Conversation secrète (1974) ★★★☆

Harry Caul (Gene Hackman) est un professionnel de la surveillance. Grâce aux technologies de pointe qu’il utilise, il est capable, avec les collaborateurs qu’il s’est adjoint, d’enregistrer n’importe quelle conversation.
Un mystérieux donneur d’ordre lui a demandé d’espionner un couple adultère. La filature est un défi, en plein midi, sur une place bondée du centre de San Francisco, au milieu de toutes les discussions. Mais Caul et ses hommes parviennent à collecter un enregistrement qui laisse penser que le couple court un danger mortel. Échaudé par un précédent malheureux où ses bandes avaient causé la mort d’une famille, Caul va tout mettre en œuvre pour lui venir en aide.

Francis Ford Coppola est un réalisateur d’anthologie, l’auteur multiprimé de la trilogie des Parrains et d’Apocalypse Now. Conversation secrète, tourné entre les deux premiers Parrains, n’est pas son film le plus connu. Il a pourtant obtenu la Palme d’or à Cannes en 1974.

On rapproche souvent Conservation secrète de Blow Up. le film d’Antonioni, sorti huit ans plus tôt, traite en effet d’un sujet similaire : un photographe prend un cliché dans un parc qui pourrait apporter la preuve du meurtre qui vient d’y être commis. En 1981, sur un thème toujours aussi proche, Brian De Palma tournera Blow Out avec John Travolta et Nancy Allen : un ingénier du son, témoin d’un accident de la circulation, cherche à prouver qu’il s’agit d’un crime au moyen de l’enregistrement qu’il en a fait. Les trois films ont en commun d’interroger les techniques modernes d’enregistrement et la fiabilité qu’on peut leur prêter. Le film d’Antonioni en particulier se termine par une scène d’anthologie en forme de pied de nez.

Conversation secrète a deux dimensions supplémentaires. Ce n’est pas seulement un film sur les technologies modernes. C’est aussi un film politique sur l’usage qu’on en fait dont la sortie au même moment que le Watergate, cette sombre affaire d’espionnage qui allait entraîner la chute de Nixon, allait lui valoir un retentissement que même Coppola n’imaginait pas. Mais c’est aussi un film psychologique sur son héros interprété par Gene Hackman qui était à l’époque encore un quasi-inconnu – tout comme Harrison Ford qu’on croise dans les couloirs des bureaux où Caul est censé remettre le fruit de ses investigations.

Caul ressemble à ces personnages des romans de Graham Greene, tiraillé entre une foi exigeante (Caul est catholique pratiquant) et de sombres menées. Maladivement solitaire, Caul se méfie de tout et de tous. La longue scène où on voit une demi-mondaine tenter vainement de le séduire et de le détourner du décryptage d’une bande sonore qui l’obsède est fascinante. Cette névrose paranoïaque aurait été filmée aujourd’hui avec plus de nervosité. Conversation secrète dure peut-être une vingtaine de minutes de trop. Mais il n’en demeure pas moins une oeuvre à (re)découvrir dans une filmographie flamboyante.

La bande-annonce

Mucho, mucho amor. La Légende de Walter Mercado ★★☆☆

Walter Mercado est une star de la télévision dans toute l’Amérique latine. Ce jeune premier, originaire de Porto Rico, a commencé sa carrière au théâtre et à la télévision avant d’y présenter l’horoscope. Il y est devenu immédiatement célèbre grâce à ses accoutrements kitsch, ses décors grandioses et ses prévisions toujours bienveillantes. En 2006, Walter Mercado a brusquement quitté l’écran. Un documentaire produit par Netflix est parti à la recherche de la star.

Autant le dire sans détour : le suspense sur lequel est soi-disant bâti ce documentaire est levé dès ses toutes premières minutes. On y retrouve en 2018 Walter Mercado, vieilli, mais portant toujours beau, impeccablement maquillé, peigné et costumé, dans sa somptueuse demeure portoricaine, entouré des souvenirs kitschissimes d’une vie bien remplie. La star a quatre-vingts ans bien sonnés mais n’a rien perdu de sa radieuse énergie ni de son exubérante folie.

