Poissonsexe ★★☆☆

Dans un futur proche, la pollution a vidé les océans de sa population. Il n’y a plus de poissons et une seule baleine qui s’approche des côtes françaises et menace de s’y échouer.
Daniel (Gustave Kervern) est ichtyologue titulaire d’un doctorat que personne n’a lu sur le langage des piranhas (sic). Il travaille dans un laboratoire qui cherche sans succès à éclairer les causes de la baisse de fertilité des poissons. Sa vie privée est elle aussi un champ de ruines. Sans conjoint, sans enfants, sans amis, retrouvera-t-il goût à la vie auprès de Lucie (India Hair), la serveuse qui lui sert tous les matins son café et sa viennoiserie au café où il a ses habitudes ?

Une semaine après Effacer l’historique, on retrouve Gustave Kervern, cette fois-ci de l’autre côté de la caméra. Gros nounours triste et attachant, il joue ici sous la direction d’Olivier Babinet dont le précédent film, Swagger, avait pour cadre les HLM déshumanisés d’Aulnay-sous-Bois.

La présentation que j’en ai faite ne doit pas  induire en erreur : Poissonsexe n’est pas une dystopie façon Black Mirror qui interroge l’avenir de l’humanité confronté aux défis écologiques. Si son action se déroule dans un laboratoire, s’il y est beaucoup question de la reproduction et de la fertilité des poissons, si même une curieuse salamandre y joue un rôle important, l’essentiel est ailleurs : Poissonsexe est avant tout l’histoire d’un homme un peu paumé qui va renaître à la vie.

On a vu se multiplier ces temps ci ce genre de films qui croisent deux sujets en un : une étude de mœurs dans un laboratoire où se réalisent des recherches avant-gardistes. Ce fut le cas l’automne dernier de Little Joe avec une plante capable de diffuser du bonheur ou en 2016 du Secret des banquises où Guillaume Canet étudiait l’ADN des pingouins. La recette ne convainc qu’à moitié. Sans doute l’ambiance futuriste, parfois angoissante, parfois loufoque, donne-t-elle à ces films une connotation particulière ; mais bien vite cette « ambiance » s’épuise, résumant l’histoire à sa plus simple expression, une banale histoire d’amour.

Tel est le défaut de Poissonsexe. Comme son titre, mot-valise faussement imaginatif, la fable futuriste qu’il échafaude révèle vite ses limites. Ces poissons qui disparaissent, cette baleine qui s’échoue se dévoilent vite pour ce qu’ils sont : la métaphore d’un monde houellebecquien incapable d’aimer et hanté par le spectre de sa disparition. Mais la démonstration ne va pas à son terme. Comme s’il avait été effrayé par pareille noirceur, Olivier Babinet termine son film, ainsi qu’on l’avait pressenti, par un rayon de douceur rassérénant, mais un peu trop convenu.

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Dans un jardin qu’on dirait éternel ★★☆☆

Noriko a vingt ans et ne sait pas vraiment quoi faire de sa vie. Sa cousine Michiko est plus vive et plus volontaire. Un beau jour, sur la suggestion des parents de Noriko, les deux jeunes filles décident d’aller s’initier à la cérémonie du thé auprès de Mme Takeda. Les années passent ; mais le rituel hebdomadaire de la leçon chez la vieille professeure continue.

Dans un jardin qu’on dirait éternel est l’adaptation d’un livre de Noriko Morishita au titre explicite : La Cérémonie du thé – Ou comment j’ai appris à vivre le moment présent. Y sont entrelacés deux récits. D’un côté, un quasi-documentaire sur la cérémonie du thé au Japon, ses règles ancestrales, ses rituels précis, sa philosophie. De l’autre, l’histoire d’une jeune femme qui se cherche et qui se trouve.

Son rythme est lent voire languide. Mais Dans un jardin… n’est jamais ennuyeux. Sa narration s’étire sur plus de vingt ans pour embrasser la vie d’une femme, de la sortie de l’adolescence à l’âge mûr. Cette vie, on ne l’apprend que par bribes : la fin des études, le premier travail, des fiançailles avortées, la mort du père… Passée à la moulinette de Hollywood, une telle vie aurait été dramatique, pleine de rebondissements, de ruptures et de réconciliations. Sous l’œil d’un réalisateur japonais, tamisée par les shoji translucides du pavillon de thé, ces cloisons de papier qui filtrent la lumière, elle est douce-amère.

