À la lueur de la chandelle ☆☆☆☆/★★★☆

André Gil Mata est un réalisateur portugais formé à la Film Factory de Béla Tarr, l’immense réalisateur hongrois aux films aussi longs (Le Tango de Satan dure sept heures trente) qu’hypnotisants. Si on rajoute que Mata se revendique des influences d’Andrei Tarkovski, de Chantal Akerman et de Manoel de Oliveira, son célèbre compatriote, on imagine à quel niveau d’exigence son cinéma se hisse.

À la lueur de la chandelle m’a inspiré des sentiments radicalement contradictoires. La lecture de l’excellente critique de Mathieu Macheret (c’est un pléonasme car toutes les critiques de Mathieu Macheret sont excellentes et leurs lectures sont pour moi une leçon d’humilité) m’avait mis en garde. N’étant pas un grand fan du cinéma contemplatif, j’aurais dû me méfier d’un film « presque impossible à raconter tant il se refuse à toute certitude narrative » et je n’aurais pas dû conclure trop vite « l’étrange et stimulant pacte d’hermétisme (au sens ésotérique) que le cinéaste noue avec son spectateur ».

Le visionnage fut une purge. De la première à la dernière minute, je me suis ennuyé comme un rat mort (comment diable un rat mort peut-il s’ennuyer ?). Chaque plan, étendu jusqu’au sadisme, a produit sur moi une irritation croissante, voire une hilarité difficilement contenue. Chaque silence d’un film quasiment muet – c’est le chat qu’on entend le plus – m’a semblé peser des tonnes. Paradoxalement, dans un film où il ne se passe quasiment rien, je n’ai pas compris grand chose, ne réussissant pas à identifier les différents personnages ni à saisir à quel âge de leur vie ils étaient filmés. Bref, je suis sorti de la salle en fulminant et en jurant qu’on ne m’y reprendrait pas (même si, évidemment, je suis allé voir dès le lendemain un film ouzbek sur un couple de vieux paysans).

Mais, après y avoir réfléchi, après m’être documenté, après avoir laissé mon irritation retomber, j’ai changé d’avis sur ce film exigeant. J’ai compris l’intention proustienne de l’auteur : faire revivre, sans s’attacher à la linéarité du récit, sans rien corriger de la confusion nébuleuse dans laquelle ils persistent, les souvenirs d’une vie attachée à la maison qui en fut le cadre.

Car – j’aurais peut-être dû commencer par là – À la lueur de la chandelle est une biographie. Celle de la  propre grand-mère du réalisateur, prénommée Alziria. Toute sa vie durant, jusqu’à sa mort en 2008, cette femme très pieuse a habité dans une grande maison bourgeoise du nord du Portugal. Une domestique brésilienne, Beatriz, l’a servie pendant près de soixante ans. Pour raconter cette vie immobile, Mata use d’un procédé exigeant et déroutant. Sans jamais quitter cette maison, sinon pour quatre promenades circulaires dans le jardin qui rythment le temps qui passe au clocher de l’église et les saisons qui se succèdent, il filme de longs plans silencieux des deux vieilles femmes qui se regardent en chiens de faïence et auxquelles reviennent des souvenirs enfouis.
On voit Alziria plus jeune, avec ses parents, pratiquant le piano et la peinture, mais sacrifiant toute ambition artistique et professionnelle, à un mariage sans amour et à l’éducation de ses enfants.

Vu sous cet angle, À la lueur de la chandelle est autrement plus intelligent et stimulant que l’impression que j’en avais en sortant de la salle. Il n’en reste pas moins que son visionnage fut une épreuve douloureuse dont je peinerai à me remettre.

La bande-annonce

Fanon ☆☆☆☆

Originaire de Martinique, noir de peau, formé en métropole à la psychiatrie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Frantz Fanon (Alexandre Bouyer) est affecté en 1953 à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville près d’Alger. Il y expérimente des méthodes novatrices auprès des patients jusqu’alors abandonnés à leur sort, y prend fait et cause pour les indépendantistes algériens et couche sur le papier, avec l’aide de sa femme Josie (Deborah François), ses réflexions sur le colonialisme.

