Venez voir ☆☆☆☆

À Madrid, un soir d’hiver, deux couples écoutent un concert de jazz. Le Covid les a longtemps empêchés de se voir. Susana et Dani habitent désormais hors de Madrid, à la campagne, dans une maison dont ils ont hérité. Ils apprennent à Elena et Guillermo qu’ils attendent un heureux événement et les invitent à leur rendre visite rapidement.
Elena et Guillermo, indécrottables citadins, mettront plus de six mois pour honorer cette invitation, prendre à Atocha un train de banlieue et aller passer le dimanche chez leurs amis.

Jonas Trueba s’est fait connaître en France avec Eva en août, un film qui a enthousiasmé les cinéphiles qui furent nombreux à le classer dans leur hit parade 2020 mais dont j’avais trouvé, à rebours de l’euphorie générale, bien ennuyeuses les déambulations de son héroïne (Itsaso Arano qu’on retrouve ici dans le rôle de Elena). Le réalisateur avait ensuite sorti un interminable documentaire de 3h40, Qui à part nous, dans lequel il filmait l’évolution, sur une période de cinq années, d’une bande d’adolescents madrilènes.

Il revient à un format plus raisonnable dans ce film à la brièveté déroutante, qui s’interrompt brutalement après une heure et quatre minutes, comme si la pellicule était venue à manquer.

Le Monde écrit que Venez voir « frôle l’inconsistance » ; j’aurais été plus sévère et lui aurait reproché de s’y noyer. Il se résume à deux discussions interminables filmées entre les deux couples, la première dans la boîte de jazz, la seconde autour de la table dominicale. On n’apprend d’eux presque rien sinon qu’ils sont à un tournant de leur vie, qu’ils caressent des rêves déçus de parentalité et que leur écologie politique peine à s’incarner dans une démarche de vie (la campagne où Susana et Dani se sont installés n’a rien de bucolique). En revanche, on a droit à une interminable fiche de lecture de l’essai passablement incompréhensible du philosophe allemand Peter Sloterdijk Tu dois changer ta vie. Quelques ornementations sursignifiantes accompagnent ce pâle motif : le piano virtuose de Chano Dominguez, les poèmes d’Olvido Garcia Valdés sur l’irréalité, la chanson country alternative de Bill Calahan Let’s Move to the Country

On sort de la salle avec la désagréable impression d’un foutage de gueule prétentieux et vain.

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Par cœurs ☆☆☆☆

Avignon. Juillet 2021. Malgré l’épidémie de Covid et le mistral, le festival se tient. Isabelle Huppert joue La Cerisaie dans la cour d’honneur du Palais des papes. Fabrice Luchini lit Nietzsche et Baudelaire dans la cour du musée Calvet. Benoît Jacquot les filme.

On ne peut qu’être séduit par le joli titre de ce film et par son sujet : capter, au plus près de leur intimité, deux géants de la scène et nous faire comprendre en les observant le processus créatif.

Le problème est que le résultat semble bien paresseux.
Si l’on était médisant, on crierait même à l’arnaque et accuserait Benoît Jacquot de s’être fait financer son week-end en Avignon en promettant à son producteur ce documentaire : – « J’aimerais bien aller à Avignon cet été »
– « Tu comptes quand même pas sur moi pour te payer ton séjour ?
– « Ben si ! Y’a Isabelle et Fabrice qui jouent. Je vais leur demander quelques minutes et les filmer avec mon portable. Et on en fera un documentaire d’une heure seize »
– « Mais ça n’intéressera personne »
– « Mais pas du tout ! On mettra leurs photos sur l’affiche et tu verras : tous les gogos qui les aiment iront le voir »

Immanquablement, la salle était remplie de spectateurs – et ils sont nombreux – qui aiment Huppert et/ou Luchini.
Tel n’est pas mon cas, vous le savez. Mais vous savez aussi combien je suis masochiste.

Je ne sais pas si les admirateurs de Huppert et de Luchini en ont eu pour leur argent.
Je sais en revanche que je n’en ai pas eu pour le mien – même si, titulaire, d’un abonnement, la séance ne m’a rien coûté.
La raison n’en est pas tant l’irritation épidermique que provoquent en moi les moues d’Isabelle Huppert et les rugissements de Fabrice Luchini. J’essaie de dépasser mes phobies et de reconnaître lucidement le talent et de l’une et de l’autre.
Mais je ne supporte pas la paresse de Benoît Jacquot qui se contente de filmer ces deux acteurs, alors que leur démarche n’a rien de commun (Huppert s’évertue maniaquement à mémoriser un texte qui lui échappe alors que Luchini disserte prétentieusement sur le fait de le lire). Manifestement, il lui manquait de la pellicule pour se focaliser sur un des deux et/ou il n’a pas réussi à en convaincre un troisième (Olivier Py ?) de se prêter au jeu/je.