La cérémonie du thé y est décrite par le menu. Ce rituel un peu compassé pourrait prêter à sourire. Si certaines de ses règles sont de bon sens, d’autres n’ont pas de logique sinon leur séculaire répétition. Les deux jeunes filles commencent par en rire moqueusement ; mais vaincues par l’irréductible patience de leur professeur, elles finissent par les comprendre et les respecter.

Comme tant d’autres films japonais (on pense aux derniers films d’Ozu ou aux Délices de Tokyo déjà interprétée par la merveilleuse Kiki Kirin depuis décédée), Dans un jardin… est d’une infinie délicatesse. Y règne une immense bienveillance à l’égard des êtres et des choses.

Le bruit du monde vous tympanise ? L’agressivité des rapports humains vous est insupportable ? L’impolitesse vous exaspère ? Courez voir Dans un jardin qu’on dirait éternel. Il agira comme un baume contre les tourments de notre temps.

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Effacer l’historique ★★☆☆

Trois voisins d’un lotissement anonyme en périphérie d’une ville moyenne du Pas-de-Calais (« Dieu que c’est laid ») ont noué autour d’un rond-point, pendant les occupations des Gilets jaunes, une amitié durable. Marie (Blanche Gardin, nouvelle venue chez Delépine & Kervern), seule dans sa maison depuis que son mari l’a quittée avec son fils, est victime d’un chantage à la sextape. Bertrand (Denis Podalydès) malgré les crédits qui s’accumulent, est subjugué par la voix d’une téléopératrice qui l’appelle de l’île Maurice. Christine est devenue conductrice de VTC mais se désespère de ne recevoir que des mauvaises notes de ses clients.

Groland en guerre contre les GAFA. Le duo Delépine & Kervern, devenu célèbre sur Canal + grâce à l’humour satirique et irrévérencieux de leur faux journal, tournent depuis une quinzaine d’années des longs métrages ensemble. Effacer l’historique est le dixième. Son titre (qui n’a aucun écho dans le scénario) et son affiche annoncent la couleur : il y sera question des NTIC – un acronyme que les millenials ne comprendront plus – des réseaux sociaux et de la déshumanisation qu’ils provoquent insidieusement.

Si on aime l’humour potache, on se régalera de celui qui habite chaque scène de Effacer l’historique. Cet humour narquois (le « numéro vert surtaxé », « l’abonnement gratuit à 18 euros par mois ») dénonce avec finesse les absurdités auxquelles les nouvelles technologies nous réduisent : Blanche Gradin qui stocke ses mots de passe dans son congélateur, Corinne Maserio qui peine à renseigner les test de sécurité idiots censés discriminer humains et IA, Denis Podalydès qui doit faire 50km pour retirer un LRAR….

Car l’humour du duo Délépine & Kervern n’est pas une fin en soi. Il est au service d’un projet : peindre le désarroi de la France périphérique devant les nouvelles technologies. Cette « France périphérique » – désormais conceptualisée dans les ouvrages savants du géographe Christophe Guilluy – où se jouent tout à la fois l’avenir de notre vivre-ensemble et le résultat de toutes les élections présidentielles, le duo aime la filmer. Leurs films se déroulent souvent dans des lotissements sans âme perdus autour d’immenses ronds-points sans âme et de centres commerciaux déshumanisés.

Plus ils tirent sur la corde, moins ils convainquent. Car le message, à force d’être martelé, devient inaudible. Car, surtout, Effacer l’historique, se trompe de cible et fait fausse route en nous parlant des nouvelles technologies. Le trio n’est jamais plus touchant que quand on en filme la solitude triste : l’alcool, le jambon sous-vide, les séries télévisées regardées à la chaîne, l’argent qui manque….

Pour le dire autrement, le film n’est jamais autant réussi que quand il s’éloigne de son sujet. La sextape de Blanche Gradin, son voyage à San Francisco pour aller la récupérer dans un data center sont parfois drôles en soi mais ne s’intègrent pas avec harmonie au tableau d’ensemble que Delépine & Kervern peignent de film en film : celui, comme l’aurait chanté Souchon, de la soif d’idéal de foules sentimentales attirées par des choses pas commerciales….