Frantz Fanon (1925-1961) est passé à la postérité pour son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie et pour son analyse de la situation coloniale. Le réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny, adepte d’un cinéma engagé, n’était pas le moins bien placé pour tourner le biopic de ce célèbre Antillais.

À ma grande surprise, Fanon était diffusé, deux semaines après sa sortie, dans la plus grande salle de l’UGC Ciné Cité les Halles. Je pensais que la salle serait vide. Au contraire, elle était quasiment comble. Le public, très jeune, était d’origine africaine ou antillaise. Signe étonnant de la popularité toujours vivace de Fanon que j’imaginais à tort oublié et méconnu.

À la fin du film, les applaudissements furent nombreux. Etait-ce le film qu’on applaudissait ? ou son héros pour son courage et son engagement ? Que Frantz Fanon ait courageusement pris parti pour les populations colonisées infériorisées, qu’il ait dû affronter le racisme bas du front des colons blancs d’Algérie et qu’il mérite le respect pour la hauteur de vue de ses analyses et la pureté de son engagement est une chose. Que son biopic soit un bon film en est une autre.

Car hélas Fanon est un mauvais film, manichéen au possible, d’un académisme pesant, surligné par une musique omniprésente. Son héros est un surhomme qui dicte à son épouse des considérations sentencieuses sur la situation dont il est le témoin. Muré dans ses convictions, médicales ou politiques, il ne remet jamais sa pratique et ses convictions en cause, même quand la révolution algérienne se déchire et assassine froidement le leader du FLN qui l’y avait parrainé.

Frantz Fanon méritait mieux que ce biopic poussiéreux, engoncé dans sa propre importance.

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The Alto Knights ★☆☆☆

The Alto Knights raconte le combat fratricide que se sont livré à la fin des années 50 deux chefs de la mafia new yorkaise Frank Costello et Vito Genovese.

Le film, sorti en catimini par Warner, sans projection de presse ni publicité, ressemble à un voyage dans le temps. Trois octogénaires sont aux manettes : Robert De Niro, en tête d’affiche joue lui-même les deux rôles principaux, Barry Levinson (Good Morning VietnamRain Man) est à la réalisation, Nicholas Pileggi (Les Affranchis, Casino) au scénario. Ils auraient pu tourner le même film quarante ans plus tôt. D’ailleurs le film était en développement depuis les années 70.

Comme déjà dans The Irishman de Scorsese, Robert De Niro joue grimé, sous une couche de latex qui le rend presque méconnaissable. Pourquoi lui avoir fait interpréter les deux rôles principaux, qui grandirent ensemble avant que leurs chemins ne se séparent ? pour faire des économies de cachet ? pour insister sur leur gémellité ? On s’interroge.

The Alto Knights a tous les atours des grands films classiques de la mafia. mais tout y est démodé : le jeu des acteurs, l’élégance des toilettes et des grosses cylindrées, l’absence d’humour, le rythme pépère du scénario…

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La Convocation ☆☆☆☆

Elisabeth est convoquée à l’école de son fils, Armand, six ans. Sarah et Anders accusent l’enfant d’avoir agressé leur fils Jon. La maîtresse des deux enfants est une jeune institutrice inexpérimentée et pleine de bonnes intentions qui essaie d’assurer une médiation entre les trois adultes. Vite dépassée par leur hostilité, elle passe le relais au directeur de l’école.

L’âge venant, je développe une fâcheuse tendance au radotage. Ma critique ce matin va suivre la même construction que celle d’hier – et que celle de tant d’autres avant elle.

