prendre plein les yeux et les oreilles ! Car Dunkerque est un expérience profondément sensorielle. Après avoir dit tant de mal de Voyage of Time, le documentaire boursouflé de Terrence Malick, voilà que je me fais l’avocat du film de Christophe Nolan qui ressemble plus à une symphonie guerrière qu’à un film d’action.

Loin de raconter une histoire – dont on connaît par avance le dénouement – Christopher Nolan veut nous faire ressentir des émotions : la soif, l’épuisement, la peur, le froid… Un torpilleur qui coule, une plaque de mazout qui brûle des noyés, un aviateur pris sous le feu d’un avion ennemi, les balles qui sifflent et qui tuent, les bombes qui tombent … On fait grand cas – à bon droit – de la première scène de Il faut sauver le soldat Ryan. Dunkerque étend cette scène-là sur une heure et quarante sept minutes – une durée relativement brève pour un blockbuster.

Comment construire une scène d’action d’une heure quarante-sept ? En la filmant de trois points de vue : les soldats à terre, les marins en mer, les aviateurs en l’air. Puis en la diffractant, chaque scène étant revisitée depuis le point de vue, à chaque fois différent et enrichi, d’un des protagonistes. On n’y prête pas attention au début, mais on réalise rapidement la subtile marqueterie du scénario, qui rend intelligible d’immenses scènes de bataille qui auraient pu ne pas l’être.

Loin d’être une faiblesse, l’une des richesses du film est de ne pas raconter d’histoire – comme le faisait par exemple Spielberg dans Il faut sauver… ou Malick dans La Ligne rouge. Les héros se réduisent à une silhouette, à tel point qu’on peine à reconnaître Tom Hardy ou Cillian Murphy. Les scènes sont quasiment muettes. Et la musique de Hans Zimmer – que j’adore mais que certains détestent – est omniprésente.

Cloué à son fauteuil, on ne regarde pas sa montre un seul instant. Et au sortir de la salle, encore étourdi par autant de bruit et de fureur, on emporte avec soi le souvenir durable d’un film qui laissera une trace profonde.

La bande-annonce

À voix haute ★★★☆

Le concours Eloquentia désigne chaque année le meilleur orateur parmi les étudiants de Paris 8 et les habitants de Seine-Saint-Denis. Une formation y prépare qu’animent un avocat, une dramaturge, un slameur…
Stéphane de Freitas a fondé ce concours et l’a filmé. Diffusé sur YouTube puis sur France 2 l’automne dernier, À voix haute a eu une tel succès que sa sortie en salles a été décidée dans un format légèrement étendu.

Le résultat m’a enthousiasmé.
Bien sûr, j’ai conscience de ses limites – qui me retiennent de lui conférer une quatrième étoile. Il s’agit d’un documentaire très classique qui suit quelques candidats le temps de leur formation jusqu’au concours. Le rythme du récit est scandé par le compte à rebours du jour J et sa dramaturgie chorale utilise les candidats les plus attachants.
Il s’agit aussi d’un documentaire extrêmement bienpensant où la diversité ethnique de ces jeunes, tous formidables, font parfois penser à une publicité Benetton (Laila, la féministe voilée d’origine syrienne, Eddy, le franco-algérien, Franck et El Hadj les Blacks, etc.)

Mais que diable ! Ne soyons pas pisse-vinaigre ! À condition de ne pas être trop scrogneugneu, à condition d’accepter de se laisser entraîner, À voix haute est incroyablement euphorisant. Parce qu’on se laisse prendre par le suspense du concours, affligés par l’échec des uns, réjouis de la qualification des autres. Parce que l’enthousiasme de ces jeunes gens, qui suivent avec une exemplaire assiduité la formation qui leur est proposée, est communicative. Parce qu’enfin on reste pantois devant leur talent, qu’il s’agisse d’Eddy, cet acteur né qui marche chaque jour près de dix kilomètres jusqu’à la petite gare de l’Aisne où un train le conduit à Saint-Denis ou de Souleila Mahiddin dont je vous fiche mon billet qu’on la reverra très bientôt au sommet de l’affiche.

La bande-annonce

Je danserai si je veux ★★★☆

Tout – ou presque – est dans l’affiche. D’abord le titre : Je danserai si je veux qui sonne comme un slogan féministe. Ensuite la photo de trois femmes. L’une porte le voile. Les deux autres boivent et fument. Enfin à l’arrière plan, une ville, dont on sait depuis Richard Bohringer que c’est beau la nuit.