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L’Infirmière ★☆☆☆

Ichiko est infirmière à domicile. Elle a notamment la charge, dont elle s’acquitte consciencieusement, d’une personne âgée, une grand-mère en fin de vie qui fut une grande artiste-peintre. Ichiko s’attache à cette grabataire et à sa famille. Elle va même jusqu’à aider ses deux petites-filles dans leurs révisions scolaires.
Sa vie éclate lorsque la plus jeune des deux sœurs est kidnappée. L’auteur du crime est le propre neveu d’Ichiko. Une part de responsabilité rejaillit sur elle après le témoignage de la sœur aînée, liée à Ichiko par une attirance malsaine. Ichiko voit bientôt son nom jeté en pâture à la presse et sa vie s’écrouler.

L’Infirmière raconte une histoire passablement compliquée – que j’ai essayé non sans mal de résumer dans les quelques lignes qui précèdent. Pour ne rien simplifier, il le fait sous une forme très alambiquée en intercalant des plans d’une différente temporalité : certains sont situés au moment du kidnapping, d’autres racontent quelques mois plus tard la vengeance qu’Ichiko fourbit.

L’Infirmière soulève des questions passionnantes : la responsabilité des crimes commis par les siens (le « suis-je le gardien de mon frère ? » biblique), la vendetta des médias, expéditifs à stigmatiser les accusés, la vengeance et les formes qu’elle emprunte.

L’Infirmière fait partie de ces films intelligents qui laissent une marque, longtemps après son visionnage, par les questions, souvent sans réponse, qu’ils suscitent. Mais, en sortant de la salle, j’avoue honteusement ne pas y avoir compris grand-chose et, pire, m’en être franchement désintéressé faute de toute empathie avec son héroïne – aussi brillamment interprétée soit-elle par Mariko Tsutsui qu’on avait déjà remarquée dans Harmonium, le précédent film de Kôji Fukada

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Tenet ★★☆☆

Un espion innomé travaille pour la CIA. Face à lui Andrei Sato, un milliardaire russe mène les pires actions criminelles pour assembler les neuf parties d’un mystérieux « algorithme » dont la réunion pourrait entraîner la destruction de l’humanité. Le combat est déséquilibré ; car Sator se révèle être en fait la main agissante des générations futures qui ont découvert le moyen d’inverser le sens du temps.

C’est avec une gourmandise non feinte que je suis allé voir Tenet ce week-end, le masque soigneusement porté pendant toute la séance ainsi que le décret du 28 août 2020 en fait désormais l’obligation. Tenet, on l’a dit et redit, est le premier blockbuster à sortir depuis le déconfinement (sa sortie en France précédant même de quelques jours celle aux Etats-Unis), celui qui, dans un contexte déprimé, devrait enfin inciter les Français à retrouver le chemin des salles.

J’aurai dès lors scrupule à tirer sur l’ambulance et à mesurer mon soutien. D’autant que j’ai pris un plaisir régressif à ce James Bond movie avec son lot de courses poursuites, son voyage au tour du monde (de Kiev à Amalfi, de Londres à Tallinn, d’Oslo au Vietnam), son espion tiré à quatre épingles (quels que soient les obstacles qu’il rencontre, la barbe de John David Washington, fils de Denzel, demeure impeccablement taillée), son méchant très méchant (Kenneth Branagh qui se fait décidément une spécialité de ce genre de rôles) et sa sublime James Bond girl (Elizabeth Debicki et son 1m88 qu’on retrouvera dans la prochaine saison de The Crown dans le rôle de Lady Di).

Mais, de Christopher Nolan, qui a signé quelques uns des plus grands films de la décennie (Inception, Interstellar, Dunkerque…), on attendait plus. On en attendait une dose de complexité que Tenet semble offrir avec son concept super-intelligent, l’inversion du temps, et avec l’ensemble des questions que le film égrène au risque d’en obscurcir le récit : qui est ce mystérieux militaire qui sauve la vie du héros dans l’opéra de Kiev durant la scène d’ouverture ? qui est cette femme qui plonge du yacht de Sator au large du Vietnam ? d’où viennent les impacts de balles sur les vitres de la chambre forte d’Oslo où il entasse des œuvres d’art ? pourquoi le rétroviseur de la voiture du héros à Tallinn est-il endommagé ?

Le problème est que le concept de voyage dans le temps et ses apories ont déjà été explorés par des films qui n’étaient pas moins ambitieux : La Jetée, Terminator, Edge of Tomorrow, L’Armée des douze singes, Interstellar, Looper
Le problème surtout est que son utilisation ici est faussement intelligente. Il sert dans plusieurs scènes d’action où l’on voit, dans le même plan, certains personnages en marche avant et d’autres en marche arrière. La première est étonnante ; mais à partir de la seconde, le procédé devient répétitif. Il sert surtout à revisiter chacune des scènes du film – et à répondre aux questions que le spectateur attentif s’était posé.

