Billie Holiday, une affaire d’État ★☆☆☆

La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer et dans l’Amérique, encore ségrégée, Billie Holiday (Andra Day) est au sommet de sa carrière. Son interprétation de Strange Fruit, une métaphore déchirante du lynchage, lui vaut l’hostilité du FBI qui utilise ses deux points faibles pour la discréditer : son instabilité sentimentale et sa consommation inquiétante de drogue. Jimmy Fletcher (Trevante Rhodes), un inspecteur sous couverture qui se fait passer pour un soldat, réussit à se faire admettre parmi son premier cercle pour récolter la preuve des trafics qui y sévissent et faire emprisonner la chanteuse. Mais, tombant sous son charme, l’inspecteur repenti va vite se rapprocher de la chanteuse et tenter vainement de la guérir de ses addictions.

La vie et l’oeuvre de Billie Holiday (1915-1959), la célèbre chanteuse de jazz, vient de faire l’objet d’un documentaire, Billie, réalisé par le Britannique James Erskine, sorti en France en septembre 2020. Ce film en diffère puisqu’il s’agit d’une fiction. Mais la proximité des deux sorties est si grande que les deux oeuvres se répètent immanquablement. Elles racontent, avec une grande fidélité aux faits, la même histoire : le combat d’une femme contre ses démons intérieurs et contre la dureté d’une époque encore profondément raciste.

Billie Holiday, une affaire d’État est adapté d’un essai d’un journaliste britannique publié en français sous le titre explicite de La Brimade des Stups. Cet essai traite de la guerre menée aux Etats-Unis depuis un siècle contre les trafics de drogue, des moyens démesurés mis en oeuvre et de la pauvreté des résultats. Il évoque notamment la figure de Harry Anslinger, un des personnages secondaires du film, qui dirigea pendant plus de trente ans le Bureau fédéral des narcotiques (FBN), affichait un racisme décomplexé, considérait le jazz comme une musique dégénérée et poursuivit Billie Holiday jusque sur son lit de mort. En revanche, la figure de Jimmy Fletcher est fictive.

Billie Holiday, une affaire d’État vaut incontestablement pour l’interprétation de Andra Day dans le rôle titre qui lui a valu le Golden Globe de la meilleure actrice et qui a bien failli lui valoir l’Oscar si Frances McNormand ne lui avait pas été préférée. Il est vrai qu’elle est stupéfiante dans le rôle : d’une beauté saisissante quand elle monte sur scène, les lèvres purpurines, une fleur de magnolia plantée dans les cheveux, elle est méconnaissable, les traits effroyablement creusés, quand elle se shoote.

Mais ni sa prestation ni celle, honnête, des seconds rôles qui l’entourent (Trevante Rhodes avait été révélé dans Moonlight), ne réussissent à hisser ce biopic trop conventionnel au-dessus du tout-venant auquel Hollywood nous a habitués.

La bande-annonce

Au travers des oliviers (1994) ★☆☆☆

Dans un petit village du nord de l’Iran, une équipe de cinéma tourne un film. Toute l’équipe s’agite autour du réalisateur qui procède à un casting dans une école. Il porte son choix sur Tahereh, une jeune fille dont les parents sont morts dans le tremblement de terre qui a dévasté la région. Pour remplacer au pied levé l’acteur bègue incapable de lui donner la réplique, le réalisateur choisit Hossein, un jeune maçon qui avait demandé sans succès la main de Tahereh à sa grand-mère.

En 1987, Abbas Kiarostami tourne dans la petite ville de Koker Où est la maison de mon ami ? un court film qui le fait connaître à l’étranger et notamment en France. Les lieux du tournage sont frappés trois ans plus tard par un tremblement de terre meurtrier. Kiarostami y retourne en 1991 pour y filmer Et la vie continue. Au travers des oliviers, qui constitue une sorte de making-off de ce film-là, vient clore cette trilogie.

Le film jouit d’une réputation élogieuse. Il le doit au prestige de son auteur, Abbas Kiarostami, qui passe pour le plus grand réalisateur iranien contemporain, le seul à avoir jamais reçu la prestigieuse Palme d’or (en 1997 pour Le Goût de la cerise). L’oeuvre de l’illustre octogénaire fait actuellement l’objet d’une rétrospective en salles. C’est aussi avec beaucoup d’humilité que je m’autoriserai une critique moins enthousiaste.