Je vais commencer par dire que j’attendais beaucoup de ce film norvégien, réalisé par le petit-fils d’Ingmar Bergman et de Liv Ullman, auréolé de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, interprété par la révélation de Julie (en 12 chapitres) et dont la bande-annonce avait excité ma curiosité. Quels faits mystérieux ont provoqué la « convocation » (c’est le titre français de l’original Armand) de la mère du garçonnet ? quel conflit va se nouer entre les parents et le corps enseignant ? comment va-t-il se résoudre ?

Je vais ensuite ronchonner en regrettant que mes attentes aient été lourdement déçues. En effet, La Convocation se réduit vite à un face-à-face très plat entre deux positions irréductibles. D’un côté celle de Sarah, la mère de Jon : mon fils a été agressé et l’école doit prendre au sérieux cette affaire (mais, on ne comprend pas ce que la mère de Jon attend : des excuses ? une réparation ? l’exclusion définitive d’Armand ? le retrait de la garde de sa mère ?). De l’autre le déni d’Elisabeth, la mère d’Armand : mon fils n’est pas capable et donc pas coupable de ce dont vous l’accusez.

Ce face-à-face stérile est interrompu par des pauses pipi qui sont l’occasion d’autant de tête-à-tête entre les différents protagonistes : entre Elisabeth et Sarah dont on apprend qu’elle est sa belle-soeur, entre Sarah et Anders qui se révèlent pas si unis que ça autour de la défense de leur fils, entre Elisabeth et le directeur de l’école qui fut, jadis, son propre enseignant. Il est également interrompu par le déclenchement inopiné de l’alarme incendie de l’école et le fou-rire nerveux qu’elle provoque chez Elisabeth. L’événement serait cocasse s’il ne s’étirait pas interminablement pendant une dizaine de minutes, semant malaise et consternation parmi les participants de la réunion… et les spectateurs du film.

Mais il y a pire encore. Le comble est atteint dans le tiers du film qui, de façon impromptue, verse dans le délire onirique. On y voit, sans y rien comprendre, avant un épilogue qui nous ramène à la réalité, Elisabeth embarquée dans un sabbat démoniaque et muet.

Il est temps de clore ce coup de gueule en évoquant un autre film qui, sur le même sujet, m’avait autrement convaincu. Il s’agissait, l’an dernier, de l’allemand La Salle des profs, qui, avec un sens du scénario autrement plus maîtrisé, interrogeait dans le huis clos d’un collège les notions de justice, de culpabilité, de faute, de pardon…

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Queer ★☆☆☆

Héroïnomane invétéré, William Lee, double autobiographique de William Burroughs, a quitté les Etats-Unis pour le Mexique où il peut consommer sans crainte de la police. Homosexuel revendiqué, il tombe sous le charme d’Eugene Allerton, un jeune éphèbe à l’identité sexuelle encore indécise. Le couple décide d’aller visiter l’Amérique du sud et de s’enfoncer dans la jungle amazonienne, à la recherche du yagé, une plante hallucinogène.

Auréolé du succès de ses films précédents, et notamment de Call Me by Your Name qui a fait de lui une icône gay, l’Italien Luca Guadagnino s’attaque à un monument de la littérature. L’œuvre de William Burroughs, qu’on disait inadaptable, a déjà été portée à l’écran par David Cronenberg dans un film devenu culte, Le Festin nu.

Parce que j’ai vu récemment le film de Cronenberg, je l’avais constamment à l’esprit pendant ce Queer. J’ai retrouvé dans Queer le même scénario organisé – comme le sont les livres de Burroughs – en chapitres très différents les uns des autres, la même insertion de scènes oniriques censées retranscrire les rêves et les cauchemars de son héros sous substance, la même tendance à l’esthétisation.

Il faut reconnaître que les décors de Queer sont particulièrement réussis. Le film a été tourné en studio à Cinecitta avec des décors en carton pâte, volontairement artificiels, qui donnent à l’image une saveur originale. Mais c’est là la seule qualité d’un film qui, pour le reste, m’a déplu.

