Kneecap ★☆☆☆

Le groupe Kneecap est devenu célèbre au « nord de l’Irlande » (North of Ireland selon l’expression utilisée par les républicains irlandais). C’est un groupe de rap volontiers provocateur qui exalte l’âme gaélique et défie l’occupant anglais. Ses chansons et ses concerts défraient la chronique musicale et judiciaire. Il forme un trio hétéroclite : un professeur de musique et deux jeunes ex-dealers. Righ Peppiatt aurait pu leur consacrer un documentaire ; mais il a opté pour un film de fiction en confiant aux trois chanteurs leur propre rôle.

Les apprentis acteurs s’en sortent très bien donnant à leurs personnages une euphorisante énergie façon Trainspotting et une vraie épaisseur sociale façon Ken Loach. Ils sont servis par une mise en scène punk et parfois foutraque qui emprunte à plusieurs registres : la voix off, le film d’animation, les images d’archives (on voit la marche de 2017 pour la loi sur la langue irlandaise), les inserts ludiques, les personnages en pâte à modeler…

Le biopic musical que Kneecap raconte est éminemment politique. Il entend évoquer Belfast différemment de l’image de carte postale à laquelle l’Irlande du Nord (Northern Ireland selon le terme officiel britannique) est souvent réduite. Il décrit « les enfants du cessez-le-feu », cette génération qui a grandi après les accords du Vendredi saint de 1998 qui a mis fin à la Guerre civile en Irlande du nord. Le combat est autant culturel que social. Il passe par la promotion de la langue gaélique. Il se mène sur deux fronts que montrent bien deux personnages du film : d’un côté l’occupant britannique symbolisé par une policière sadique qui se révélera être la tante de la petite amie de l’un des chanteurs, de l’autre les Républicains « historiques » incarnés par le père d’un autre chanteur, interprété par Michael Fassbender (qui fut, on s’en souvient, un Bobby Sands de légende dans Hunger de Steve McQueen).

Malgré toutes ces qualités, d’où vient mon jugement bien sévère ? De ce que je me suis ennuyé devant ce film. Aussi intéressant que soit le contexte qu’il raconte, aussi sympathique que soit son trio d’acteurs, Kneecap, sous des airs faussement révolutionnaires, m’a semblé très conventionnel. Dernier bémol hélas tellement prévisible qui explique mon manque d’enthousiasme : le rap n’est pas ma tasse de thé, ni mon verre de bière.

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Avignon ★☆☆☆

Coralie (Alison Wheeler) convainc non sans mal Stéphane (Baptiste Lecaplain) de rejoindre la petite troupe d’acteurs qui va jouer à Avignon dans le off la pièce de boulevard créée par Serge (Lyes Salem), son compagnon. Dans la cité des Papes, Stéphane recroise Fanny (Elisa Erka), une actrice à laquelle le succès sourit, qui y joue Ruy Blas. Pour la séduire, il prétend qu’il est venu à Avignon interpréter le rôle principal du Cid dans une mise en scène élitiste.

Avignon a emporté le Grand Prix au dernier festival du film de comédie de l’Alpe d’Huez. Il a eu les honneurs d’une projection en avant-première au Forum des images devant le Club AlloCiné. Il arrive aujourd’hui sur les écrans précédé d’un bouche-à-oreille qui laisse augurer le feel good movie de l’été et le jackpot au box office.

Il serait injuste de dire qu’Avignon n’est pas réussi. Il met en scène des acteurs attachants, pour la plupart venus du stand-up : Lyes Salem y est comme d’habitude impressionnant et Rudy Milstein, dans le rôle d’un régisseur pataud, y crève l’écran. Il a pour cadre le festival d’Avignon dont les coulisses, étonnamment, n’ont guère été filmées (à l’exception d’un sketch du dernier Strip-tease et des répétitions horripilantes d’Isabelle Huppert et de Fabrice Luchini). Il se présente enfin comme une déclaration d’amour au théâtre amateur, sans distinction de genre, qui réjouira tous ceux qui sont montés sur les planches et désinhibera les amateurs d’Au théâtre ce soir, raillés pour leurs goûts d’ilotes (le réalisateur dit avoir été influencé par Le Goût des autres de Bacri & Jaoui).

Le problème d’Avignon – et c’est un handicap de poids – est d’être une comédie pas drôle. Le jeu des acteurs a beau être « frais » (moi aussi je cède aux modes du temps en utilisant des expressions branchées dont je ne suis pas sûr pour autant de maîtriser le sens), les situations sont convenues, les quiproquos bien lourdauds et le sentimentalisme un peu mièvre.