Sans doute ce film plonge-t-il avec une grande douceur dans la vie quotidienne d’un petit village iranien, loin de la capitale et de ses artifices, et filme-t-il avec beaucoup de pudeur le deuil qu’il continue à porter. Sans doute aussi constitue-t-il une mise en abyme du cinéma en train de se faire, avec ses hésitations, ses temps morts, ses répétitions. Mais, pour autant, une fois signalées ces qualités-là, force est de constater qu’on s’ennuie ferme pendant plus de cent minutes à regarder derrière le pare-brise d’une voiture cahotante les paysages, certes majestueux, de la campagne iranienne. Et nos nerfs sont mis à rude épreuve, pendant le dernier tiers du film, devant la répétition irritante de la même prise que les acteurs, débordés par leurs sentiments, ne parviennent pas à jouer correctement.

La bande-annonce

Les Séminaristes ★☆☆☆

Dans la Tchécoslovaquie des années 80, l’Église catholique est divisée. Une partie d’entre elle a dû accepter de se placer sous la férule du régime communiste pour continuer à former ses prêtres, à les ordonner et à leur confier une paroisse avec l’autorisation d’y dire la messe ; une autre a au contraire refusé cette compromission et est entrée dans la clandestinité. C’est dans ce contexte troublé que Juraj et Michal entrent au séminaire de Bratislava. Très vite, comme leurs aînés, ils devront effectuer des choix cornéliens qui mettront en péril leur foi, leur amitié sinon leur vie.

Les Séminaristes est une production slovaque distribuée en France par l’ARP pour des motifs qui défient le bon sens. On voyait mal a priori, alors que, dit-on, des dizaines sinon des centaines de films attendent en vain une date de sortie, comment les spectateurs seraient attirés en foule par ce film en noir et blanc au sujet plombant. On le voit encore plus mal quatre-vingt minutes plus tard, une fois sorti d’une salle quasi-déserte (cinq spectateurs au total).

Certes, au-delà de la question purement historique de la subordination du clergé catholique au régime communiste tchécoslovaque, Les Séminaristes tangente un sujet universel : la disposition chez l’homme à accepter de compromettre ses valeurs. Mais il le traite avec des effets de style trop encombrants : un son saturé, des cadrages millimétrés, des noirs et blancs très travaillés, un scénario qui multiplie les ellipses et les flashbacks au risque de ne plus rien comprendre (merci à mon intelligente voisine d’avoir éclairé ma lanterne). Même bien disposé à l’égard du cinéma slovaque, même curieux de l’histoire du communisme, le spectateur ne pourra qu’être déboussolé par le manque de contextualisation et écrasé par ce trop-plein de formalisme.

La bande-annonce

Villa Caprice ☆☆☆☆

Le milliardaire Gilles Fontaine (Patrick Bruel) est visé par la justice qui lui reproche les conditions opaques de l’acquisition de la luxueuse Villa Caprice dans la presqu’île de Saint-Tropez. Pour le défendre, il choisit le meilleur avocat parisien, Luc Germon (Niels Arestrup). Les deux hommes au tempérament bien trempé ne se font pas spontanément confiance mais sont condamnés à faire cause commune pour résister à la vindicte du juge d’instruction (Laurent Stocker) qui s’est juré d’avoir la tête de l’homme d’affaires.

Villa Caprice a tout pour appâter le chaland : deux stars en affiche, une bande-annonce qui montre des décors paradisiaques et laisse augurer une histoire vénéneuse, un cocktail de coups tordus, de manipulation et de chantage sexuel.

Hélas, tout se dégonfle très vite face à ce film vieillot tourné par un réalisateur de 78 ans. Bernard Stora en a co-écrit le scénario avec Pascale Robert-Diard, la célèbre chroniqueuse judiciaire du Monde. Mais cette signature prestigieuse, si elle réhausse le cachet du film, ne le rend pas plus juste pour autant. Tout y est en effet outré, paroxystique, caricatural. On y voit Patrick Bruel passer des coups de téléphone depuis son Falcon (on me rétorquera que c’est désormais possible…. mais je n’ai pas assez souvent voyagé en Falcon pour le savoir avec certitude), Niels Arestrup recevoir ses clients dans des bureaux qui ressemblent plus à un palais de satrape babylonien qu’à un cabinet d’avocats.

