Smoke Sauna Sisterhood ★☆☆☆

Une petite cabane isolée au cœur de la forêt, au bord d’un lac minuscule. C’est un sauna à fumée au fin fond de l’Estonie. Les femmes s’y retrouvent, hiver comme été, à l’abri du regard des hommes. Elles s’y lavent, s’y soignent, s’y détendent. Elles y parlent aussi.

Anna Hints pénètre dans un sauna. C’est une ancienne tradition fennique, qui tient tout à la fois de coutume de sociabilité et de rituel chamanique de purification. Elle a su conquérir la confiance de ses habituées et recueillir leur parole.

Smoke Sauna Sisterhood est un documentaire d’une infinie retenue. Les corps y sont nus, luisants de sueur. Mais le regard que la réalisatrice porte sur eux, toujours bienveillant, ménage leur pudeur et cache leur visage si elles n’ont pas accepté de le montrer.

La même retenue préside au recueil de la parole. Des confidences sont échangées. Les femmes y parlent d’elles, de leur corps, de leur enfance, de la maternité, de la maladie, de la mort qui vient. Dans un long monologue poignant, une femme raconte le double viol qu’elle a subi dans sa jeunesse.

Smoke Sauna Sisterhood est aux antipodes de la publicité pour l’inscription du sauna à fumée au patrimoine de l’Unesco que son sujet aurait pu laisser craindre. C’est plutôt, comme son titre d’ailleurs l’annonce, un documentaire sur la sororité – où l’on ne verra pas l’ombre d’un mâle.

Primé au festival de Sundance, Smoke Sauna Sisterhood a néanmoins le défaut de ses qualités. Il est tout entier contenu dans son dispositif : la caméra ne quitte jamais les quatre murs du sauna, sinon pour plonger dans le petit lac mitoyen, et enchaîne à la file des monologues vite monotones. Il devient vite soporifique, même s’il a l’élégance de ne pas dépasser les quatre-vingt-dix minutes.

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Le Tableau volé ★★☆☆

André Masson (Alex Lutz) est un brillant commissaire-priseur employé par une des plus prestigieuses sociétés de vente aux enchères, Scottie’s – allusion transparente à Christie’s. Une avocate de province (Nora Hamzawi) le contacte. Le nouveau propriétaire d’un modeste pavillon de la banlieue de Mulhouse y a découvert une toile. S’agit-il d’un faux ou de Tournesols fanés de Schiele peint en 1914 et spolié en 1939 ? André Masson et son ex-femme (Léa Drucker) font le déplacement en Alsace pour en avoir le cœur net.

Venu sur le tard à la réalisation, Pascal Bonitzer approche bon pied bon oeil les quatre-vingts printemps mais continue à tourner des films dont Floc’h signe les affiches élégantes et épurées (Petites Coupures, Le Grand Alibi, Cherchez Hortense, Tout de suite maintenant). Cette affiche en évoque d’autres, également dessinées par Floc’h, et d’autres univers cinématographiques proches de celui de Bonitzer : Alain Resnais, Woody Allen, Bruno Podalydès… Ces réalisateurs ont en partage une même élégance, une même ironie douce. L’action de leurs films se déroule souvent dans des intérieurs cossus. La grande bourgeoisie y est tout à la fois exaltée et mise en boîte.

C’est le cas de ce Tableau volé qui est tiré d’un fait réel. Tournesols fanés, inspiré à Schiele par la célèbre toile de Van Gogh, a été peint au début de la Première Guerre mondiale. Un marchand d’art, autrichien et juif, en a été dépossédé sur le chemin de l’exil, à Strasbourg en 1939 avant de réussir à gagner les Etats-Unis. La toile est réapparue soixante ans plus tard et a été adjugée par Christies pour 17.2 millions d’euros en 2006.