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A Normal Family ★★★☆

Deux frères ont pris deux chemins de vie radicalement différents. L’aîné, avocat pénaliste, est devenu scandaleusement riche en défendant les pires crapules. Il a eu une fille d’un premier mariage et a épousé en secondes noces un top model dont il vient d’avoir un bébé. Le cadet n’a que mépris pour l’argent. Chirurgien, il travaille dans un hôpital public. Il partage avec sa femme et avec son fils unique un petit appartement et y a accueilli sa mère vieillissante que son frère a renoncé à héberger à cause de la naissance de son bébé.
Ces deux couples que tout oppose devront faire front commun quand leurs deux enfants sont accusés du meurtre d’un SDF filmé par une caméra de surveillance.

Le Dîner est un roman néerlandais publié en 2009 (et traduit chez Belfond en 2011) qui a connu un succès phénoménal. A Normal Family est sa quatrième adaptation à l’écran après les films néerlandais, italien et américain qui en ont été tirés en 2013, 2014 et 2017. Son titre pourrait laisser augurer le pire : un huis clos théâtral mettant aux prises deux couples qui dînent ensemble et se déchirent façon Carnage ou Le Prénom. Mais son scénario est autrement plus subtil.

La scène d’ouverture est brutale : un chauffard tue le conducteur qui lui reprochait sa mauvaise conduite et laisse pour morte la fille de celui-ci. Sa défense est confiée au frère aîné, avocat de profession. On en comprend vite l’enjeu et le débat qui déchire les deux fratries : jusqu’où est-on prêt à renier ses valeurs pour sauver ses enfants ?

A Normal Family – dont le titre anglais est ambigu à souhait – évoque irrésistiblement Parasite. Il ne s’élève pas au niveau de ce film qui constitue incontestablement l’un des tout meilleurs de ce premier quart de siècle (j’ai été particulièrement mal inspiré de lui mégotter sa quatrième étoile). Mais il en a le rythme, ponctué de rebondissements qui nous tiennent en haleine jusqu’à l’ultime plan, dont l’interprétation nourrira les discussions d’après-film. Il en a surtout la même méphitique noirceur.

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Indomptables ★☆☆☆

De nos jours à Yaoundé au Cameroun, le commissaire Billong (Thomas Ngijol) est chargé d’enquêter sur le meurtre crapuleux d’un officier de police. Il se bat sur un autre front : l’éducation de ses enfants qui contestent de plus en plus son autorité.

Fort du statut que lui ont conféré ses précédents films (l’hilarant et très subtil Case Départ, le tout aussi réussi Crocodile du Botswanga, le décevant Black Snake), l’acteur-réalisateur Thomas Ngijol s’est lancé dans un projet qui lui tenait à cœur : transformer en long métrage de fiction le reportage Un crime à Abidjan de Mosco Boucault réalisé en 1999.

Le sujet en est simple : il s’agit d’un crime comme tant d’autres commis à Yaoundé. S’il est pris au sérieux par la hiérarchie policière, c’est parce qu’un officier en a été la victime. Aussi faut-il rapidement solliciter des indics, remonter quelques pistes, arrêter des suspects et les secouer jusqu’à obtenir des informations utiles…

On comprend vite que pour Thomas Ngijol cette intrigue policière n’est qu’un prétexte. C’est un prétexte à tourner un film dans le pays dont il est originaire, le Cameroun. Et c’est un prétexte à raconter en filigrane une figure paternelle, patriarcale jusqu’à la caricature, qui entend diriger sa famille comme son commissariat, avec un mélange pas toujours équilibré d’autorité intimidante et de paternalisme patelin.

Le problème d’Indomptables – un titre dont je n’ai pas compris la signification – est qu’il se réduit à ce postulat de départ sans en tirer aucun parti. Très vite on perd de vue l’enquête menée par le commissaire Ngijol, comme si le scénario lui-même s’en était désintéressé. Quant aux démêlés familiaux du héros, ils sont prévisibles jusqu’à leur dénouement mielleux.

On en est réduit à l’exotisme d’une histoire qui pâtit hélas d’une direction d’acteurs inexistante, digne d’une mauvaise télénovela nollywoodienne.

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Life of Chuck ★★★☆

Charles « Chuck » Krantz est un orphelin élevé par ses grands-parents dans une grande maison victorienne dont le grenier est cadenassé parce qu’il contiendrait un secret. Jeune collégien, Charles suit avec passion des cours de danse et devient malgré son jeune âge un danseur talentueux. Mais son grand-père le convainc de choisir le même métier que lui. Quelques années plus tard, Charles, devenu comptable, participe à un congrès. À sa sortie, il se laisse entraîner par la rythmique d’un joueur de rue et se lance dans une prestation follement inspirée où le rejoint bientôt une autre danseuse. Mais un mal sournois ronge Chuck qui mourra quelques mois plus tard alors que la planète tout entière, frappée par des phénomènes de plus en plus inquiétants, court à sa perte.

