Freud, la dernière confession ☆☆☆☆

Septembre 1939. Sigmund Freud a fui l’Autriche annexée par les nazis et s’est réfugié avec sa fille Anna en Angleterre. Il mourra d’ici la fin du mois d’un cancer du maxillaire qui le fait terriblement souffrir. L’octogénaire accepte de recevoir à son domicile londonien l’écrivain catholique C.S. Lewis qui vient de brosser de lui un portrait peu amène dans son dernier livre.

La psychanalyse a si profondément marqué le vingtième siècle que son « inventeur », Sigmund Freud, est lui-même devenu une figure emblématique dont le cinéma s’est emparé. Montgomery Clift lui a prêté ses traits pour l’imaginer, encore jeune, poser les bases de la psychanalyse après sa rencontre à Paris avec Charcot (John Huston, Freud passions secrètes). Viggo Mortensen imagine quelques années plus tard sa rencontre avec Carl Jung (David Cronenberg, A Dangerous Method).

Freud’s Last Session est inspiré d’une pièce de théâtre montée en 2009, elle-même tirée d’un livre écrit en 2002 par un psychiatre américain, Armand Nicholi, The Question of God. Nicholi avait donné pendant trente-cinq ans un cours à Harvard sur Freud et sur Lewis. Il inventa de toutes pièces une rencontre apocryphe entre les deux hommes et rassembla ses notes dans un livre au sous-titre explicite : C.S. Lewis and Sigmund Freud Debate God, Love, Sex, and the Meaning of Life.

Le film pâtit de sa filiation théâtrale. C’est du (mauvais) théâtre filmé où la danse de Saint-Guy dont semblent être affligés les deux protagonistes, qui n’arrêtent pas de se déplacer d’une pièce à l’autre, essaie de compenser le statisme du scénario. En quoi consiste-t-il ? En une interminable logomachie entre deux hommes. L’un croyait au Ciel, l’autre n’y croyait pas. Freud se moque du sentiment religieux dans lequel il voit une consolation illusoire aux souffrances du monde terrestre. Lewis reproche à Freud d’avoir plongé dans les remugles du subconscient et d’avoir banni toute idée de transcendance.

Ce face-à-face n’avance pas et devient vite ennuyeux. L’interrompent quelques flashbacks pour évoquer la vie de Freud à Vienne et les traumatismes de Lewis dans les tranchées de la Première Guerre mondiale et quelques plans consacrés à la fille de Freud, Anna, qui ne réussit pas à s’affranchir de la figure envahissante de son père et à assumer sa liaison avec son amie de cœur Dorothy Burlingham.

Sorti dans un circuit limité de salles aux Etats-Unis en 2023 et au Royaume Uni en 2024, Freud’s Last Session ne vaut guère que par son interprétation, si l’on goûte le jeu d’Anthony Hopkins, que je trouve personnellement trop insistant, le charme so british de Matthew Goode (Downton Abbey, The Crown) et l’incandescence de Liv Lisa Friers découverte dans Berlin Été 42.

La bande-annonce

The Phoenician Scheme ★☆☆☆

Zsa-Zsa Korda (Benicio Del Toro), un richissime capitaine d’industrie, défie les innombrables tentatives d’assassinat perpétrées contre lui par ses concurrents, pour mener à bien un ultime projet. Sa fille unique (Mia Threapleton), à laquelle il vient de léguer sa fortune, et un répétiteur norvégien (Michael Cerra) l’accompagnent dans ce périlleux voyage.

Le dernier film de Wes Anderson fait beaucoup parler de lui dans une actualité cinématographique en pleine dépression post partum après que le rideau de Cannes s’est baissé. The Phoenician Scheme y était d’ailleurs en compétition officielle ; mais l’affiche du film n’évoque même pas cette sélection prestigieuse, la renommée du réalisateur lui assurant à elle seule une publicité suffisante.