On apprend bien vite que son éclipse est due aux différends qui l’ont opposé à son agent, qui lui avait fait signer un contrat léonin se réservant le droit sans limitation de durée à son nom et à son image. Ce contentieux a fermé l’accès aux chaînes de télévision à Walter Mercado pendant six longues années. À quoi se sont ajoutés quelques soucis de santé. Si bien que c’est in extremis, début 2019, que la star peut inaugurer, quelques mois avant sa mort, l’exposition que lui consacre le musée d’histoire de Miami pour le cinquantième anniversaire de ses premières émissions d’astrologie.

Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans la découverte de cette personnalité hors du commun, si célèbre dans le monde hispanophone mais quasi-inconnue au-delà. Dans un environnement macho et homophobe, Walter Mercado a brisé les codes. Aussi maniéré que Liberace, aussi diva que Dalida, aussi botoxé que les frères Bogdanoff, Walter Mercado joue de son androgynie. Il refuse de répondre aux questions sur sa sexualité – même si le spectateur, à qui on ne la fait pas, n’en pensera pas moins. Les documentaristes le titillent sur l’astrologie et sur la scientificité de ses prédictions. Mercado, qu’on aurait pu suspecter de camoufler derrière ses capes et ses bijoux une bien triste arnaque, répond avec une honnêteté convaincante : il n’a jamais prétendu donner les résultats du loto mais vendre à quelques malheureux un peu de paix et beaucoup d’amour.

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La femme est l’avenir de l’homme (2004) ☆☆☆☆

La neige tombe sur Séoul. Deux amis d’université se retrouvent et prennent un verre ensemble. Munho s’est marié avec une femme qui le caporalise et enseigne les arts plastiques. Hunjoon rentre d’un long séjour aux Etats-Unis et hésite à enseigner le cinéma ou à sauter le pas de la réalisation. Emportés par leurs rêveries, les deux amis se remémorent Sunhwa, une femme qu’ils ont tous les deux aimée, et décident de la revoir.

Depuis plus de vingt ans, Hong Sangsoo tourne encore et encore le même film. On y croise toujours des hommes d’une trentaine d’années qui se retrouvent dans des restaurants enfumés autour de repas lourdement alcoolisés qui délient leurs langues et embrument leurs souvenirs. Ces hommes retrouvent des femmes plus jeunes qu’eux, souvent des anciennes étudiantes, qu’ils ont aimées et qu’ils aiment encore, avec qui ils ont eu une liaison ou auraient aimé en avoir une. Le film se termine à peu près là où il a commencé, laissant ces héros tristes à leurs rêves d’amour et de succès inaboutis.

La femme est l’avenir de l’homme (un titre qui aurait pu être celui de n’importe lequel des autres films de Hong Sangsoo, un titre auquel aurait pu être substitué n’importe lequel des titres des 25 autres films qu’il a réalisés) a été tourné en 2003. C’est un de ses tout premiers films. C’est le premier à être projeté en compétition officielle à Cannes en 2004 (trois autres le seront ensuite en 2005, 2012 et 2017 mais sans jamais décrocher la moindre récompense).

Je l’avais raté à sa sortie et dois à la rétrospective programmée par Arte.tv de le revoir. Dois-je m’en réjouir ? Non car décidément, je ne comprends rien au cinéma de Hong Sangsoo et n’y adhère pas. J’ai déjà écrit plusieurs fois le mal que j’en pensais, notamment dans mes critiques de Yourself and yours ou de Hotel by the River. Le répèterai-je au risque de me voir retourner le reproche que j’adresse à ce cinéaste répétitif ? Non.

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La Plateforme ★★☆☆

La prison dans laquelle Goreng (Ivan Massagué) a été incarcéré est composée de plusieurs centaines de cellules, accueillant chacune deux prisonniers, disposée verticalement, les unes sur les autres. Chacune est percée, au sol comme au plafond, d’un trou, « la fosse » (El Hoyo, le titre espagnol original) par lequel descend une plateforme chargée de victuailles. Les étages supérieurs se servent les premiers, ne laissant aux étages inférieurs que leurs restes.

Hasard des calendriers, la sortie sur Netflix de ce thriller claustrophobe a coïncidé avec le premier confinement en mars 2020. C’est ce qui explique son succès. C’est ce qui explique qu’un an plus tard, j’y sois allé jeter un œil pour rattraper mon retard.

La Plateforme nous vient d’Espagne. Son dispositif – un homme se réveille dans une prison de cauchemar dont il essaie de s’échapper – rappelle d’autres films similaires bien connus : Saw ou Cube. Mais son sous-texte politique rappelle surtout Snowpiercer et High-Rise : deux métaphores plus ou moins réussies de nos sociétés capitalistes et inégalitaires.