Précédé d’une réputation flatteuse, Life of Chuck déboule sur nos écrans à une période de l’année où la programmation est bien pauvre et les coups de cœur rares (mon dernier remonte à La Venue de l’avenir de Klapisch). Pour Première, c’est le film du mois. Pour moi, avant même d’entrer dans la salle, j’avais décidé que ce le serait aussi.

Mon haut degré d’auto persuasion a peut-être obscurci mon jugement. Quels seraient les défauts qu’un esprit scrogneugneu (ou plus lucide que moi) pourrait pointer ? Un manque de tempo qui rend Life of Chuck vite ennuyeux ? Une bien-pensance typiquement américaine qui, à rebours de sa prétendue originalité, englue le film dans un cinéma très mainstream ? Une philosophie qui se réduit, tout compte fait, à une morale bien pauvrette : si la mort nous attend tous, dansons la vie tant que nous le pouvons ? Une description de l’apocalypse qui est loin d’approcher celle, hypnotisante, du Melancholia de Lars Von Trier, chef d’oeuvre indépassable ? Des chorégraphies trop sucrées façon La La Land ?

Qui me connaît un peu saura que le dernier argument est pour moi irrecevable : rien n’est trop sucré dans La La Land, mon bffe (best film for ever) et tout ce qui s’en approche m’attire irrésistiblement. J’avoue m’être laissé emporter par les deux séquences dansées de Life of Chuck, avec une nette préférence pour la première qui devrait rapidement accéder au statut de séquence mythique. Ce n’est pas tant la chorégraphie de Tom Hiddleston et d’Annalise Basso ni la musique à la batterie jouée par Taylor Gordon (grâce à laquelle j’ai appris le sens du mot anglais busking) qui m’ont emporté, que l’immense joie de vivre qui s’en dégage. La danse – et, promis, je refermerai très vite cette parenthèse sentencieuse – a la vertu rare de rendre la vie à la fois plus belle et plus légère. Et tel est le message, qu’on peut en effet trouver trop frivole de Life of Chuck : la vie est plus légère quand on la danse.

Quelles sont les autres qualités de Life of Chuck à mes yeux ? J’aurais dû commencer par la plus évidente : sa construction antéchronologique. Le film, comme la nouvelle de Stephen King dont il est tiré, est construit en trois chapitres et commence par le troisième. L’acte 3 se déroule à la veille de l’apocalypse qui va détruire la planète. On n’y voit pas Chuck sinon dans des affiches mystérieuses qui saluent sa mémoire – et dont on n’aura, je crois, jamais l’explication. L’acte 2 évoque cette danse miraculeuse de légèreté interprétée par un comptable anonyme dans son costume cravate passe-muraille. L’acte 1 retrouve Chuck enfant, élevé par ses grands-parents (on reconnaîtra, ou pas, Mark Hamill, le Luke Skywalker de Star Wars dans le rôle de son grand-père alcoolique et aimant) et confronté à un mystérieux secret, le whodunit du film,  qui nous sera expliqué dans l’ultime plan.
Certes, Life of Chuck n’est pas le premier film à suivre une telle séquence. On pense à Irréversible de Gaspar Noé à 5×2 de François Ozon, à L’Etrange Histoire de Benjamin Button avec Brad Pitt [PS : L’Etrange Histoire… a pour héros un personnage qui revient en enfance mais n’est pas un film antéchronologique]. Mais cette construction maligne confère au film une originalité savoureuse.

Autres originalités assez rares dans les films hollywoodiens : l’absence de stars au générique (si ce n’est peut-être Chiwetel Ejiofor dans un rôle secondaire et le susmentionné Mark Hamill) et la discrétion du personnage principal qui fait son apparition après une demi-heure de film et disparaît vingt minutes plus tard.

J’écris cette chronique, comme toujours, quelques heures après avoir vu ce film. Si j’ai pris cette habitude, c’est à cause des capacités limitées de ma mémoire : au fil des jours, je perds inexorablement le souvenir des films que j’ai vus. Mais pour une fois, j’ai hésité à déroger à cette règle d’airain. Car Life of Chuck fait partie peut-être (ou peut-être pas) des films qui « percolent », des films dont le souvenir se modifie, pour le meilleur, avec le temps qui passe. Comment résistera au temps la « morale » de ce film dont je disais plus haut qu’on pouvait à bon droit lui reprocher d’être « pauvrette » ? Trouverai-je dans quelques jours, dans quelques semaines, que ce film était surcoté, que sa morale était frelatée ? ou au contraire, à la façon des meilleurs films de Spielberg ou de Capra, me laissera-t-il un souvenir durable qui m’aidera à vivre à l’ère des peurs apocalyptiques qui nous menacent ?