Je n’ai pas trouvé particulièrement transgressive l’interprétation de Daniel Craig. On imagine que les producteurs, en recrutant la star hypertestostéronée des James Bond, ont voulu défier les canons de la virilité. Le procédé fait pschitt : Daniel Craig décidément moins beau que dans mon souvenir [je n’exclus pas que la jalousie me fasse parler], affublé d’une coiffure improbable, est pathétique dans le rôle d’un amoureux transi. Son compagnon, interprété par Drew Starkey, se contente d’être beau – et il l’est certes, plus qu’à son tour. Les scènes de sexe sont crues ; mais les producteurs se sont bien gardés de franchir la ligne rouge qui les aurait exposés aux foudres (avec un d) de la censure.

Le film, interminable, dure plus de deux heures. Il contient vers la toute fin une scène dont on fait grand cas, d’une grande beauté plastique. Hélas, ma patience avait cédé depuis longtemps pour me permettre de l’apprécier à sa juste mesure.

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Le Système Victoria ☆☆☆☆

Architecte frustré, David (Damien Bonnard) dirige la construction d’une immense tour dans le quartier de La Défense. Il est l’objet de pressions contradictoires, de son patron qui exige de lui de tenir des délais intenables et des propriétaires koweitiens qui tentent de le corrompre pour ralentir la cadence afin d’éviter de réceptionner des bureaux qui n’ont pas encore de locataires. C’est alors qu’il rencontre la mystérieuse Victoria (Jeanne Balibar), DRH d’une multinationale basée à Bruxelles.

Avec son sous-titre en forme de triptyque Pouvoir/Ambition/Passion, ses deux têtes d’affiche, et son réalisateur prometteur (il avait signé les très politiques La Campagne de France et De grandes espérances), cette adaptation du très bankable Eric Reinhardt (un autre de ses romans, L’Amour et les Forêts, vient d’être porté à l’écran par Valérie Donzelli) avait de quoi mettre l’eau à la bouche.

J’ai pourtant été très déçu. Pour trois raisons.

Avec sa voix à nulle autre pareille et son élégance éthérée, Jeanne Balibar se glisse à merveille dans le personnage de Victoria. Damien Bonnard, plus terrien, fait un bon David. Mais la rencontre de ces deux acteurs (et/ou de ces deux personnages) ne fonctionne pas. On ne croit pas un seul instant dans le couple qu’ils forment. L’érotisme que le film est censé véhiculer est aux abonnés absents. Et le comble du ridicule n’est pas loin d’être atteint quand notre couple désassorti se retrouve (pourquoi ? pour qui ?) dans une boîte échangiste.

Le film est tendu par un suspense : y a-t-il derrière la rencontre de David et de Victoria un agenda caché ? On en aura la révélation à la toute fin du film. Reconnaissons, sans en rien spoiler, que cette révélation est étonnante. Mais elle arrive bien tard pour un film qui aurait pu être bien plus court. Ne nous plaignons pas pour autant : il dure une heure quarante à peine alors que le livre – que je n’ai pas lu – dépasse les six cents pages dont je me demande bien ce qu’elles racontent de plus.

Troisièmement : Eric Reinhardt et Sylvain Desclous affirment avoir voulu signer une oeuvre politique qui dénonce (comme hier Mickey 17) l’exploitation de l’homme par l’homme. Sauf que le film de science-fiction de Bong Joon-ho était autrement plus riche et se prenait nettement moins au sérieux que ce drame lent et lourdaud qui enfonce les portes ouvertes (oui ! l’homme hélas est toujours un loup pour l’homme et on est toujours le dupe de plus puissant que soi) – et dévale les escaliers.

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À bicyclette ! ☆☆☆☆


Youri, le fils de Mathias Mlekuz, s’est suicidé en 2022. Son père, dévasté de chagrin, a entrepris de refaire le voyage en vélo que son fils avait effectué quatre ans plus tôt, de La Rochelle à Istanbul. Son vieil ami, Philippe Rebbot, l’accompagne. Il lui souffle l’idée de documenter leur voyage et d’en faire un film.

