La Prière ★★★★

Thomas est à peine sorti de l’adolescence. Après une overdose, il rejoint une communauté de prière, perdue au cœur des montagnes, dont les membres sont d’anciens toxicomanes. La règle y est dure : pas de sorties, pas de tabac, pas de filles. Une vie confraternelle consacrée à la prière et au travail. Les rechutes sont fréquentes. Thomas en connaîtra sa part. Mais, au bout du tunnel, l’espoir de la rédemption existe.

Étonnant Cédric Kahn qui, après avoir fait ses premières armes comme monteur stagiaire chez Maurice Pialat sur le tournage de Sous soleil de Satan, réalise trente ans plus tard un film sur la grâce produit par la veuve du réalisateur,, Sylvie Pialat. Entretemps, il aura adapté Moravia (L’Ennui, 1998) ou Simenon (Feux rouges, 2004), filmé un fils en mal de père (L’Avion, 2005), un homme qui ne parvient pas à faire le deuil de son amour de jeunesse (Les Regrets, 2009), un père qui décide d’élever ses enfants en marge de la société (Vie sauvage, 2014).

À cinquante ans passés, Cédric Kahn prend un risque radical qui marque un tournant dans sa carrière. Lui qui a fait tourner Carole Bouquet, Charles Berling, Yvan Attal, Mathieu Kassovitz et Guillaume Canet fait le pari d’un film sans star – dont le principal protagoniste, dont c’est le premier grand rôle, se verra décerner l’Ours d’argent du meilleur acteur. Lui dont les films étaient souvent des drames urbains, des histoires de couples qui se brisent ou qui se forment, ose filmer un drame rural, sous les cimes enneigés des Alpes, où l’action se déroule lentement au fil des saisons qui passent. Lui surtout dont le cinéma ressassait parfois au risque de l’épuisement les thèmes où s’épuise le cinéma français (le couple, la paternité…) ose prendre à bras le corps un sujet audacieux : la foi.

Car La Prière doit être pris au pied de la lettre. Ce n’est pas, comme son pitch le laisse augurer, comme on vient de le voir dans l’excellent La fête est finie, un film sur la désintoxication. Comme son titre et son affiche l’annoncent frontalement, c’est l’histoire d’un garçon sauvé par la foi. Ce garçon est interprété par Anthony Bajon. Il a les bajoues poupins et le poil follet d’un gamin mal dégrossi. Il s’est vu, je l’ai dit, décerner l’Ours d’argent du meilleur acteur et sera probablement nominé sinon nommé César du meilleur espoir masculin l’an prochain. Le mérite-t-il ? S’agit-il d’une future star comme Gaspard Ulliel ou Tahar Rahim ? Ou au contraire d’un feu de paille comme Gérald Thomassin, que révéla Doillon dans Le petit criminel, avant de sombrer dans l’alcool et la drogue ?

La Prière a un sacré culot. À une époque où il est de bon ton de rire de tout, où la « vanne » est devenue un mode de communication à part entière, où l’humour est l’accessoire obligé de tout discours auquel on reprochera sinon son sérieux et sa morgue, La Prière ose le premier degré. D’ailleurs certains spectateurs s’y trompent qui rigolent, vaguement gênés, devant certaines scènes, au début du film, tant les situations décrites détonnent de ce que nous vivons dans nos quotidiens. Les minutes passant, on ne les entendra plus. Car La Prière peu à peu aura imposé son ton et son sujet grave.

Comme Thomas, on entre à reculons dans cette communauté. On se braque contre ses règles oppressantes. On renifle la supercherie, la secte, qui va nous endormir pour mieux nous enfermer, ou nous enfermer pour mieux nous endormir. Et puis on lâche prise. On comprend qu’ici tout n’est qu’amour, tout n’est que grâce – pour reprendre les dernières paroles d’une œuvre elle aussi toute baignée par la grâce : Le Journal d’un curé de campagne.