Une exposition passionnante est actuellement consacrée à la Cinémathèque française au jeune génie texan, aujourd’hui âgé de cinquante-six ans déjà. Courez la voir si vous avez vu (et aimé) The Grand Budapest HotelMoonrise Kingdom ou À bord du Darjeeling Limited. Vous y verrez des croquis dessinés de la main du réalisateur, des costumes, des accessoires originaux…

J’ai lu sous la plume de la critique qu’après le trou d’air de ses deux derniers films (The French Dispatch et Astéroid City), Wes Anderson était revenu à son meilleur niveau. Certes – mais cela ne nous étonne plus – chaque plan, parfaitement millimétré, aux couleurs parfaitement harmonieuses, à l’éclairage parfait, constitue une œuvre d’art sur laquelle on aimerait s’arrêter. Mais la succession d’images parfaites ne suffit pas à faire un film.

Je fais à Wes Anderson depuis quelques films le même reproche bien sévère : il m’ennuie. Ces scénarios tintinesques n’ont aucun enjeu, aucun rythme, sinon celui de la répétition lassante des mêmes sketches d’une dizaine de minutes chacun qui sont l’occasion d’une (trop) courte apparition d’une des stars qui, au fil des films, s’est ajoutée au tableau de chasse impressionnant de Wes Anderson : Tom Hanks, Mathieu Amalric, Scarlett Johansson, Benedict Cumberbatch…. Sont intercalées entre ces saynètes d’autres en noir et blanc pendant lesquelles le héros, en état de mort clinique, comparaît devant un tribunal céleste, nouvelle occasion de donner une scène à quelques stars qui ne trouvaient pas leur place ailleurs : Willem Dafoe, Bill Murray, Charlotte Gainsbourg….

Mais il est un reproche plus grave encore que j’adresse au cinéma de Wes Anderson depuis The French Dispatch : son refus revendiqué de toute psychologie et, par voie de conséquence, l’absence de toute émotion qu’il suscite. Ses personnages bédéesques (bédéiques ? bédéistiques ?) ne sourient pas, ne pleurent pas. Ce sont des poupées de son qui s’agitent dans des décors aussi parfaits soient-ils.

La bande-annonce

Rumours, nuit blanche au sommet ☆☆☆☆

Les chefs d’État et de gouvernement du G7 se réunissent en Allemagne sous la présidence de la chancelière fédérale (Cate Blanchett). Ils doivent rédiger une déclaration commune sur la crise. Mais quand la nuit tombe, ils se retrouvent coupés du monde, menacés par des hordes de zombies.

Guy Maddin est un réalisateur canadien connu pour ses œuvres poétiques et esthétisantes, souvent tournées en noir et blanc dans des paysages intemporels : The Saddest Music in the World (2003), Winnipeg mon amour (2007)…
Rumours relève d’une genre bien différent, celui de la farce politique. Il m’a rappelé Gaz de France (2016), une pochade à mon sens totalement ratée où Philippe Katerine interprétait le rôle d’un Président de la République isolé dans son bunker à la recherche d’un second souffle pour relancer sa popularité.

Guy Maddin louche du côté du film d’horreur avec ses nuits noires menaçantes et ses zombies hagards. Mais Rumours ne fait jamais peur.
Rumours est avant tout un film politique. Mais son message est bien mince : les leaders du G7 sont des clowns pathétiques et peureux, humains trop humains (l’Alméricain s’endort, le Français pérore, le Canadien drague….), incapables de se départir d’une langue de bois vide de sens.

La bande-annonce

À la lueur de la chandelle ☆☆☆☆/★★★☆

André Gil Mata est un réalisateur portugais formé à la Film Factory de Béla Tarr, l’immense réalisateur hongrois aux films aussi longs (Le Tango de Satan dure sept heures trente) qu’hypnotisants. Si on rajoute que Mata se revendique des influences d’Andrei Tarkovski, de Chantal Akerman et de Manoel de Oliveira, son célèbre compatriote, on imagine à quel niveau d’exigence son cinéma se hisse.

À la lueur de la chandelle m’a inspiré des sentiments radicalement contradictoires. La lecture de l’excellente critique de Mathieu Macheret (c’est un pléonasme car toutes les critiques de Mathieu Macheret sont excellentes et leurs lectures sont pour moi une leçon d’humilité) m’avait mis en garde. N’étant pas un grand fan du cinéma contemplatif, j’aurais dû me méfier d’un film « presque impossible à raconter tant il se refuse à toute certitude narrative » et je n’aurais pas dû conclure trop vite « l’étrange et stimulant pacte d’hermétisme (au sens ésotérique) que le cinéaste noue avec son spectateur ».