Le reste se découvre très vite.
Layla, Salma et Nour sont trois jeunes femmes arabes et israéliennes. Elles partagent un appartement à Tel Aviv. Layla est avocate ; Salma a un job dans un bar ; Nour poursuit des études à l’université. Chacune à sa façon est en prise avec la société phallocrate.

Il y a deux façons de critiquer ce premier film d’une jeune réalisatrice palestinienne.
La première est la plus rationnelle. Elle est la plus sévère aussi.
Elle pointerait du doigt son architecture trop voyante. Scrupuleusement voilée, respectueuse des rites, Nour incarne la jeune Palestinienne pratiquante sous la coupe d’un fiancé qui lui refuse la moindre liberté. Avec ses piercings et ses joints, Salma est la bobo palestinienne qui cache à sa famille bourgeoise son orientation sexuelle. Plus âgée, plus indépendante, Layla est, elle, la Palestinienne installée que les hommes dont elles tombent régulièrement amoureux rappellent à son statut. Trois destins de femme comme autant d’illustrations simplistes de discours féministes.

La seconde choisit d’ignorer ces défauts pourtant bien voyants et de laisser parler son cœur.
Elle soulignerait l’émotion suscitée par ces trois personnages qui, chacun à sa façon, fait naître l’empathie. Même Nour, a priori la moins sympathique.
Sans se réduire à un simple coup de cœur impulsif, cette seconde critique évoquerait le portrait tout en nuance que le film dresse de Tel Aviv, la capitale économique d’Israël, dont Eytan Fox avait déjà fait en 2007 le personnage principal de son film The Bubble. Elle évoquerait aussi le rôle des hommes dans ce film, qu’on pouvait craindre un instant unanimement veules mais qui sont sauvés, dans une scène bouleversante, par la tendresse du père de Nour.

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Parfaites ★★★☆

Pendant plus d’un an, le documentariste Jérémie Battaglia a suivi l’équipe canadienne de natation synchronisée dans la phase préparatoire des Jeux olympiques de Rio.

J’ai adoré ce documentaire sorti en catimini dans quelques trop rares salles.
Pour trois raisons.

D’abord pour ses étonnantes images. Jérôme Battaglia vient de la photographie et réussit, comme le montre l’affiche, des plans sous-marins ou aériens d’une étonnante sophistication.

Ensuite pour son euphorisant suspense. Comme tous les films de sport, Parfaites est construit autour d’un enjeu simple. Gagnera ? Gagnera pas ? On prend fait et cause pour la sympathique équipe canadienne. On partage son stress, ses joies, ses déceptions. On admire sa quête sans cesse recommencée d’une perfection absolue. On découvre aussi un sport d’une étonnante exigence, nécessitant les talents de nageuse, de gymnaste et de danseuse. Un sport qui souffre d’être trop souvent réduit à l’image caricaturale qu’il donne : jolies poupées en bikini, trop maquillées, au sourire artificiel.

Enfin pour sa dimension géopolitique. Le Canada est en effet un outsider dans le monde de la natation synchronisée. Il est écrasé par la Russie ou par la Chine qui sélectionnent au berceau les nageuses sur des critères purement physiques. Pour améliorer leur synchronicité, ils identifient des jeunes filles quasi identiques, des « jumelles ». Le Canada n’a pas ce luxe. De cet handicap, il veut faire une force, souhaitant renvoyer l’image d’une équipe nationale diverse et métissée. Courez voir Parfaites pour savoir si ce pari hétérodoxe portera ses fruits.

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Patients ★★★☆

Benjamin, la vingtaine, plonge dans une piscine à moitié vide et s’y brise les cervicales. « Tétraplégique incomplet », il est placé en centre de rééducation.

Le système de soins français est en train de devenir une star de cinéma. Après La Maladie de Sachs en 1999, Le Scaphandre et le papillon en 2007, l’excellent Hippocrate en 2014, Médecin de campagne, Réparer les vivants et La Fille de Brest ont l’an passé eu la médecine comme sujet principal.