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Le Lycéen ☆☆☆☆

Lucas est un lycéen sans histoire. Il vit en Savoie entouré de l’affection aimante de sa mère (Juliette Binoche), professeure des écoles, et de son père (Christophe Honoré himself), prothésiste dentaire. Son homosexualité assumée ne pose aucun problème à sa famille. Sa vie éclate brutalement lorsque son père meurt dans un accident de la circulation. Son frère aîné (Vincent Lacoste), qui s’est installé à Paris, propose de l’héberger quelques jours pour lui changer les idées. Lucas y fait la rencontre de Lilio (Erwan Kepoa Falé), le meilleur ami de son frère, un artiste noir déclassé, et en tombe immédiatement amoureux.

Christophe Honoré a perdu son père à quinze ans. Dans une troublante mise en abyme, il prend la place de ce mort en interprétant le rôle du père de Lucas, et le volant de la voiture (donc pas la place du mort) dans laquelle son père se tuera (donc il est bien à la place du mort). Comprenne qui pourra….
La mort du père occupe le premier tiers du film qui en comprendra deux autres. Ils suivent Lucas dans son travail de deuil. Sa première partie se déroulera à Paris chez ce frère aîné auquel Lucas est si intimement lié mais avec lequel pourtant il ne cesse de s’affronter dans de violentes disputes. Sa seconde – dont je je dis déjà trop – voit Lucas revenir à Chambéry, plonger au fond du gouffre et en ressortir.

Je conçois parfaitement qu’on puisse s’enthousiasmer pour ce Lycéen, qu’on y voie le portrait, doux et dur à la fois, d’un adolescent en pleine crise existentielle. Je comprends qu’on salue la révélation de Paul Kircher, le fils de la sublime Irène Jacob (dont le dernier plan dans La Double Vie de Véronique constitue pour moi, et à jamais, un sommet de grâce indépassable). Je comprends encore qu’on puisse être touché par le chagrin de ce deuil, surtout si on l’a soi-même vécu, et par les tâtonnements de cet adolescent qui, au seuil de l’âge adulte, se cherche une place dans le monde.

Mais, je dois hélas avouer que ce quatorzième fils de Christophe Honoré, comme d’ailleurs la plupart de ses précédents depuis Dans Paris, Les Chansons d’amour, Plaire, aimer et courir vite, m’a déplu. Je n’aime pas les affèteries de son cinéma (un mot dont je maîtrise mal le sens mais qui, dans mon esprit critique son artificialité, ses tics, sa vacuité). Je le trouve parisianiste dans le pire sens du terme, vain, superficiel ou, pour le dire autrement, faussement profond.
C’est le jugement sans appel et éminemment subjectif que je porte sur le personnage chouinant de Lucas auquel je me suis retenu, tout le film durant, de filer des claques en le renvoyant dans sa chambre.

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Fumer fait tousser ★☆☆☆

Les Tabac Force sont cinq justiciers, Benzène (Gilles Lellouche), Nicotine (Anaïs Demoustier), Méthanol (Vincent Lacoste), Mercure (Jean-Pascal Zidi), Ammoniaque (Oulaya Amamra), unis pour sauver la planète des forces démoniaques qui la menacent. Après un combat homérique contre une tortue géante, Chef Didier (Alain Chabat), un rat libidineux et baveux qui leur sert de mentor, les avertit des projets sataniques de l’immonde Lezardin (Benoît Poelvoorde). Avant de l’affronter, les cinq combattants sont invités à se resourcer quelques jours aux bords d’un lac retiré. C’est l’occasion pour eux, au coin du feu, de se raconter des histoires.