Du coup, on sort de la salle mi-figue mi-raisin. Ravi d’avoir retrouvé le plaisir d’un blockbuster, mais un peu déçu par ses promesses non tenues. Car si Tenet est complexe, il n’en est pas profond pour autant

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Light of my Life ★☆☆☆

Dans un futur proche, la planète a été décimée par une mystérieuse peste qui a tué toutes les femmes condamnant à terme la race humaine à l’extinction faute d’enfants. Toutefois, une jeune fille est encore vivante.
Rag a douze ans. C’est une pré-ado vive et intelligente. Son père, qui lui voue un amour infini, veille jalousement sur elle. Leur vie est une suite ininterrompue de déambulations dans l’Ouest américain, à la recherche d’un refuge où ils pourraient enfin trouver la paix.

Light of my Life relève un défi audacieux : explorer le même thème que deux films qui avant lui l’ont fait avec un succès indépassable. Le premier est La Route – adapté du prix Pulitzer 2007 de Cormac MacCarthy. Dans une Amérique tout aussi pluvieuse et tout aussi dangereuse, Viggo Mortensen y déployait déjà des trésors d’amour paternel et d’inventivité pour protéger son fils. L’affiche de Light of my Life reproduit d’ailleurs quasiment à l’identique celle de la Route : même duo harassé de fatigue, même vêtements sales gorgés par la pluie, mêmes couleurs grisâtres… Le second est Les Fils de l’homme – lui aussi adapté d’un roman d’anticipation à succès, écrit celui-ci par P.D. James – où Clive Owen, dans un monde brutalement condamné à la stérilité, se voyait confier la lourde tâche de protéger une femme enceinte.

Face à ces deux écrasants précédents, Light of my Life, hélas, n’est pas à la hauteur et se condamne à n’être qu’un film post-apocalyptique de plus. Le genre n’étant pas pour me déplaire, j’inclinais à la bienveillance ; mais ma bienveillance a des limites.

Ici Casey Affleck, qui a écrit le scénario, produit et réalisé le film, et qui interprète le rôle principal, englue la narration dans des dialogues aussi verbeux qu’interminables. Le film s’ouvre ainsi par un plan fixe d’une dizaine de minutes durant lequel le père raconte à sa fille une histoire, durant la veillée, sous la tente, vaguement inspirée de la parabole de l’arche de Noé.

Le film a son lot de rebondissements convenus. Comme de bien entendu, le duo fait des rencontres. Certaines sont plus heureuses que d’autres. Elles auraient pu continuer longtemps, le film qui dure déjà deux heures pouvant sans préjudice en compter facilement une de plus ou une de moins. La seule chose qui est réussie est le cadrage qui laisse toujours ouverte une ligne de fuite déserte d’où on pressent que pourrait surgir à chaque instant une menace. Cette tension permanente cloue le spectateur à son siège. Ce n’est pas la sensation la plus agréable qui soit ; mais c’est une qualité du film qu’il faut lui reconnaître.

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A Perfect Family ★★★☆

Thomas, Helle, leurs deux filles, Caroline, quatorze ans et Emma, douze ans, forment une famille en apparence parfaite. Mais ce bonheur va éclater sous l’effet d’une double révélation : Thomas va changer de sexe et Helle demande le divorce. Pour les deux filles, et surtout pour Emma la cadette, le choc est brutal.

Depuis quelques années on voit se multiplier les films ou les documentaires sur le transgenrisme : Une femme fantastiqueFinding Phong, Coby, Il ou Elle, Girl, Bixa Travesty, Lola vers la mer, Indianara, etc. J’en rends compte systématiquement avec un intérêt suspect : aurais-je envisagé des mesures radicales pour enfin décrocher les postes auxquels une politique de recrutement strictement paritaire dans la haute fonction publique me complique l’accès ?

Ces films et ces documentaires se focalisent sur leur héro.ïne et suivent le processus, physiquement et physiologiquement douloureux, de sa réassignation sexuelle. A Perfect Family change la focale en s’intéressant moins au héros, Thomas rebaptisé Agnete, qu’à sa famille et plus particulièrement à sa fille cadette.

