Jeanne Dielman ☆☆☆☆

Jeanne Dielman a été élu l’an passé par la prestigieuse revue professionnelle Sight & Sound meilleur film de tous les temps, juste devant Vertigo et Citizen Kane. Auréolé de ce prestigieux trophée, il ressort dans quelques salles d’art et d’essai et y attire un public nombreux, de cinéphiles et de curieux masochistes. C’est que le film est précédé d’une pesante réputation : il dure 3h21 et dissèque la morne répétition des gestes quotidiens d’une jeune veuve sans histoires qui vit seule avec son fils, dans un appartement bourgeois de Bruxelles.

Jeanne Dielman n’a rien volé de sa réputation. C’est un film radical.

Par son sujet : l’aliénation d’une femme condamnée à répéter chaque jour les mille et un gestes déshumanisants d’un quotidien sans âme. Rien ne nous en est épargné, du lever jusqu’au coucher, filmé quasiment en temps réel, l’espace de trois journées, pour en montrer la longueur et l’ennui. On voit tour à tour la préparation des repas, le lent épluchage des pommes de terre ou la confection d’escalopes panées, les repas proprement dits, pris sans un mot avec Sylvain, cet adolescent taiseux qui ressemble déjà tant à un petit vieux racorni qui jamais n’esquisse un geste pour aider sa mère ni même pour lui manifester la moindre tendresse, la vaisselle dans la cuisine exiguë, les rares courses à l’extérieur, l’accueil chaque après-midi (à l’insu de Sylvain ?) d’un homme différent qui paie Jeanne pour la brève et sordide étreinte qui se déroule, porte close, dans sa chambre, sur une serviette posée sur son couvre-lit qu’elle remplace méticuleusement après chaque usage….

Par son traitement : Jeanne Dielman a beau avoir été tourné par une réalisatrice de vingt-cinq ans à peine, il témoigne d’une maîtrise étonnante du cadrage et de la mise en scène, avec un soin tout particulier apporté au son (la rue dont on entend le bourdonnement, les claquements des talons de Jeanne sur le parquet qu’elle arpente dans tous les sens à longueur de journée) et à la lumière (que Jeanne allume et éteint chaque fois qu’elle passe d’une pièce à l’autre). Quant aux dialogues, c’est bien simple, il n’y en a  quasiment pas, les rares paroles échangées l’étant sur un ton bressonien, volontairement plat, dénué de tout affect – ainsi de la lecture à son fils par Jeanne de la lettre qu’elle reçoit de sa sœur expatriée au Canada grâce à laquelle le spectateur apprend quelques bribes de l’histoire familiale.

Et le sujet et son traitement, il faut en convenir, se nourrissent l’un de l’autre. Un film plus court n’aurait pas fait autant ressentir au spectateur exténué l’écrasant ennui qui régit la vie de Jeanne et la conduit à la folie. Il faut la regarder, dans un interminable plan fixe, éplucher pendant cinq minutes des pommes de terre pour comprendre son état et plus encore pour le ressentir.

Pour autant, aussi impressionnant que soit ce film, il fait partie de ceux qu’on est plus content d’avoir vus que d’être en train de regarder. Comme l’écrit Jacques Morice dans sa critique évidemment extatique, « Il fut à sa sortie le film des fauteuils qui claquent ». Difficile en effet, même quand on en est prévenu, de supporter ce spectacle et de ne pas avoir la tentation de s’en échapper. Tel fut le cas, à la moitié du film, de l’ami que j’avais invité et qui légitimement pourrait m’en faire le reproche pour le restant de nos jours s’il n’était pas l’ami le plus indulgent et le plus altruiste que j’aie jamais eu.

J’écris cette critique sous le coup de la colère que m’a inspirée hier soir, jusqu’à tard dans la nuit, cet interminable martyre. Je regretterai probablement dans quelques mois ce coup de gueule pavlovien. Peut-être même attribuerai-je alors à Jeanne Dielman les quatre étoiles que la critique lui décerne unanimement. Mais, pour l’instant, je vis le contrecoup d’une expérience exténuante que je ne souhaite à personne, et surtout pas à mon meilleur ami !