Perdre un enfant est pour un parent la plus grande souffrance qui puisse s’imaginer. Un suicide la rend plus cruelle encore, ajoutant la culpabilité à la douleur de la perte. J’en parle d’expérience : ma sœur s’est suicidée en 1994, laissant ma mère en miettes.

Dès la première scène, Mathias Mlekuz nous prend en otage de son deuil. Elle se déroule sur les bords de l’Atlantique, près de La Rochelle. Le réalisateur entouré de quelques amis y prononce un discours plein d’émotion et enfourche sa bicyclette. Direction : le Bosphore ! C’est le début d’un long voyage cathartique entre amis. Car le père inconsolable peut s’appuyer sur son ami de toujours : l’acteur Philippe Rebbot, alcoolique, tabagique… et empathique.

Avant de voir L’Attachement, je redoutais la surenchère lacrymale. Le miracle a eu lieu et le film exceptionnel de Carine Tardieu – auquel j’ai bien failli mettre quatre étoiles – m’a emporté. Même crainte à l’entame d’À bicyclette ! Mais la crainte hélas ici s’est révélée fondée. Car très vite, le vrai-faux documentaire s’installe dans un rythme ronronnant : des travellings champêtres avec nos deux cyclistes traversant l’Europe alternent avec de longs dialogues alcoolisés larmoyants durant lesquels Mathias expulse son chagrin et Philippe fait l’apologie de l’amitié. Soyons honnêtes : le film raconte aussi des rencontres comme celle, hilarante, avec une propriétaire de Airbnb control freak et… nudiste.

Le malaise augmente encore lorsqu’on réfléchit à la construction du film. La caméra, muette et invisible, pourrait nous laisser penser qu’elle a glané des moments sur le vif. Mais À bicyclette ! a été écrit et À bicyclette ! est joué – par des acteurs au demeurant excellents. Sa spontanéité ne pouvait être que feinte. Quant Mathias pleure, l’opérateur son a peut-être réclamé une seconde prise à cause d’un bruit parasite. Quand Mathias et Philippe s’engueulent, il a peut-être fallu recommencer la prise parce que la lumière était mauvaise.

Je me suis retrouvé à la fin du film très agacé par ce produit frelaté. J’ai eu le sentiment que son réalisateur, au chagrin, je le répète, ô combien légitime, s’était acheté une psychanalyse aux frais des spectateurs. Sa sincérité indiscutable s’est laissée dépassée par sa roublardise. Mon coup de gueule apparaîtra sans doute bien injuste à ceux que le film a émus. Mais le procédé, impudique et artificieux, ne laisse de me déranger.

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Le Dernier Souffle ☆☆☆☆

Inquiet d’une tache qu’un premier IRM a révélée, le célèbre essayiste Fabrice Toussaint (Denis Podalydès) en passe un  deuxième dans un grand hôpital parisien. Il y croise le professeur Augustin Masset qui lui fait visiter le service de soins palliatifs qu’il dirige. Il lui raconte les patients qui y ont défilé. Entre l’homme de lettres et le médecin pétri d’humanisme, une amitié se noue.

Même s’il est des films plus adaptés à une soirée de Saint-Valentin (Bridget Jones 4 dans la salle d’à côté affichait complet), je tenais à aller voir Le Dernier Souffle. À ça deux raisons. La première : l’immense renommée de Costa-Gavras, le cinéaste franco-grec dont l’oeuvre aura marqué le siècle (Z, L’Aveu, Missing, Amen…). La seconde : son sujet, la fin de vie qui, comme tout un chacun, m’interroge, partagé entre deux philosophies opposées, la stoïcienne qui prône d’y penser chaque jour pour mieux s’y préparer, l’épicurienne qui au contraire recommande de n’y penser jamais et de la laisser advenir le moment venu.