Le visionnage fut une purge. De la première à la dernière minute, je me suis ennuyé comme un rat mort (comment diable un rat mort peut-il s’ennuyer ?). Chaque plan, étendu jusqu’au sadisme, a produit sur moi une irritation croissante, voire une hilarité difficilement contenue. Chaque silence d’un film quasiment muet – c’est le chat qu’on entend le plus – m’a semblé peser des tonnes. Paradoxalement, dans un film où il ne se passe quasiment rien, je n’ai pas compris grand chose, ne réussissant pas à identifier les différents personnages ni à saisir à quel âge de leur vie ils étaient filmés. Bref, je suis sorti de la salle en fulminant et en jurant qu’on ne m’y reprendrait pas (même si, évidemment, je suis allé voir dès le lendemain un film ouzbek sur un couple de vieux paysans).

Mais, après y avoir réfléchi, après m’être documenté, après avoir laissé mon irritation retomber, j’ai changé d’avis sur ce film exigeant. J’ai compris l’intention proustienne de l’auteur : faire revivre, sans s’attacher à la linéarité du récit, sans rien corriger de la confusion nébuleuse dans laquelle ils persistent, les souvenirs d’une vie attachée à la maison qui en fut le cadre.

Car – j’aurais peut-être dû commencer par là – À la lueur de la chandelle est une biographie. Celle de la  propre grand-mère du réalisateur, prénommée Alziria. Toute sa vie durant, jusqu’à sa mort en 2008, cette femme très pieuse a habité dans une grande maison bourgeoise du nord du Portugal. Une domestique brésilienne, Beatriz, l’a servie pendant près de soixante ans. Pour raconter cette vie immobile, Mata use d’un procédé exigeant et déroutant. Sans jamais quitter cette maison, sinon pour quatre promenades circulaires dans le jardin qui rythment le temps qui passe au clocher de l’église et les saisons qui se succèdent, il filme de longs plans silencieux des deux vieilles femmes qui se regardent en chiens de faïence et auxquelles reviennent des souvenirs enfouis.
On voit Alziria plus jeune, avec ses parents, pratiquant le piano et la peinture, mais sacrifiant toute ambition artistique et professionnelle, à un mariage sans amour et à l’éducation de ses enfants.

Vu sous cet angle, À la lueur de la chandelle est autrement plus intelligent et stimulant que l’impression que j’en avais en sortant de la salle. Il n’en reste pas moins que son visionnage fut une épreuve douloureuse dont je peinerai à me remettre.

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Fanon ☆☆☆☆

Originaire de Martinique, noir de peau, formé en métropole à la psychiatrie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Frantz Fanon (Alexandre Bouyer) est affecté en 1953 à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville près d’Alger. Il y expérimente des méthodes novatrices auprès des patients jusqu’alors abandonnés à leur sort, y prend fait et cause pour les indépendantistes algériens et couche sur le papier, avec l’aide de sa femme Josie (Deborah François), ses réflexions sur le colonialisme.

Frantz Fanon (1925-1961) est passé à la postérité pour son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie et pour son analyse de la situation coloniale. Le réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny, adepte d’un cinéma engagé, n’était pas le moins bien placé pour tourner le biopic de ce célèbre Antillais.

À ma grande surprise, Fanon était diffusé, deux semaines après sa sortie, dans la plus grande salle de l’UGC Ciné Cité les Halles. Je pensais que la salle serait vide. Au contraire, elle était quasiment comble. Le public, très jeune, était d’origine africaine ou antillaise. Signe étonnant de la popularité toujours vivace de Fanon que j’imaginais à tort oublié et méconnu.

À la fin du film, les applaudissements furent nombreux. Etait-ce le film qu’on applaudissait ? ou son héros pour son courage et son engagement ? Que Frantz Fanon ait courageusement pris parti pour les populations colonisées infériorisées, qu’il ait dû affronter le racisme bas du front des colons blancs d’Algérie et qu’il mérite le respect pour la hauteur de vue de ses analyses et la pureté de son engagement est une chose. Que son biopic soit un bon film en est une autre.

Car hélas Fanon est un mauvais film, manichéen au possible, d’un académisme pesant, surligné par une musique omniprésente. Son héros est un surhomme qui dicte à son épouse des considérations sentencieuses sur la situation dont il est le témoin. Muré dans ses convictions, médicales ou politiques, il ne remet jamais sa pratique et ses convictions en cause, même quand la révolution algérienne se déchire et assassine froidement le leader du FLN qui l’y avait parrainé.