À première vue, la métaphore est simple sinon simpliste et sonne comme une critique dévastatrice de la théorie du ruissellement, l’idée selon laquelle les richesses créées par les plus nantis profiteraient aussi aux plus pauvres. « Détrompez-vous, pauvres gens, nous disent les prisonniers des étages supérieurs qui se baffrent au lieu de laisser leurs parts aux prisonniers des étages inférieurs ; il ne vous restera que des miettes ».

Mais La Plateforme est un peu plus subtil que cette dénonciation manichéenne. Film d’un pessimisme radical, il renvoie dos à dos l’égoïsme du capitalisme, la naïveté de l’humanisme (incarnée par le personnage de Imoguiri qui prône la solidarité par l’exemple) et même la brutalité du communisme. La seule philosophie qui vaille est celle du Don Quichotte, le livre avec lequel Goreng, dont la ressemblance avec le héros de Cervantes est frappante, migre de cellule en cellule : le monde est un théâtre peuplé d’hallucinations dans lequel chacun peut combattre l’injustice.

Sa fin est assez emberlificotée. On trouve sur Internet tout un tas d’interprétations possibles. La plus évidente n’est hélas pas la plus intelligente.

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Versailles (2008) ★★★☆

La vie n’a pas été tendre avec Nina (Judith Chemla) qui est à la rue avec son petit garçon Enzo. Recueillie une nuit de maraude par le Samu social, elle échoue à Versailles où, au cœur de la forêt, elle rencontre Damien (Guillaume Depardieu), qui vit en quasi-autarcie dans une cabane qu’il a construite de ses mains. Nina va lui abandonner son fils pour partir en province se reconstruire. Entre l’homme des bois et le garçonnet se construira une relation quasi-filiale.

J’avais raté Versailles à sa sortie, à l’été 2008. Je rattrape le temps perdu avec France TV qui a la bonne idée de le reprogrammer. Sevré de salles obscures, je découvre la richesse de notre service public qui met gratuitement à disposition des petits bijoux oubliés, pendant que Netflix ou Prime Video déverse à flux ininterrompus des palanquées de comédies insipides ou l’intégrale de JP Belmondo.

Le titre du film ou sa photo où l’on devine en arrière-plan la façade majestueuse du palais de Louis XIV sont mal choisis. Versailles n’a rien de royal ni de solaire. Pas plus ce film rêche ne joue-t-il du contraste entre les ors du château et la misère des vagabonds qui peuplent son parc. On ne verra rien de Versailles ou de ses habitants BCBG.

Selon l’angle qu’il aurait souhaité souligner, Versailles aurait pu s’intituler Hors du monde ou Le Garçon. Car c’est bien de cela dont il s’agit : s’attacher aux pas des plus pauvres, des plus marginaux et y suivre un gamin qui subit sans pleurnicher les avanies d’une vie de misère. Une vie de misère, mais une vie entourée d’amour ; car le petit Enzo voit se succéder autour de lui deux figures aimantes : sa mère d’abord qui aurait sans doute abandonné la partie depuis longtemps si elle n’avait eu la responsabilité de son enfant, puis ce père de substitution qu’une improbable errance en forêt lui a donné. Si cinq ans plus tôt les frères Dardenne ne s’en étaient pas servis, Le Fils aurait été un titre sacrément malin qui jouait sur l’ambiguïté de ce lien de parenté : le fils de qui ?

Guillaume Depardieu y interprète le rôle d’un SDF en rupture de ban, incapable de s’intégrer à un ordre social qui l’a emprisonné avant de l’ostraciser. Ce personnage résonne avec la vie du jeune acteur – qui fit de la prison à dix-sept ans pour trafic de drogue avant de décrocher en 1996 le César du meilleur espoir masculin. Quand il tourne Versailles Guillaume Depardieu a trente-six à peine. Son corps émacié, couvert de cicatrices, sa claudication (il a été amputé d’une jambe en 2003) lui en donnent bien dix de plus. Il mourra deux mois à peine après la sortie du film.

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High Flying Bird ★☆☆☆

Ray Burke (André Holland, le héros de la série The Eddy) a réussi à faire de sa passion pour le basket son gagne-pain : il est agent de joueurs. Il a notamment sous contrat Erick Scott, un rookie prometteur. Mais le lock-out, la grève qui interdit aux joueurs l’accès aux terrains, met en péril son avenir professionnel.