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Sur les chemins noirs ☆☆☆☆

Pendant une nuit trop alcoolisée, en août 2014, à Chamonix, Sylvain Tesson chute de près de dix mètres d’une maison que, comme à son habitude, ce « chat de gouttière » était en train d’escalader. Victime d’un traumatisme crânien, de multiples fractures, il retrouve par miracle l’usage de ses jambes. En guise de thérapie, ce grand voyageur décide, contre l’avis de ses médecins, de traverser la France à pied, du Mercantour au Cotentin. Il tire de ce périple de mille trois cents kilomètres un livre publié en 2016 qu’adapte aujourd’hui Denis Imbert.

Jean Dujardin se glisse dans le rôle de l’écrivain. Il en adopte l’élégance d’un autre âge, la casquette gavroche en tweed, le chèche négligemment noué autour du cou. Ce serait un mauvais procès que de lui reprocher de ne pas suffisamment s’effacer derrière son rôle : l’interprétation de Sylvain Tesson réussit à faire oublier Brice de Nice ou OSS 117.

Le problème au contraire est la trop grande fidélité à un livre qui…. pose problème.
Il a eu pourtant un immense succès de librairie. Et c’est précisément sur ce succès de librairie que le film capitalise, sûr d’attirer en salles, où il a réalisé en première semaine un score remarquable, tous les amoureux de Sylvain Tesson et de ses carnets de voyage.

Je dois avouer un sentiment très subjectif. Sylvain Tesson m’horripile. Je trouve ses livres horriblement égocentriques. Sa fausse modestie transpire la suffisance : « Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie ». Chaque phrase semble avoir été écrite avec le souci envahissant d’atteindre à un sommet de poésie et un abîme de profondeur : « La forêt filtrait le soleil en tisserande et je traversai les rais avec l’impression de me laver le visage à chaque explosion de clarté ». Une écologie de pacotille peine à cacher un vieux fond réactionnaire et anti-humaniste : « Loin des routes, il existait une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie » ou encore, citant Cocteau : « Il est possible que le progrès soit le développement d’une erreur ».

Aussi je souffre presqu’autant à la lecture de ses livres qu’à la vue des films qui en sont tirés. Les premiers ont l’avantage de ne pas être bien épais et d’être lus presqu’aussi vite qu’on voit les seconds.

Je n’avais pas aimé La Panthère des neiges, qui a pourtant cassé la baraque au box-office. Je reprochais déjà à Tesson « une idéologie volontiers conservatrice sinon rétrograde qui postule que tout était mieux avant, que la nature était parfaite et que l’intervention de l’homme en a perturbé l’équilibre et altéré la beauté ». Comme je l’avais auguré, je n’ai guère plus aimé Sur les chemins noirs. Les fans de Tesson ne seront pas de mon avis. Ni les spectateurs sensibles à la splendeur des « beaux paysages » qu’on y voit – et qui soutiennent aisément la comparaison avec la soirée diapos que Tonton Paul et Tata Nénette (elle s’appelait Antoinette mais personne n’utilisait jamais son vrai prénom) nous infligeaient jadis à leur retour de vacances en camping-car.
Mais nous nous accorderons peut-être lucidement sur un point : même si le montage réussit intelligemment à mêler l’histoire de l’accident de Sylvain Tesson et celle de sa longue marche, Sur les chemins noirs ne raconte pas grand-chose et tourne un peu en rond… ce qui n’est pas le moindre des paradoxes d’un film censé nous raconter la traversée de la France.