Frantz Fanon méritait mieux que ce biopic poussiéreux, engoncé dans sa propre importance.

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The Alto Knights ★☆☆☆

The Alto Knights raconte le combat fratricide que se sont livré à la fin des années 50 deux chefs de la mafia new yorkaise Frank Costello et Vito Genovese.

Le film, sorti en catimini par Warner, sans projection de presse ni publicité, ressemble à un voyage dans le temps. Trois octogénaires sont aux manettes : Robert De Niro, en tête d’affiche joue lui-même les deux rôles principaux, Barry Levinson (Good Morning VietnamRain Man) est à la réalisation, Nicholas Pileggi (Les Affranchis, Casino) au scénario. Ils auraient pu tourner le même film quarante ans plus tôt. D’ailleurs le film était en développement depuis les années 70.

Comme déjà dans The Irishman de Scorsese, Robert De Niro joue grimé, sous une couche de latex qui le rend presque méconnaissable. Pourquoi lui avoir fait interpréter les deux rôles principaux, qui grandirent ensemble avant que leurs chemins ne se séparent ? pour faire des économies de cachet ? pour insister sur leur gémellité ? On s’interroge.

The Alto Knights a tous les atours des grands films classiques de la mafia. mais tout y est démodé : le jeu des acteurs, l’élégance des toilettes et des grosses cylindrées, l’absence d’humour, le rythme pépère du scénario…

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La Convocation ☆☆☆☆

Elisabeth est convoquée à l’école de son fils, Armand, six ans. Sarah et Anders accusent l’enfant d’avoir agressé leur fils Jon. La maîtresse des deux enfants est une jeune institutrice inexpérimentée et pleine de bonnes intentions qui essaie d’assurer une médiation entre les trois adultes. Vite dépassée par leur hostilité, elle passe le relais au directeur de l’école.

L’âge venant, je développe une fâcheuse tendance au radotage. Ma critique ce matin va suivre la même construction que celle d’hier – et que celle de tant d’autres avant elle.

Je vais commencer par dire que j’attendais beaucoup de ce film norvégien, réalisé par le petit-fils d’Ingmar Bergman et de Liv Ullman, auréolé de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, interprété par la révélation de Julie (en 12 chapitres) et dont la bande-annonce avait excité ma curiosité. Quels faits mystérieux ont provoqué la « convocation » (c’est le titre français de l’original Armand) de la mère du garçonnet ? quel conflit va se nouer entre les parents et le corps enseignant ? comment va-t-il se résoudre ?

Je vais ensuite ronchonner en regrettant que mes attentes aient été lourdement déçues. En effet, La Convocation se réduit vite à un face-à-face très plat entre deux positions irréductibles. D’un côté celle de Sarah, la mère de Jon : mon fils a été agressé et l’école doit prendre au sérieux cette affaire (mais, on ne comprend pas ce que la mère de Jon attend : des excuses ? une réparation ? l’exclusion définitive d’Armand ? le retrait de la garde de sa mère ?). De l’autre le déni d’Elisabeth, la mère d’Armand : mon fils n’est pas capable et donc pas coupable de ce dont vous l’accusez.

Ce face-à-face stérile est interrompu par des pauses pipi qui sont l’occasion d’autant de tête-à-tête entre les différents protagonistes : entre Elisabeth et Sarah dont on apprend qu’elle est sa belle-soeur, entre Sarah et Anders qui se révèlent pas si unis que ça autour de la défense de leur fils, entre Elisabeth et le directeur de l’école qui fut, jadis, son propre enseignant. Il est également interrompu par le déclenchement inopiné de l’alarme incendie de l’école et le fou-rire nerveux qu’elle provoque chez Elisabeth. L’événement serait cocasse s’il ne s’étirait pas interminablement pendant une dizaine de minutes, semant malaise et consternation parmi les participants de la réunion… et les spectateurs du film.

Mais il y a pire encore. Le comble est atteint dans le tiers du film qui, de façon impromptue, verse dans le délire onirique. On y voit, sans y rien comprendre, avant un épilogue qui nous ramène à la réalité, Elisabeth embarquée dans un sabbat démoniaque et muet.