Steven Soderbergh est sans doute l’un des plus grands réalisateurs américains contemporains. En 1989, à vingt-six ans à peine, il décroche la Palme d’or à Cannes avec son premier film, Sexe, Mensonge et Vidéos. Je me souviens de mon enthousiasme à sa sortie devant cet Ovni cinématographique qui soufflait un vent nouveau. Soderbergh a ensuite tissé une carrière originale, zigzaguant entre blockbusters (la trilogies des Oceans, Erin Brockovich…) et films d’auteur (Traffic qui lui vaut l’Oscar du meilleur réalisateur, Solaris…). Il a toujours su s’entourer des acteurs les plus bankables du moment : George Clooney, Matt Damon, Julia Roberts, Benicio del Toro… Annonçant régulièrement sa retraite, mais revenant toujours sur ses annonces, il s’essaie à de nouvelles formes de cinéma : les courts métrages, les séries, les films TV. En 2018, il tourne en dix jours avec un IPhone8 Paranoïa, un petit bijou schizophrène et claustrophobe. C’est avec le même procédé qu’il tourne High Flying Bird dont il assure non seulement la réalisation mais aussi la photographie et le montage.

Pour comprendre et apprécier son film, sorti directement sur Netflix en février 2019, il faut connaître le basket américain, savoir ce qu’est un rookie (un joueur fraîchement émoulu qui effectue sa première année en Ligue), avoir suivi les lock-out, ces parties de bras de fer opposant le syndicat des joueurs, la ligue et les propriétaires des clubs qui ont émaillé l’histoire de la NBA ces trente dernières années.

Ces références me faisaient défaut. Du coup, le plaisir que j’ai pris à High Flying Bird en fut diminué d’autant. J’avoue n’avoir pas accroché à cette histoire dont je ne comprenais pas les enjeux. Son principal ressort ne s’est éclairé pour moi qu’à la toute fin du film. Trop tard !

La bande-annonce

Passe ton bac d’abord (1979) ★★☆☆

Une tranche de vies de quelques jeunes l’année de leur terminale. Leur horizon est borné par le bac, qu’ils sont censés passer en fin d’année et qui leur ouvrira la porte d’un avenir qui ne les fait pas rêver. D’origine modeste, de milieu souvent populaire, ils vivent à Lens dans un milieu ouvrier. Leur seul loisir est de hanter le bistrot du coin et, les soirs de match, les tribunes du stade Bollaert. Avec les beaux jours, ils s’autorisent une virée sur les plages de la mer du Nord.
Elisabeth (Sabine Haudepin) étouffe auprès de ses parents. Elle s’est mise en couple sans l’aimer vraiment avec Philippe qu’ils ont tôt fait de considérer comme leur gendre. Agnès passe de bras en bras et décide d’épouser Rocky pour se caser. Bernard est un briseur de cœurs qui rêve de partir à Paris.

Passe ton bac d’abord est l’anti-Diabolo menthe qui avait fait un tabac un an plus tôt, l’anti La Boum qui fera un triomphe un an plus tard. Il n’en a pas la légèreté sucrée. Il n’explore pas non plus la veine comique de À nous les petites anglaises ou des Sous-doués qui ont fait se gondoler de rire la France entière. Ces films-là montrent des adolescents parisiens, rieurs et optimistes, séduisants et séducteurs, pour qui la vie n’est qu’un prétexte à flirts et déconnades.

Fidèle aux règles exigeantes de son cinéma, Pialat filme la vérité sans fard. Il a recours à des acteurs quasi-amateurs qu’il tétanise par ses colères légendaires et dont il recherche avant tout l’authenticité. Il plante sa caméra dans le bassin minier du Pas-de-Calais à mille lieux des beaux quartiers policés où Diabolo Menthe, La Boum ou Les Sous-doués se déroulaient.

Le résultat est contrasté. Passe ton bac d’abord a vieilli. Beaucoup. Et mal. L’image a jauni ; le son est mauvais. Les acteurs sont empruntés dans des rôles qu’ils peinent à habiter, à l’exception peut-être de Sabine Haudepin qui – et ce n’est pas un hasard – est la seule du lot qui fera carrière. Plus grave encore : à force de refuser toute dramatisation inutile, Pialat (qui est aussi scénariste et dialoguiste de ses films) raconte une histoire sans drame dont on peine à s’intéresser.