Quentin Dupieux s’est fait une place bien à lui dans le cinéma français. Sa marque de fabrique : l’absurde, décliné selon les cas sous un mode comique (Mandibules, Au poste !) ou plus grave (Incroyable mais vrai, Le Daim). Moins de six mois après son dernier film, Dupieux est de retour, au risque de saturer les écrans. L’affiche de son dernier film, présenté hors compétition à Cannes, est toujours aussi kitsch. Elle louche ostensiblement vers un genre qui fit la joie des gamins des 80ies, une génération à laquelle le réalisateur et moi appartenons : les super sentai façon Bioman ou Power Rangers. Les Inconnus en avaient déjà signé une caricature d’anthologie

Quentin Dupieux a une immense qualité : aimanter le gotha du cinéma français dont on imagine aisément qu’il est ravi de participer à une immense déconnade entre copains. Outre les cinq stars à l’affiche, Fumer fait tousser réunit aussi Blanche Gardin, Grégoire Ludig, Adèle Exarchopoulos, Dora Tillier… excusez du p(n)eu (fine allusion, pour ceux qui ne l’auraient pas comprise, à un précédent film de Quentin Dupieux).

Mais ce casting séduisant est la seule qualité d’un film qui sent un peu trop le foutage de gueule pour être pris au sérieux. Ça tombe bien, me rétorquerez-vous : être pris au sérieux est le cadet des soucis de ce réalisateur.

Son problème est son absence criante de scénario. Certes, le film a une idée : faire revivre les héros japonais de notre enfance dans leur combinaison criarde en latex. Mais ce pitch est vite épuisé au bout de trente minutes. Que contiennent les cinquante restantes d’un film qui a certes la politesse de durer – comme la plupart des films de Dupieux – quatre-vingts minutes à peine ? Deux sketches sans aucun lien avec l’histoire. Le premier met en scène Dora Tillier qui enfile un casque de soudeur avant de se transformer en serial killeuse. Le second se déroule dans une scierie où Blanche Gardin emploie son neveu.

Certes ces deux sketches sont aussi absurdes que drôles. Le public, nombreux, jeune et manifestement fidèle, qui aime cet humour noir et qui s’est pressé hier pour voir Fumer fait tousser le jour de sa sortie, en aura eu pour son argent. Quant aux autres….

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Aucun ours ★☆☆☆

Le dernier film de Jafar Panahi multiplie les mises en abyme. Il commence par un long plan-séquence tourné dans les rues d’une ville d’un pays étranger (il ne peut pas s’agir de l’Iran car l’héroïne est en cheveux). Ses deux personnages se disputent : un homme apporte à une femme un passeport volé qui lui permettra de gagner la France mais la femme refuse de partir seule. On comprend bientôt qu’il s’agit d’une séquence d’un film tourné à l’étranger par l’assistant de Jafar Panahi, qui a pris résidence dans un petit village situé de l’autre côté de la frontière et qui dirige le tournage via Internet en dépit d’une connexion hasardeuse. Ses deux personnages, acculés à l’exil, vivent le même drame que celui qu’ils sont en train de tourner. Quant à Jafar Panahi, il tue le temps en prenant des photos dans le village au risque de susciter la méfiance de ses habitants dont la mentalité est encore archaïque.

Jafar Panahi est un cinéaste persécuté par le régime iranien qui continue, malgré l’interdiction qui lui en a été faite depuis 2010, à tourner des films : Ceci n’est pas un film, Pardé, Taxi Téhéran, Trois visages. Chacun reçoit à l’étranger un accueil enthousiaste qui doit peut-être autant sinon plus au statut de son réalisateur qu’à ses qualités intrinsèques. Tel est le cas de son dernier en date, que la critique présente complaisamment comme le meilleur de la semaine sinon du mois. Sans insulter le martyr qu’endure son auteur – qui, depuis juillet 2022 a été arrêté et écroué à la sinistre prison d’Evin – je ne suis pas de cet avis.

Son titre m’est resté mystérieux. Il fait référence à une scène du film lors de laquelle un paysan dissuade le réalisateur de s’aventurer dans la nuit de peur de rencontrer des ours avant de lui révéler, quelques instants plus tard, après que la glace entre eux a été rompue, qu’il n’existe en fait aucun ursidé dans la région. Est-ce là une métaphore des mensonges du régime iranien, qui n’hésite pas à agiter des épouvantails pour effrayer le peuple et le maintenir sous sa coupe ?