Ce qui intéresse la réalisatrice Malou Reymann qui, dit-elle, a vécu la même expérience, ce sont les conséquences du changement de sexe du père sur l’équilibre familial. On voit la jeune Emma, remarquablement interprétée par Kaya Toft Loholt, traverser toute une palette de sentiments : l’incompréhension face à une décision aussi radicale que rien ne laissait augurer, la colère devant ce qu’elle assimile à une trahison, la honte quand elle doit subir les sarcasmes sexistes dont Thomas/Agnete est inévitablement l’objet, et enfin bien sûr, car le film se clôt évidemment par un happy end, l’empathie.

Un danger guettait un tel film que laissait redouter son titre (traduction écourtée de A Perfectly Normal Family qui ne porte pas tout à fait le même message) : nous présenter une « famille parfaite » où la « différence » du père était admise avec bienveillance. Le film y verse souvent, notamment dans sa conclusion qu’on sentait venir depuis des kilomètres. Mais il le fait avec une telle sensibilité que même ses passages les plus gnangnans – la chanson d’Emma à la confirmation de son aînée, émouvante ode à l’amour sororal – réussissent à nous émouvoir.

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The Perfect Candidate ★☆☆☆

Maryam est saoudienne. Élevée au sein d’une famille aimante, récemment endeuillée par la mort de la mère, elle est l’aînée de trois sœurs. Elle a hérité de son père, musicien professionnel malgré les obstacles qui entravent l’exercice de son art, un caractère indépendant et intransigeant.
Maryam est médecin dans une petite clinique provinciale. Chaque jour elle se désespère de l’état de la voirie dans sa ville. Lorsque un concours de circonstances lui en donne l’occasion, elle décide de se porter candidate aux élections municipales.

Sorti en 2013, Wadjda peut s’enorgueillir d’être le premier film saoudien. Après un détour pas vraiment convaincant par Hollywood – où elle a tourné une biographie de Mary Shelley et un second film directement diffusé sur Netflix – sa réalisatrice revient au bercail. The Perfect candidate reprend le même sujet que Wadjda : dans l’un comme dans l’autre, il est question d’émancipation féminine en Arabie saoudite.

Dans Wadjda, une jeune adolescente avait décidé de braver l’interdit qui l’empêchait de faire du vélo. Dans The Perfect Candidate, la belle Maryam – dont la beauté éclate quand elle écarte les pans de son niqab – s’attaque à un autre tabou : la participation des femmes à la vie politique.

La charge de Haifaa Al-Mansour est bien sage. La réalisatrice saoudienne sait jusqu’où ne pas aller trop loin. Du coup, son film, qui suit un chemin déjà tout tracé, pourra sembler bien tiède et sa morale bien convenue.

Le seul intérêt qu’on pourra y prendre sera d’y voir quelques images de l’Arabie saoudite et de la façon dont les hommes et les femmes y vivent. Aucune tension ne semble traverser une société dont les membres, hommes ou femmes, se montrent les uns avec les autres d’une douceur angélique. Mais la stricte séparation des sexes qu’impose le respect scrupuleux de la loi coranique constitue un spectacle étonnant auquel on peine à s’habituer.

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Never Rarely Sometimes Always ★★★☆

Autumn a dix-sept ans. Elle mène une vie ordinaire dans une petite ville de Pennsylvanie, entre sa famille, son lycée et son job de caissière au supermarché du coin. Quand elle apprend qu’elle est enceinte, elle prend rapidement sa décision. Mais la législation de l’Etat lui impose de recueillir un accord parental qu’elle refuse de solliciter. Aussi, en compagnie de sa cousine, elle prend la route de New York pour s’y faire avorter. Mais le voyage, qui ne devait durer qu’une journée, se prolonge quand Autumn découvre que sa grossesse est beaucoup plus avancée qu’annoncée.

Avortement mode d’emploi. Le film de Eliza Hittman décrit, avec un souci quasi-documentaire un sujet grave : l’avortement des mineures. Son titre, assez obscur à un public non anglophone, fait référence aux choix multiples figurant dans le questionnaire que les jeunes femmes doivent renseigner avant l’opération. Malgré l’arrêt Roe vs Wade de 1973 – qu’une nouvelle majorité moins libérale à la Cour suprême pourrait renverser – qui autorise l’avortement pendant le premier trimestre partout aux Etats-Unis, la législation de certains États en restreint l’usage, en exigeant un accord parental si la mère est mineure, en interdisant la prise en charge par l’assurance-maladie ou en se faisant les complices des manifestants pro-Life qui provoquent la fermeture de nombreuses cliniques.

