La Femme de mon frère ★★☆☆

La vie de Sophia (Anne-Élisabeth Bossé) est dans une impasse. La trentaine bien entamée, elle soutient sa thèse sur « les intrications des dynamiques familiales et politiques chez les continueurs d’Antonio Gramsci » (sic) mais se voit refuser un poste de titulaire à l’université, prisonnière de ses coteries. Célibataire, elle est enceinte et décide d’avorter. Sans toit, elle est hébergée par son frère Karim (Patrick Hivon) auquel la lie une complicité fusionnelle.

Drôle de titre. Si Karim se met en couple avec la médecin qui procède à l’avortement de Sophia, la femme du frère reste très secondaire. La vraie vedette, c’est Sophia, quasiment de chaque plan, sorte de Bridget Jones québecoise, plus dépressive, mais pas moins drôle, dont on imagine volontiers ce que la réalisatrice, dont le père est tunisien et le frère doctorant, a emprunté  à sa propre biographie.

La Femme de mon frère creuse le sillon bien connu de la comédie célibattante. On en a déjà vu treize à la douzaine, plus ou moins réussies, d’Ally Mc Beal à Sex and the City.

La Femme de mon frère contient quelques passages aussi drôles qu’intelligents. Ainsi du couple paradoxal que forment les parents de Sophia, un immigré maghrébin et une québécoise militante gauchiste, divorcés depuis plus de vingt ans mais habitant sous le même toit et unis par une longue complicité. C’est dans la bouche de cette mère attachante qu’on entend la réplique la plus mordante du film (hélas déflorée par la bande-annonce) : « Une femme passe la moitié de sa vie à se trouver grosse, l’autre à se trouver vieille et grosse ».

La limite du genre est qu’il enchaîne les scènes sans toujours réussir à les relier entre elles. La Femme de mon frère n’échappe pas à ce travers. Il l’accentue par la surenchère typiquement « dolanienne » (la réalisatrice Monia Chokri avait tourné sous la direction de Xavier Dolan dans Les Amours imaginaires) qu’il pratique. Sophia est dans une constante hystérie. Elle est souvent hilarante. Mais elle devient à la longue épuisante.

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L’Ospite ★☆☆☆

Guido, la trentaine bien entamée, aimerait avoir un enfant. Mais Chiara, son amie, n’en veut pas. Pire, elle veut rompre avec Guido qui prend la porte. Il trouve à s’héberger chez ses parents qui forment un vieux couple acariâtre. Il passe beaucoup de temps avec ses amis. Dario vient de rencontrer Roberta, une séduisante cardiologue. Quant à Lucia, qui vit en couple avec Pietro et attend de lui un second enfant, elle confesse à Guido être amoureuse d’un autre homme.

L’Ospite (en français : « L’Invité ») choisit de traiter du thème rebattu de la crise de la trentaine d’un point de vue masculin. L’originalité n’est pas immense, si ce n’est que le héros, Guido, se retrouve, au début du film dans un état d’esprit qu’on prête plus souvent aux femmes de cet âge : le désir contrarié de p/maternité.

L’Ospite passe en revue les différentes stases de la crise de la quarantaine : Guido vit une rupture, Dario n’arrive pas à choisir entre les deux femmes qu’il aime, Lucia est déchirée entre le cœur et la raison. Tous sont plus ou moins indécis.

L’Ospite oscille entre plusieurs genres sans en choisir un. C’est une comédie pas vraiment drôle, une réflexion trop bavarde et pas très originale sur les vicissitudes de la vie amoureuse. À le voir, on aspirerait presque à avoir soixante ans pour connaître enfin la sérénité ronchonne que vivent les parents de Guido, le couple le plus aimant du film.