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The Whale ☆☆☆☆/★★★★

Charlie (Brendan Fraser) a perdu le contrôle. Après la mort de son compagnon, il s’est laissé aller à une boulimie maladive et a pris du poids jusqu’à devenir un énorme corps malade de 260kg, quasiment impotent, menacé de céder d’un instant à l’autre à un infarctus fatal.
Charlie enseigne à distance l’anglais à des adolescents auxquels il essaie de transmettre son goût de la littérature et qu’il exhorte sans succès à faire preuve de plus d’authenticité dans leurs rédactions.
Liz, une infirmière bienveillante, est son seul lien physique avec le monde extérieur.
Sentant sa fin prochaine, Charlie veut renouer avec sa fille, Ellie, une adolescente rebelle, que son ex-femme l’a empêché de voir depuis que Charlie a reconnu son homosexualité et a divorcé.

The Whale est un film-choc qui m’a inspiré des réactions contradictoires. J’ai longtemps hésité sur la « note » que je lui mettrai – puisque la règle, même si elle m’exaspère, veut que je mette une « note » à chacun des films que je critique sur ce blog. J’aurais dû faire la moyenne des sentiments paroxystiques que ce film a suscités chez moi et logiquement lui attribuer un 10/20 médian. Mais deux étoiles aurait été un jugement bien fade sur un film qui ne l’est pas.

The Whale vaut d’abord pour l’interprétation hénoooooorme de Brendan Fraser, une de ces figures christiques que Hollywood adore et à laquelle elle vient d’ériger un autel en lui décernant l’Oscar du meilleur acteur. On ne voit rien de lui sinon d’abord un écran noir dans une visioconférence qu’il anime en prétextant une panne de caméra. Puis son corps apparaît, vautré dans un sofa. Il s’en extrait non sans mal et aidé par un déambulateur, ahanant, se dirige vers les toilettes. Image dantesque, même si son effet vient autant sinon plus des prothèses collées sur le corps de l’acteur que de son jeu.

The Whale vaut ensuite pour ce portrait bouleversant – ne demandez pas où je suis allé chercher cet adjectif – d’un homme en perdition, ivre de chagrin, qui se suicide lentement à force de corps gras. Il ne faut pas avoir le cœur au bord des lèvres pour le regarder se goinfrer de pizza, de mayonnaise, de boissons sucrées… et il ne faut pas avoir de cœur du tout pour ne pas être retourné par la somme de solitude, de chagrin et de remords qui l’écrase.

Mais The Whale a au moins autant de défauts que de qualités.
C’est l’adaptation d’une pièce de théâtre qui peine à s’affranchir du théâtre filmé : un seul décor dont on ne sortira quasiment pas, quatre ou cinq personnages à peine, de longues tirades. On attendait autre chose, on attendait mieux de Darren Aronofsky dont les transgressions punk – qu’on se rappelle Pi ou Requiem for a Dream – promettaient de faire souffler un grand vent d’air frais dans le cinéma hollywoodien du début des années 2000.

Ce huis clos nous prend au piège d’un drame suffocant.
Le film aurait été grandiose s’il s’était réduit au face-à-face entre Charlie et son infirmière. Mais on dira encore – et on aura raison – que je fais la critique du film que j’aurais aimé voir. Hélas, le scénario a la mauvaise idée d’introduire deux autres personnages : un jeune prêcheur faisant du porte-à-porte pour rallier de nouveaux fidèles et Ellie, la fille de Charlie, insupportable adolescente qui oppose aux tentatives larmoyantes de son père pour se rapprocher d’elle des rebuffades toujours plus cruelles dont on comprend vite qu’elles cachent un manque abyssal d’amour.

Le principal défaut de The Whale est l’énorme pathos dans lequel il est englué. Derrière ses montagnes de graisse, Brendan Fraser nous décoche des regards noyés de chagrin de petit chat écorché qui émouvront jusqu’aux plus endurcis.
La dernière scène – dont je ne suis pas certain d’avoir compris le sens – m’a laissé dans le même état d’incertitude que le reste du film : est-elle déchirante ou insupportablement pathétique ?