Le film aurait pu être tourné à peu près à l’identique vingt ans plus tôt. Il y aurait peut-être gagné : ses acteurs en auraient été moins décrépits. Certes, Niels Arestrup y est, comme d’habitude, magistral ; mais on le sent si proche de l’apoplexie qu’on a envie de lui signer un arrêt maladie. Quant à Patrick Bruel, à soixante ans passés, et avec les accusations de harcèlement sexuel qui lui collent à la peau, il est moins séduisant que vaguement malaisant.

On escomptait un scénario alambiqué à double fond. Et on en est pour son argent. Car le double fond s’avère vite coquille vide. Les démêlés de Gilles Fontaine avec la justice se dénouent miraculeusement ; quant au face-à-face final entre les deux hommes, dont je ne dirai mot à la fois parce que je ne veux pas divulgâcher et que je ne suis pas sûr d’en avoir compris tous les ressorts, il se solde par une conclusion ridicule.

Restent les décors. Le cap Taillat est superbe sous le soleil méditerranéen. Mais, aussi joliment filmé soit-il, il ne suffit pas à lui seul à donner une seule étoile à ce Villa Caprice trop poussiéreux.

La bande-annonce

Des hommes ★★☆☆

Bernard alias Feu-de-bois (Gérard Depardieu) est un vieil homme rongé par la solitude, la haine de soi et des autres. L’esclandre qu’il provoque à l’anniversaire de sa sœur Solange (Catherine Frot), devant son cousin Rabut (Jean-Pierre Darroussin), conduit les trois personnages à plonger dans leurs souvenirs enfouis de la guerre d’Algérie où Bernard et Rabut avaient été enrôlés.

Des hommes est d’abord un roman poignant de Laurent Mauvignier publié en 2009 aux Editions de Minuit, distingué par le Prix des libraires 2010. C’est un texte magnifique dont Lucas Belvaux, à tort ou à raison, a du mal à s’éloigner et dont il fait lire de longs extraits par les voix immédiatement reconnaissables de ses trois acteurs.

Cette fidélité excessive au texte n’est pas le seul défaut d’un film qui en compte beaucoup. Le principal est peut-être la présence encombrante de trois monstres sacrés du cinéma français. Gérard Depardieu n’a jamais été aussi obèse, aussi lent, aussi apoplectique, en un mot aussi depardien. Son tarin est si gros (ce qui n’est pas la moindre ironie pour l’interprète de Cyrano) qu’il finirait presque par le cacher si l’acteur n’était pas si massif. Quand il apparaît à l’écran, on a du mal à prendre au sérieux le personnage qu’il est censé jouer. C’est un peu le même problème pour Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot qu’on a décidément trop vus dans des rôles très proches : le bon bougre le cœur sur la main et la sœur de province un peu coincée.

Des hommes n’en a pas moins une grande qualité : parler de ces « événements » d’Algérie sur lesquels le pouvoir politique et le cinéma français ont longtemps voulu jeter un voile pudique. L’affirmation un brin simpliste selon laquelle, à la différence d’Hollywood et la guerre du Vietnam, le cinéma français aurait ignoré la guerre d’Algérie, est toutefois à tempérer. Il n’en reste pas moins que les films sur le sujet sont rares et plutôt mineurs. Des hommes a le mérite de traiter le sujet de front – même si paradoxalement, le livre ne cessait de répéter que « il n’y [avait] pas de mots pour dire cela ». Prenant le point de vue d’hommes du rang embarqués dans un conflit qui les dépasse, il filme avec beaucoup de justesse l’ennui des cantonnements, la vulgarité des comportements auxquels cet ennui émollient conduit et le déchaînement inattendu et sidérant d’une violence inhumaine.

La bande-annonce

Suzanna Andler ☆☆☆☆

Suzanna Andler (Charlotte Gainsbourg), la quarantaine, est mariée et mère de famille. Son mari, Jean, la trompe éhontément. Suzanna a pris un amant, Michel (Niels Schneider). Venue sur la Côte d’Azur à la morte saison pour y louer une maison, elle s’interroge sur ses sentiments pour Jean et pour Michel.