Il faut un sacré culot pour traiter d’un tel thème à une époque où si 60 % des Français se disent catholiques, 4 % seulement vont régulièrement à la messe. Pour autant La Prière n’est pas un OVNI dans un cinéma qui n’aurait jamais traité la foi. Il y a quelques semaines à peine sortait L’Apparition qui, comme La Prière, évoquait sans rire un miracle. Thérèse, le chef d’œuvre d’Alain Cavalier, avait obtenu le César du meilleur film 1986. Des hommes et des dieux remportait la même distinction au titre de l’année 2010 et attirait un public immense, constitué en partie de spectateurs qui ne fréquentaient guère les salles obscures. C’est tout le mal qu’on souhaite à La Prière.

La bande-annonce

Soleil battant ★★★☆

Gabriel (Clément Roussier) et Iris (Ana Girardot) passent des vacances idylliques au Portugal, dans une maison de famille, avec leurs jumelles de six ans, Emma et Zoé. Mais bien vite, le souvenir de Lilla, leur première fille, décédée à deux ans au même endroit dans des circonstances dramatiques, ressurgit.
 
Les sœurs Laperrousaz relèvent le pari de réussir un film lumineux et sensuel sur le deuil.
Son pitch est aussi concis que rebutant : deux enfants découvrent l’existence d’une sœur aînée dont la mort quelques années plus tôt n’en finit plus de tarauder un couple.
 
Quoi de plus terrible que la mort d’un enfant ? Soleil battant en parle de biais, à quelques années de distance – comme le personnage joué par Ariane Ascaride dans La Villa de Guédiguian qui a connu la même expérience traumatique. Et il parle à travers le regard des enfants.
 
Gabriel et Iris sont minés par le chagrin. Gabriel veut l’enfouir virilement et a fait promettre à Iris de ne pas en parler à leurs jumelles. Iris n’en a pas la force. C’est elle qui a raison : un tel chagrin ne disparaîtra jamais.
Emma et Zoé découvrent donc l’existence de leur sœur avec ce mélange de gravité et de curiosité qui anime les enfants face à un mystère plus grand qu’eux. On pense à Michel et Paulette dans Jeux interdits et au cimetière pour animaux qu’ils avaient confectionné. Les jeunes actrices sont adorables. Leurs moues attendriraient un roc. Et elles évitent de tomber dans le piège, si fréquent quand des enfants sont mis en scène, du cabotinage.
 
Mais c’est surtout la prestation d’Ana Girardot qu’on retiendra. On connaît son nom (c’est la fille de Hippolyte Girardot) et son visage (on l’a vu dans Cloclo, Les revenants, Le beau monde, Un homme idéal, Ce qui nous lie…). Elle est ici en tête d’affiche. Sa beauté sage fait des miracles. Elle interprète avec une étonnante justesse un rôle difficile. Car Iris est tout à la fois une épouse, une mère et une femme inconsolable. Elle fait l’amour à son mari, berce ses jumelles et pleure inconsolablement sa fille disparue.
 
Ne vous laissez pas rebuter par ce sujet plombant et courez voir Soleil battant.

La bande-annonce

Battle of the Sexes ★★★☆

En septembre 1973, à Houston un match de tennis oppose Billie Jean King, vingt-neuf ans, ex-numéro un mondiale, et Bobby Riggs, cinquante-cinq ans, cheval sur le retour du tennis des années 50 et phallocrate assumé. L’enjeu : démontrer que les hommes sont supérieures aux femmes… ou pas.

L’histoire que raconte Battle of the Sexes pourrait sembler incroyable si elle n’était pas inspirée de faits réels. Au début des années 70, alors que le débat sur l’égalité des droits homme-femme faisait rage (un amendement en ce sens à la Constitution venait d’être rejeté au grand dam des féministes) et que Billie Jean King avait pris la tête du combat pour la revalorisation des primes des tenniswomen, un clown défiait l’ex numéro un mondiale. Billy Riggs aurait pu être un personnage odieux. Interprété par Steve Carrey, il réussit à être touchant. Lui le premier ne croit pas vraiment aux énormités machistes qu’il profère.