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Acusada ★★☆☆

Camila Nieves, une étudiante, a été sauvagement assassinée à son domicile au terme d’une soirée arrosée dans la banlieue aisée de Buenos Aires. Tout accuse Dolorès Dreier, sa meilleure amie, dont Camila venait de mettre en ligne sans son consentement une sextape sur les réseaux sociaux. Son procès va enfin se tenir après deux ans d’instruction qui ont tenu en haleine le pays et qui ont fait de la jeune femme une paria. Recluse chez elle, Dolorès peut néanmoins compter sur l’appui indéfectible de ses parents qui ont engagé le meilleur avocat du pays pour la défendre et une attachée de presse pour redorer son blason.

« Coupable ou innocente ? » Le sous-titre qui barre l’affiche française pourrait laisser penser que l’innocence ou la culpabilité de Dolorès constitue l’enjeu du film. Ce n’est qu’en partie le cas. Certes, le suspense est tendu par cette question irrésolue à laquelle l’intéressée oppose un silence buté : Dolorès a-t-elle oui ou non assassiné Camila ?

Le sous-titre qui barre l’affiche originale n’est guère plus approprié : « Todos occultamos algo » : nous avons tous quelque chose à cacher. Car le véritable intérêt du film n’est pas de savoir ce que Dolorès cache – et qui, une fois dévoilé, n’est ni très surprenant ni très convaincant. Il est dans la description des conséquences d’une enquête pénale sur l’accusée et son entourage.

Tel était tout récemment le sujet du film belge Une part d’ombre, hélas passé inaperçu. Dans ce film-là étaient auscultées les réactions des proches à l’annonce de la mise en examen de leur ami : si j’apprenais demain que mon ami est suspecté d’un crime, lui conserverais-je mon amitié ? Dans ce film-ci, la question n’est pas posée dans les mêmes termes. Les parents de Dolorès, son petit frère, son amie Flo croient irréductiblement dans son innocence. C’est pour eux un acte de foi qui leur permet de faire front à l’hostilité sourde de l’opinion publique qui a déjà jugé la jeune fille avant même l’ouverture de son procès.

Cette dimension occupe toute la première moitié du film dans les jours qui précèdent le procès. C’est la plus intéressante car la plus novatrice qui montre, par exemple, les difficultés de Dolorès de nouer une relation « normale » avec un garçon de son âge. La seconde partie est plus classique qui coïncide avec l’ouverture du procès. Le scénario s’égare dans une série de rebondissements qui font long feu. À force d’avoir vu des polars américains autrement bien ficelés, on attend le twist qui nous clouera à notre siège. Vaine et frustrante attente qui nous fait regretter qu’Acusada ne se soit pas concentré sur ce qui faisait son originalité.

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Face à la nuit ★☆☆☆

Tout commence par le plan spectaculaire d’un homme en contre-plongée dont le corps s’écrase du haut d’un immeuble de plusieurs étages. Nous sommes à Taïwan, en 2049, dans une société futuriste d’où le suicide a été banni. Des drones policiers quadrillent la ville. Une substance illicite, le Rejuvenator, permet de lutter contre le vieillissement. Un agent de sécurité revenu de tout, Lao Zhang, cherche à assouvir un vengeance.
Trente ans plus tôt, Lao Zhang est un jeune policier plein d’avenir. Il vient de se marier. Il arrête une touriste française kleptomane.
Encore quinze ans avant, Lao Zhang n’est qu’un adolescent mal dégrossi, arrêté par la police après le vol d’une mobylette.

Couronné par le Grand prix du Festival du film policier de Beaune 2019, précédé par une critique élogieuse, Face à la nuit s’annonçait comme le film de la semaine. Son scénario complexe, son esthétique qui se revendique à la fois de Blade Runner et de Wong Kar Wai avaient de quoi mettre l’eau à la bouche.

Raconter une histoire en commençant par la fin est une sacrée gageure d’écriture. Si commencer la narration par une scène choc avant de remonter en arrière par un long flashback, lequel conduira à retrouver ladite scène aux deux tiers du film environ, est devenu une recette éculée, c’est tout autre chose d’écrire un scénario en marche arrière. Quelques films s’y sont essayé avec succès : Irréversible de Gaspard Noé, 5×2 de François Ozon, Memento de Christopher Nolan.