Le Tableau volé est un film étonnant : il se tient globalement mais chacun de ses éléments, pris isolément, boite. Ainsi du personnage d’Aurore, la stagiaire d’André Masson, interprété par Louise Chevillotte (À mon seul désir, Le Sel des larmes, Synonymes…) au sombre passé familial : la relation avec son patron n’est pas crédible. L’est un peu plus le couple (dés)uni que forment Alex Lutz et Léa Drucker : on se laisse aller à espérer que deux personnes, qui ont partagé leur vie mais ont décidé de se quitter, puissent ainsi garder,  dix ans après leur séparation, une complicité aussi indestructible.

Le Tableau volé est construit autour d’un suspense qui est désamorcé sitôt son exposition : le propriétaire du tableau acceptera-t-il de le restituer aux héritiers du marchand d’art spolié en 1939 ? C’est bien dommage. Car la tension qui devait faire tenir le film debout s’affaisse. Un émollient badinage s’ensuit. Rien de désagréable ni d’ennuyeux. On ne regarde pas une seule fois sa montre. On sort de la salle en se disant qu’on a passé un bon moment…. et qu’on a aussi perdu un peu son temps.

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Sans cœur ★☆☆☆

C’est l’été dans le Nordeste brésilien à la fin des années 90. Tamara, qui bientôt partira à Brasilia suivre des études d’architecture, et son frère aîné Vitinho traînent avec une bande d’adolescents de leur âge au bord de la plage. Une autre adolescente gravite en marge du groupe, d’un milieu modeste, qui circule à vélo et vend le poisson pêché par son père. Une cicatrice lui barre le thorax. La rumeur l’a surnommée « sans cœur ».

Sans cœur est un film estival dont les distributeurs français ont eu la bonne idée de repousser la sortie, initialement prévue en octobre, au début du printemps, avec les premiers beaux jours. C’est un film ensoleillé, lumineux, sensuel, tourné au bord d’une plage immense, sous l’ombre rare des palmiers, à deux pas d’un complexe hôtelier abandonné dont les adolescents ont fait leur territoire.

Sans cœur est un coming-of-age movie, un film sur la sortie de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte. Son héroïne, la jeune et timide Tamara, à laquelle on donne quelques années de moins que son âge, y découvre son attirance pour les filles au contact de la mystérieuse « sans cœur ».

Cette histoire-là n’a rien de bien novateur. Et la façon dont elle est filmée et racontée non plus.

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Marin des montagnes ★★☆☆

Le réalisateur Karim Aïnouz (Madame Sata, La Vie invisible d’Eurídice Gusmão, Le Jeu de la reine) est né d’une mère brésilienne et d’un père algérien qui se sont rencontrés aux Etats-Unis au mitan des années 60. Ils y étaient venus l’un et l’autre poursuivre leurs études supérieures. Après sa conception, sa mère enceinte est revenue au Brésil à Fortaleza, où le jeune Karim a grandi tandis que son père est retourné en Algérie pour participer à la construction de son pays nouvellement indépendant. Karim a entretenu avec ce père absent des relations épisodiques. En 2019, après la mort de sa mère, il entreprend son premier voyage en Kabylie sur ses traces.

Marin des montagnes est l’autobiographie d’un retour au pays natal. Ou plutôt – car il est impropre de parler d’un retour dans un pays où on n’est jamais allé – une enquête menée par le réalisateur au pays de son père.

Ce qui frappe d’abord, ce sont les images de l’Algérie et de la Kabylie, volées par une caméra cachée, alors que le pays est sur le point d’exploser avec l’Hirak. L’Algérie est étouffée par son histoire post-coloniale, par un gouvernement incapable d’offrir à sa jeunesse un emploi et un espoir, par les frustrations que suscite un Occident opulent qui le nargue de l’autre côté de la Méditerranée.

Mais Marin des montagnes ne se réduit pas à un album touristique. C’est surtout le journal intime d’un homme à la recherche de ses racines. Les vues d’Algérie sont montées alternativement avec des photos d’archives de ses parents, jeunes et beaux, comme on l’était dans les années 60. Karim Aïnouz reste très pudique sur leur couple : sa conception était-elle désirée ? pourquoi le couple s’est-il séparé ? son père a-t-il réclamé à sa mère sa garde ? On n’en saura rien.

