Pourquoi la guerre ☆☆☆☆

Pourquoi la guerre est le dernier film en date d’Amos Gitaï, le grand réalisateur israélien. Projeté à la Mostra de Venise en septembre 2024, il n’a pas encore trouvé de distributeur en France. J’ai eu la chance de le voir au MK2 Beaubourg.

Pourquoi la guerre fait fond sur les deux courriers que se sont écrits Albert Einstein et Sigmund Freud à l’initiative de la Société des Nations en 1932. Le scientifique, interprété par Micha Lescot, et le père de la psychanalyste, joué par Mathieu Amalric (auquel Amos Gitai avait déjà fait traverser Jérusalem en tramway) recherchent les moyens d’éviter au monde les fléaux de la guerre et, pour ce faire, s’interrogent sur ses origines.

On dira que le propos est d’une brûlante actualité. Je n’en suis pas si sûr. Les échanges entre Einstein et Freud, non contents d’être terriblement fumeux et indigestes, m’ont semblé hors d’âge. Car, si la guerre n’a pas disparu, elle présente aujourd’hui des caractéristiques bien différentes de celles de la Grande Guerre dont les deux épistoliers redoutaient, à raison, la réédition.

Les deux acteurs sont parfaitement grimés pour ressembler le plus possible à leurs illustres personnages. Ils sont filmés avec une fausse distanciation brechtienne dans des postures très théâtrales déclamant leur texte alors même que la forme épistolaire n’avait pas la vocation à être déclamée. S’intercalent entre leurs face-à-face quelques parenthèses musicales d’une grande beauté et des scènes énigmatiques, interprétées par Irène Jacob (une fidèle d’Amos Gitai qui jouait récemment le premier rôle de Shikun) que rejoint son mari, Jérôme Kircher, pour une scène de ménage censée peut-être montrer que la violence au sein du couple est la métaphore de la guerre entre les Nations.

On s’ennuie ferme devant ce cinéma faussement expérimental et on se désespère qu’Amos Gitai qui signa des films si marquants au tournant des années 2000 (Kadosh, Kippour, Kedma), se perde depuis quelques années dans des chemins de traverse aux allures de cul-de-sac.

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Frantz Fanon ☆☆☆☆

Passé à la postérité pour ses écrits anticolonialistes (Peaux noires, Masques blancs en 1951, Les Damnés de la terre en 1961) et pour son engagement aux côtés des indépendantistes algériens, Frantz Fanon fut médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville de 1953 à 1956. Fanon s’employa à y mettre en oeuvre les méthodes de la « psychothérapie institutionnelle » qu’il avait apprises de son maître, le docteur François Tosquelles à l’hôpital de Saint-Alban.

Ce Fanon-là sort trois mois après celui réalisé par Jean-Claude Barny qui avait engrangé un beau succès public, dépassant les deux cent mille entrées. Pourquoi un tel doublon ? Parce qu’on fête cette année le centenaire de la naissance de Fanon. Parce que surtout les deux projets se sont montés parallèlement en s’ignorant mutuellement, le premier en France, le second, qui lui est en fait antérieur, en Algérie. On imagine volontiers l’agacement de chacune des équipes quand elles ont appris l’existence du projet de l’autre.

Car les deux films se superposent parfaitement. Seule différence : celui de Jean-Claude Barny se prolongeant jusqu’à la mort de Fanon alors que celui de Abdenour Zahzah s’arrête à son départ de Blida. Autre différence : le film de Zahzah ne parle quasiment pas de l’engagement politique de Fanon ni de ses livres, se bornant scrupuleusement à décrire son activité réformatrice au sein de l’hôpital.

Tout ce qu’il raconte et qu’on a déjà vu dans le précédent film est l’engagement du médecin auprès de ses malades pour en améliorer le sort à rebours des usages rétrogrades qui prévalaient à l’époque et malgré les résistances de ses collègues conservateurs et racistes.

J’avais éreinté le Fanon de Barny, ne lui mettant aucune étoile. Pourtant, il surpasse sur tous les tableaux celui de Zahzah qui accumule les défauts. Son manque de budget se voit à chaque plan. Le pire : son interprétation calamiteuse par des acteurs qui récitent besogneusement leur texte (la prime allant à la malheureuse interprète de Josie Fanon là où Deborah François arrivait à lui donner tant de charme).