Mais pour y réussir, il faut surmonter deux écueils. Le premier est de ne pas perdre le spectateur en route. Le second est d’avoir une histoire qui la tienne.
Hélas tel n’est pas le cas de ce Face à la nuit (titre français calamiteux d’insignifiance, traduction de Cities of Last Things dont le réalisateur indique, dans sa note d’intention, qu’il lui aurait été inspiré par un roman de Paul Auster). Sans doute comprend-on, surtout après avoir lu les premières lignes de cette critique, que le film compte trois volets mettant en scène le même personnage à trois âges de sa vie. Mais, j’avoue avoir mis du temps à identifier l’homme sur lequel, dans le premier volet, il exerce sa vengeance.
Le plus grave est ailleurs : dans l’absence totale de crédibilité de son histoire. Le comble est atteint avec le personnage d’Ara. On imagine mal comment notre héros peut finir la nuit avec elle dans le deuxième volet et comment il la retrouve trente ans plus tard dans le premier.

Au bout du compte, on se sent un peu berné. Berné par le mélange mal maîtrisé des genres : SF, polar, mélo. Berné par des personnages qui se réduisent à leur caricature : flics ripoux, prostituées au grand cœur… Berné par un procédé narratif qui, pour alléchant qu’il soit, n’apporte rien.

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Vita & Virginia ★☆☆☆

Dans les roaring twenties, les deux femmes de lettres Vita Sackville-West (Gemma Arterton) et Virginia Woolf (Elizabeth Debicki) ont entretenu une liaison amoureuse. Elles faisaient partie, avec Vanessa Bell, la sœur aînée de Virginia, et son mari, du groupe de Bloomsbury, volontiers anticonformiste, dont les membres prônaient l’union libre. Mariée au diplomate Harold Nicholson, bisexuelle comme elle, qui lui laissait une grande liberté, Vita avait déjà fait scandale avec Violet Trefusis. Elle aussi bisexuelle, Virginia était mariée depuis une dizaine d’années et avait fondé une maison d’édition avec son mari. Elle venait d’écrire Mrs Dalloway et La Promenade au phare. Sa liaison lui inspira Orlando qui sera son plus grand succès.

La jeune réalisatrice britannique Chanya Button s’attaque à l’un des couples les plus mythiques et les plus sulfureux du vingtième siècle. Un tel sujet attirera sans coup férir plusieurs catégories de spectateurs : les aficionados de Virginia Woolf (ils sont nombreux), les fans de la série Downton Abbey (ils sont plus nombreux encore qu’affoleront les tenues plus sensationnelles les unes que les autres de Gemma Arterton, portrait craché de Lady Mary, l’aînée des Crawley), les féministes hommes ou femmes, homo- ou hétéro-… ce qui fait beaucoup de monde.

Pas sûr que ce nombreux public soit enthousiasmé. Car, si Vita & Virginia réussit honnêtement à reconstituer le charme et l’élégance des intérieurs londoniens des années vingt, c’est bien là son seul mérite. La passion qui unit les deux héroïnes n’est ni sulfureuse ni déchirante. Pendant toute la première moitié du film, Gemma Arterton – qui, pour la première fois de sa carrière, réussit à mal jouer – s’escrime à séduire Elizabeth Debicki. Puis, dans la seconde, Virginia, enfin conquise, s’inquiète de ne pas être capable de retenir la trop frivole Vita.

Seul trait piquant du film : les scènes de ménage entre les deux héroïnes qui se jouent dans une joyeuse pluralité, en présence de leurs maris respectifs réduits au stade de témoins silencieux et (doublement) impuissants.

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So Long, My Son ★★★☆

Voici l’histoire sur près de quarante ans d’un couple, Liu Yaojun et Wang Liyun, employés dans un conglomérat industriel d’État, soumis à la politique de l’enfant unique, confronté à la perte irréparable de leur garçon.