Marin des montagnes devient vertigineux quand Karim Aïnouz, au terme d’une longue route, atteint le village de son père et de ses aïeux. Il y rencontre ses cousins. Il y imagine un instant la vie qui aurait été la sienne s’il avait grandi ici. Aurait-il vécu les mêmes expériences ? aurait-il eu les mêmes opportunités ? serait-il devenu celui qu’il est aujourd’hui ? se serait-il dans ce cas alors rendu à Fortaleza pour y imaginer la vie qu’il aurait vécue s’il y avait été élevé par sa mère ?

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Il pleut dans la maison ★☆☆☆

Makenzy, quinze ans, et Purdey, de deux ans son aînée, sont frère et sœur. Laissés à eux-mêmes par une mère alcoolique, dans une maison qui tombe lentement en ruines, ils n’ont d’autre alternative que de s’assumer. Makenzy s’est acoquiné avec un autre adolescent de son âge, Donovan, et commet avec lui de menus larcins. Purdey a trouvé un job d’été dans une résidence hôtelière et rêve d’indépendance à l’approche de sa majorité.

Il pleut dans la maison m’a évoqué Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018. J’y ai retrouvé la même ambiance estivale, les mêmes bords de lac balnéaires (dans les Vosges pour Nicolas Mathieu, dans le Hainaut pour ce premier film d’une jeune réalisatrice belge) et surtout la description d’une même jeunesse blanche désœuvrée de la France périphérique, loin de celle des banlieues si souvent et si caricaturalement filmées.

J’aime les films estivaux. Ils ont un parfum immédiatement reconnaissable. Ils sentent l’ambre solaire, la sueur, le sel ou le chlore : La Piscine, L’Eté meurtrier, L’Eté en pente douce, L’Année des méduses… J’aime aussi ces héros adolescents qui sortent de l’enfance pour entrer dans l’âge adulte, de La Fureur de vivre à Bande de filles en passant par Bonjour Tristesse, Les Quatre Cents coups, Le Péril jeune ou Les Roseaux sauvages.

Le premier film de cette réalisatrice belge, qui fait tourner son neveu et sa nièce, avait donc tout pour me plaire, jusqu’à son naturalisme revendiqué : les deux acteurs, demi-frère et demi-sœur dans la vraie vie, y jouent sous leur propre prénom. Le problème est que rien ne s’y passe. Le scénario, soit par paresse, soit par parti-pris, ne raconte rien. Le film commence, le film s’achève après une heure vingt à peine sans avoir vraiment commencé, comme si sa mise en route avait été trop longtemps retardée. Entre ces deux points, rien ne se tend ; pas le début d’une intrigue ne se noue, sinon celle vite expédiée de l’agression commise par Makenzy, sous le coup de la haine de classe, contre un gamin plus nanti que lui.

On aurait aimé aimer Il pleut dans la maison ; mais encore eût-il fallu qu’Il pleut dans la maison nous donne des raisons de l’aimer.

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Le Vieil Homme et l’Enfant ★★☆☆

Gunnar a passé toute sa vie dans sa ferme, héritée de son père et de son grand-père. Il y a vécu seul, sans femme, avec la seule compagnie de ses chevaux. Quand l’État l’en exproprie pour la construction d’un barrage, il reçoit un gros pécule dont il ne sait que faire. Contraint de se réinstaller en ville, il s’habitue mal à son nouvel environnement. C’est là qu’il fait la connaissance du fils de ses voisins, Ari, un rouquin haut comme trois pommes.

Le Vieil Homme et l’Enfant a le même titre que le film célèbre de Claude Berri avec Michel Simon. La ressemblance s’arrête là.

Je suis allé voir ce film islandais par amour inconditionnel pour ce petit pays nordique où j’ai réalisé peut-être le plus beau de tous mes voyages. Las ! Ma soif de paysages volcaniques et glacés battus par les vents a été mal récompensée par ce film dont l’action, mis à part quelques rares scènes dans la ferme de Gunnar, se déroule pour l’essentiel dans les paysages tristes d’une ville anonyme et pluvieuse.