Il est temps de clore ce coup de gueule en évoquant un autre film qui, sur le même sujet, m’avait autrement convaincu. Il s’agissait, l’an dernier, de l’allemand La Salle des profs, qui, avec un sens du scénario autrement plus maîtrisé, interrogeait dans le huis clos d’un collège les notions de justice, de culpabilité, de faute, de pardon…

La bande-annonce

Queer ★☆☆☆

Héroïnomane invétéré, William Lee, double autobiographique de William Burroughs, a quitté les Etats-Unis pour le Mexique où il peut consommer sans crainte de la police. Homosexuel revendiqué, il tombe sous le charme d’Eugene Allerton, un jeune éphèbe à l’identité sexuelle encore indécise. Le couple décide d’aller visiter l’Amérique du sud et de s’enfoncer dans la jungle amazonienne, à la recherche du yagé, une plante hallucinogène.

Auréolé du succès de ses films précédents, et notamment de Call Me by Your Name qui a fait de lui une icône gay, l’Italien Luca Guadagnino s’attaque à un monument de la littérature. L’œuvre de William Burroughs, qu’on disait inadaptable, a déjà été portée à l’écran par David Cronenberg dans un film devenu culte, Le Festin nu.

Parce que j’ai vu récemment le film de Cronenberg, je l’avais constamment à l’esprit pendant ce Queer. J’ai retrouvé dans Queer le même scénario organisé – comme le sont les livres de Burroughs – en chapitres très différents les uns des autres, la même insertion de scènes oniriques censées retranscrire les rêves et les cauchemars de son héros sous substance, la même tendance à l’esthétisation.

Il faut reconnaître que les décors de Queer sont particulièrement réussis. Le film a été tourné en studio à Cinecitta avec des décors en carton pâte, volontairement artificiels, qui donnent à l’image une saveur originale. Mais c’est là la seule qualité d’un film qui, pour le reste, m’a déplu.

Je n’ai pas trouvé particulièrement transgressive l’interprétation de Daniel Craig. On imagine que les producteurs, en recrutant la star hypertestostéronée des James Bond, ont voulu défier les canons de la virilité. Le procédé fait pschitt : Daniel Craig décidément moins beau que dans mon souvenir [je n’exclus pas que la jalousie me fasse parler], affublé d’une coiffure improbable, est pathétique dans le rôle d’un amoureux transi. Son compagnon, interprété par Drew Starkey, se contente d’être beau – et il l’est certes, plus qu’à son tour. Les scènes de sexe sont crues ; mais les producteurs se sont bien gardés de franchir la ligne rouge qui les aurait exposés aux foudres (avec un d) de la censure.

Le film, interminable, dure plus de deux heures. Il contient vers la toute fin une scène dont on fait grand cas, d’une grande beauté plastique. Hélas, ma patience avait cédé depuis longtemps pour me permettre de l’apprécier à sa juste mesure.

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Le Système Victoria ☆☆☆☆

Architecte frustré, David (Damien Bonnard) dirige la construction d’une immense tour dans le quartier de La Défense. Il est l’objet de pressions contradictoires, de son patron qui exige de lui de tenir des délais intenables et des propriétaires koweitiens qui tentent de le corrompre pour ralentir la cadence afin d’éviter de réceptionner des bureaux qui n’ont pas encore de locataires. C’est alors qu’il rencontre la mystérieuse Victoria (Jeanne Balibar), DRH d’une multinationale basée à Bruxelles.

Avec son sous-titre en forme de triptyque Pouvoir/Ambition/Passion, ses deux têtes d’affiche, et son réalisateur prometteur (il avait signé les très politiques La Campagne de France et De grandes espérances), cette adaptation du très bankable Eric Reinhardt (un autre de ses romans, L’Amour et les Forêts, vient d’être porté à l’écran par Valérie Donzelli) avait de quoi mettre l’eau à la bouche.

J’ai pourtant été très déçu. Pour trois raisons.

Avec sa voix à nulle autre pareille et son élégance éthérée, Jeanne Balibar se glisse à merveille dans le personnage de Victoria. Damien Bonnard, plus terrien, fait un bon David. Mais la rencontre de ces deux acteurs (et/ou de ces deux personnages) ne fonctionne pas. On ne croit pas un seul instant dans le couple qu’ils forment. L’érotisme que le film est censé véhiculer est aux abonnés absents. Et le comble du ridicule n’est pas loin d’être atteint quand notre couple désassorti se retrouve (pourquoi ? pour qui ?) dans une boîte échangiste.