La littérature a sur le cinéma un avantage : il existe des romans plus ou moins longs alors que les films ont tous, peu ou prou, la même durée. Vous me direz qu’il y a des films qui durent quatre heures – voire quatorze comme récemment La Flor – et vous aurez raison. Je vous rétorquerai que quatre-vingt-dix minutes est la norme et je n’aurai pas tort.

Pourquoi cette laborieuse entrée en matière ? Parce que So Long, My Son fait plus de trois heures et a exactement la durée qui convient à son propos. Comme Autant emporte le vent, comme Docteur Jivago, So Long, My Son suit ses personnages pendant plusieurs décennies et avait besoin d’au moins trois heures pour raconter leur histoire.

Il aurait pu le faire en suivant paresseusement la chronologie – comme le faisait d’ailleurs les chefs d’œuvre susmentionnés. Mais ce simplisme n’est plus de mise. Les modes de narration se sont sophistiqués. So Long, My Son est construit sur une succession d’ellipses et de flash-back particulièrement complexes. Il serait croustillant d’en reproduire la succession sur l’axe du temps. Mais ce découpage, aussi complexe soit-il, n’en demeure pas moins parfaitement lisible : un détail vestimentaire, un élément du paysage ou du climat, un calendrier permettent rapidement au spectateur de se repérer dans le temps et dans l’espace. Et il s’avère d’une redoutable efficacité car il donne de l’épaisseur à une histoire qui, si elle avait été racontée dans l’ordre chronologique, n’aurait pas eu le même relief.

Sans doute est-ce donner dans cette critique trop de place à un élément bien technique.
Car So Long, My Son est un film dont les qualités ne se limitent pas à son seul découpage. C’est un film politique. C’est en même temps un film profondément émouvant.

Comme dans ses précédentes réalisations, le réalisateur Wang Xiaoshuai, né avec la Révolution culturelle en 1966, entend faire résonner la petite histoire avec la grande. Le destin de Liu Yaojun et Wang Liyun est celui de tant de Chinois ordinaires nés au mitan du siècle. Ils connurent dans leur jeunesse les camps de rééducation. Ils durent s’employer aux champs ou à l’usine. Ils furent ensuite confrontés au démantèlement de leurs unités de travail, seuls les plus malins réussissant à tirer parti des opportunités offertes par le capitalisme naissant.

Le destin de Liu Yaojun et Wang Liyun a été brisé par la politique de l’enfant unique qui leur interdit d’avoir un second enfant quelques mois avant de perdre le premier dans des circonstances dramatiques. Le drame que constitue pour un couple la mort brutale de leur enfant, la difficulté à s’en relever est déjà, en soi, un sujet poignant. Mais So Long, My Son lui en greffe plusieurs autres avec l’éducation d’un autre enfant dont on découvrira bientôt les origines et la douloureuse réconciliation avec un couple d’amis dont le fils porte la responsabilité de la mort de leur fils.

Leur dignité face aux épreuves, leurs douleurs tues, leur résilience pour employer un mot à la mode sont si édifiantes qu’elles frisent l’académisme. Mais nos dernières réserves sont emportées par un épilogue à faire pleurer les pierres.

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Teen Spirit ★★☆☆

Violet Valenski (Elle Fanning) est une adolescente discrète qui s’ennuie ferme dans l’île de Wight au sud de l’Angleterre. Lycéenne maussade, elle enchaîne les petits boulots pour se faire de l’argent de poche et contribuer aux charges de la famille. Sa mère, une immigrée polonaise, l’élève seule depuis que son père l’a quittée.
Mais Violet a une passion : le chant, qu’elle pratique à la chorale de l’église et dans un troquet, devant un public clairsemé d’alcooliques moroses. Jusqu’au jour où Vlad Brajkovic, un ancien chanteur d’opéra croate déchu, repère son talent et accepte de la parrainer au concours de chant « Teen Spirit ».