À défaut d’être une œuvre de cinéma immémorable, Passe ton bac d’abord n’en reste pas moins un témoignage sociologique fascinant d’une France pas si ancienne, puisque j’étais déjà né, mais pourtant déjà si vieille, puisqu’elle a plus de quarante ans. Dans les années soixante dix, la France sortait des Trente Glorieuses et entrait dans une crise dont elle ne s’est jamais vraiment décidée à sortir. Le bassin minier fermait ses puits un à un, laissant sur le carreau ses mineurs silicosés. Ses jeunes reçoivent les injonctions contradictoires de leurs enseignants : leur prof de philo, aussi paumé qu’eux (et qui drague une lycéenne dans une scène qui aurait de nos jours provoqué la censure illico du film), les enjoigne à « désapprendre » ; leur prof de sport, lors d’un match de handball, les presse de se « démarquer ». Qu’ont-ils diable appris qu’ils puissent désapprendre ? Quel modèle leur est-il proposé qui puisse les inciter à se « démarquer ?

La bande-annonce

Anon ★☆☆☆

Dans un futur proche, des implants oculaires et d’immenses base de données permettent à la police de connaître les allées-et-venues de chaque individu en temps réel. Une série de meurtres n ‘ont pas été élucidés. Ils n’ont pu être réalisés qu’au prix d’une manipulation informatique sophistiquée pour contourner ce dispositif de surveillance. L’inspecteur Sal Frieland (Clive Owen) est chargé de l’enquête. Il réussit à piéger une mystérieuse hackeuse (Amanda Seyfried).

Andrew Niccol est un réalisateur que j’adore et dont j’ai vu tous les films. Son tout premier, Bienvenue à Gattaca, est un de mes films préférés – que je n’ose pas revoir de peur de constater combien il a vieilli. S1m0ne, l’invention d’une star analogique, m’avait moins convaincu. Lord of War, sur les traces d’un trafiquant d’armes en Afrique, contient l’un des plans d’ouverture les plus incroyables de l’histoire du cinéma. Time Out est une distrayante dystopie servie par ses deux jeunes interprètes, Amanda Seyfried (qu’on retrouve au casting de Anon) et Justin Timberlake. Good Kill enfin est une réflexion intelligente sur l’éthique des pilotes de drone.

C’est donc avec gourmandise que je me suis précipité sur son dernier film, directement sorti en mai 2018 sur Netflix.

Hélas le résultat n’est pas concluant. Certes Andrew Niccol a réussi à créer une atmosphère, une ambiance, qui n’est pas sans rappeler celle de La Taupe avec des décors minimalistes, des rues sans trafic, d’immenses espaces de bureaux, des appartements sans âme… Des fonctionnaires de police habillés à la mode des années cinquante s’y croisent sans mallette ni papier, leur outil de travail au fond de leur œil, chuchotant quelques lignes de dialogues souvent hermétiques.

Si donc les décors et les costumes sont remarquables, le scénario ne tient pas la route. On s’y intéresse un moment ; puis on s’en désintéresse une fois qu’on croit en avoir compris le pauvre ressort jusqu’à une scène finale qui me sera définitivement restée obscure.

La bande-annonce

La Terre (1930) ★★☆☆

L’Ukraine au temps de la collectivisation. Le monde ancien meurt ; un nouveau lève. Un vieux paysan encore voûté sur sa charrue s’inquiète des changements en cours. Mais son fils Vassili déborde d’enthousiasme. Avec la collectivisation viendra la mécanisation symbolisée par ce tracteur qui arrive sous les applaudissements des paysans et qui facilitera la récolte. Vassili exulte et partage sa joie avec Natalka sa fiancée.
Mais les évolutions en cours ne sont pas du goût de tous. Khoma, le fils du koulak, hostile à la collectivisation et jaloux de Vassili, le tue d’une balle. Le père de Vassili refuse que son fils soit enterré selon le rite orthodoxe. C’est une foule silencieuse qui accompagne la dépouille du jeune kolkhozien tandis que Khoma, devenu fou, confesse son crime.

La Terre d’Alexandre Dovjenko est un film d’anthologie. « Le plus beau film du monde » annonce Bach films, avec un brin d’exagération, sur la jaquette du DVD. C’est que La Terre marque l’apogée du cinéma muet soviétique, dans la lignée des grands films de Eisenstein (Le Cuirassé Potemkine, Octobre) qui en ont éclipsé la mémoire.