S’il n’y avait eu Valensole 1965, Frantz Fanon aurait emporté haut la main le prix du navet de l’été.

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Materialists ★☆☆☆

Lucy (Dakota Johnson) est une « match-makeuse » professionnelle. Elle travaille pour l’une des plus prestigieuses agences de rencontres new-yorkaises qui, moyennant quelques dizaines de milliers de dollars, vous trouvera l’âme sœur.e vous correspondant le mieux.
Lucy est célibataire et matérialiste. Son cœur balance entre Harry (Pedro Pascal), un banquier terriblement séduisant, et John (Chris Evans), son ex, éternellement fauché.

J’ai beaucoup hésité à aller voir ce film hollywoodien sorti depuis le 4 juillet. Son affiche et son pitch me laissaient redouter une romcom sans originalité. Si je me suis laissé convaincre, c’est moins par le charme de ses trois têtes d’affiche que sur le nom de sa réalisatrice. Celine Song a en effet signé Past Lives en 2023. Elle y disséquait avec beaucoup de finesse les ressorts du couple. J’en attendais autant de Materalists.

J’ai été amèrement déçu. Certes Dakota Johnson, Pedro Pascal et Chris Evans y sont, chacun à leur façon, sexy en diable. Mais c’est bien là la seule qualité de ce film trop long et au scénario languissant. On se tromperait en croyant qu’il porte un regard froid et cruel sur l’industrie du dating, sur les espoirs qu’elle suscite, sur les déceptions qu’elle cause, sur la part qu’y prennent les apparences et le matérialisme. Au contraire, Materialists délivre la même morale mielleuse que celle qu’Hollywood nous ressasse depuis La Mélodie du bonheur : l’amour, le vrai, ne s’embarrasse pas des différences sociales. Can’t buy me love

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Valensole 1965 ☆☆☆☆

À l’aube du 1er juillet 1965, à Valensole, près de Manosque, Maurice Masse, un paysan, affirme avoir vu une soucoupe volante se poser dans son champ de lavande et deux extra-terrestres en sortir.

Ce témoignage avait réjoui les gazetiers l’espace d’un été, qui s’étaient gentiment moqué des hallucinations de ce paysan provençal. Le petit bourg bas-alpin (car le département s’appelait alors les Basses-Alpes avant d’opter en 1970 pour un titre moins dépréciatif) connut une célébrité éphémère et vit affluer les curieux, les hippies et les ufologues.

Le problème du film de Dominique Filhol est qu’il traite l’histoire au premier degré. Il le fait sur le mode de la reconstitution historique à la Pagnol, avec l’accent obligatoire pour tous ses personnages et des couchers de soleil somptueux sur la lavande provençale. On se croirait dans une publicité pour Ricard ou pour l’Occitane ! Pastichant Raimu ou Gabin, Matthias Van Khache joue Maurice Masse, étourdi par sa mésaventure, honteux de l’avoir racontée et d’être devenu la risée de tout un pays. Vahina Giocante, jeune première dans les années 2000, se reconvertit dans le rôle d’une sage épouse, prête à croire pour le bonheur de son mari à ses mensonges.

Valensole 1965 se tient au plus près des faits. C’est bien sa limite ; car les faits se limitent à pas grand chose. Pourtant, le sujet n’était pas inintéressant qui se serait prêté à toutes sortes de développements, des plus comiques aux plus sérieux. Les soucoupes volantes et les petits bonhommes verts – comme les apparitions de la Vierge au siècle précédent – sont des faits sociologiques passionnants qui nous disent beaucoup de notre époque, de nos peurs, de nos fantasmes. Il est d’ailleurs étonnant qu’on n’en croise plus guère. Pourtant le sujet n’a rien perdu de son actualité à l’heure des intox et des débunkages plus ou moins convaincants. Si certains croient que la Terre est plate – ou que Brigitte Macron est un homme – pourquoi ne croirait-on pas qu’existent dans l’Univers des formes d’existence extra-terrestre ?!