On me dit Teen Spirit ? Je réponds Virginie Despentes. Je me demande combien de spectateurs iront, comme moi, voir ce film, sur un malentendu, escomptant une adaptation de l’une des œuvres de jeunesse de l’auteure de Vernon Subutex. Ils n’en auront pas pour leur compte ; car la romance sucrée de Max Minghella (le fils de son père, Anthony Minghella, le réalisateur du Patient anglais, mais aussi l’acteur qui joue Nick Blaine dans The Handmaid’s Tale) n’a rien de trash ni de punk.

Le scénario cousu de fil blanc de Teen Spirit est affligeant. Comme de bien entendu, on y voit une Anglaise ordinaire passer avec succès toutes les épreuves qui la mèneront de l’anonymat à la gloire. Rien ne nous est épargné, depuis la concurrente fielleuse, le petit ami séducteur et duplice jusqu’à la corruptrice impresario (superbe Rebecca Hall révélée dans Vicky Cristina Barcelona), sans oublier la mère aimante mais dure et l’ami fidèle mais faible.

La musique ne réjouira que les aficionados de NRJ. Des scies déjà mille fois entendues, au risque de nous causer des acouphènes, sont martelées sur des images de video clips : Lights d’Ellie Goulding, Wildflower de Carly Rae Jepsen, Dancing On My Own de Robyn, etc.

Pourquoi, après ce dézingage en règle deux étoiles alors ? Pour une seule raison : Elle Fanning. J’ai déjà eu souvent l’occasion de dire la passion que je lui voue. Une admiration qui n’est ni sentimentale ni irrationnelle. Je ne suis pas sous le coup de son charme. D’ailleurs Elle Fanning a des traits assez durs, un visage carré, un menton agressif, une bouche trop petite (je lui trouve une ressemblance avec Elisabeth Moss, l’héroïne de The Handmaid’s Tale). Mais elle réussit, d’un plan à l’autre, à se métamorphoser. Quelconque un instant, elle est sublime l’instant d’après. Elle a des expressions enfantines, un sourire désarmant, et, à plus de vingt-et-un ans, une sensualité désormais parfaitement assumée.
Surtout, c’est une actrice qui travaille ses rôles. Cela se voit. On la sent investie, concentrée, attentive aux moindres détails. Loin d’être un défaut, c’est à mes yeux une qualité. À une époque où on valorise le lâcher prise, où l’on encense le talent naturel de jeunes génies au charme félin façon Timothée Chalamet ou Lily-Rose Depp, je reste indéfectiblement du côté des besogneuses, des bosseuses : Natalie Portman, Naomi Watts, Julianne Moore, Jennifer Lawrence, Jessica Chastain…

La bande-annonce

Yesterday ★★☆☆

Jack Malik (Himesh Patel) est un artiste sans talent qui pousse la chansonnette devant des salles vides. Ellie (Lily James), son amie d’enfance, qui lui sert d’agent et de chauffeur, lui garde néanmoins sa confiance.
Une nuit, après que la planète a connu un mystérieux black out de douze secondes, Jack est percuté par un bus. Il s’en sort sans grand dommage, mais réalise bientôt que le monde n’est plus tout à fait le même. Les Beatles (et le Coca Cola et les cigarettes et Harry Potter) semblent n’y avoir jamais existé. Se remémorant les tubes des Quatre de Liverpool, Jack peut rapidement accéder à la gloire dont il rêvait.

Avec un pitch génial – quoique calqué sur celui de Jean-Philippe, dans lequel Fabrice Luchini se réveillait dans un monde sans Johnny Hallyday – avec Danny Boyle (oscarisé pour Slumdog Millionaire) à la réalisation et Richard Curtis (Quatre mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill, Love Actually) au scénario, Yesterday s’annonçait comme le meilleur film de l’été.

