Hinterland ★★☆☆

Une demi-douzaine de soldats en piteux état regagnent Vienne en 1920 après avoir été prisonniers en Union soviétique. Ils ne reconnaissent rien à la capitale de l’ancien Empire austro-hongrois, dévastée par la guerre. Parmi eux, Peter Perg, un ancien inspecteur de police. Il va reprendre son ancien travail et enquêter sur une série de crimes sadiques qui frappent ses anciens compagnons d’armes.

Hinterland est constitué de deux ingrédients différents : un fond et une forme.

Le fond n’est pas très intéressant. Il s’agit d’une banale enquête policière, comme on en lit tant et tant dans ces romans policiers qui se voudraient attrayants parce qu’ils se déroulent en d’autres temps ou sous d’autres latitudes : polar islandais, enquête dans la Chine des Ming ou dans l’Irlande du Moyen-Âge. Je sais le succès de ces ouvrages – dont ma belle mère, notamment, raffole – mais je les trouve insipides et répétitifs. Les rebondissements dont est émaillé le scénario de Hinterland manquent trop de finesse pour me faire changer d’avis sur cette littérature.

En revanche, la forme de Hinterland m’a enthousiasmé. Faute de disposer des moyens de reconstituer la Vienne des années vingt, Stefan Ruzowitzky a choisi de filmer ses acteurs sur fond vet puis d’insérer des décors. Ces décors, aux lignes distordues, aux perspectives aberrantes, comme on en voit un échantillon en arrière-plan de l’affiche, sont bluffants. Au point qu’en les scrutant, on en perd le fil de l’action. Ils constituent autant d’hommages aux films expressionnistes allemands – qui étaient eux aussi filmés en studio avec des décors artificiels – mais aussi à la bande dessinée (on pense aux univers de Tardi ou au steam punk).

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La Ligne ★★☆☆

Après qu’elle a brutalement agressé sa mère (Valeria Bruni-Tedeschi), Margaret (Stéphanie Blanchoud) se voit interdire, par une ordonnance judiciaire, d’approcher à moins de cent mètres de son domicile. Ses deux sœurs, Louise la cadette qui est sur le point d’accoucher de jumelles, et Marion (Elli Spagnolo), la benjamine, à peine sortie de l’enfance, essaient de renouer les liens au sein de cette famille déchirée, dont le seul trait d’union est la passion de la musique.

Ursula Meier est une réalisatrice franco-suisse trop rare qui, la cinquantaine passée, n’a signé que trois longs métrages. Home en 2008 , avec Isabelle Huppert et Olivier Gourmet, sélectionné à Cannes, mettait en scène une famille dysfonctionnelle habitant une maison jouxtant une autoroute en construction. L’Enfant d’en haut en 2012 – qui se déroulait dans la même région que La Ligne, au pied des cimes impressionnantes des Alpes valaisannes – levait progressivement le mystère sur les liens qui unissaient ses deux héros interprétés par Léa Seydoux et Kacey Mottet Klein.

Ursula Meier a le don de faire tourner les jeunes enfants. Ses deux premiers films ont lancé la carrière de Kacey Mottet Klein. Espérons le même succès à l’étonnante Elli Spagnolo, la révélation de La Ligne.

Ursula Meier filme les familles, leurs pathologies, les forces centripètes et centrifuges qui contradictoirement les structurent. C’est précisément cette tension-là, quasi géométrique, qu’elle raconte dans La Ligne, un film au titre étonnant. Il peut se comprendre de deux façons. La première, la plus évidente, est ce rayon de cent mètres autour de la maison de Christina, matérialisé par le trait de peinture que dessine la jeune Marion, à la fois pour cantonner Margaret au-delà de cette limite, mais aussi, paradoxalement, pour lui donner rendez-vous sur cette lisière chaque jour afin d’y continuer les cours de chant que l’aînée donne à sa benjamine. Mais on peut imaginer un second sens à ce titre et concevoir une ligne métaphorique, immatérielle, qui relierait envers et contre tout cette mère égoïste et mal aimante à sa fille dont la violence trouve sa source précisément dans l’amour qu’elle n’a pas reçu.