Toujours est-il que je me suis solidement ennuyé durant toute la projection. Deux intrigues s’y entrecroisent. La première se déroule dans le village où Panahi s’est installé. Son assistant fait des allers-retours pour lui soumettre les rushes et l’exhorte à rejoindre les lieux du tournage. Mais Panahi s’y refuse. Au village, on lui reproche d’avoir pris une photo compromettante : celle d’une jeune fille en galante compagnie. Le fiancé de la jeune fille, qui estime que son honneur a été bafoué, exige réparation. Parallèlement, l’acteur et l’actrice qui tournent de l’autre côté de la frontière le film de Panahi se déchirent. Le rôle de la seconde est interprété par Mina Kavani, une actrice iranienne bannie de son pays pour avoir osé interpréter un rôle dénudé dans Red Rose en 2015.

Tout le film est construit sur le même rythme qui crée vite une certaine monotonie : des plans-séquences interminables filmant des querelles inextricables. Le farsi a beau être une langue d’une musicalité folle, l’hystérie des personnages a tôt fait d’être lassante.

Je suis désolé de ne pas avoir aimé Aucun ours que j’aurais dû pourtant adorer. Je suis sorti de la salle aussi désemparé que j’en étais sorti après EO ou Saint Omer, me faisant à moi-même le constat affligé que le cinéma intello, qu’il soit français, polonais ou iranien, n’était décidément pas ma tasse de thé. Je crois qu’il est temps de regarder la réalité en face et d’aller voir Wakanda Forever ou Black Adam.

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Pacifiction : Tourment sur les îles ☆☆☆☆

Le haut-commissaire en Polynésie française, M. De Roller (Benoît Magimel) sillonne Tahiti et les îles avoisinantes à la rencontre de la population pour faire le clair sur une rumeur persistante : la reprise imminente des essais nucléaires.

Albert Serra est un réalisateur inclassable du cinéma européen. Ses précédents films, dont l’affèterie revendiquée m’avait rebuté (La Mort de Louis XIV, Liberté), ont emprunté leur sujet à l’histoire et se déroulaient en Europe. Changement radical avec ce tournage en Polynésie française et cette fiction censée se dérouler de nos jours.

Le cinéma n’a pas souvent filmé la Polynésie française, depuis Les Révoltés du Bounty qui a laissé sur place Marlon Brando qui y prit femme et y acheta un atoll. De mémoire, je ne pourrais guère citer que Gauguin, tourné aux Marquises sur les lieux mêmes des dernières années du peintre de Pont-Aven, dans un décor plus vénéneux que paradisiaque.
Pacifiction présente l’immense attrait de donner à voir des paysages magnifiques : l’île de Moorea telle qu’on la voit depuis les quais de Papeete, les rouleaux intimidants de Teahupoo qui attirent les surfeurs du monde entier (et où les épreuves de surf de Paris2024 seront curieusement délocalisées). Mais c’est bien là, de mon point de vue, le seul attrait d’un film qui m’a laissé sur le bord du chemin.

Pourtant, Jacques Mandelbaum du Monde le tient pour un chef d’oeuvre et déjà deux de mes amies de la blogosphère, qui comme moi s’y sont ruées dès sa sortie, ne tarissent pas d’éloges. Ils n’ont pas tort de vanter la composition de Benoît Magimel et de souligner combien l’atmosphère du film est envoutante.

Pour me laisser envouter, encore aurait-il fallu que je me laisse embarquer. Ce ne fut pas possible. La faute à mon rationalisme à deux sous et mon besoin d’un minimum de crédibilité.

Qu’Albert Serra ait voulu écrire une satire du pouvoir – à supposer que ce fut son objectif ce dont rien ne permet d’être certain – il en avait le droit. Qu’il ait voulu pour ce faire donner le rôle principal de Pacifiction au représentant de l’Etat en Polynésie française – qui, dans cette collectivité d’outre-mer, porte le titre de haut-commissaire alors qu’il porte celui de préfet dans les cent-un départements de métropole et d’outre-mer – pourquoi pas ? Mais cela suppose au minimum que le personnage interprété par Benoît Magimel de rentrer dans le costume sinon dans l’uniforme préfectoral.

J’ose à peine imaginer l’effarement de l’actuel haut-commissaire à Papeete, ou de son prédécesseur que j’ai eu la chance de connaître, ainsi que de tous les sous-préfets qui l’entourent devant ce film ! Comment imaginer qu’un préfet traîne dans une Mercedes aux plaques rouges en costume blanc de souteneur marseillais dans des boites de nuit interlope au bras d’un Mahu ? L’agenda d’un préfet est surchargé. Il passe la plupart de ses journées en réunion à son bureau et se déplace dans son département selon un protocole millimétré, avec plusieurs collaborateurs et les autres services de l’Etat. Il n’a pas le temps ni la liberté de traîner dans les bars louches. Comment oser lui faire tenir devant des élus locaux sur le ministre et sur le Président les propos qu’on met dans sa bouche ? Comment penser un seul instant qu’il ne soit pas au courant d’un éventuel, et abracadabrantesque, projet de reprise des essais nucléaires qu’un amiral – qui porte la casquette et les galons d’un capitaine de vaisseau – lui cacherait à partir d’un sous-marin mystérieusement caché au large ?