L’héroïne du film est évidemment Billie Jean King. Emma Stone, l’actrice oscarisée de La La Land. Horriblement défigurée par une coiffure hideuse et des lunettes qui lui mangent le visage, elle n’en rayonne pas moins. Avec sa bande d’amies qui militent à ses côtés, elle donne une image de super copine qui rend tout à la fois son personnage et elle-même très sympathique : la numéro un mondiale – et titulaire en titre de l’Oscar – n’a pas la grosse tête.

Battle of the Sexes est non seulement l’histoire de son combat pour les droits des femmes mais aussi celle de sa découverte de l’homosexualité. La véritable Billie Jean divorcera de son mari et fera son coming out en 1981. La bluette qui unit la tenniswoman à sa coiffeuse n’est guère crédible. Elle n’en est pas moins touchante. Comme l’est la réaction du mari de Billie Jean qui aurait pu sombrer dans la caricature du cocu de comédie.

Courez voir Battle of the sexes, mon film préféré du mois auquel je n’ai pas osé mettre quatre étoiles pour ne pas encourir le reproche légitime de ma superficialité. Sans doute, Battle of the Sexes ne révolutionnera pas le cinéma et n’est pas du niveau de 120 battements par minute, Dunkerque ou La La Land. Mais pour autant, c’est un film enthousiasmant, bien joué, fin et drôle. Un feel-good-movie qui ne prend pas ses spectateurs pour des idiots.

La bande-annonce

M ★★★☆

Lila ne sait pas parler. Mo ne sait pas écrire. Ils vont se rencontrer, s’apprivoiser, s’aimer, se guérir.

Le premier film de Sara Forestier ne chipote pas. Pas de romance parisienne sur les bords de Seine ; un coup de foudre en banlieue qui chamboule tout. Pas d’étudiants embourgeoisés qui refont le monde rue Saint-Guillaume ; des familles déclassées en rupture de ban, cabossées par la vie.

Je suis tombé sous son charme dès la première scène, sorte d’épigraphe au film. On y voit un groupe de bègues réunis autour d’un praticien qui expliquent leur handicap, chacun avec leurs mots, plus ou moins difficilement énoncés. C’est probablement une scène que la réalisatrice a filmé durant ses repérages. Puis l’animateur se tourne vers Sara Forestier, qui fait elle aussi partie du groupe, et lui donne la parole. Celle-ci, incapable de prononcer le moindre son, roule des yeux terrifiés bientôt remplis de larmes. En une scène, sans un mot, l’actrice-réalisatrice administre la preuve de son immense talent.

Je l’avais découverte avec L’Esquive qui lui valut le César ô combien mérité du Meilleur espoir féminin en 2005 à dix-neuf ans seulement. Et je l’ai suivie tout au long de sa jeune carrière : Le Nom des gens, Suzanne, La Tête haute, Primaire… J’aime sa gouaille, sa voix, son charme, sa fragilité, sa drôlerie. J’aime surtout l’émotion de son jeu, dont elle n’est pas avare au risque de trop en faire.

C’est un risque qu’elle assume dans son premier film. La critique ne l’a pas épargnée qui s’en moque méchamment, trouvant M naïf, excessif. C’est vrai que l’histoire est manichéenne. Mo est une racaille, exclu trop tôt du système scolaire, qui s’est construit à force de violence faute de pouvoir s’intégrer. Le handicap de Lila est plus visible, qui est incapable de prendre la parole en public, alors même qu’elle cache une étonnante sensibilité artistique dont son professeur de français en classe de première a bien perçu l’immense potentiel. Elle s’ouvrira comme une fleur grâce à l’amour de Mo. Lui en revanche, n’ose pas lui confesser son handicap jusqu’à un dénouement qui, pour prévisible et convenu qu’il soit, n’en émeut pas moins.