À cette première déception allait bientôt s’en rajouter une seconde : l’amitié naissante entre Gunnar et Ari se déploie gentiment, sans tension ni enjeu, pendant le deuxième tiers du film. Elle nous fait craindre un film gentillet réduit à cela : un vieux fermier solitaire, contraint de quitter sa ferme, voit son exil attendri par la fréquentation d’un gamin joueur.

Dieu merci, le film connaît dans son dernier tiers une bifurcation inattendue. Elle le sauve. Elle aurait pu donner lieu à de plus amples développements : pourquoi Ari a-t-il agi ainsi ? pourquoi Gunnar n’a-t-il pas réagi autrement ? mais Le Vieil Homme et l’Enfant se termine déjà, après une heure et quinze minutes à peine, en nous laissant imaginer deux fins alternatives.

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Resilient Man ★☆☆☆

L’Australien Steven MacRae est danseur étoile au Royal Ballet de Londres depuis 2009. En octobre 2019, il se brise le talon d’Achille en plein spectacle. Sa carrière est compromise. Mais au terme d’une longue convalescence, Steven MacRae prépare son retour sur scène dans Roméo et Juliette. Le français Stéphane Carrel, qui a déjà consacré plusieurs documentaires à la danse, l’a suivi pas à pas.

Resilient Man n’est pas sans atouts.

Le premier, bien sûr, qui attirera tous les passionnés de danse, est de nous faire pénétrer au cœur d’un des plus prestigieux ballets au monde, sur les traces d’un de ses plus célèbres danseurs. Ce sujet n’est guère original (La Danse de Frederick Wiseman, Relève de Benjamin Millepied, L’Opéra de Jean-Stéphane Bron, Indes galantes sur la mise en scène de Clément Cogitore..) ; mais on ne s’en lasse pas.

Le second est le portrait de son héros. À la différence de celui de Musil, l’homme a toutes les qualités : mari aimant d’une ancienne soliste du Royal Ballet, père dévoué de trois enfants en bas âge, il est beau comme une divinité celtique, intelligent et…. résilient. Sa discipline, sa détermination forcent l’admiration.

Mais le problème de ce documentaire est que, au-delà de ces deux atouts-là, il n’a pas grand-chose à proposer. Certes, il donne à réfléchir sur la pression qui pèse sur les danseurs-étoiles, sur les performances physiques qui sont attendues d’eux au risque de leur santé et sur la nécessité pour eux de mener leur carrière sans négliger leur hygiène de vie et leur équilibre mental. Benjamin Millepied évoquait cet aspect des choses dans Relève. Mais une fois qu’on a mis en garde contre le danger de sacrifier son corps à une gloire éphémère, un point qui ne fait guère débat, on n’a pas dit grand-chose.

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Apolonia, Apolonia ★★☆☆

Apolonia Sokol est née en 1988 à Paris d’un père français et d’une mère qui a successivement vécu en Pologne et au Danemark. Elle a grandi dans l’ambiance bohême du Lavoir moderne parisien, au cœur du XVIIIème arrondissement parisien. C’est là que la jeune cinéaste danoise Lea Glob l’a rencontrée en 2009. Les deux femmes se sont liées. Pendant treize ans, de Paris à New York, des premières toiles aux premières expositions, Lea Glob a filmé Apolonia et sa renommée grandissante.

Apolonia, Apolonia est un film profondément original. Alors qu’un documentaire est normalement tourné en quelques semaines, quelques mois tout au plus, qu’il peut certes faire revivre le passé, grâce au recours aux archives ou aux interviews de témoins, celui-ci a été filmé pendant treize ans et nous fait vivre en direct le temps qui passe et un talent qui éclot. Lea Glob ne se contente pas de nous raconter la vie d’Apolonia, elle la filme au jour le jour. Une étrange symbiose naît entre les deux côtés de la caméra, entre celle qui filme – et qui parfois s’autorise à entrer dans le champ – et celle qui est filmée.