Mais surtout, ce qui frappe dans La Ligne, dès sa première scène, d’un formalisme étonnant, c’est la place qui y est faite à la musique. La BOF de La Ligne est d’une étonnante richesse. À cela rien d’étonnant : la co-scénariste du film et l’une de ses actrices principales, Stéphanie Blanchoud, est connue pour être chanteuse. On la découvre, avec un plaisir de fan, pousser la chansonnette avec Benjamin Biolay qui, lui aussi, mène une étonnante carrière à cheval sur deux registres. Mais la BOF ne se limite pas à cela. La première scène, muette, dont on vient de parler, laisse entendre le sublime Nisi Dominus de Vivaldi. On entendra aussi Schubert. Et si on reste jusqu’au générique de fin, on découvrira une pépite : la relecture orientalisante de Bach par la pianiste turque Anjelika Rosenbaum-Akbar.

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L’Immensità ★★☆☆

Dans la Rome des 70ies, Clara (Penelope Cruz) élève ses trois enfants auprès d’un mari qui l’étouffe et qu’elle a cessé d’aimer. Son aînée, Adriana, est une jeune adolescente qui ne s’accepte pas dans son corps de femme.

À l’occasion de sa projection à la Mostra de Venise, Emanuele Crialese a révélé être née femme et avoir fait sa transition. Il s’est défendu du caractère strictement autobiographique de L’Immensità ; mais il n’a pas dénié que ce film empruntait largement à sa propre histoire et à ses souvenirs.

L’Immensità n’est pas un film sur la dysphorie de genre, la transidentité ou la transition de genre. Le serait-il, on le suspecterait à tort ou à raison de plaquer un vocabulaire ou des problématiques du XXIème siècle sur le siècle précédent qui les ignorait hypocritement.

Adriana n’est en effet pas le personnage principal du film ; même si l’histoire personnelle d’Emanuele Crialese la/le leste d’une lourde responsabilité.

Le personnage principal du film – comment en aurait-il pu être autrement ? – est la star Penelope Cruz qui, à l’approche de la cinquantaine, n’a jamais été aussi éblouissante. Plutôt que L’Immensità – un titre dont je n’ai pas compris la signification – j’aurais, paraphrasant Albert Cohen ou Georges Bataille, intitulé ce film Ma Mère. C’est elle en gros plan qui monopolise l’affiche ; c’est elle qui constitue l’atout principal de ce film ; c’est autour d’elle, de sa relation avec un mari machiste et brutal, des violences conjugales, tant physiques que psychologiques, dont elle est la victime, de la relation privilégiée qu’elle entretient envers et contre tout avec son aînée, dont elle est la seule à comprendre et à accepter la différence, que le film s’organise.

Chaque apparition de Penelope Cruz met le feu à un film qui, sans elle, n’aurait rien eu de bien original. La luminosité des couleurs – ou est-ce là encore la présence de la sublime Penelope ? – m’a rappelé les décors bariolés d’Almodovar. Les variétés italiennes qui parsèment le récit en égaient le cours au risque parfois de lui donner un goût trop sucré – même si j’ai regretté de ne pas retrouver la chanson de la bande-annonce [impossible d’en identifier le titre HELP !]. Mais l’ensemble hélas n’a rien d’inoubliable.

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Professeur Yamamoto part à la retraite ★☆☆☆

Dans Mental (2008), le documentariste Kazuhiro Soda avait déjà filmé la consultation du professeur Yamamoto dans sa clinique, auprès de malades mentaux qu’il accueillait gratuitement au titre de l’aide sociale. Une dizaine d’années plus tard, il le retrouve octogénaire au moment de prendre sa retraite et de se séparer de ses patients. Il doit désormais prendre soin de son épouse frappée de la maladie d’Alzheimer.

Ce documentaire minimaliste est composé de quatre scènes. La première est sans doute la plus intéressante. C’est celle où l’on voit Yamamoto recevoir pour leur dernière consultation quelques uns de ses patients, dont certains qu’il suit depuis des dizaine d’années. Aucun divan dans son cabinet mais deux chaises inconfortables, comme un dispensaire, où le psychiatre et son patient discutent de biais.
Les trois autres scènes du documentaire sont tournées hors du cabinet, semble-t-il après que Yamamoto l’a définitivement quitté. Il est désormais accompagné de sa femme dont on ne nous dit pas mais dont on comprend vite qu’elle est atteinte d’une maladie dégénérative. On les voit d’abord chez eux où ils accueillent le réalisateur et lui proposent de partager une commande de sushis. Puis on les suit chez une amie de longue date qui, avec beaucoup de volubilité, raconte quelques anecdotes de leur passé commun. Enfin on les accompagne sur la tombe des aïeuxs de Yamamoto qu’il vient fidèlement entretenir et honorer.