Quelle mouche a piqué Benoît Jacquot, qu’on connaissait plus inspiré, ses acteurs et ses producteurs, pour aller ressusciter cette pièce démodée de la dramaturge la plus démodée des Trente Glorieuses ? Marguerite Duras était déjà exaspérante de son vivant. On la soupçonne d’ailleurs d’en avoir fait profession. Elle l’est encore plus vingt ans après sa mort. Son théâtre sans rythme, sans vie, qui s’étire en d’interminables face-à-face, qui triture le vide de nos existences avec un plaisir masochiste, était vain. Le temps qui passe ne lui a pas conféré la valeur qu’il n’a jamais eue.

J’avais eu la main lourde en mettant un zéro pointé à India Song – qui passe, aux yeux d’un grand nombre, pour un chef d’oeuvre. Benoît Jacquot y fut le premier assistant de l’auteure du Barrage contre le Pacifique et de Moderato Cantabile qui s’était piquée, alors qu’elle n’y entendait rien, de faire du cinéma ; et c’est sans doute à ce lointain héritage qu’on doit aujourd’hui de sa part ce retour au source. Ma main ne tremble guère au moment d’évaluer ce Suzanna Andler tant ce film m’a semblé dépourvu du moindre intérêt. Les spectateurs qui ont lentement déserté la salle pendant la séance, écrasés comme moi par un trop-plein de vacuité, me confortent dans ma sévérité.

Habillée par Yves Saint Laurent dans un improbable manteau ocellé, Charlotte Gainsbourg a l’air de s’y ennuyer autant que nous. Elle embrasse sans sensualité un Niels Schneider aussi mollasson qu’elle. Deux personnages secondaires viennent compléter le casting : un agent immobilier et une ancienne maîtresse de Jean. Tel est l’avantage de l’adaptation des pièces de théâtre : les acteurs ne sont guère nombreux et le budget n’est pas gaspillé dans la rémunération des figurants (Benoît Jacquot a fait une économie supplémentaire en jouant lui-même Jean qu’on ne voit pas à l’écran mais qui s’entretient longuement avec sa femme au téléphone)

Le film d’ailleurs, qui ne quitte guère les quatre murs d’une villa au charme vieillot (l’action est censée se dérouler dans les années soixante – comme elle aurait pu aussi bien se dérouler en 2090), surplombant la baie de Cassis (l’action est censée se dérouler à Saint-Tropez …. mais bon….), n’aura pas coûté grand-chose. Heureusement pour lui : sa billetterie rapportera encore moins !

La bande-annonce

Petite maman ★★☆☆

Nelly, huit ans, vient de perdre sa grand-mère. Sa mère, Marion (Nina Meurisse), son père et elle vident la maison où Marion a grandi. C’est dans la forêt qui la jouxte, où Marion, enfant, construisit une cabane, que la petite Nelly rencontre son double : une enfant qui lui ressemble comme une goutte d’eau, qui a huit ans comme elle et qui se prénomme Marion. S’agit-il de sa propre mère ? Nelly rêve-t-elle ?

Céline Sciamma est devenue une icône lesbienne avec quatre films qui ont attiré un public de plus en plus nombreux : le déjà très réussi Naissance des pieuvres, tourné à la fin de ses études à la Fémis et qui a révélé Adèle Haenel, l’excellent Tomboy et sa jeune héroïne androgyne, Bande de filles et enfin en 2019 Portrait de la jeune fille en feu, un film incandescent auxquels son sujet, les révélations concomitantes d’Adèle Haenel sur les agressions sexuelles qu’elles avaient subies et la polémique des Césars autour du J’accuse de Polanski eurent tôt fait de conférer un statut d’oeuvre emblématique.

Petite maman raconte une histoire toute simple et pleine d’une poésie charmante. Son scénario flirte avec le fantastique, sans pourtant avoir recours à aucun effet spécial, et tient en une ligne : une enfant rencontre sa mère au même âge. Ce genre de voyage dans le temps n’est pas inédit : dans Peggy Sue s’est mariée et dans Camille redouble, l’héroïne adulte retrouvait le vert paradis de son adolescence. Ces films-là étaient construits sur le ressort de la nostalgie ; ce film-ci est construit sur un ressort plus complexe : celui d’une impossible rencontre avec ses propres parents qu’on n’imagine pas avoir eu un jour le même âge que nous.