Des petits bonhommes verts ont-ils vraiment croisé la route de Maurice Masse le 1er juillet 1965 ? Le film aurait été bien maladroit s’il avait tranché cette énigme, dans un sens ou dans un autre. Il évite cet écueil ; mais il échoue sur tant d’autres que son résultat ne se hisse pas au-dessus du niveau d’un mauvais téléfilm.

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L’Aventura ☆☆☆☆

Sophie (Letourneur) part en vacances en Sardaigne avec ses deux enfants, Claudine, onze ans et Raoul, trois ans. Son compagnon Jean-Philippe (Philippe Katerine) les accompagne.

Sympathique trublion du nouveau cinéma français (La Vie au ranch, Les Coquillettes), Sophie Letourneur reproduit le même dispositif que celui qu’elle avait déjà utilisé dans Voyages en Italie : utiliser ses souvenirs de vacances pour en faire la matière d’un film de fiction…. où elle se met en scène en train de réfléchir au film qu’elle va tourner à partir de ses souvenirs de vacances. Rassurez vous ! Le dispositif est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît. Pour le résumer méchamment : c’est l’histoire d’une réalisatrice qui se regarde le nombril en train de bronzer.

Pour faire bonne mesure, elle utilise une nouvelle fois le titre d’un classique du cinéma italien. Après Rossellini, voici Antonioni. Un troisième volet est annoncé pour clore le triptyque. Où sera-t-il tourné ? À Rome ? Dans une île grecque ? Quel titre aura-t-il ? Vacances romaines ? Mamma Mia ?

Sophie Letourneur part d’un postulat très naturaliste : nos vacances, ce sont avant tout mille petites galères, les gamins stridents, le sable qui gratte sur les sièges en skaï d’une voiture chauffée à blanc, le GPS qui nous perd, la location meublée qui ne ressemble pas à l’image qu’on s’en faisait… Bref, les vacances ne ressemblent pas aux cartes postales qu’on envoie – ou qu’on poste désormais sur nos réseaux sociaux. C’est à cette vérité-là que Sophie Letourneur s’attache.

Mais ce parti pris séduisant vire dans un radicalisme qui devient vite insupportable. De ses vacances, la réalisatrice ne nous montre que ces moments-là, stressants, exaspérants, épuisants. Pas un seul moment de répit, de bonheur. Rien n’est à sauver dans ces vacances, pas un seul coucher de soleil, pas une seule seconde de félicité à se plonger dans la Méditerranée ou à lézarder au soleil, pas une seule rencontre… Comme si ce voyage en Sardaigne se réduisait à une somme de désagréments. Tout y passe : des cacas du gamin, des crises de jalousie de la gamine, de la misanthropie de Philippe Katerine – qui ne nous fait pas rire une seule fois.

On souffre déjà suffisamment dans le TGV aux côtés du gamin insupportable de nos voisins pour ne pas avoir le masochisme d’aller au cinéma voir le même se tortiller sur son siège pendant une heure trente !

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28 ans plus tard ☆☆☆☆

Vingt-huit ans plus tôt, le virus de la Fureur (en anglais Rage Virus) s’est répandu en Angleterre infestant toute la population. Le reste du monde a réussi à s’en protéger, mais a mis l’archipel britannique en quarantaine. Au large de ses côtes, sur une île minuscule, s’est installée une petite communauté villageoise. Spike, douze ans, est le fils d’Aaron et d’Isla, atteinte d’une grave maladie cérébrale. Après avoir passé avec succès avec son père l’épreuve d’initiation, Spike décide de partir avec sa mère à la recherche d’un mystérieux médecin capable de la soigner.

Faut-il que le salaire promis à Danny Boyle ait été rondelet pour le convaincre, un quart de siècle après avoir réalisé 28 jours plus tard, de remettre l’ouvrage sur le métier et de signer cette suite dispensable ! Les plus âgés se souviennent du film sorti en 2002 et de son premier plan hallucinant : Cillian Murphy (dont le film avait lancé la carrière), sortant du coma et traversant, dans sa blouse d’hôpital, la capitale anglaise silencieuse et dévastée par un mal mystérieux. Le film avait déjà eu une suite, franchement mauvaise, 28 semaines plus tard.