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La Syndicaliste ★☆☆☆

Maureen Kearney, militante CFDT, secrétaire du comité de groupe européen d’Areva, en conflit ouvert avec Luc Oursel, le nouveau PDG du groupe, affirme avoir été agressée à son domicile le 19 décembre 2012, cagoulée, ligotée et violée. L’enquête menée par la gendarmerie ne retrouve pas la trace de son agresseur et se retourne bientôt contre elle, l’accusant d’avoir dénoncé un crime imaginaire. Elle est condamnée de ce chef en première instance en 2017 mais blanchie de ces accusations en appel en 2018.
Ces faits ont été relatés dans un livre écrit en 2019 par une journaliste d’investigation, Caroline Michel-Aguirre. C’est ce livre, La Syndicaliste, que Jean-Paul Salomé, qui avait déjà dirigé Huppert dans La Daronne, a porté à l’écran.

Levons d’abord quelques malentendus autour de ce film, son titre et son affiche. Découvrir que la grande Isabelle Huppert tournerait dans un film intitulé La Syndicaliste et en découvrir l’affiche où on la voit en tête d’un défilé au milieu de ses camarades de lutte, m’avait arraché – ainsi qu’à quelques autres – des sarcasmes narquois. J’imaginais assez mal en effet que l’immense interprète de Phèdre, de Mary Stuart ou de Orlando enfile un bleu de travail ou tienne un piquet de grève sur un rond-point. Je me trompais bien sûr. Car une grande artiste peut tout jouer et Isabelle Huppert a déjà joué bien des rôles de prolétaires : dans La Cérémonie par exemple où elle interprétait une employée de maison qui, avec Sandrine Bonnaire, fomentait l’assassinat de ses patrons façon Les Bonnes.

Mais je me trompais surtout sur le sujet de ce film dont le titre est trompeur. Il n’y est guère question de lutte syndicale mais plutôt de manoeuvres au sommet de l’Etat et de lanceurs d’alerte. Loin du préjugé que j’avais conçu, Huppert n’y joue pas une syndicaliste en grève, mais plutôt une femme de pouvoir, occupant un bureau à l’étage noble du siège d’Areva, siégeant à son conseil d’administration et vivant, en famille, grand train avec résidence principale à Versailles et luxueuse résidence secondaire les pieds dans l’eau du lac d’Annecy. Plus Nicole Notat que Philippe Martinez en somme.
Cette précision m’en autorise, en réplique, une autre : reprocher à Huppert d’interpréter encore et toujours le même rôle, celui d’une grande bourgeoise tirée à quatre épingles, juchée sur de vertigineux stilettos, le maquillage et le chignon impeccables, la bouche pincée, éternelle victime de la violence des hommes (Philippe Bouvard lui avait décoché : « Vous êtes la femme la plus violée du cinéma français »), mélange de faiblesse et de force.

Un dernier mot sur l’affiche du film, puisqu’elle a fait beaucoup jaser. Isabelle Huppert y fait une bonne trentaine d’années de moins que son âge. Miracle de Photoshop ou du lifting ? On souligne la ressemblance entre Huppert et le personnage qu’elle incarne. Soit. Mais à quoi bon faire ressembler une actrice à un personnage dont personne ne connaissait jusqu’alors les traits ? Et surtout, pourquoi avoir voulu rajeunir de trente ans une sexagénaire, en photoshoppant son image, pour incarner un personnage de … dix ans sa cadette ?

Mais revenons au film.
Et c’est bien là que le bât blesse.
La Syndicaliste veut révéler un « complot d’Etat » – Clémentine Autain, députée LFI a d’ailleurs appelé à la création d’une commission parlementaire d’enquête pour l’élucider. Mais n’est pas Claude Chabrol qui veut, qui, avec Isabelle Huppert déjà, avait réalisé un film, L’Ivresse du pouvoir, sur l’affaire Elf et l’instruction menée par Eva Joly avec autrement de talent.
Ici tout est manichéen. À commencer par le nouveau PDG d’Areva, Luc Oursel, interprété par Yvan Attal, ambitieux et sanguin. Sa veuve et ses enfants viennent d’ailleurs de signer dans le JDD une tribune accusant le film d’avoir sali la mémoire du défunt.