Le résultat, disé-je, est poétique et charmant. Mais il risque de décevoir les fans de la réalisatrice qui, sur la seule foi de sa signature, vont se ruer en salles (ce qui ne fera pas de mal aux recettes d’un cinéma français en pleine convalescence, encalminé dans des Suzanna Andler ou des Villa Caprice nullissimes). Ou, pour le dire autrement : quelles critiques et quel succès auraient accueilli ce Petite maman s’il n’avait pas été réalisé par Céline Sciamma ?

La bande-annonce

Promising Young Woman ★★☆☆

Cassie (Carey Mulligan) fut longtemps une jeune femme à l’avenir prometteur. Mais, à l’aube de la trentaine, elle végète chez papa-maman dans un job minable. Chaque week-end, outrancièrement maquillée, elle va en boîte où elle simule la gueule de bois pour donner une leçon aux prédateurs qui feignent de jouer au bon Samaritain pour abuser d’elle. Quel drame dans sa vie explique un tel comportement ? La rencontre de Ryan (Bo Burnham), un ancien camarade de faculté, qui lui fait une cour assidue, la conduira-t-elle à enfin tourner la page ?

Promising Young Woman, premier film d’Emerald Fennell, l’actrice qui campe Camilla Parker Bowles dans la série The Crown, vient d’obtenir l’Oscar du meilleur scénario original. Original, son scénario l’est en effet, qui est construit autour d’une énigme qu’on découvre peu à peu et qui nous ménage jusqu’à sa conclusion d’étonnants rebondissements.

Ces énigmes, ces twists, compliquent la tâche de la critique bien en mal de parler d’un film dont elle s’interdit de divulgâcher ce qui en fait tout le prix. Dire, comme on en lit partout, qu’il relève du rape and revenge, c’est déjà trop en dire – sauf à ajouter immédiatement, pour contredire la conclusion à laquelle vous avez, cher lecteur, trop vite sauté, que, non, Cassie n’a pas été violée durant ses études. Mais cet ajout – dont le seul but était de vous éviter de vous lancer sur une fausse piste – n’est-il pas déjà de trop, l’un des ressorts du film étant peut-être justement de laisser imaginer au spectateur qu’elle avait en fait été violée ? Oh la la… je sens que je m’enfonce…..

Bref, comme on l’aura compris (ou pas !), Promising Young Woman est construit autour d’un concept (mais n’en dis-je pas déjà trop en l’écrivant ?) : l’espoir post #MeToo de modifier les comportements prédateurs masculinistes qu’on a subis en frappant ceux qui les ont fait subir.

Le sujet est d’actualité. Il est même d’utilité publique. Il parlera, espérons-le, aux jeunes spectateurs, garçons ou filles, auxquels le film s’adresse. Reste maintenant, au-delà de toutes considérations éthiques ou politiques, à apprécier sa valeur cinématographique. Et c’est là peut-être que le bât blesse.

Car, après s’être laissé prendre au jeu d’une bande annonce aguichante, on se retrouve face à un rouleau compresseur. Le personnage de Cassie, loin de susciter l’empathie, et aussi remarquablement interprété qu’il soit par la toujours excellente Carey Mulligan (Une éducation, Drive, Shame, Gatsby le magnifique, Loin de la foule déchaînée, Wildlife, The Dig …), se réduit à une seule dimension : être l’instrument d’une vengeance voire d’une croisade. Une fois qu’on a compris son rôle, on prend moins d’intérêt aux événements qu’elle traverse. On en prend d’autant moins que leur crédibilité se réduit de plus en plus jusqu’à un dénouement certes surprenant, mais totalement abracadabrantesque.

La bande-annonce

Il Mio Corpo ☆☆☆☆

Deux destins se croisent dans une petite ville de Sicile écrasée par le soleil, aux alentours d’une mine de soufre abandonnée. Oscar, la quinzaine, est italien ; son père ferrailleur l’élève à la dure. Stanley, la vingtaine, est un immigré nigérian en attente de régularisation ; il vit des petits boulots que lui confie le prêtre de la paroisse.