Apolonia, Apolonia est donc doublement intéressant.
D’une part, il montre l’éclosion d’une artiste. Comment devient-on une peintre mondialement reconnue ? Apolonia Sokol est née dans un milieu cosmopolite et bohême. Elle est passée par les Beaux-Arts de Paris (poke à son directeur, collègue et ami). Elle semble surtout tout entière investie dans son art, prête à tous les sacrifices, notamment celui de la maternité, pour le vivre intensément. Est-elle douée ou pas ? je serais bien incapable de le dire, vaguement méfiant envers l’art contemporain et ses brusques emballements dont on se demande parfois s’ils dépendent plus des stratégies d’investissement des collectionneurs que du réel talent des artistes.

D’autre part, il témoigne d’une amitié. Amitié entre Apolonia et Lea. Mais amitié aussi avec un troisième personnage, Oksana Chatchko, la co-fondatrice des Femen, réfugiée politique en France en 2013. Le documentaire témoigne du lien si fort qui unissent les trois jeunes femmes. On imagine l’émotion d’Apolonia et de Lea à sa première projection. On pourrait s’en sentir exclu – et on le pourrait d’autant plus en tant qu’homme car ces féministes radicales tangentent la misandrie – mais au contraire on est ému par cette brûlante sororité.

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La Machine à écrire et autres sources de tracas ★☆☆☆

La Machine à écrire…. est le troisième volet du triptyque, que Nicolas Philibert, peut-être le plus grand documentariste français contemporain (ex aequo avec Raymond Depardon), consacre à la psychiatrie. Il a commencé l’an dernier avec Sur l’Adamant, auquel l’Ours d’or de Berlin a donné une publicité inespérée, et s’est prolongé, il y a quelques semaines à peine, avec Averroès & Rosa Parks.

Après ces deux volets, je m’étais fait une idée préconçue du troisième. J’avais eu connaissance de son thème – les visites domiciliaires des soignants de l’Adamant à des patients résidant hors de l’hôpital en milieu ouvert – et j’avais  logiquement imaginé que ce troisième volet achèverait un mouvement : de l’intérieur vers l’extérieur, du soin prodigué à l’hôpital à la lente réinsertion du patient psychiatrique, à sa progressive réacclimatation à une vie ordinaire.

Hélas, La Machine à écrire…. n’a pas une telle ambition. Comme Nicolas Philibert l’a candidement avoué durant le débat qui a suivi sa projection en avant-première et auquel j’ai eu la chance d’assister la semaine dernière, ce troisième volet est né du hasard. Un jour, pendant le tournage sur l’Adamant, il a accompagné deux soignants chez un patient. Chaque mercredi en effet, deux bricoleurs se proposent de rendre visite aux patients qui en expriment le souhait pour les aider dans leur quotidien à réparer un frigo, une machine à laver…. ou une machine à écrire – ce qui, pour des jeunes de la génération Y qui n’en avaient jamais vu, relève du bizutage !

Au-delà du coup de main ponctuel, il s’agit pour les soignants d’apporter un peu de réconfort et de s’assurer que le patient ne rencontre pas de problèmes dans sa vie quotidienne.

Le problème de cette Machine à écrire… est sa forme très relâchée. Il s’agit d’un film d’une heure douze à peine – alors qu’Averroés & Rosa Parks, autrement charpenté, durait le double. Il a été tourné sans repérage, sans répétition, au petit bonheur la chance. Il est constitué de quatre visites successives, montées sans guère d’efforts, à la chaîne, l’une derrière l’autre.

On a un peu l’impression d’être devant des chutes, un addendum, un codicille, qui aurait pu tout aussi bien être inséré à la fin de Sur l’Adamant. Comme Proust, grand écrivain, dont on se délecte à lire la liste des commissions, Philibert est un grand documentariste dont même les chutes sont intéressantes. On n’en a pas moins l’impression de se faire un peu arnaquer et de payer pour un sous-produit qui n’a ni l’étoffe ni l’amplitude de ses autres réalisations plus roboratives.