A la différence de ces films, Patients s’intéresse aux malades plus qu’aux soignants. Ceux-ci ont bien sûr leur place parmi les rôles secondaires : un médecin chef autoritaire, un kinésithérapeute compréhensif, une infirmière maladroite et un aide soignant insupportable à force de bonne humeur matinale et bruyante (« Alors, Benjamin, il a bien dormi ? il veut que je lui allume la télé ? il prendra du café ou du chocolat ce matin ? »). Mais Ben et sa bande d’amis sont, comme l’annonce l’affiche, les personnages principaux du film.

Farid est en fauteuil depuis l’enfance, Steeve n’accepte pas son état, Toussaint désespère de son manque de progrès, Samia cache les causes de l’accident qui l’ont clouée dans un fauteuil. Autour de Ben se constitue une petite communauté d’amis qui ne se sont pas choisis mais qui traversent ensemble les mêmes épreuves. Leur objectif n’est pas tant de guérir ; car certains savent qu’ils ne le pourront pas. Leur souci principal est de « niquer des heures », de passer un temps qui, comme en prison, s’étend sans sens. Patients, on l’avait compris, est un titre à double entrée.

Ce film est l’adaptation du roman éponyme de Grand corps malade. De son vrai nom Fabien Marsaud, le slammeur français y relatait son séjour en centre de rééducation. Une chronique à hauteur de fauteuil roulant. Sans sentimentalisme ni apitoiement. Avec l’humour comme seule arme pour déminer les situations les plus embarrassantes et les plus déprimantes. Car on se vanne beaucoup, avec un mélange de tendresse et de cruauté, comme dans La Haine, L’Esquive ou Divines.

Patients séduit par son refus du sensationnalisme. Ben est un jeune homme chanceux dans son malheur. Des parents aimants se relaient à son chevet. Ses amis ne l’oublient pas. Sa situation médicale est bien meilleure que celle de ses congénères : il fait de rapides progrès et peut espérer marcher à nouveau. Surtout, il bénéficie d’un accompagnement médical qui frappe par son luxe : séances de rééducation en gymnase, en piscine, personnel médical attentif, lieux de vie spacieux et accueillants…

La romance qui se noue entre Ben et Samia et la façon surprenante dont elle évolue témoignent de l’intelligence et de la sensibilité de ce film qui réussit à émouvoir avec le sourire.

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Noces ★★★☆

Zahira a dix-huit ans. Elle vit en Belgique avec son père, sa mère, son frère aîné et sa sœur cadette encore adolescente. À cheval entre deux cultures, elle est à l’aise dans l’une comme dans l’autre : elle fait ses cinq prières chez elle et n’est pas la dernière à s’amuser et à sortir avec ses amis du lycée.
Zahira est enceinte. C’est un drame. Pour elle. Pour ses parents auxquels elle ne cache pas son état. Mais ce n’est pas la fin du monde pour cette famille aimante.

Avortera ? Avortera pas ? Se mariera ? Se mariera pas ? Le scénario de Noces est remarquable qui maintient sur toute la durée un suspense.

Car Noces n’aurait pu être qu’un documentaire sur l’intégration difficile d’une jeune fille musulmane en Occident. Une sorte de Fatima belgo-pakistanaise. Cette seule dimension aurait suffi à faire l’intérêt de ce film. Très documenté, il répond à la question : comment peut-on être Pakistanais(e) en Belgique ? Comment concilier sa culture d’origine et celle du pays d’émigration ? Noces répond à ces questions à travers deux dialogues bouleversants, qui frisent la rigidité théâtrale sans y succomber. Le premier entre le père de Zahira et le père de sa meilleure amie se conclut par un constat douloureux d’incommunicabilité. Le second entre Zahira et sa sœur aînée, mariée contre son gré mais désormais heureuse en ménage, est tout aussi intelligent et tout aussi bouleversant.

Mais Noces ne se réduit pas à sa dimension documentaire. Noces est une tragédie grecque pleine de rebondissements. Elle a pour héroïne Zahira. Lina El Arabi est de tous les plans. C’est une révélation. Comme la Rosetta des frères Dardenne, son énergie est le moteur du film. À plusieurs reprises, on pourrait penser que le film va s’achever, une fois apportées les réponses aux questions posées. Mais une nouvelle question surgit. Jusqu’à la conclusion, aussi surprenante par sa violence que logique par son inéluctabilité.

Dans un paysage très encombré par le nombre de sorties, au milieu de films dont j’attendais beaucoup et qui m’ont déçu (Split, Lion, Certaines femmes…), Noces est le film-surprise de la semaine. Mon coup de cœur.

La bande-annonce