Le film est tendu par un suspense : y a-t-il derrière la rencontre de David et de Victoria un agenda caché ? On en aura la révélation à la toute fin du film. Reconnaissons, sans en rien spoiler, que cette révélation est étonnante. Mais elle arrive bien tard pour un film qui aurait pu être bien plus court. Ne nous plaignons pas pour autant : il dure une heure quarante à peine alors que le livre – que je n’ai pas lu – dépasse les six cents pages dont je me demande bien ce qu’elles racontent de plus.

Troisièmement : Eric Reinhardt et Sylvain Desclous affirment avoir voulu signer une oeuvre politique qui dénonce (comme hier Mickey 17) l’exploitation de l’homme par l’homme. Sauf que le film de science-fiction de Bong Joon-ho était autrement plus riche et se prenait nettement moins au sérieux que ce drame lent et lourdaud qui enfonce les portes ouvertes (oui ! l’homme hélas est toujours un loup pour l’homme et on est toujours le dupe de plus puissant que soi) – et dévale les escaliers.

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À bicyclette ! ☆☆☆☆


Youri, le fils de Mathias Mlekuz, s’est suicidé en 2022. Son père, dévasté de chagrin, a entrepris de refaire le voyage en vélo que son fils avait effectué quatre ans plus tôt, de La Rochelle à Istanbul. Son vieil ami, Philippe Rebbot, l’accompagne. Il lui souffle l’idée de documenter leur voyage et d’en faire un film.

Perdre un enfant est pour un parent la plus grande souffrance qui puisse s’imaginer. Un suicide la rend plus cruelle encore, ajoutant la culpabilité à la douleur de la perte. J’en parle d’expérience : ma sœur s’est suicidée en 1994, laissant ma mère en miettes.

Dès la première scène, Mathias Mlekuz nous prend en otage de son deuil. Elle se déroule sur les bords de l’Atlantique, près de La Rochelle. Le réalisateur entouré de quelques amis y prononce un discours plein d’émotion et enfourche sa bicyclette. Direction : le Bosphore ! C’est le début d’un long voyage cathartique entre amis. Car le père inconsolable peut s’appuyer sur son ami de toujours : l’acteur Philippe Rebbot, alcoolique, tabagique… et empathique.

Avant de voir L’Attachement, je redoutais la surenchère lacrymale. Le miracle a eu lieu et le film exceptionnel de Carine Tardieu – auquel j’ai bien failli mettre quatre étoiles – m’a emporté. Même crainte à l’entame d’À bicyclette ! Mais la crainte hélas ici s’est révélée fondée. Car très vite, le vrai-faux documentaire s’installe dans un rythme ronronnant : des travellings champêtres avec nos deux cyclistes traversant l’Europe alternent avec de longs dialogues alcoolisés larmoyants durant lesquels Mathias expulse son chagrin et Philippe fait l’apologie de l’amitié. Soyons honnêtes : le film raconte aussi des rencontres comme celle, hilarante, avec une propriétaire de Airbnb control freak et… nudiste.

Le malaise augmente encore lorsqu’on réfléchit à la construction du film. La caméra, muette et invisible, pourrait nous laisser penser qu’elle a glané des moments sur le vif. Mais À bicyclette ! a été écrit et À bicyclette ! est joué – par des acteurs au demeurant excellents. Sa spontanéité ne pouvait être que feinte. Quant Mathias pleure, l’opérateur son a peut-être réclamé une seconde prise à cause d’un bruit parasite. Quand Mathias et Philippe s’engueulent, il a peut-être fallu recommencer la prise parce que la lumière était mauvaise.

Je me suis retrouvé à la fin du film très agacé par ce produit frelaté. J’ai eu le sentiment que son réalisateur, au chagrin, je le répète, ô combien légitime, s’était acheté une psychanalyse aux frais des spectateurs. Sa sincérité indiscutable s’est laissée dépassée par sa roublardise. Mon coup de gueule apparaîtra sans doute bien injuste à ceux que le film a émus. Mais le procédé, impudique et artificieux, ne laisse de me déranger.

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