Paradoxalement, c’est l’interprétation de Huppert qui sauve le film de ce manichéisme. Car elle est  – comme elle sait si bien l’être dans tous ses films – tellement désagréable, revêche et hystérique que, à rebours de l’intention du livre, qui faisait de Maureen Kearney la victime innocente d’un crime odieux, elle finit par semer le doute sur son éventuelle culpabilité dans les événements du 19 décembre 2012, dont pourtant en 2018, la justice l’a blanchie.

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Divertimento ★☆☆☆

Zahia Ziouani s’est fait une place et un nom dans un milieu éhontément masculin. Elle est cheffe d’orchestre. Elle a créé l’Orchestre symphonique de Stains en Seine-Saint-Denis qui compte soixante-dix instrumentistes, se produit chaque année devant plus de cinquante mille spectateurs et mène des actions de sensibilisation à la musique classique vers des publics défavorisés.
Ce destin édifiant aurait pu nourrir un documentaire. Marie-Castille Mention-Schaar, dont les précédents films débordaient déjà de bonnes intentions (Les Héritiers sur le devoir de mémoire, Le ciel attendra sur la radicalisation, A Good man sur la transidentité…), s’en est emparée pour signer une fiction.

Comme dans ses précédents films, elle y est terriblement efficace…. et pathologiquement prévisible. Aucune surprise depuis la bande-annonce jusqu’à la dernière scène – qui a la prétention d’en être une alors que la toute première la laissait prévoir.

Aucun lieu commun ne nous est épargné. Zahia (Oulaya Amamara aussi à l’aise avec une baguette que moi sur des patins à glace) accumule les handicaps : c’est une femme, une Arabe, immigrée de deuxième génération, originaire du 9-3 honni. Un ami réactionnaire et néanmoins très drôle me glisse à l’oreille : eût-elle été lesbienne et unijambiste, elle aurait eu le prix Nobel Santo subito. Mais elle peut compter sur l’amour de son père (Zinedime Soualem), un travailleur humble qui, malgré son absence de diplôme, lui a transmis le goût de l’étude et de la musique, sur la complicité de sa sœur (Lina El Arabi) et sur la confiance d’un grand maestro (Niels Arestrup) pour franchir, à force de courage, de travail et de talent, tous les obstacles dressés devant elle.

Dès les premières images où l’on accompagne Zahia et sa sœur Fettima, dans la classe de terminale, option musique, d’un prestigieux lycée parisien, qu’elles viennent d’intégrer, les lieux communs se ramassent à la pelle. Les élèves, blancs, friqués, maniant des codes qu’eux seuls maîtrisent, leur réservent un accueil goguenard. Leur coqueluche, auquel le pupitre de chef d’orchestre est promis, s’appelle Lambert…. Lallemand (sic).

L’écueil de ce film n’est pas seulement sa prévisibilité. C’est aussi sa bien-pensance.
Elle est littéralement asphyxiante. Circonstance atténuante ou aggravante : tout le cinéma français semble aujourd’hui contaminé par ce mal. Le scénario de Divertimento paraphrase d’autres films récents construits exactement sur le même principe. Sorti en 2018, Au bout des doigts mettait en scène Lambert Wilson dans le rôle d’un professeur de musique décidé à donner sa chance à un génie du piano mal dégrossi. Ténor avait pour héros un jeune banlieusard passionné de rap qu’une professeur de chant à l’Opéra-Garnier (Michèle Laroque) convainc de se consacrer à l’art lyrique. Neneh Superstar, le mois dernier, mettait en scène une petite fille noire déterminée à devenir petit rat de l’Opéra. On voit ces temps-ci la bande-annonce de Sage-Homme avec Karin Viard qui glorifiera la formation d’un jeune Maghrébin à l’obstétrique. Aspirant scénariste : si vous voulez être produit, il faut renoncer à toute ambition et écrire l’histoire d’une Erythréenne excisée, contrainte à l’exil par la guerre qui sévit dans son pays, qui devient championne d’échecs en France, après avoir traversé la Méditerranée au péril de sa vie, et qui, dans la scène finale, a le courage de faire son coming out en déclarant sa flamme à sa coach.