Quelle ne fut pas ma déception ! Costa-Gavras est parti du livre co-écrit par Régis Debray et Claude Grange. J’irai lire ce court essai de 130 pages à peine. Je fais confiance au bouillant philosophe – qui fut quelques mois conseiller d’Etat par le fait du Prince avant de considérer que le métier était trop ardu pour le modeste prestige qui y était associé – et au grand médecin pour avoir eu un échange de haute tenue. Costa-Gavras, auquel on ne saurait reprocher de ne pas être un grand réalisateur, échoue hélas complètement à en tirer un film.

L’incarnation de ces deux hautes figures est une catastrophe et une bouffonnerie. Denis Podalydès, immense acteur s’il en est, joue l’hypocondriaque, hanté par la mort qui vient, flottant dans la blouse blanche trop grande que lui fait porter le professeur Masset. Kad Merad est plus mauvais encore. Il livre une prestation plus exécrable que dans le dernier Lelouch. C’est dire… Chaque ligne de ses dialogues trop écrits est prononcée d’une voix sentencieuse, avec un demi sourire censé symboliser à la foi une profonde sagesse et une infinie bienveillance.

Le film est construit autour de plusieurs cas. On voit défiler militairement quelques visages connus, dont on se dit qu’ils ont accepté de passer un jour ou deux sur le plateau par amitié ou par admiration pour le réalisateur nonagénaire : Charlotte Rampling, un spectre cadavérique soucieux de garder jusqu’au bout sa dignité, Françoise Lebrun, pleine d’une sagesse inspirée de la philosophie bouddhiste, Hiam Abbass, épouse aimante, exigeant contre toute raison la poursuite pour son mari d’un traitement inutile, Agathe Bonitzer, une jeune femme incapable d’accepter l’injustice de sa mort précoce, Ángela Molina, matriarche gitane droite comme un i, Karin Viard, cancérologue compatissante, etc.

Si, pendant vingt minutes, on se dit que le film part sur une mauvaise voie mais que son sujet n’en demeure pas moins passionnant (des dimensions rarement évoquées de la fin de vie y sont traitées, notamment le rôle déterminant de l’entourage familial, bénéfique ou maléfique selon les cas), cette accumulation de courtes scènes caricaturales, tellement artificielles, si mal interprétées, devient vite ridicule. Au point que l’envie débilitante et rarissime de quitter la salle m’a pris.

Si le sujet de la fin de vie vous intéresse – et Dieu (!) sait qu’il est intéressant – allez plutôt voir le dernier Almodovar, De son vivant avec l’excellent Benoît Magimel, l’adaptation du roman de Emmanuèle Bernheim, Tout s’est bien passé, le déchirant Blackbird ou, le meilleur de tous, Quelques heures de printemps.

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April ☆☆☆☆

Obstétricienne dans un petit hôpital au fin fond de la Géorgie, Nina voit sa responsabilité mise en cause après le décès d’un nouveau-né. Une enquête administrative est confiée à l’un de ses collègues qui se révèle avoir été son amant. Parallèlement, Nina se déplace dans les campagnes et y pratique des avortements clandestins lorsque les délais légaux de l’IVG sont dépassés.

Dea Kulumbegashvili est décidément une réalisatrice qui ne laisse pas indifférent. J’avais été profondément marqué par son premier film, Au commencement, hésitant à crier au génie ou à l’escroquerie, et optant finalement pour un « coup de gueule » retentissant. J’ai eu exactement la même réaction en sortant du MK2 Beaubourg, la seule salle parisienne à diffuser April. J’ai été horripilé par ce film qui s’étire pendant plus de deux heures dans des plans fixes d’une durée exténuante. Mais je me suis néanmoins demandé si je n’étais pas passé à côté d’un chef d’œuvre.