28 ans plus tard est calibré pour attirer les fans du premier film, comme moi, tout en assurant à ceux qui ne l’ont pas vu qu’ils seront capables de comprendre sa vraie/fausse suite. Il recycle, sans y rien ajouter, sinon la présence d’un « mâle alpha », plus intelligent, plus endurant et plus violent que ses congénères, la trame habituelle des films de zombies : des créatures cannibales menacent d’infecter ce qui reste de l’humanité.

Son scénario est particulièrement peu crédible : qui irait croire qu’un gamin de douze ans est capable de déjouer l’attention des habitants de son village pour prendre avec sa mère la poudre d’escampette et survivre au milieu d’un territoire infesté de créatures menaçantes ? Interdit aux moins de seize ans, il n’est pas particulièrement traumatisant, sinon avec une scène à déconseiller aux femmes enceintes. 28 ans plus tard trouve néanmoins un peu d’intérêt avec l’apparition tardive de Ralph Fiennes, toujours aussi génial, avec son sourire mielleux, une sorte de Dr Kurtz (le héros d’Apocalypse now), le corps enduit de bétadine, au milieu d’une forêt de crânes.

À noter que le film commence et se termine par deux scènes curieuses. Leur seule fonction est d’annoncer une suite qui aurait déjà été tournée et qui sortira en salles début 2026. Pas sûr que j’aille la voir….

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Freud, la dernière confession ☆☆☆☆

Septembre 1939. Sigmund Freud a fui l’Autriche annexée par les nazis et s’est réfugié avec sa fille Anna en Angleterre. Il mourra d’ici la fin du mois d’un cancer du maxillaire qui le fait terriblement souffrir. L’octogénaire accepte de recevoir à son domicile londonien l’écrivain catholique C.S. Lewis qui vient de brosser de lui un portrait peu amène dans son dernier livre.

La psychanalyse a si profondément marqué le vingtième siècle que son « inventeur », Sigmund Freud, est lui-même devenu une figure emblématique dont le cinéma s’est emparé. Montgomery Clift lui a prêté ses traits pour l’imaginer, encore jeune, poser les bases de la psychanalyse après sa rencontre à Paris avec Charcot (John Huston, Freud passions secrètes). Viggo Mortensen imagine quelques années plus tard sa rencontre avec Carl Jung (David Cronenberg, A Dangerous Method).

Freud’s Last Session est inspiré d’une pièce de théâtre montée en 2009, elle-même tirée d’un livre écrit en 2002 par un psychiatre américain, Armand Nicholi, The Question of God. Nicholi avait donné pendant trente-cinq ans un cours à Harvard sur Freud et sur Lewis. Il inventa de toutes pièces une rencontre apocryphe entre les deux hommes et rassembla ses notes dans un livre au sous-titre explicite : C.S. Lewis and Sigmund Freud Debate God, Love, Sex, and the Meaning of Life.

Le film pâtit de sa filiation théâtrale. C’est du (mauvais) théâtre filmé où la danse de Saint-Guy dont semblent être affligés les deux protagonistes, qui n’arrêtent pas de se déplacer d’une pièce à l’autre, essaie de compenser le statisme du scénario. En quoi consiste-t-il ? En une interminable logomachie entre deux hommes. L’un croyait au Ciel, l’autre n’y croyait pas. Freud se moque du sentiment religieux dans lequel il voit une consolation illusoire aux souffrances du monde terrestre. Lewis reproche à Freud d’avoir plongé dans les remugles du subconscient et d’avoir banni toute idée de transcendance.

Ce face-à-face n’avance pas et devient vite ennuyeux. L’interrompent quelques flashbacks pour évoquer la vie de Freud à Vienne et les traumatismes de Lewis dans les tranchées de la Première Guerre mondiale et quelques plans consacrés à la fille de Freud, Anna, qui ne réussit pas à s’affranchir de la figure envahissante de son père et à assumer sa liaison avec son amie de cœur Dorothy Burlingham.