Des critiques mitigées sont venues doucher mon enthousiasme. Le Monde signe la plus assassine, ne lui mettant aucune étoile dans une échelle de zéro à quatre (ça vous rappelle quelque chose ?!). Saluant l’idée « irrésistible », Thomas Sotinel déplore un film « décevant » à la conclusion « confuse et illogique » et spoile au passage la scène la plus surprenante du dernier tiers.

Je n’aurai pas la dent si dure et ne mégoterai mon plaisir. Yesterday n’est certainement pas le meilleur film de l’année ; mais il n’en reste pas moins un excellent divertissement.

On pourra certes lui reprocher certaines facilités scénaristiques. Ainsi de la façon dont Jack réalise que les Beatles ont disparu de la mémoire de ses amis. En revanche, juste après, Yesterday touche juste en montrant comment des tubes indépassables tels que Let it Be ou Imagine sont accueillis passivement par des auditeurs qui n’y sont pas préparés (hilarante scène dans le living familial).
Hisham Patel – dont les origines indiennes ne constituent à aucun moment un argument – et Lily James – qui ressemble trop à Keira Knightley pour prétendre la supplanter un jour – font honnêtement le job.
La conclusion du film n’est ni confuse ni illogique. Entre la gloire et l’amour, le héros choisit évidemment l’amour. All you Need is Love. C’était déjà la recette de Love Actually. On aurait mauvaise grâce à reprocher à Richard Curtis de réemployer une recette qui lui avait si bien servi.

Reste la musique des Beatles qu’on (re)découvre avec un plaisir inattendu. Comme Ed Sheeran (dans son propre rôle) le concède à la fin d’une battle : « Je suis Salieri, bravo Mozart ». Certains tubes sont connus ; d’autres, parmi les vingt-sept (sic) qu’on entend, le sont moins. Mais tous démontrent le génie du groupe auquel on s’étonne que ne leur ait pas encore été consacré un biopic.

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Yves ★☆☆☆

Rappeur sans talent, Jerem (William Lebghil, héros de la série Soda et tête d’affiche de Première année) vivote dans le pavillon miteux que lui a légué sa défunte grand-mère. Son agent (Philippe Katerine, qui tenait le premier rôle du précédent film de Benoît Forgeard) le presse sans succès d’honorer ses contrats.
Une société de robotique le recrute pour tester un nouveau frigo intégré en échange de la livraison gratuite de ses courses. Le frigo se prénomme Yves et devient l’ami irremplaçable de Jerem.

Considérant mon état civil, Yves avait pour moi un attrait particulier. Pourquoi affubler un frigo de mon prénom ? Est-il ringard, ridicule, charmant, original ? Pourquoi ne pas avoir prénommé ce frigo Marcel, Gérard ou Michel ? Je pensais qu’on m’en ferait la remarque. Je n’y ai pas eu droit, soit que le film, sorti le 26 juin en pleine fête du cinéma, soit définitivement passé inaperçu, soit que j’ai passé l’âge de faire l’objet de ce genre de remarques.

La Quinzaine des réalisateurs de Cannes 2019 s’était ouvert avec Le Daim, où Quentin Dupieux mettait en scène un blouson qui parle. Il s’est achevé avec Yves, un frigo intelligent. C’est le signe que le cinéma français aime à flirter avec l’absurde.

Si Le Daim interrogeait la folie d’un homme, Yves traite d’un sujet moins tragique mais pas moins sérieux : l’emprise croissante des nouvelles technologies sur nos vies. Le sujet a un immense potentiel cinématographique : qu’on pense à 2001, Odyssée de l’espace (Yves fait un clin d’œil à Hal), à Her, ou à la série dystopique Black Mirror. L’intérêt de Yves est de révéler le potentiel comique évident d’un monde où des machines bienveillantes prendront progressivement le contrôle de nos vies.