April nous vient de Géorgie un pays qui décidément occupe sur la carte du cinéma européen une place intéressante. Nous viennent régulièrement de ce petit pays du Caucase, dont on sait par ailleurs les troubles géopolitiques qu’il traverse, coincé entre l’ours russe et ses aspirations europhiles, des œuvres âpres et intenses : Blackbird, Blackberry, sur l’éveil tardif à la sexualité d’une quinquagénaire, Sous le ciel de Koutaïssi, une languide histoire d’amour dans une petite ville de province plombée par l’ennui, Et puis nous danserons, qui brise le tabou de l’homosexualité au Ballet national géorgien, Khibula, sur la longue errance d’un président déchu et de son dernier quarteron de fidèles, etc.

L’héroïne d’April aurait pu être une femme admirable et courageuse, une Antigone moderne bravant une loi inique pour sauver de grossesses dont elles ne voulaient pas des femmes perdues dans une campagne arriérée. Mais Nina est plus ambivalente. C’est une femme profondément dépressive dont les nuits sont hantées par des visions monstrueuses. Sa nymphomanie – elle saute au paf d’un autostoppeur ou d’un laveur de glaces – cache un profond mal-être. En tous cas, son personnage ne suscite ni l’empathie ni l’identification.

Jusqu’à sa conclusion déroutante, April est un film sinistre dont la lenteur et la noirceur revendiquées ne peuvent que rebuter. Si Dea Kulumbegashvili aspirait secrètement à ce qu’on déteste ses films, elle ne s’y prendrait pas autrement.

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God Save the Tuche ☆☆☆☆

Cathy Tuche (Isabelle Nanty) est fascinée par la famille royale. L’occasion lui est enfin donnée de se rendre en Angleterre lorsque son petit-fils est sélectionné par la pépinière de jeunes talents d’Arsenal. Son mari, Jeff Tuche (Jean-Paul Rouve), sa mère et ses trois enfants l’accompagnent dans ce nouveau voyage.

Depuis 2011, Les Tuche est devenu une franchise bankable qui attire à chaque opus les spectateurs par millions – même si le quatrième a eu moins de succès (2,4 millions d’entrées) que le troisième (5,7). Ses personnages sont devenus des stars familières des cours de récré : Jeff, sa coiffure improbable, ses bananes, Cathy et son solide bon sens, la grand-mère punk, son sabir délirant et son alcoolisme pas très mondain, Stéphanie, la bimbo pas très futée, Wilfried, qui, contre tout entendement, entend réconcilier le rap et le bal musette et enfin Donald, le petit dernier surdoué…. Le ressort de chaque film est de placer cette famille si fièrement franchouillarde dans son exact contraire sociologique : Monaco (Les Tuche 1), les Etats-Unis (Les Tuche 2), l’Elysée (Les Tuche 3)….

Le succès des précédents épisodes appelle mécaniquement le tournage des suivants. La logique de ses franchises est délétère, qui s’éteindront quand le box office déclinera. On espère que ce sera bientôt le cas pour ces Tuche à bout de souffle qui recyclent, sans souci d’innover, les recettes éculées des films précédents.

Le Covid aidant, j’avais eu la curiosité de regarder à la télé le premier épisode. J’en étais ressorti traumatisé par autant de médiocrité. Mais, le souvenir de ce douloureux précédent s’étant évanoui, je me suis retrouvé dimanche dernier à une avant-première, juste avant le Maria de Pablo Larrain.

Je pensais me divertir gentiment. Je me suis copieusement ennuyé. Pire, je n’ai jamais ri. C’est peut-être le signe que je n’ai aucun sens de l’humour ou que je n’ai pas le même que celui de Jean-Paul Rouve, qui a remplacé derrière la caméra Olivier Barroux, qui a claqué la porte de Pathé, et de ses co-scénaristes. « Moi, je suis Français, je roule à droite » est l’une des plus bêtes et des plus poussives punchlines du film. Et si « Date de naissance ? Le jour de mon anniversaire ! » est sa réplique la plus drôle, je vous laisse imaginer le reste…

La malheureuse Elizabeth II doit se retourner dans sa tombe….

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