On me dira que j’ergote. On aura peut-être raison. J’aurais dû lâcher prise, ne pas m’arrêter à ses détails administratifs pour me laisser envouter. Il l’aurait fallu pour supporter ce film obèse de près de trois heures qui aurait pu durer le double ou la moitié sans que rien ne change dans l’ersatz d’histoire qu’il esquisse.

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Les Aventures de Gigi la Loi ☆☆☆☆

« Gigi la legge », c’est le surnom affectueux que le jeune réalisateur Alessandro Comodon a donné à son oncle, un policier municipal d’une petite ville de Vénétie, dans le nord de l’Italie. C’est aussi le nom du film qu’il lui consacre. Sans voix off, sans indication chronologique, sans précision sur la nature des fonctions qu’exerce ce moderne garde-champêtre, ce drôle de film oscille entre le documentaire et la fiction.

La première scène de ces Aventures est statique. Elle met aux prises Gigi avec un voisin invisible qui lui reproche le manque d’entretien de son jardin, transformé en jungle impénétrable. La deuxième est tout aussi longue. Elle est filmée depuis l’intérieur du véhicule de service du policier en maraude : il s’arrête à un passage à niveau où un cycliste lui indique qu’un cadavre gît sur la voie ferrée. De ce cadavre, on ne verra rien. Et on n’en saura pas plus. Mais la recherche des causes de cette mort constituera le fil narratif du film… si tant est que ces Aventures en possèdent un.

On apprend bientôt que l’affaire a été classée sans savoir combien de temps s’est écoulé depuis la découverte des restes humains sur la voie. Mais elle n’en continue pas moins à tournebouler Gigi qui s’est mis en tête que Tomaso, le cycliste et le premier témoin, y avait peut-être une part de responsabilité. On le verra sillonner la ville au volant de son véhicule de police, accompagné d’un co-équipier ou d’une co-équipière. La CB le relie à une jeune opératrice, Paola, avec qui Gigi flirte effrontément. Ses rondes le ramènent obsessionnellement sur la piste de Tomaso.

Les Aventures de Gigi la Loi est-il un polar qui ne dit pas son nom ? C’est la seule question qui retient la spectateur de ne pas sombrer dans la léthargie que fait naître la répétition monotone des mêmes plans séquences, filmés de l’intérieur de la voiture. Mais lorsqu’après une vaine attente, le scénario se désintéresse de son sujet, laissant sans élucidation cette disparition, et va s’égarer dans le jardin touffu de Gigi, on se sent dupé.
« Comique et poétique » affirme l’affiche qui a le culot d’invoquer les mânes de monsieur Hulot. Je dirais plutôt : « pas drôle et monotone ».

La bande-annonce

Le Tigre et le Président ★☆☆☆

Inconnu du public, Paul Deschanel, qui présidait la Chambre des députés depuis 1912, souffle en janvier 1920 la présidence de la République à Georges Clémenceau, le « Tigre », auréolé de la gloire de la Victoire, mais fragilisé par les nombreuses inimitiés que sa personnalité autoritaire a fait naître sur les bancs de droite comme de gauche. Le nouveau Président n’entend pas se cantonner au rôle purement protocolaire auquel la pratique constitutionnelle de la IIIème République condamne le Chef de l’Etat. Mais sa santé fragile et sa chute accidentelle en mai 1920 du train qui l’emmenait à Montbrison en déplacement officiel l’obligeront à démissionner sept mois plus tard.

Mais quelle mouche a donc piqué Jean-Marc Peyrefitte pour qu’il consacre son premier film à l’un des présidents de la République les plus éphémères de notre histoire (le mandat de Jean Casimir-Périer en 1894-1895 fut plus bref encore) dont la seule trace marquante qu’il ait laissée dans l’histoire fut sa chute ridicule du train de Montbrison ? Une sorte d’Alain Poher en plus maigre….