La bande-annonce

Carré 35 ★★★☆

Eric Caravaca mène l’enquête auprès de ses proches sur sa sœur aînée, née en 1960 au Maroc, morte trois ans plus tard seulement, dont l’existence lui a été cachée toute son enfance et dont sa mère a détruit le souvenir.

Connaissez-vous Eric Caravaca ? Pas une star mais un de mes acteurs préférés dont le jeu discret, la présence silencieuse touchent juste à chaque coup. Il a été révélé par C’est quoi la vie ? qui lui valut le César du meilleur espoir masculin en 2000. Il est consacré par La Chambre des officiers dont il jouait le rôle principal d’une gueule cassée par la Première guerre mondiale. Ces deux films étaient réalisés par François Dupeyron auquel il dédicace ce documentaire autobiographique.

Sa famille en est le sujet. Plus précisément le lourd secret de famille qu’elle cache. Quel est-il ? Il s’agit d’une sœur, morte au berceau avant la naissance de ses deux frères cadets, enterrée au Carré 35 du cimetière français de Casablanca. Son existence n’est pas l’enjeu du film. Elle est évoquée dans la bande annonce et posée comme point de départ dès les premières images du film que Eric Caravaca lui-même commente de sa belle voix grave.

Le suspens est ailleurs. Dans le secret qui entoure sa courte vie et sa mort brutale. Quels en sont les causes ? On ne saura pas la part de mise en scène dans la réalisation d’Eric Caravaca. A-t-il demandé à ses parents de rejouer des confessions déjà données ? Ou les a-t-il débusquées en direct derrière l’œil inquisiteur de sa caméra ? Toujours est-il qu’il mène l’enquête, sans brutalité, sans lancer de vindicte. « Qui était ma sœur ? De quoi est-elle morte ? » Sa mère esquive. Son père, sur le seuil de la mort, qu’un cancer qu’on devine a laissé chauve, lui dit la vérité. Eric Caravaca la pressentait. Il nous l’avait laissé deviner à demi-mot.

La vie de Christine, cette sœur méconnue, résonne avec la Grande histoire. Celle de la décolonisation. Les Caravaca sont des Espagnols installés au Maroc depuis une génération que l’indépendance du royaume chérifien conduira à l’exil, en Algérie d’abord, en France ensuite après un court retour au Maroc. Ils ont fait le deuil de leur fille avec autant de brutalité que celui de leur vie sur l’autre rive de la Méditerranée. Ils ont tu sa mort comme la France refusait alors de regarder en face la réalité des guerres de décolonisation que le réalisateur nous montre sans fard à travers quelques archives d’une rare violence.

Son documentaire introspectif trouve le ton juste. Il a l’élégance de sa courte durée, refusant d’en rajouter là où la concision s’impose. Il évite les pièges symétriques de l’absolution et de la vindicte. Eric Caravaca refuse d’accuser sa mère mais cherche simplement à la comprendre. Il remet à sa juste place la mémoire face à l’oubli. Il a touché chez moi la corde particulièrement sensible du secret de famille auquel je veux depuis longtemps consacrer sinon un documentaire aussi réussi que celui d’Eric Caravaca du moins un roman autobiographique pour solde de tout compte.

La bande-annonce

 

Le Sens de la fête ★★★☆

Max est traiteur. Sa spécialité : l’organisation des mariages. Mais les années passant, la lassitude s’est installée. Et le mariage de Pierre et Héléna, organisé dans un splendide château du XVIIème siècle, pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

J’ai tardé à aller voir le dernier film des Toledano/Nakache. Non que je n’ai pas aimé leurs précédents succès : Je préfère qu’on reste amis, Intouchables et même Samba qui me méritait pas les mauvaises critiques qui l’ont accueilli. Mais parce que j’avais l’impression, après avoir vu la bande-annonce, que le film ne me surprendrait pas.