On veut bien comprendre voire adhérer au projet du film et à sa démarche : nous faire entrer dans l’intimité d’un Juste qui, après avoir consacré sa vie à soigner les parias de la société, consacrera sa retraite à être le bâton de vieillesse de son épouse diminuée. Mais on ne comprend pas pourquoi ce projet-là a besoin d’une durée aussi exténuante – près de deux heures – et surtout de ces interminables plans séquences – le dernier au cimetière dure plus d’une vingtaine de minutes – et que rien ne justifie.

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Une femme indonésienne ★★☆☆

Indonésie. 1966. Nana est l’épouse d’un riche Javanais plus âgé qu’elle. Dans sa vaste résidence, assistée d’une nombreuse domesticité, elle élève ses quatre enfants en faisant mine d’ignorer l’infidélité de son mari et la liaison qu’il entretient avec Ino, la propriétaire d’une boucherie en ville. Des cauchemars troublent son sommeil : quinze ans plus tôt, alors qu’elle venait d’accoucher, son père avait été brutalement assassiné et elle avait dû s’enfuir avec sa sœur et son nourrisson. Son premier mari avait alors disparu.

L’Indonésie est un géant démographique, le quatrième au monde par la population ; mais c’est un nain cinématographique (note pour moi : je pourrais dire la même chose du Pakistan ou du Bangladesh). Ai-je déjà vu un seul film de ce pays ? Oui… à condition de pouvoir compter les deux documentaires époustouflants de Joshua Oppenheimer sur les massacres de 1966 : The Act of Killing et The Look of Silence. Le reste semble-t-il n’en a guère franchi les frontières si ce n’est quelques films d’horreur ou d’arts martiaux pour un public pointu (je crois me souvenir de The Raid en 2011, épuisant baston d’une heure trente minutes).

L’exotisme est donc la première qualité de cette Femme indonésienne. Pourtant cet exotisme est un peu éventé : on croit voir en effet une copie parfaite de In the Mood for Love. Tout nous y ramène : l’époque délicieusement rétro, l’élégance des costumes, l’impassibilité des personnages, les ralentis qui accentuent la grâce féline des actrices dans leurs longs sarongs, le tempo languide de la musique omniprésente… Plagiat éhonté ou clin d’oeil révérencieux, la plus célèbre scène de In the Mood for Love est reproduite quasiment à l’identique.

Cette inspiration envahissante suffit-elle pour autant à disqualifier Une femme indonésienne ? Nullement. Tous les spectateurs n’ont pas vu le chef d’oeuvre de Wong Kar Wai. Et ceux qui, comme moi, l’ont vu à sa sortie en 2000, l’ont largement oublié depuis. Les uns comme les autres pourront se laisser hypnotiser par la beauté de ses deux héroïnes, Happy Salma et Laura Basuki, Ours d’argent de la meilleure performance de second rôle.

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Unicorn Wars ★☆☆☆

Depuis qu’un conflit ancestral les a expulsés de la Forêt magique, les Oursons nourrissent le projet de prendre leur revanche sur les Licornes et de les en déloger. Un peloton de jeunes recrues, après avoir suivi un stage d’entraînement dans un camp militaire, y est dépêché. Parmi elles, Célestin, un psychopathe persuadé que le sang des licornes lui donnera la vie éternelle, et son frère jumeau, Dodu.

Dans la filiation de Psiconautas, le précédent film de Alberto Vázquez, Unicorn Wars est un dessin animé paradoxal. Il convoque pour mieux les subvertir les ingrédients traditionnels de l’animation pour enfants : les oursons, les licornes, les câlins et les tons pastels. Son titre sonne comme un oxymore. Sa graphie sur l’affiche l’illustre : un point en forme de cœur surmonte le i de Unicorn, mais les lettres de Wars bavent comme dans les films d’horreur. Sous ce titre, on voit, qui s’opposent, trois oursons mignons en jaune, bleu turquoise et rose, menacés par trois licornes noires au regard inquiétant.