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Harvest ★★☆☆

Où sommes-nous ? En Ecosse peut-être. Quand ? Au Moyen-Âge ou bien quelques siècles plus tard. La quiétude d’un village éloigné de tout est brusquement interrompue par une succession d’événements malheureux. Une nuit, la grange prend feu, sans doute par la faute de quelques freluquets insouciants. Deux hommes et une femme qui passaient par là servent de boucs émissaires à la colère de la populace. Les deux hommes sont cloués au gibet ; la  femme accusée de sorcellerie est abandonnée à son sort dans les bois environnants. Le maître des lieux est de passage avec un homme, noir de peau, chargé d’en dresser la cartographie. Il annonce une mauvaise nouvelle : la terre va revenir à son cousin qui entend la consacrer à l’élevage intensif du mouton et en chasser les habitants.

Harvest est un film déconcertant. Sa première séquence donne le la. On y voit (un flashback ? un flash forward ?) Walt, le principal protagoniste, errer seul et hagard dans la nature, le corps répugnant de crasse. On se demande dans quel film on est tombé : une réflexion esthétisante sur l’impossible symbiose de l’homme et de la nature façon Terrence Malick ? un film historique ? un folk horror movie façon The Wicker Man ou Midsommar ?

Harvest, adapté d’un roman à succès de l’auteur britannique Jim Crace, est un peu tout cela. C’est ce qui fait sa richesse. C’est ce qui fait aussi son originalité. Son affiche est intéressante, qui a peut-être été dessinée par une intelligence artificielle et qui rappelle les foisonnantes compositions de Brueghel l’ancien. Certains plans d’ailleurs sont de purs émerveillements qui dépeignent un Eden supralapsaire (!), des paysans vêtus des étoffes qu’ils tissent semant, labourant et moissonnant au rythme des saisons, dans une concorde fraternelle que rien n’obscurcit.

Harvest a un défaut : il dure plus de deux heures. Car sa réalisatrice, la Grecque Athina Rachel Tsangari, a voulu y faire entrer tous les rebondissements – et ils sont nombreux – du roman. Son autre défaut est que son enjeu – l’expropriation décrétée par le nouveau maître – ne se dévoile que très tardivement. mais ce défaut-là n’en est pas un ; car le principal intérêt du film réside précisément dans son indétermination et dans le flou laissé pendant toute sa première moitié sur son réel sujet.

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Vie privée (1962) ★☆☆☆

Jill (Brigitte Bardot) est une jeune fille genevoise de bonne famille qui monte à Paris et y devient une star de cinéma. Amoureuse de Fabio (Marcello Mastroianni), elle l’accompagne à Spolète en Italie où il monte une pièce méconnue de Kleist. Mais la vie du couple est rendue impossible par la foule des paparazzis qui harcèlent Jill.

En 1962, Brigitte Bardot est au sommet de sa gloire. Mais sa célébrité se retourne contre elle. Elle est sortie essorée du tournage de La Vérité avec Clouzot ; sa séparation avec Jacques Charrier, dont elle a eu un enfant début 1960, et son idylle avec Sami Frey font scandale ; BB se remet lentement d’une tentative de suicide.

C’est précisément ce sujet-là que Louis Malle entend traiter sur un mode quasi documentaire. Le jeune réalisateur a trente ans à peine ; mais il a déjà tourné Ascenseur pour l’échafaud et Zazie dans le métro. Il co-écrit le scénario avec Jean-Paul Rappeneau. Pour interpréter le compagnon de la star, il choisit une autre star, Marcello Mastroianni, qui vient de tourner La Dolce Vita avec Fellini et La Notte avec Antonioni, excusez du peu….

BB a rarement été aussi séduisante, en vichy à carreaux, cheveux longs et blonds, sensuellement dénoués ou montés en choucroute, ballerines au pied. Quant à Marcello, la petite quarantaine, il est sexy en diable. Le couple est d’ailleurs paradoxalement glamourisé par la mise en scène de Louis Malle et par sa photographie, alors que son scénario souligne au contraire les effets délétères de cette célébrité.