Et c’est vrai : Le Sens de la fête n’est pas surprenant. Comme annoncé, il s’agit de suivre, l’espace d’une nuit, un mariage filmé depuis ses coulisses, dont les héros ne seraient pas les mariés et leurs convives mais les organisateurs de la fête, toutes ces petites mains invisibles qui s’activent en coulisses pour garantir sa réussite.

Sauf que. Sauf que Toledano/Nakache font mouche. Pas tant dans l’écriture du scénario qui suit son long cours tranquille que dans celle des dialogues aux petits oignons et dans la direction d’acteurs tous impeccables. Le cinéma français, dans sa diversité d’âges et de talents, s’est donné rendez-vous : les valeurs confirmées (Jean-Pierre Rouve en photographe narcissique, Gilles Lellouche en DJ allumé, Hélène Vincent en belle-maman fofolle), les valeurs montantes (Vincent Macaigne en prof de français dépressif, Benjamin Larvenhe en marié prétentieux, Eye Haidara en chef de rang énervée).

Tous ces seconds rôles gravitent autour de Jean-Pierre Bacri. Lui donner le premier rôle était un pari audacieux. Bacri est bien sûr une valeur connue et confirmée. Mais sa présence au cœur du film – et de son affiche qui n’est pas sans rappeler celle de La Grande Bellezza – lui donne une identité qui ne va pas de soi : ne va-t-elle pas dissuader les jeunes spectateurs sans pour autant convaincre les vieux qui l’ont trop vu ? Pour autant, on ne peut que se féliciter que les réalisateurs n’aient pas cédé à la facilité de confier le rôle principal à un acteur plus bankable. Car Bacri, tout en étant toujours le même, est au sommet de son art : on ne l’a jamais vu aussi bougon, aussi fatigué, aussi attendrissant.

La bande-annonce

Faute d’amour ★★★★

Un couple se déchire. Un enfant en paie le prix.
Boris et Zhenya sont en plein divorce. Ils vivent encore sous le même toit – qu’ils tentent en vain de vendre – mais ne sont plus capables d’y passer cinq minutes sans s’agonir d’injures. Ils ont d’ailleurs recommencé à faire leur vie chacun de leur côté : Zhenya a rencontré un homme plus âgé et plus aisé, Boris a fait un enfant à une femme plus jeune qui vit encore avec sa mère.
Entre eux deux Alyocha souffre en silence. Jusqu’à disparaître. Cette disparition rapprochera-t-elle ses parents ? ou les libèrera-t-elle d’un poids ?

Amateurs de feel good movie passez votre chemin. Faute d’amour est un film éprouvant. Comme dans L’Économie du couple, on y vit un divorce en temps réel. Comme dans Le Ruban blanc de Hanneke ou Scènes de la vie conjugale de Bergman, on y entend jusqu’au malaise des disputes d’une effarante violence. Comme dans Elena ou Leviathan, Zviaguintsev y poursuit le procès à charge de la société russe et de sa dérive individualiste.

J’ai été durablement traumatisé par une scène. Elle se déroule au début du film. La raconter n’est pas le spoiler. Il s’agit d’une dispute entre Boris et Zhenya au sujet de leur appartement qu’ils tardent à vendre et de leur fils dont ils ne savent que faire : ils se battent moins pour sa garde que pour s’en débarrasser en le plaçant en internat. La scène s’interrompt quand Zhenya passe aux toilettes. En poussant la porte, le spectateur découvre le petit Alyosha, tapi dans l’ombre, étouffant un sanglot, le visage déformé par le chagrin et la peur, auditeur silencieux de la dispute dont il est l’enjeu. On se demande comment on a pu obtenir d’un enfant de douze ans de tels sanglots, un tel rictus – qui rappelle Le Cri de Munch. Une scène plus effrayante que bien des films d’horreur.