Le résultat est interdit aux moins de douze ans. Une interdiction qui pourrait sembler sévère mais qui se justifie par le souci d’éviter à des parents inattentifs l’erreur de le faire voir par leurs innocents bambins. Car, avec ses références revendiquées à Full Metal Jacket (pour les séquences d’entraînement sous l’autorité d’un sergent sadique) et à Apocalypse Now (pour la plongée dans une jungle méphitique), Unicorn Wars est violent. On pourrait même lui reprocher de se complaire dans sa violence. Autre reproche : celui de vouloir brasser trop large en dénonçant tout à la fois la masculinité toxique, le fanatisme religieux, le bellicisme écocide et le racisme.

On se demande bien quel public ce film touchera. Il n’est manifestement pas destiné aux plus jeunes qui, s’ils le voient, risquent d’être durablement traumatisés. Mais qui, parmi les plus vieux, aura envie d’aller voir un dessin animé avec des oursons et des licornes ?!

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16 ans ★★★★

Nora et Léo ont seize ans et viennent de faire leur rentrée en seconde au lycée. Ils se plaisent au premier regard et s’entr’aiment d’un amour contrarié par le sort. Car Tarek, le grand frère de Nora travaille dans l’hypermarché dirigé par le père de Léo et s’en fait licencier pour un vol qu’il affirme n’avoir pas commis. L’assaut prolongé des haines parentales condamne cet amour fatal.

Le lecteur cultivé aura peut-être identifié, dans les quelques lignes ampoulées qui précèdent, mes piteux efforts pour paraphraser le prologue archi-connu de Roméo et Juliette (Two households both alike in dignity….) dans sa traduction par Victor Bourgy. Car c’est cette histoire universelle dont 16 ans s’inspire en en modernisant les enjeux.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle entreprise est menée. Roméo et Juliette est peut-être, de tout le répertoire, la pièce la plus souvent adaptée, soit qu’on en respecte scrupuleusement le texte et l’époque soit qu’on s’en éloigne plus ou moins. Baz Luhrmann en avait signé une adaptation d’un kitsch ébouriffant sans en modifier une parole : j’ai encore aux oreilles la voix lugubre du chœur qui ouvre Romeo + Juliet en récitant le prologue dont je viens de citer des extraits. West Side Story en constitue une autre adaptation beaucoup plus libre mais pas moins réussie.

Déjà en 1987, Gérard Blain, dans Pierre et Djemila, avait mis en scène deux adolescents d’une cité HLM dont l’amour se brise sur les préjugés raciaux et les conflits de classe. C’est la même et riche formule, qui entremêle la tension romantique et les enjeux politiques, que reproduit près de quarante ans plus tard Philippe Lioret. Ce réalisateur est l’un des meilleurs de la scène française. Sa filmographie, aussi concise soit-elle, ne compte que des pépites : L’Equipier (2004), Je vais bien, ne t’en fais pas (2006), Welcome (2009), Toutes nos envies (2011), adapté du livre que j’ai tant aimé d’Emmanuel Carrère, Le Fils de Jean (2016)…

Deux qualités m’ont particulièrement touché dans ce film
La première – comment pourrait-il en être autrement – est la fraîcheur de ses deux acteurs principaux et la beauté radieuse de leur amour. On le dit souvent ; mais on l’oublie plus souvent encore : Romeo et Juliette (qui fêtera ses quatorze ans dans deux semaines nous apprend le texte de Shakespeare) sont des enfants et s’aiment d’une passion virginale. La mise en scène de Stuart Seide au Théâtre du Nord en 1999 y insistait. Sabrina Levoye et Teïlo Azaïs l’incarnent avec une pudeur et une retenue bouleversantes.
La seconde est la richesse du scénario qui ne ménage aucun temps mort. L’histoire racontée par Shakespeare est bien loin ; mais l’enchaînement tragique est aussi implacable. Reprocherait-on aux figures des pères ou du frère leur simplisme, je répondrais qu’elles sont, comme dans la tragédie grecque, comme chez Shakespeare des archétypes ? Quant à l’issue du drame, qu’on redoute fatale, elle nous réserve deux splendides surprises.