Le réalisateur dit avoir voulu faire le portrait d’un « perdant magnifique ». Pourquoi pas ? Mais il le fait au prix de tant de libertés avec la réalité historique que sa méticuleuse reconstitution en perd toute authenticité. Ainsi Deschanel est-il présenté dès la première scène comme un opposant au Traité de Versailles dont il aurait critiqué les conditions trop rigoureuses faites à l’Allemagne et pressenti qu’elles porteraient en germe un nouveau conflit mondial. En fait, s’il était hostile au traité, c’est parce que, favorable à une ligne dure contre l’Allemagne, il en jugeait les stipulations trop peu contraignantes. Lorsque la Ruhr se soulève en mars 1920, il critique le gouvernement d’Alexandre Millerand non pas pour la dureté de sa réaction mais au contraire pour sa modération.

Paul Deschanel est présenté dans ce film comme un esprit progressiste qui a défendu des réformes en avance sur son temps : le droit de vote des femmes, l’abolition de la peine de mort…. Il est exact qu’il était favorable à l’abolition de la peine capitale (Clémenceau l’était aussi d’ailleurs) ; mais le film se garde bien d’évoquer ses positions moins politiquement correctes comme le rétablissement des relations avec le Saint-Siège – qui lui avait valu le soutien de la droite catholique et de l’Action française de Charles Maurras.
Si Deschanel, comme Casimir-Périer avant lui et Millerand après lui, avait espéré restaurer la fonction présidentielle, il est inimaginable qu’il se fût permis – et que le Président du Conseil lui eût permis – d’exclure un ministre d’une séance du Conseil des ministres comme une scène du film le laisse penser. L’expression « inaugurer les chrysanthèmes » que le scénario met dans la bouche de Raymond Poincaré lors de l’investiture de Deschanel est un anachronisme.

Ce qui est le plus gênant dans ce film est ce qui constitue son cœur : la confrontation entre le « tigre » et le « président ». Certes, Deschanel a soufflé l’élection de 1920 à Clémenceau. Mais après sa défaite, Clémenceau se retire de la vie politique. En avril 1920, il part en voyages en Egypte. En septembre, il n’est pas aux Etats-Unis (il ne s’y rendra qu’à l’automne suivant) le jour de la démission de Deschanel mais en France qu’il quitte le lendemain pour Ceylan. Sans doute n’avait-il que peu d’estime pour le président de la République élu contre lui. Pour autant, imaginer le face à face des deux hommes et a fortiori leur duel n’est pas conforme à la réalité historique.

On me rétorquera qu’il s’agit là de détails qui ne troublent que quelques historiens vétilleux. On n’aurait qu’à moitié raison. Car, si on passe par-dessus les libertés que le film prend avec l’histoire, on ne trouve pas grand-chose pour le sauver. Qu’on ne me parle pas de son interprétation ! André Dussollier m’a en particulier paru caricatural dans le rôle d’un gros chat matois et avide de vengeance. Reste Anne Mouglalis dont la voix m’ensorcelle et dont je n’ose pas avouer que les brèves apparitions en mère maquerelle d’un bordel dont les décors ont été filmés au premier étage du quai d’Orsay, dans la salle de bains Art déco attenante à la Chambre du Roi, ne m’ont pas laissé de marbre…

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Une femme de notre temps ☆☆☆☆

La cinquantaine, Juliane Verbecke (Sophie Marceau) est commissaire de police à Paris. Durant ses loisirs, elle écrit des polars. Elle ne se remet pas de la mort accidentelle de sa sœur Lara, cinq ans plus tôt. Son chagrin est décuplé quand elle découvre l’infidélité de son mari (Johan Heldenbergh).

Tout est raté dans le dernier film de Jean-Pazul Civeyrac qu’on avait connu plus inspiré (Mes Provinciales). À commencer par ce titre prétentieux qui voudrait faire de cette femme trompée mais entière le symbole de son époque.

Sophie Marceau incarne le rôle-titre. On la reconnaît facilement sur l’affiche. Mais elle est méconnaissable dans la bande annonce, les traits tirés par les liftings ou les années qui passent. L’actrice-préférée-des-Français (l’est-elle encore ?) a le mérite de se faire rare sur les écrans. Ici elle fait la gueule pendant tout le film dans le rôle improbable d’une commissaire de police qui ne mène aucune enquête et d’une écrivaine qui n’écrit pas une ligne.