Boris et Zhenya sont des monstres d’égoïsme. Zhenya est la pire des deux. On la voit avec son nouvelle amant, nue et lascive, lui susurrer des mots d’amour en lui racontant l’horreur de sa grossesse, les affres de l’accouchement, le dégoût des premiers contacts avec son fils. Quand elle rencontre sa mère, on comprendra d’où lui vient une telle dureté : on ne donne rien quand on n’a rien reçu. Boris ne vaut guère mieux. Il travaille dans une entreprise exigeant de la part de ses employés le respect d’une stricte orthodoxie. Le divorce équivaudrait pour lui au licenciement. Et on le sent plus soucieux de cacher ses déboires conjugaux à son employeur que de retrouver son fils.

Quand Alyocha disparaît, Boris et Zhenya, qui avaient découché chacun de leur côté avec leur compagnon, mettent trente six heures à s’en rendre compte. Ils contactent la police qui refuse de les aider. Ils ont finalement recours à une milice privée, le Groupe de recherches des enfants perdus, curieuse cohorte muette de bénévoles, dans un pays gangrené par l’appât du gain, qui consacrent leur temps à aider des familles à la recherche de leurs enfants.

Alyocha a-t-il fugué ? A-t-il été enlevé ? Ses parents le retrouveront-ils vivant ? On vous laissera, cher spectateur qui avez accepté de regarder ce film traumatisant, le découvrir. Vous serez surpris. Je ne suis pas sûr d’avoir compris la fin du film. J’aimerais en discuter avec vous.

La bande-annonce

120 battements par minute ★★★★

À Paris. Au début des années 90. L’épidémie du Sida fait rage. Act up Paris milite pour dénoncer l’inaction du gouvernement et le cynisme des laboratoires pharmaceutiques. Portrait de groupe : Sophie, la pasionaria, Nathan, le nouveau est « séro-neg », Sean est « séropo » et livre une course contre la mort avec la mort qui menace, le sens politique de Thibault, le président, ne convainc pas toujours ses camarades…

Qui a dit que le cinéma français manquait de souffle ? Le troisième film de Robin Campillo – déjà remarqué pour Les Revenants et Eastern Boys – en a plus qu’à son tour. Il l’a montré à Cannes dont il est revenu avec le Grand Prix  alors que les pronostiqueurs unanimes – moi y compris – lui promettaient la Palme. Il l’a montré en faisant la couv’ de Télérama et la Une du Monde et en donnant à un été cinématographique bien tristounet un peu de piment.

Manuel d’action politique. On a beaucoup dit que 120 bpm chroniquait les années Sida. Ce n’est vrai qu’en partie. Sans doute évoque-t-il la lutte contre l’épidémie à travers les actions coup-de-poing (les « zaps ») d’Act Up : zap des laboratoires Roche (peureusement rebaptisé « Melton Pharm » sans doute pour s’éviter des poursuites judiciaires) qui refusaient de diffuser les résultats des essais de leur anti-protéase, actions de prévention dans les lycées, « die-in », Gay Pride… Mais l’ambition de Robin Campillo n’est pas de faire l’histoire d’un mouvement. L’eût-elle été, il aurait attaché plus de soin à en décrire la chronologie alors que le film se déroule sans souci de progression. Les scènes les moins convaincantes du film sont d’ailleurs celles où il utilise des archives d’époque, béquille inutile à un récit qui n’en avait pas besoin.
En revanche, Campillo relève un défi : décrire la discussion politique et sa mutation en action. Rien de plus difficile à filmer que l’AG d’une association. Rien de plus ennuyeux que des militants qui prennent la parole en désordre. Pourtant, dès la première minute, avec une pédagogie évidente, 120 bpm nous fait pénétrer dans une RH (« rencontre hebdomadaire ») de Act up, nous en explique les codes (on n’applaudit ni ne siffle), nous en présente les protagonistes et les enjeux.