Avant de conclure cette critique assassine, que d’aucuns jugeront à raison excessive et réactionnaire, l’honnêteté m’oblige à reconnaître un point. Les films de Marie-Castille Mention-Schaar – et celui-là comme les précédents – sont sacrément efficaces. Je n’ai pas été le dernier à verser ma larme devant le courage de Zahia et à partager sa joie devant le travail accompli. Aussi aurais-je mauvaise grâce à jeter la pierre aux amis qui ont eu raison d’insister pour que j’aille le voir, fût-ce plusieurs semaines après sa sortie, malgré mes réticences initiales.

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Marlowe ☆☆☆☆

Une riche héritière, Clare Cavendish (Diane Kruger) recrute Philip Marlowe (Liam Neeson), un détective privé, pour retrouver la trace de Nico Peterson, son amant disparu. L’enquête mènera l’inspecteur au Club Corbata, lieu de toutes les turpitudes, sur les traces d’un trafic de cocaïne dans le Los Angeles des années 30.

Mais quelle mouche a piqué Metropolitan pour sortir de la naphtaline Neil Jordan (72 ans), Liam Neeson (70 ans) et Jessica Lange (73 ans) pour leur faire réaliser et interpréter un remake improbable d’un des plus grands chefs d’oeuvre du cinéma, Le Grand Sommeil de Howard Hawks ? Robert Mitchum s’y était déjà essayé en 1978. le film fut un flop.

Certes, objectera-t-on, il ne s’agit pas d’une nouvelle adaptation du roman de Chandler de 1939, mais de celui, écrit en 2014, par John Banville. Mais la nuance est trop subtile. Et le constat demeure. Accablant.

Marlowe est un film calamiteux. Certes, ses décors et ses costumes restituent un peu de la magie et de la folle élégance de la Californie des 30ies. Mais c’est sa seule qualité – qui d’ailleurs n’arrive pas à la cheville de l’exubérance des décors et des costumes de Babylon.

Le reste est d’une affligeante médiocrité. À commencer par l’histoire dont on se demande si l’incompréhensible complexité tient à la maladresse du scénariste ou à une vaine tentation de plagier les intrigues filandreuses de Chandler.
Mais c’est surtout le numéro des acteurs qui fait peine à voir. Liam Neeson a passé depuis longtemps l’âge de courir et d’encaisser les uppercuts. Quant à Jessica Lange, je préfère garder d’elle les images de Le facteur sonne toujours deux fois que celles du lifting raté qu’elle dévoile ici (Madonna ! Sors de ce corps !)

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Coma ☆☆☆☆

Une adolescente (Louise Labèque, découverte dans Zombi Child) est recluse dans sa chambre. Son seul contact avec le monde extérieur est Internet. Elle est fidèle à la chaîne de la YouTubeuse Patricia Coma (Julia Faure) qui vend des gadgets et distille des conseils de vie dérangeants. Elle retrouve ses amies sur Face Time. Elle joue avec ses poupées Barbie et Ken – auxquelles le regretté Gaspard Ulliel, Laetitia Casta, Louis Garrel et Anaïs Demoustier prêtent leurs voix. La nuit, dans ses cauchemars, elle rejoint une forêt obscure peuplée d’ombres inquiétantes.

Le cinéma de Bertrand Bonello a le mérite de l’originalité : L’Apollonide, Saint Laurent, Nocturama, Zombi Child…. Il a ses inconditionnels afficionados. Il a aussi le don de m’horripiler. Je le trouve paresseux, creux, vain. Filmé à l’économie, Coma pousse au paroxysme ces défauts à mon sens rédhibitoires. Il mêle dans un grand n’importe quoi soi-disant lynchien une interview de Deleuze, des plans de rue en split screen filmés par des caméras de vidéosurveillance, des cartons de dessin animé, une lettre ouverte du réalisateur à sa fille (dont la lecture du dossier de presse nous apprend qu’elle a le même âge que l’actrice qui interprète l’héroïne), etc.