On comprend mal ce que le réalisateur a voulu lui faire jouer : la détresse de la femme trompée ? la détermination d’une Diane vengeresse ? la bifurcation d’une vie qui bascule ? Sophie Marceau a appris à tirer à l’arc pour les besoins du rôle. Les heures de coaching se voient à l’écran : on entend son professeur lui répéter « le coude levé ! » quand elle arme ses flèches.

Le scénario la met dans des situations aussi dénuées de crédibilité qu’embarrassantes. À commencer par celle, dans la garçonnière de son mari (qui donne sur la porte Saint-Denis), où elle assiste à ses ébats bruyants depuis la salle de bains. De façon récurrente, il recourt aux cauchemars et aux réveils en sursaut pour faire avancer l’action, une facilité qu’on pensait prohibée par le code de déontologie des scénaristes. Le ridicule culmine avec la scène finale dont on ne dira rien, mais que l’affiche laisse augurer (eh oui ! c’est ça ! vous avez bien compris !).

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Avec amour et acharnement ☆☆☆☆

La cinquantaine, Sarah (Julie Binoche) et Jean (Vincent Lindon) forment un couple en apparence indestructible. Journaliste à RFI, Sarah a longtemps vécu avec François (Grégoire Colin), le meilleur ami de Jean. Jean quant à lui, un ancien rugbyman professionnel, a connu la prison et peine à retrouver un travail tandis que son fils, Marcus, élevé par sa grand-mère (Bulle Ogier) traverse une adolescence difficile.
Mais il suffit que Sarah recroise François avec lequel Jean est sur le point de renouer une association pour que ce couple si stable en apparence se fissure.

La sortie de Avec amour et acharnement a fait le buzz cette semaine. Parce qu’il avait remporté l’Ours d’Argent à Berlin. Parce que Vincent Lindon, auréolé du prestige de son statut de président du dernier jury du festival de Cannes, a profité de sa promotion pour venir lancer à la télévision un appel politiquement très correct au boycott du prochain Mondial au Qatar. Parce qu’enfin, Juliette Binoche, transgressant l’omerta qui règne sur les plateaux, a évoqué sans mâcher ses mots sa mésentente avec son partenaire – mésentente dont il faut souligner qu’elle ne transparaît pas à l’écran où les deux acteurs nous font croire, dans les scènes d’amour comme dans les disputes, à la parfaite alchimie.

Claire Denis, vache sacrée du cinéma français (Chocolat, Beau Travail, Trouble Everyday, White Material….), renoue avec Christine Angot qui avait écrit avec elle en 2017 le scénario de Un beau soleil intérieur, que j’avais copieusement étrillé. Juliette Binoche y jouait déjà le premier rôle, celui d’une quinquagénaire passant des bras d’un homme à un autre, en quête de son « soleil intérieur » (sic). Cette fois-ci, Claire Denis porte à l’écran un roman de Christine Angot, sorti en 2018, Un tournant de la vie.

Avec amour et acharnement, un titre lourdingue et faussement poétique qui voudrait résumer un sujet, filme un trio amoureux tout droit tiré du vaudeville : le mari, la femme et son amant. Faute de pouvoir se limiter à ce trio, le scénario y rajoute l’histoire du fils de Jean, un métis en échec scolaire que son père essaie de convaincre de ne pas laisser tomber le lycée avec une tirade anti-post-coloniale dont on se demande ce qu’elle vient faire ici.

Tout est hystérisé dans Avec amour et acharnement, comme souvent dans les livres de Christine Angot : quand par exemple Sarah croise François sur le chemin de son travail, elle est bouleversée au point de répéter dans l’ascenseur son prénom dans un murmure extatique. Le personnage interprété par Juliette Binoche qui retombe dans les bras de François tout en jurant de sa fidélité à Jean n’est pas crédible une seconde. Mythomane ? Schizophrène ? Vincent Lindon s’en sort mieux, en cocu piteux (et en père paumé), dont on sent que la violence qu’il peine à contenir risque d’exploser au prochain mensonge de Sarah.

Les scènes de dispute amoureuse se succèdent et distillent leur toxicité, qui mettent le spectateur de plus en plus mal à l’aise. Eprouve-ton de l’empathie pour les personnages, pour la crise qu’ils traversent ? pas le moins du monde. De l’intérêt pour leur histoire et la façon dont elle se dénouera ? encore moins au point que j’en ai déjà oublié la conclusion après l’avoir vue hier soir.

La bande-annonce