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Nostalgia ★☆☆☆

Felice Lasco a quitté Naples à quinze ans, pour des motifs qui s’éclaireront lentement. Il a fait sa vie au Caire, s’y est converti à l’Islam et y a pris femme. Il revient à Naples quarante ans plus tard et y retrouve avec nostalgie le quartier de son enfance. Sa vieille mère, recluse dans un appartement borgne, l’attendait pour mourir et Felice s’emploie à adoucir ses derniers moments. Il sympathise avec un prêtre courageux qui dépense toute son énergie à lutter contre l’influence délétère de la Camorra parmi la jeunesse. Il apprend qu’Oreste, son ami d’enfance, est devenu le caïd, aussi craint que respecté, du quartier.

En compétition officielle à Cannes, Nostalgia arrive sur les écrans précédé d’une réputation flatteuse et méritée. C’est en effet un film triste et beau, calé sur les épaules puissantes de son interprète principal. Pierfrancesco Favino, une star en Italie, a enfin accédé à la célébrité en France grâce à son interprétation dans Le Traître. Mais on avait déjà remarqué sa silhouette bourrue, sexy en diable, dans Romanzo Criminale, ACAB, Piazza Fontana, Suburra, autant de films, aussi réussis les uns que les autres, qui dessinent, l’air de rien, une histoire contemporaine de l’Italie.

Pourtant on lit ici ou là quelques voix dissidentes. Ainsi dans Critikat : « Nostalgia est de ces films sur la nostalgie où les personnages marchent les mains dans les poches, la tête en l’air, en regardant les façades des immeubles avec un air à la fois grave et pensif. »
Je n’aurais pas osé être si méchant. Pour autant, même si j’ai été happé pendant les presque deux heures que dure ce film, je ne suis pas loin de penser la même chose. Une fois dévoilé le drame fondateur qui a poussé le jeune Felice à l’exil, le film perd de son intérêt. Le jeu de cache-cache auquel se livrent les deux héros avant leur rencontre si longtemps repoussée peine à dissimuler le seul motif du film : la vie est faite de bifurcations, de choix qui peuvent mener dans des directions radicalement différentes.

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Tirailleurs ★★☆☆

Bakary Diallo (Omar Sy) est un éleveur peul. Sa vie paisible auprès de sa femme et de ses enfants est brutalement interrompue lorsque l’armée coloniale française vient dans son village en 1917 y recruter de force des tirailleurs pour combattre contre l’Allemagne. Pour protéger son fils Thierno (Alassane Diong), son père s’engage. Mais ses tentatives d’évasion échouent et les deux soldats se retrouvent bientôt sur le front à Verdun.

Tirailleurs a été au centre d’une polémique quelques jours avant sa sortie. Une polémique qui a d’ailleurs peut-être servi à donner au film, noyé dans une programmation surabondante, une visibilité qu’il n’aurait pas eue. Cette polémique est née d’une phrase d’une interview donnée par Omar Sy au Parisien. L’acteur y comparait l’émotion suscitée par la guerre en Ukraine avec celle, bien moindre selon lui, que provoque un conflit en Afrique. On lui a aussitôt reproché son ingratitude. Il se défendit en affirmant qu’il avait été mal compris.

Cette polémique semble bien vaine quand on regarde Tirailleurs, qu’on appréciera sans qu’il soit besoin d’en avoir eu connaissance ni a fortiori de compter au nombre des accusateurs ou des défenseurs de son acteur principal.

Sur le papier, Tirailleurs faisait craindre de réutiliser la recette, indigeste, d’Indigènes, un film grand spectacle destiné à défendre une thèse politiquement très correcte – et historiquement parfaitement exacte. Cette thèse s’articule en trois points.
1. Pour se défendre face à l’Allemagne durant les deux guerres mondiales, la France a recruté de force dans ses colonies des hommes. 2. Ces soldats, improprement appelés « tirailleurs sénégalais » alors qu’ils venaient non seulement du Sénégal mais aussi d’autres colonies africaines, ont largement contribué à l’effort de guerre et subi des pertes massives. 3. Cette contribution n’a pas été reconnue à sa juste valeur et les promesses agitées par le commandement n’ont pas été tenues après la victoire.