Du collectif à l’individu. Après nous avoir raconté les actions d’Act Up, 120 bpm se resserre progressivement vers le destin de ses membres. Et plus particulièrement vers celui du couple formé par Arnaud et Sean (l’exceptionnel Nahuel Perez Biscayart qu’on reverra le mois prochain dans l’adaptation du Goncourt de Pierre Le maître Au revoir là-haut). Il aurait pu y perdre son unité. Il n’en est rien. Sa durée exceptionnelle (deux heures vingt qui filent sans qu’on les perçoive) le lui permet sans doute.
Ce couple est bouleversant. Sa première nuit d’amour est l’une des plus belles jamais filmées. Moins par son esthétisme – comme le sont trop souvent les scènes de sexe. Moins par sa longueur – qui rappelle celle de « La Vie d’Adèle« . Moins par sa crudité – le film d’ailleurs n’est pas interdit aux moins de douze ans. Mais par ses… dialogues ! Les scènes de sexe au cinéma sont quasiment toujours muettes : les deux héros (hétérosexuels) se séduisent, s’embrassent et s’enlacent dans une musique d’un romantisme échevelé pendant que la caméra détourne pudiquement les yeux vers un coucher de soleil ou un feu de cheminée. Rien de tel ici où Arnaud et Sean se parlent, se racontent, se confient.

L’épilogue du film arrachera évidemment des sanglots aux plus endurcis. Je me souviens de mon émotion devant Philadelphia. Je ne sais pas si elle serait toujours aussi forte vingt-trois ans après. J’ai l’impression que Philadelphia était noyé dans un pathos excessif – et une musique envahissante. Ce qui m’a frappé dans 120 bpm est la pudeur de ces dernières scènes, leur refus de la grandiloquence, le soin apporté aux détails vrais et peut-être vécus (la mère qui prépare du café et peine à refermer le clic-clac du salon). À ceux qui n’ont pas encore vu 120 bpm et qui s’y précipiteront sitôt terminé la lecture de cette critique, j’offre en cadeau une dernière surprise : l’ultime réaction de vie, la pulsion de vie qui l’inspire contre toute décence, mais le deuil qui fait son chemin dans les sanglots qui l’accompagneront.

La bande-annonce

Dunkerque ★★★★

Mai 1940. Les Alliés sont en déroute. Acculés dans la poche de Dunkerque, face aux falaises anglaises si proches et pourtant inaccessibles, ils sont coincés entre la mer et le feu ennemi.

C’est peu dire que le film de Christopher Nolan était attendu. Première en a même fait sa couverture quatre mois avant sa sortie. Après avoir réinventé le film de super héros avec la trilogie des Batman, après avoir dynamité la science fiction avec Inception et Interstellar, le génial réalisateur, véritable Kubrick des temps modernes, allait-il réaliser LE film de guerre ?

Les critiques, qui en attendaient peut-être un peu trop, semblent faire la fine bouche. Elles sont excellentes, mais pas dithyrambiques. Elles sont uniformément construites sur le même modèle du « Oui… mais », énumérant dans une première partie toutes les incontestables qualités de Dunkerque avant d’en déplorer dans une seconde, plus courte, les regrettables défauts.

Tournant le dos au savant balancement binaire auquel j’ai pourtant un attachement viscéral, je serai moins chipoteur et accorderai volontiers quatre étoiles à ce film extraordinaire – même s’il ne dépasse pas l’indépassable La La Land dont vous savez, fidèle lecteur, l’enthousiasme délirant qu’il a suscité chez moi au cœur de l’hiver 2017.

Dunkerque est un vrai bonheur de cinéma qu’il faut à tout prix aller voir dans une salle obscure THX Dolby etc. Amateurs de DVD ou de streaming, remisez vos pantoufles et venez en prendre plein les yeux et les oreilles ! Car Dunkerque est un expérience profondément sensorielle. Après avoir dit tant de mal de Voyage of Time, le documentaire boursouflé de Terrence Malick, voilà que je me fais l’avocat du film de Christophe Nolan qui ressemble plus à une symphonie guerrière qu’à un film d’action.