La Terre est bien sûr une œuvre de propagande qui ne recule devant aucune outrance. Vassili incarne jusqu’à la caricature l’énergie et l’enthousiasme des jeunes forces révolutionnaires qui réussit à convaincre son vieux père des avantages de la modernisation là où le vieux pope reste prisonnier de son obscurantisme. Khoma au contraire est l’archétype du koulak aigri et revanchard dont même la Pravda, dans sa critique de l’époque, avait pointé du doigt le manichéisme. On ne peut aujourd’hui regarder cette ode à la collectivisation sans avoir à l’esprit l’effroyable famine qu’elle allait provoquer en Ukraine deux ans plus tard.

Pour autant, si on fait litière de cet encombrant arrière-plan propagandiste, si on accepte les conventions et les lourdeurs du muet, aujourd’hui irrémédiablement passées de mode, si on n’est pas rebuté par l’état catastrophique de l’image qui a pourtant été restaurée au début des 70ies par Mosfilm, on ne peut que se laisser emporter par l’énergie panthéiste, par la virtuosité sensuelle qui se dégage de La Terre.

Le film en v.o.

Connasse, princesse des cœurs ☆☆☆☆

Egocentrique et prétentieuse, Camille, la trentaine, a une (très) haute d’idée d’elle-même, de sa beauté, de son intelligence et de la vie merveilleuse qu’elle pourrait avoir loin de la  France qu’elle juge trop médiocre pour elle. Aussi décide-t-elle de partir au Royaume-Uni pour y épouser le prince Harry.

Pendant deux ans, Camille Cottin a été l’héroïne d’une série shortcom diffusée à une heure de grande écoute sur Canal. Elle y interprétait le rôle d’une pétasse imbue d’elle-même. Les mini-épisodes de deux minutes à peine, tournés en caméra cachée, la plaçaient dans des situations hilarantes. Son humour irrévérencieux y faisait souvent mouche.

Le succès de la série a immanquablement conduit ses réalisatrices, Eloïse Lang et Noémie Saglio, à passer au long. Le film a attiré près de 1,2 millions de spectateurs en salles au printemps 2015.

Pourtant, Connasse est doublement décevant. Son scénario poussif peine à s’assumer pour ce qu’il est : un prétexte à aller tourner outre-Manche des scènes en caméra cachée que la notoriété de Camille Cottin ne permettait plus de tourner en France. Il devient la trame sans grand intérêt d’une succession de saynètes plus ou moins réussies. Prises isolément, elles nous faisaient sourire au beau milieu du Grand journal de Canal dont elles partageaient l’humour potache. Mais mises bout à bout, elles deviennent vite répétitives et l’héroïne, dont les outrances nous avaient d’abord fait sourire, finit bientôt par nous sortir des yeux.

Il y a de mon point de vue plus grave : le tournage en caméra cachée. Il repose sur un pacte implicite avec le spectateur : ce que nous allons vous montrer est drôle parce que vrai, spontané, non joué. Ce pacte me semble être la négation du cinéma, de ce qu’il autorise, de ce qu’il permet : la recréation, poussée à la perfection, de moments de vérité. La caméra cachée qui court après une chimère – l’émotion que créerait la réalité – se condamne irrémédiablement, aussi virtuose soit le montage, à une mauvaise lumière, un mauvais son, un mauvais jeu d’acteurs….

L’humour suscité par ces saynètes tournées en caméra cachée, qu’il s’agisse de celles, innocentes, qu’on nous passe en boucle dans les vols low cost quand ils ont plus d’une heure de retard, ou celles jouées par Sacha Baron Cohen, François Damiens ou Camille Cottin, repose sur un ressort qui me met énormément mal à l’aise : le Rhooooo qui nous échappe face à une situation choquante. Pourquoi rit-on ? De quoi rit-on ? De l’abattage, du culot des acteurs dont on reconnaît le talent à se mettre en danger – par exemple, dans Connasse, ceux de Camille Cottin pour escalader les grilles de Kensington Palace ou pour aller perturber la Relève de la garde ? Ou bien de la réaction des passants, filmés à leur insu, qui manifestent face aux situations dans lesquelles on les place un mélange d’abasourdissement et de désapprobation muette ?

Je me souviens de la gêne que j’avais éprouvée en regardant Borat, entre deux éclats de rire. C’est la même gêne que j’ai éprouvée face à Connasse, les éclats de rire en moins.

La bande-annonce