Sorti dans un circuit limité de salles aux Etats-Unis en 2023 et au Royaume Uni en 2024, Freud’s Last Session ne vaut guère que par son interprétation, si l’on goûte le jeu d’Anthony Hopkins, que je trouve personnellement trop insistant, le charme so british de Matthew Goode (Downton Abbey, The Crown) et l’incandescence de Liv Lisa Friers découverte dans Berlin Été 42.

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The Phoenician Scheme ★☆☆☆

Zsa-Zsa Korda (Benicio Del Toro), un richissime capitaine d’industrie, défie les innombrables tentatives d’assassinat perpétrées contre lui par ses concurrents, pour mener à bien un ultime projet. Sa fille unique (Mia Threapleton), à laquelle il vient de léguer sa fortune, et un répétiteur norvégien (Michael Cerra) l’accompagnent dans ce périlleux voyage.

Le dernier film de Wes Anderson fait beaucoup parler de lui dans une actualité cinématographique en pleine dépression post partum après que le rideau de Cannes s’est baissé. The Phoenician Scheme y était d’ailleurs en compétition officielle ; mais l’affiche du film n’évoque même pas cette sélection prestigieuse, la renommée du réalisateur lui assurant à elle seule une publicité suffisante.

Une exposition passionnante est actuellement consacrée à la Cinémathèque française au jeune génie texan, aujourd’hui âgé de cinquante-six ans déjà. Courez la voir si vous avez vu (et aimé) The Grand Budapest HotelMoonrise Kingdom ou À bord du Darjeeling Limited. Vous y verrez des croquis dessinés de la main du réalisateur, des costumes, des accessoires originaux…

J’ai lu sous la plume de la critique qu’après le trou d’air de ses deux derniers films (The French Dispatch et Astéroid City), Wes Anderson était revenu à son meilleur niveau. Certes – mais cela ne nous étonne plus – chaque plan, parfaitement millimétré, aux couleurs parfaitement harmonieuses, à l’éclairage parfait, constitue une œuvre d’art sur laquelle on aimerait s’arrêter. Mais la succession d’images parfaites ne suffit pas à faire un film.

Je fais à Wes Anderson depuis quelques films le même reproche bien sévère : il m’ennuie. Ces scénarios tintinesques n’ont aucun enjeu, aucun rythme, sinon celui de la répétition lassante des mêmes sketches d’une dizaine de minutes chacun qui sont l’occasion d’une (trop) courte apparition d’une des stars qui, au fil des films, s’est ajoutée au tableau de chasse impressionnant de Wes Anderson : Tom Hanks, Mathieu Amalric, Scarlett Johansson, Benedict Cumberbatch…. Sont intercalées entre ces saynètes d’autres en noir et blanc pendant lesquelles le héros, en état de mort clinique, comparaît devant un tribunal céleste, nouvelle occasion de donner une scène à quelques stars qui ne trouvaient pas leur place ailleurs : Willem Dafoe, Bill Murray, Charlotte Gainsbourg….

Mais il est un reproche plus grave encore que j’adresse au cinéma de Wes Anderson depuis The French Dispatch : son refus revendiqué de toute psychologie et, par voie de conséquence, l’absence de toute émotion qu’il suscite. Ses personnages bédéesques (bédéiques ? bédéistiques ?) ne sourient pas, ne pleurent pas. Ce sont des poupées de son qui s’agitent dans des décors aussi parfaits soient-ils.

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Rumours, nuit blanche au sommet ☆☆☆☆

Les chefs d’État et de gouvernement du G7 se réunissent en Allemagne sous la présidence de la chancelière fédérale (Cate Blanchett). Ils doivent rédiger une déclaration commune sur la crise. Mais quand la nuit tombe, ils se retrouvent coupés du monde, menacés par des hordes de zombies.

Guy Maddin est un réalisateur canadien connu pour ses œuvres poétiques et esthétisantes, souvent tournées en noir et blanc dans des paysages intemporels : The Saddest Music in the World (2003), Winnipeg mon amour (2007)…
Rumours relève d’une genre bien différent, celui de la farce politique. Il m’a rappelé Gaz de France (2016), une pochade à mon sens totalement ratée où Philippe Katerine interprétait le rôle d’un Président de la République isolé dans son bunker à la recherche d’un second souffle pour relancer sa popularité.