Loin de raconter une histoire – dont on connaît par avance le dénouement – Christopher Nolan veut nous faire ressentir des émotions : la soif, l’épuisement, la peur, le froid… Un torpilleur qui coule, une plaque de mazout qui brûle des noyés, un aviateur pris sous le feu d’un avion ennemi, les balles qui sifflent et qui tuent, les bombes qui tombent … On fait grand cas – à bon droit – de la première scène de Il faut sauver le soldat Ryan. Dunkerque étend cette scène-là sur une heure et quarante sept minutes – une durée relativement brève pour un blockbuster.

Comment construire une scène d’action d’une heure quarante-sept ? En la filmant de trois points de vue : les soldats à terre, les marins en mer, les aviateurs en l’air. Puis en la diffractant, chaque scène étant revisitée depuis le point de vue, à chaque fois différent et enrichi, d’un des protagonistes. On n’y prête pas attention au début, mais on réalise rapidement la subtile marqueterie du scénario, qui rend intelligible d’immenses scènes de bataille qui auraient pu ne pas l’être.

Loin d’être une faiblesse, l’une des richesses du film est de ne pas raconter d’histoire – comme le faisait par exemple Spielberg dans Il faut sauver… ou Malick dans La Ligne rouge. Les héros se réduisent à une silhouette, à tel point qu’on peine à reconnaître Tom Hardy ou Cillian Murphy. Les scènes sont quasiment muettes. Et la musique de Hans Zimmer – que j’adore mais que certains détestent – est omniprésente.

Cloué à son fauteuil, on ne regarde pas sa montre un seul instant. Et au sortir de la salle, encore étourdi par autant de bruit et de fureur, on emporte avec soi le souvenir durable d’un film qui laissera une trace profonde.

La bande-annonce

À voix haute ★★★☆

Le concours Eloquentia désigne chaque année le meilleur orateur parmi les étudiants de Paris 8 et les habitants de Seine-Saint-Denis. Une formation y prépare qu’animent un avocat, une dramaturge, un slameur…
Stéphane de Freitas a fondé ce concours et l’a filmé. Diffusé sur YouTube puis sur France 2 l’automne dernier, À voix haute a eu une tel succès que sa sortie en salles a été décidée dans un format légèrement étendu.

Le résultat m’a enthousiasmé.
Bien sûr, j’ai conscience de ses limites – qui me retiennent de lui conférer une quatrième étoile. Il s’agit d’un documentaire très classique qui suit quelques candidats le temps de leur formation jusqu’au concours. Le rythme du récit est scandé par le compte à rebours du jour J et sa dramaturgie chorale utilise les candidats les plus attachants.
Il s’agit aussi d’un documentaire extrêmement bienpensant où la diversité ethnique de ces jeunes, tous formidables, font parfois penser à une publicité Benetton (Laila, la féministe voilée d’origine syrienne, Eddy, le franco-algérien, Franck et El Hadj les Blacks, etc.)

Mais que diable ! Ne soyons pas pisse-vinaigre ! À condition de ne pas être trop scrogneugneu, à condition d’accepter de se laisser entraîner, À voix haute est incroyablement euphorisant. Parce qu’on se laisse prendre par le suspense du concours, affligés par l’échec des uns, réjouis de la qualification des autres. Parce que l’enthousiasme de ces jeunes gens, qui suivent avec une exemplaire assiduité la formation qui leur est proposée, est communicative. Parce qu’enfin on reste pantois devant leur talent, qu’il s’agisse d’Eddy, cet acteur né qui marche chaque jour près de dix kilomètres jusqu’à la petite gare de l’Aisne où un train le conduit à Saint-Denis ou de Souleila Mahiddin dont je vous fiche mon billet qu’on la reverra très bientôt au sommet de l’affiche.

La bande-annonce