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L’Homme aux 1000 visages ★★★☆

Chirurgien, ingénieur ou photographe, argentin, brésilien, ou portugais, Ricardo, Alexandre ou Daniel a mille visages. Ce séduisant mythomane mène plusieurs vies avec plusieurs femmes simultanément.
L’une d’entre elles a contacté Sonia Kronlund, la productrice des Pieds sur terre, l’émission quotidienne de France Culture. Une émission lui a été consacrée en 2017. La productrice, qui a elle-même connu des déconvenues amoureuses similaires auprès d’affabulateurs, s’est passionnée pour cette histoire. Dans un premier temps, elle a voulu réunir les témoignages des femmes bernées par « Ricardo ». Elle a mené une enquête au long cours qui l’a menée jusqu’au Brésil. Dans un second temps, elle s’est mise en tête de retrouver Ricardo. Pour ce faire, elle a recruté un improbable détective privé polonais.

L’Homme aux 1000 visages est un documentaire sur le mensonge et sur la crédulité. Son héros est incroyable. Serait-il le héros d’une fiction, façon Catch Me If You Can, qu’on la trouverait médiocrement crédible : comment un même homme peut-il vivre maritalement en même temps avec quatre femmes différentes dans plusieurs pays européens et même avoir un enfant avec l’une d’entre elles ? Autant d’habileté dans la manipulation a de quoi forcer l’admiration. D’autant que l’homme est charmant et que la séduction qu’il exerce sur ses conquêtes se comprend aisément. Comme Sonia Kronlund qui n’hésite pas à se mettre elle-même en scène jusqu’à un final franchement hilarant, le spectateur est face à Ricardo partagé entre plusieurs sentiments contradictoires : l’incrédulité, la fascination, la terreur, l’amusement…

Documentaire sur le mensonge, L’Homme aux 1000 visages est symétriquement un documentaire sur la crédulité. Comment ces femmes ont-elles pu se laisser berner ? Comment n’ont-elles pas plus tôt réalisé que Ricardo n’était pas l’homme qu’il prétendait être, qu’il n’avait pas de travail, pas de famille, pas d’ami sinon celui imaginaire qu’il s’était inventé ? Étaient-elles trop crédules ? Ricardo les choisissait-il précisément car il avait identifié chez elles cette faiblesse-là ?
Confortablement installé dans son fauteuil de cinéma, le spectateur regarde ces femmes avec un mélange de pitié et d’empathie. Il n’a pas vécu ce qu’elles ont vécu et s’en porte bien. Mais peut-il en être aussi sûr ? Si elles se sont fait si facilement berner, est-il certain de ne l’avoir jamais été ? Lentement, pendant la projection et après en y repensant, le doute s’immisce dans son esprit paranoïaque : peut-il tenir pour acquis la réalité des êtres et des choses qui l’entoure ? quelle part de mensonge s’y dissimule ? La même angoisse vertigineuse qu’à la lecture de L’Adversaire d’Emmanuel Carrère sur l’histoire vraie de Jean-Claude Romand qui avait pendant vingt ans prétendu à sa famille et à ses amis exercer la profession de médecin à Genève, le saisit.

On applaudit le générique de fin et la réalisatrice, timide et modeste, qui vient trop brièvement répondre aux questions dont le public enthousiaste l’assaille : où est Ricardo aujourd’hui ? est-il au courant de ce film ? ne risque-t-il pas de vous poursuivre pour défendre son droit à l’image ? avez-vous découvert d’autres victimes ? que sont-elles devenues ?

Et en quittant la salle et en repensant à ce documentaire sur le mensonge et la crédulité, un ultime doute nous saisit : Ricardo existe-t-il vraiment ? Sonia Kronlund n’a-t-elle pas joué sur le pacte implicite noué avec le spectateur – ce qui lui est montré est vrai – sur sa crédibilité, pour réaliser un « documenteur » sur un mythomane imaginaire ?

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