Tous ceux que la repentance exaspère et qui reprochent au devoir de mémoire d’être trop souvent invoqué pour nous obliger à regarder lucidement notre passé peuvent être rassurés : Tirailleurs, contrairement à ce qu’on pouvait en augurer, n’exploite pas cette veine-là. Tous ceux qui au contraire en escomptaient un discours édifiant lui reprocheront de passer quelques vérités historiques bien senties sous silence.

Tirailleurs est beaucoup plus subtil. Bien sûr, son histoire se déroule dans le décor hyperconnoté des tranchées de 1917. Sans atteindre l’efficacité immersive du film de Sam Mendes, on y retrouve la boue, la crasse, le bruit assourdissant des bombardements, l’absence de sommeil et la peur panique des assauts. On y retrouve aussi l’absurdité de la guerre et de la stratégie menée par les états-majors français et allemand.

Mais Tirailleurs est avant tout un film sur la relation père-fils. Elle l’est dans son postulat de base, à la limite de la crédibilité : ce père qui accepte en s’engageant de risquer sa vie pour protéger celle de son fils. Mais elle l’est surtout dans l’évolution des deux personnages au front. Le père n’a qu’une obsession : s’évader et regagner l’Afrique. Le fils, qui parle français, découvre un nouveau monde et caresse l’ambition de s’y intégrer.
Si le film avait été manichéen, il aurait montré comment ces espoirs d’intégration se seraient fracassés au mur du racisme des officiers français. Mais il n’utilise pas cette facilité-là. Il préfère donner à la fin du film une dimension presqu’élégiaque qui, loin d’insister sur les fautes – bien réelles – commises, met l’accent sur la contribution à l’effort de guerre et au sang versé ensemble pour défendre la patrie. Soyons-lui en reconnaissants.

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Venez voir ☆☆☆☆

À Madrid, un soir d’hiver, deux couples écoutent un concert de jazz. Le Covid les a longtemps empêchés de se voir. Susana et Dani habitent désormais hors de Madrid, à la campagne, dans une maison dont ils ont hérité. Ils apprennent à Elena et Guillermo qu’ils attendent un heureux événement et les invitent à leur rendre visite rapidement.
Elena et Guillermo, indécrottables citadins, mettront plus de six mois pour honorer cette invitation, prendre à Atocha un train de banlieue et aller passer le dimanche chez leurs amis.

Jonas Trueba s’est fait connaître en France avec Eva en août, un film qui a enthousiasmé les cinéphiles qui furent nombreux à le classer dans leur hit parade 2020 mais dont j’avais trouvé, à rebours de l’euphorie générale, bien ennuyeuses les déambulations de son héroïne (Itsaso Arano qu’on retrouve ici dans le rôle de Elena). Le réalisateur avait ensuite sorti un interminable documentaire de 3h40, Qui à part nous, dans lequel il filmait l’évolution, sur une période de cinq années, d’une bande d’adolescents madrilènes.

Il revient à un format plus raisonnable dans ce film à la brièveté déroutante, qui s’interrompt brutalement après une heure et quatre minutes, comme si la pellicule était venue à manquer.

Le Monde écrit que Venez voir « frôle l’inconsistance » ; j’aurais été plus sévère et lui aurait reproché de s’y noyer. Il se résume à deux discussions interminables filmées entre les deux couples, la première dans la boîte de jazz, la seconde autour de la table dominicale. On n’apprend d’eux presque rien sinon qu’ils sont à un tournant de leur vie, qu’ils caressent des rêves déçus de parentalité et que leur écologie politique peine à s’incarner dans une démarche de vie (la campagne où Susana et Dani se sont installés n’a rien de bucolique). En revanche, on a droit à une interminable fiche de lecture de l’essai passablement incompréhensible du philosophe allemand Peter Sloterdijk Tu dois changer ta vie. Quelques ornementations sursignifiantes accompagnent ce pâle motif : le piano virtuose de Chano Dominguez, les poèmes d’Olvido Garcia Valdés sur l’irréalité, la chanson country alternative de Bill Calahan Let’s Move to the Country

On sort de la salle avec la désagréable impression d’un foutage de gueule prétentieux et vain.

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