Guy Maddin louche du côté du film d’horreur avec ses nuits noires menaçantes et ses zombies hagards. Mais Rumours ne fait jamais peur.
Rumours est avant tout un film politique. Mais son message est bien mince : les leaders du G7 sont des clowns pathétiques et peureux, humains trop humains (l’Alméricain s’endort, le Français pérore, le Canadien drague….), incapables de se départir d’une langue de bois vide de sens.

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À la lueur de la chandelle ☆☆☆☆/★★★☆

André Gil Mata est un réalisateur portugais formé à la Film Factory de Béla Tarr, l’immense réalisateur hongrois aux films aussi longs (Le Tango de Satan dure sept heures trente) qu’hypnotisants. Si on rajoute que Mata se revendique des influences d’Andrei Tarkovski, de Chantal Akerman et de Manoel de Oliveira, son célèbre compatriote, on imagine à quel niveau d’exigence son cinéma se hisse.

À la lueur de la chandelle m’a inspiré des sentiments radicalement contradictoires. La lecture de l’excellente critique de Mathieu Macheret (c’est un pléonasme car toutes les critiques de Mathieu Macheret sont excellentes et leurs lectures sont pour moi une leçon d’humilité) m’avait mis en garde. N’étant pas un grand fan du cinéma contemplatif, j’aurais dû me méfier d’un film « presque impossible à raconter tant il se refuse à toute certitude narrative » et je n’aurais pas dû conclure trop vite « l’étrange et stimulant pacte d’hermétisme (au sens ésotérique) que le cinéaste noue avec son spectateur ».

Le visionnage fut une purge. De la première à la dernière minute, je me suis ennuyé comme un rat mort (comment diable un rat mort peut-il s’ennuyer ?). Chaque plan, étendu jusqu’au sadisme, a produit sur moi une irritation croissante, voire une hilarité difficilement contenue. Chaque silence d’un film quasiment muet – c’est le chat qu’on entend le plus – m’a semblé peser des tonnes. Paradoxalement, dans un film où il ne se passe quasiment rien, je n’ai pas compris grand chose, ne réussissant pas à identifier les différents personnages ni à saisir à quel âge de leur vie ils étaient filmés. Bref, je suis sorti de la salle en fulminant et en jurant qu’on ne m’y reprendrait pas (même si, évidemment, je suis allé voir dès le lendemain un film ouzbek sur un couple de vieux paysans).

Mais, après y avoir réfléchi, après m’être documenté, après avoir laissé mon irritation retomber, j’ai changé d’avis sur ce film exigeant. J’ai compris l’intention proustienne de l’auteur : faire revivre, sans s’attacher à la linéarité du récit, sans rien corriger de la confusion nébuleuse dans laquelle ils persistent, les souvenirs d’une vie attachée à la maison qui en fut le cadre.

Car – j’aurais peut-être dû commencer par là – À la lueur de la chandelle est une biographie. Celle de la  propre grand-mère du réalisateur, prénommée Alziria. Toute sa vie durant, jusqu’à sa mort en 2008, cette femme très pieuse a habité dans une grande maison bourgeoise du nord du Portugal. Une domestique brésilienne, Beatriz, l’a servie pendant près de soixante ans. Pour raconter cette vie immobile, Mata use d’un procédé exigeant et déroutant. Sans jamais quitter cette maison, sinon pour quatre promenades circulaires dans le jardin qui rythment le temps qui passe au clocher de l’église et les saisons qui se succèdent, il filme de longs plans silencieux des deux vieilles femmes qui se regardent en chiens de faïence et auxquelles reviennent des souvenirs enfouis.
On voit Alziria plus jeune, avec ses parents, pratiquant le piano et la peinture, mais sacrifiant toute ambition artistique et professionnelle, à un mariage sans amour et à l’éducation de ses enfants.

Vu sous cet angle, À la lueur de la chandelle est autrement plus intelligent et stimulant que l’impression que j’en avais en sortant de la salle. Il n’en reste pas moins que son visionnage fut une épreuve douloureuse dont je peinerai à me remettre.

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