Pendant vingt minutes, on écarquille les yeux, étonné. Pendant l’heure qui suit, on les ferme, écrasé par l’ennui, dérouté par une accumulation aussi grotesque de non-sens prétentieux.

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Venez voir ☆☆☆☆

À Madrid, un soir d’hiver, deux couples écoutent un concert de jazz. Le Covid les a longtemps empêchés de se voir. Susana et Dani habitent désormais hors de Madrid, à la campagne, dans une maison dont ils ont hérité. Ils apprennent à Elena et Guillermo qu’ils attendent un heureux événement et les invitent à leur rendre visite rapidement.
Elena et Guillermo, indécrottables citadins, mettront plus de six mois pour honorer cette invitation, prendre à Atocha un train de banlieue et aller passer le dimanche chez leurs amis.

Jonas Trueba s’est fait connaître en France avec Eva en août, un film qui a enthousiasmé les cinéphiles qui furent nombreux à le classer dans leur hit parade 2020 mais dont j’avais trouvé, à rebours de l’euphorie générale, bien ennuyeuses les déambulations de son héroïne (Itsaso Arano qu’on retrouve ici dans le rôle de Elena). Le réalisateur avait ensuite sorti un interminable documentaire de 3h40, Qui à part nous, dans lequel il filmait l’évolution, sur une période de cinq années, d’une bande d’adolescents madrilènes.

Il revient à un format plus raisonnable dans ce film à la brièveté déroutante, qui s’interrompt brutalement après une heure et quatre minutes, comme si la pellicule était venue à manquer.

Le Monde écrit que Venez voir « frôle l’inconsistance » ; j’aurais été plus sévère et lui aurait reproché de s’y noyer. Il se résume à deux discussions interminables filmées entre les deux couples, la première dans la boîte de jazz, la seconde autour de la table dominicale. On n’apprend d’eux presque rien sinon qu’ils sont à un tournant de leur vie, qu’ils caressent des rêves déçus de parentalité et que leur écologie politique peine à s’incarner dans une démarche de vie (la campagne où Susana et Dani se sont installés n’a rien de bucolique). En revanche, on a droit à une interminable fiche de lecture de l’essai passablement incompréhensible du philosophe allemand Peter Sloterdijk Tu dois changer ta vie. Quelques ornementations sursignifiantes accompagnent ce pâle motif : le piano virtuose de Chano Dominguez, les poèmes d’Olvido Garcia Valdés sur l’irréalité, la chanson country alternative de Bill Calahan Let’s Move to the Country

On sort de la salle avec la désagréable impression d’un foutage de gueule prétentieux et vain.

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Par cœurs ☆☆☆☆

Avignon. Juillet 2021. Malgré l’épidémie de Covid et le mistral, le festival se tient. Isabelle Huppert joue La Cerisaie dans la cour d’honneur du Palais des papes. Fabrice Luchini lit Nietzsche et Baudelaire dans la cour du musée Calvet. Benoît Jacquot les filme.

On ne peut qu’être séduit par le joli titre de ce film et par son sujet : capter, au plus près de leur intimité, deux géants de la scène et nous faire comprendre en les observant le processus créatif.

Le problème est que le résultat semble bien paresseux.
Si l’on était médisant, on crierait même à l’arnaque et accuserait Benoît Jacquot de s’être fait financer son week-end en Avignon en promettant à son producteur ce documentaire : – « J’aimerais bien aller à Avignon cet été »
– « Tu comptes quand même pas sur moi pour te payer ton séjour ?
– « Ben si ! Y’a Isabelle et Fabrice qui jouent. Je vais leur demander quelques minutes et les filmer avec mon portable. Et on en fera un documentaire d’une heure seize »
– « Mais ça n’intéressera personne »
– « Mais pas du tout ! On mettra leurs photos sur l’affiche et tu verras : tous les gogos qui les aiment iront le voir »

Immanquablement, la salle était remplie de spectateurs – et ils sont nombreux – qui aiment Huppert et/ou Luchini.
Tel n’est pas mon cas, vous le savez. Mais vous savez aussi combien je suis masochiste.