Fuyant tout pathos, Never Rarely Sometimes Always se veut minimaliste. Aucune musique, quasiment pas de dialogue, pas de rebondissement rocambolesque dans un scénario qui se borne à suivre pas à pas les deux personnages principaux de la Pennsylvanie à New York, un jeu d’acteurs réduit au minimum – comme en témoigne le visage impassible de l’héroïne sur l’affiche. Pourtant quelle intensité dans ce regard ! quelle profondeur dans ces silences !

On est profondément ému par la solitude d’Autumn, par les questions silencieuses qu’elle se pose lorsqu’elle découvre sa grossesse, par la solidarité bienveillante que lui manifeste sa cousine grâce à laquelle le voyage à New York est entrepris et qui saura trouver le moyen, lorsque l’argent viendra à manquer, pour les sauver de cette mauvaise passe.

L’émotion culmine dans la clinique où Autumn va se faire avorter. Dans un long plan fixe qui cadre son seul visage, elle répond aux questions que lui pose l’assistante sociale. Ses silences, ses larmes lèvent un voile sur son histoire. La confession aurait pu verser dans l’excès, par exemple en racontant un inceste que quelques indices laissaient redouter. Il n’en est rien. Autumn en dit juste assez pour que le spectateur comprenne les événements pas toujours gais d’une adolescence chaotique qu’elle a dû traverser. Cette pudeur, cette économie donne tout son prix à ce film poignant dont on ne ressort pas indemne.

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Madame ★★★☆

Stéphane Riethauser nous convie à une soirée diapo pour regarder les vieux films super 8 tournés par son père durant son enfance. On y voit sa grand-mère Caroline, ses parents, son frère cadet. On les voit à Genève où la famille habite et surtout sur la Côte d’Azur, près de Saint-Raphaël, où les vacances et la lumière estivale multiplient les occasions de se filmer en famille.

Ainsi présenté, Madame vous fait déjà bâiller d’ennui. Pourtant, derrière sa fausse innocence, Madame s’avère un témoignage aussi impudique qu’efficace sur le coming out, moins austère que les essais de Didier Eribon, moins prétentieux que les témoignages d’Edouard Louis, mais pas moins rageur ni moins helvétique que l’autobiographie de Fritz Zorn.

Stéphane Riethauser y raconte comment un petit garçon de la bonne bourgeoisie genevoise est éduqué dans une « homophobie ordinaire » – J’emploie l’expression comme Ariane Chebel d’Appollonia parlait dans les années 90 de « racismes ordinaires ». Les stéréotypes de genre font rage autour du petit garçon choyé par des parents aimants qui ne lui imaginent pas d’autre avenir que de fonder une famille et de reprendre la fiduciaire paternelle. Les « pédés » sont une source de plaisanterie moqueuse, des personnages de carnaval vaguement ridicules, une projection inimaginable pour des bourgeois confinés dans une stricte hétérosexualité.

L’enfance du jeune Stéphane se lit rétrospectivement comme un douloureux cheminement vers une identité refoulée et inavouable. On le voit avec des copains pour lesquels il ressent une attirance trouble. Dans son équipe de basket ou au régiment, la mâle virilité des vestiaires ou des chambrées le mettent mal à l’aise. Quelques flirts hétéro tournent court.

Tout au long de sa vie, Stéphane aura été proche de sa grand-mère, une femme forte, autoritaire, mariée contre son gré à seize ans, divorcée, puis remariée à trente. Elle a construit sa vie toute seule à force de volonté et de travail. Elle aura constitué pour le jeune garçon un phare et un havre.

Madame sort sur les écrans quelques mois après Toutes les vies de Kojin, un documentaire sur l’homophobie au Kurdistan. Les deux films méritent d’être regardés ensemble. Ils se déroulent dans deux milieux bien différents, les bords du lac Léman pour le premier, les montagnes du Kurdistan pour le second. Ils sont censés décrire deux milieux aux antipodes l’un de l’autre : la HSP d’un côté, l’Islam le plus rétrograde de l’autre. Sans doute, les imams intégristes de Toutes les vies de Kojin vouent-ils au bûcher les sodomites ce que les paisibles bourgeois de Genève ne font plus depuis Jean Calvin. Pour autant, l’homophobie beauf que ces derniers déploient – ou déployaient encore à la fin du siècle dernier – est à peine moins ridicule et à peine moins terrifiante.

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