Le problème de Yves est de ne pas choisir vraiment son parti. Il n’opte pas résolument pour l’absurde, trop raisonnable pour nous entraîner dans son délire, trop loufoque pour qu’on le prenne au sérieux. Il ne prend pas non plus à bras-le-corps la question qu’il entend traiter : Yves est trop superficiel pour traiter le sujet de l’A.I. qui aurait autorisé des développements autrement plus consistants – même si le procès autour du droit d’auteur d’une chanson composée par Jerem avec l’aide de son robot constitue une stimulante dystopie juridique..

Une fois son sujet posé, et malgré une interprétation qui ne démérite pas, Yves tourne en rond et verse dans la comédie sentimentale en imaginant une romance improbable entre Jerem et So (Dora Tillier, héroïne de Monsieur et madame Adelman), la commerciale chargée d’analyser le comportement de son frigo. C’est le signe de l’épuisement d’une veine qui aurait mieux été exploitée dans un court ou un moyen-métrage.

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Dirty God ★★★☆

Jade (Vicky Knight) a été brûlée à l’acide par son petit ami. Dans l’attente du procès de son agresseur, elle doit, avec l’aide de sa mère, élever sa fille de deux ans. Elle doit surtout assumer un visage défiguré face aux regards apitoyés ou horrifiés qui l’accueillent.

Dès ses premières images, Dirty God prend son sujet à bras-le-corps : en très gros plan, la caméra s’attarde sur le corps dévasté de Jade. Toute la partie gauche de son visage, ses bras, son thorax portent les cicatrices monstrueuses de sa brûlure. On ignore à quand remonte son agression ; mais on imagine sans peine – surtout si on a lu Le Lambeau – le temps qu’ont nécessité les opérations, la lente et douloureuse cicatrisation.

Dirty God n’est pas sans défaut. D’abord son titre qui tire le film dans une direction qui n’est pas la sienne : il n’a guère de dimension religieuse ou métaphysique. Ensuite, ces trois verbes qui ornent son affiche française, hymne boursouflé à la résilience. Le seul visage de Vicky Knight, actrice amatrice qui a traversé les mêmes épreuves que son héroïne, aurait suffi. Il est d’une incroyable richesse. À sa droite des cicatrices qui laissent la peau crevassée, vieillie, dont Jade crânement ne cache rien alors qu’elle aurait pu les masquer en laissant retomber sa chevelure. À sa gauche un visage parfait qui permet d’imaginer combien la jeune femme était séduisante avant sa mutilation. Ce visage interroge notre relation à la beauté physique : pourquoi y sommes-nous si sensibles ? dans quelles conditions peut-on, doit-on s’en abstraire ?

Dirty God ne se borne pas à nous montrer une femme défigurée. Il construit une histoire pour la mettre en situation. Elle aurait pu se concentrer sur le procès de son agresseur, dont on comprend qu’il est d’origine étrangère. On craignait par avance quelques pesantes considérations sur les couples mixtes, le fossé culturel, la place de la femme dans l’Islam, etc. Fort heureusement, elles nous sont épargnées.

L’histoire se resserre sur Jade et sur sa difficile réinsertion. Là encore, le risque était grand de sombrer dans la désespérance « loachienne » en nous montrant une fille-mère en butte à un environnement sourd à sa détresse. Mais, là encore, le péril est évité. Jade n’est pas seule. Elle a une mère aidante, une amie solidaire, une collègue de travail qui facilite son insertion chez son nouvel employeur.

Jade veut retrouver sa vie. Elle revendique son droit au plaisir, en cherchant sur Internet des plaisirs fugaces. Elle veut effacer définitivement ses cicatrices en donnant foi aux promesses irréalistes d’une opération esthétique au Maroc. Elle veut se libérer d’une mère étouffante et assumer l’éducation de sa fille. Elle ne peut pas gagner sur tous les terrains – sauf à transformer son histoire en conte de fées irréaliste. La principale qualité de Dirty God est d’éviter cet ultime écueil sans pour autant sombrer dans le pathos.

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