Je ne sais pas si les admirateurs de Huppert et de Luchini en ont eu pour leur argent.
Je sais en revanche que je n’en ai pas eu pour le mien – même si, titulaire, d’un abonnement, la séance ne m’a rien coûté.
La raison n’en est pas tant l’irritation épidermique que provoquent en moi les moues d’Isabelle Huppert et les rugissements de Fabrice Luchini. J’essaie de dépasser mes phobies et de reconnaître lucidement le talent et de l’une et de l’autre.
Mais je ne supporte pas la paresse de Benoît Jacquot qui se contente de filmer ces deux acteurs, alors que leur démarche n’a rien de commun (Huppert s’évertue maniaquement à mémoriser un texte qui lui échappe alors que Luchini disserte prétentieusement sur le fait de le lire). Manifestement, il lui manquait de la pellicule pour se focaliser sur un des deux et/ou il n’a pas réussi à en convaincre un troisième (Olivier Py ?) de se prêter au jeu/je.

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Le Lycéen ☆☆☆☆

Lucas est un lycéen sans histoire. Il vit en Savoie entouré de l’affection aimante de sa mère (Juliette Binoche), professeure des écoles, et de son père (Christophe Honoré himself), prothésiste dentaire. Son homosexualité assumée ne pose aucun problème à sa famille. Sa vie éclate brutalement lorsque son père meurt dans un accident de la circulation. Son frère aîné (Vincent Lacoste), qui s’est installé à Paris, propose de l’héberger quelques jours pour lui changer les idées. Lucas y fait la rencontre de Lilio (Erwan Kepoa Falé), le meilleur ami de son frère, un artiste noir déclassé, et en tombe immédiatement amoureux.

Christophe Honoré a perdu son père à quinze ans. Dans une troublante mise en abyme, il prend la place de ce mort en interprétant le rôle du père de Lucas, et le volant de la voiture (donc pas la place du mort) dans laquelle son père se tuera (donc il est bien à la place du mort). Comprenne qui pourra….
La mort du père occupe le premier tiers du film qui en comprendra deux autres. Ils suivent Lucas dans son travail de deuil. Sa première partie se déroulera à Paris chez ce frère aîné auquel Lucas est si intimement lié mais avec lequel pourtant il ne cesse de s’affronter dans de violentes disputes. Sa seconde – dont je je dis déjà trop – voit Lucas revenir à Chambéry, plonger au fond du gouffre et en ressortir.

Je conçois parfaitement qu’on puisse s’enthousiasmer pour ce Lycéen, qu’on y voie le portrait, doux et dur à la fois, d’un adolescent en pleine crise existentielle. Je comprends qu’on salue la révélation de Paul Kircher, le fils de la sublime Irène Jacob (dont le dernier plan dans La Double Vie de Véronique constitue pour moi, et à jamais, un sommet de grâce indépassable). Je comprends encore qu’on puisse être touché par le chagrin de ce deuil, surtout si on l’a soi-même vécu, et par les tâtonnements de cet adolescent qui, au seuil de l’âge adulte, se cherche une place dans le monde.

Mais, je dois hélas avouer que ce quatorzième fils de Christophe Honoré, comme d’ailleurs la plupart de ses précédents depuis Dans Paris, Les Chansons d’amour, Plaire, aimer et courir vite, m’a déplu. Je n’aime pas les affèteries de son cinéma (un mot dont je maîtrise mal le sens mais qui, dans mon esprit critique son artificialité, ses tics, sa vacuité). Je le trouve parisianiste dans le pire sens du terme, vain, superficiel ou, pour le dire autrement, faussement profond.
C’est le jugement sans appel et éminemment subjectif que je porte sur le personnage chouinant de Lucas auquel je me suis retenu, tout le film durant, de filer des claques en le renvoyant dans sa chambre.

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