Il Mio Corpo, nous apprend le dossier de presse, est le troisième volet  d’une trilogie que le jeune réalisateur italien Michele Pennetta a consacrée aux laissés-pour-comptes de Sicile. Pourquoi les deux premiers n’ont-ils pas trouvé le chemin des salles françaises ? Mystère. Pourquoi celui-ci y était-il projeté ? Mystère encore.

Un mystère d’autant plus épais qu’on peine à trouver dans ce film, qui flirte avec le documentaire, le moindre intérêt. La construction en miroir a-t-elle un sens ? le réalisateur a-t-il voulu montrer que la pauvreté n’a pas de couleur ? que Blancs et Noirs partagent les mêmes conditions misérables d’exploitation et d’abrutissement ?
A-t-il voulu raconter une histoire ? montrer une convergence entre deux destins ? À défaut d’avoir compris comment le film se termine – la faute peut-être à un coupable endormissement autour de la soixante-dixième minute – je ne saurais dire. Oscar et Stanley finissent-ils par se rencontrer ? À mon grand soulagement, je constate en lisant les commentaires que je ne suis pas le seul à ne pas être en mesure de répondre à cette question pourtant censée aimanter le film. Bref, si j’avais voulu vous en spoiler la fin, j’en aurais été bien incapable !

La bande-annonce

Balloon ★★☆☆

Drolkar et son mari Dragye mènent une vie heureuse dans les hauts plateaux tibétains, sur les rives du lac Kokonor avec leurs trois enfants. L’aîné va déjà au collège à la ville tandis que les deux facétieux cadets aident leur père et leur grand-père à la ferme. Pour éviter de tomber une quatrième fois enceinte, Drolkar utilise les préservatifs distribués au compte-gouttes à l’hôpital au risque  que ses enfants les lui subtilisent pour en faire des ballons gonflables. C’est ainsi qu’elle tombera enceinte et sera confrontée à un cruel dilemme : avorter pour se conformer à la politique officielle de l’enfant unique (qui, exceptionnellement, tolère trois enfants au Tibet, mais pas un de plus) ? ou garder cet enfant comme le lui demande son mari auquel le lama vient de dire que son père récemment décédé est sur le point de se réincarner ?

Pema Tseden n’est plus un inconnu. C’est le troisième film de ce réalisateur tibétain qu’on voit en France après Tharlo, le berger tibétain en 2018 et Jinpa, un conte tibétain en 2020. Comme les deux précédents, il séduira les cinéphiles en quête d’exotisme, une niche que la distribution française a bien identifiée en lui proposant régulièrement des films qui se déroulent dans les paysages infinis du Tibet ou de Mongolie (La Femme des steppes, le Flic et l’Œuf, L’Histoire du chameau qui pleure, Le Chien jaune de Mongolie, Le Mariage de Tuya).

J’avais reproché aux deux précédents films de Pema Tseden leur maniérisme et leur esthétisme un peu vain. Je leur avais mis une étoile seulement. Je serai plus indulgent avec celui-ci qui s’inscrit dans une veine plus naturaliste et renonce aux afféteries wongkarwai-esques qui les parasitaient. À mi-chemin du documentaire et de la fiction, Pema Tseden narre les jours et les heures d’une famille de fermiers – filmant par exemple la curieuse façon de négocier le prix d’une brebis ou la veillée funéraire du grand-père défunt.

Pour autant, je n’ai pas été totalement transporté. J’adresserai à ce film deux critiques. La première est sa trop longue exposition, l’intrigue tardant à se mettre en place avant une bonne soixantaine de minutes et s’égarant notamment dans des récits secondaires sans intérêt, telle celui de la sœur de Drolkar dont on comprend qu’elle a décidé d’entrer dans les ordres après avoir perdu sa vertu dans les bras d’un professeur. La seconde, qui n’est pas sans lien avec la première, est la trop grande soudaineté de sa conclusion qui, après avoir installé un suspense dont on se demande comment le scénario réussira à se sortir, ne le dénoue pas vraiment à force d’ambiguïtés.

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