À cause de son casting, à cause de son sujet, Vie privée est bien entendu un film mythique que je suis content d’avoir vu. Mais ce n’en est pas moins un film raté qui n’a pas laissé de trace marquante dans l’histoire du cinéma. Malgré le talent de ses acteurs et celui de son réalisateur, le film fait flop. Le scénario est languissant, sans réel enjeu ; on ne sent aucune alchimie entre les deux acteurs et on peine à comprendre la passion qui est censée les lier ; et on n’éprouve aucune pitié pour le double autobiographique de BB, piégée par sa jolie frimousse.

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Festa major ★★☆☆

Chaque année à Fillols, dans la Catalogne française, au pied du Canigou, se tient pendant cinq jours de rang une fête votive, la Festa major. Elle réunit tous les habitants du village. Le documentariste Jean-Baptiste Alazard en a filmé les longs préparatifs et le déroulement dionysiaque.

Rarement affiche de film aura été mieux choisie que celle de Festa major. La folle bacchanale peinte par Brueghel (?) rappelle en effet l’ambiance carnavalesque de la Festa major, dans ses couleurs, dans sa liesse débordante, dans son renversement des valeurs et de l’ordre établi.

Ce documentaire aurait pu être historique (il l’est un peu en évoquant les premières éditions de la Festa major au début du siècle dernier et celles dont les anciens perpétuent la mémoire), sociologique (on ne saura rien de l’activité principale des organisateurs de la fête et de ses participants), anthropologique (quel rôle cette fête joue-t-elle dans la vie du village et de ses habitants ?). Il n’est rien de tout cela et c’est d’ailleurs dommage. On aurait aimé avoir les réponses à ces questions-là. On se contentera donc – mais c’est déjà pas mal – d’une plongée sensorielle dans un événement qui joue sur deux cordes sensibles : le collectif et le lâcher-prise. Et il a la modestie de le faire en une heure et huit minutes à peine.

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Lili Marleen (1981) ★★☆☆

À la fin des années trente, Willie (Hanna Schygulla), chanteuse de cabaret allemande, et Robert (Giancarlo Giannini), compositeur juif suisse dont la famille richissime aide des coreligionnaires à fuir le Reich, fileraient le parfait amour si le père de Robert n’y opposait son veto. Les deux amoureux sont séparés par la guerre, Willie en Allemagne où elle devient célèbre en interprétant la chanson Lili Marleen, Robert en Suisse où il continue à prendre tous les risques pour sauver des familles juives.

Rainer Fassbinder s’empare d’un mythe, la chanson mondialement connue pour son interprétation par Marlene Dietrich. Comme le raconte fidèlement le film, elle est chantée pour la première fois sans succès dans des petits cabarets de Berlin et de Munich. Elle doit son succès à sa programmation par la radio militaire allemande de Belgrade, en août 1941, une nuit où un bombardement avait détruit son stock de disques. L’anecdote donne lieu à une scène du film. Goebbels lui reprochait de « sentir la danse macabre ». Mais Göring et Hitler lui-même s’en étaient entichés, la propulsant immédiatement au rang de tube national. Elle sera diffusée jusqu’à trente-cinq fois par jour par Radio Berlin.

Au-delà de ce phénomène, Fassbinder peint une héroïne qui, à rebours de tout manichéisme, essaie tant bien que mal de faire son chemin dans l’Allemagne nazie. Ni résistante, ni collabo, Willie a pour seule boussole l’amour inaltérable qu’elle porte à Robert. C’est en quoi elle ressemble à beaucoup d’Allemands et pourquoi sa figure a eu autant de succès en RFA, Lili Marleen devenant l’un des films les plus populaires de Fassbinder, dont le cinéma contestataire se condamnait jusqu’alors à ne séduire que les franges.

Lili Marleen n’est pas exempt du maniérisme désuet qui leste le cinéma de Fassbinder. L’interprétation de Hannah Schygulla, l’égérie de Fassbinder avec qui elle tourna une quinzaine de films, ne réussit pas à le sauver tout à fait. Lili Marleen sera leur dernier film, Fassbinder s’éteignant brutalement l’année suivante d’une rupture d’anévrisme.

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Freud, la dernière confession ☆☆☆☆

Septembre 1939. Sigmund Freud a fui l’Autriche annexée par les nazis et s’est réfugié avec sa fille Anna en Angleterre. Il mourra d’ici la fin du mois d’un cancer du maxillaire qui le fait terriblement souffrir. L’octogénaire accepte de recevoir à son domicile londonien l’écrivain catholique C.S. Lewis qui vient de brosser de lui un portrait peu amène dans son dernier livre.

La psychanalyse a si profondément marqué le vingtième siècle que son « inventeur », Sigmund Freud, est lui-même devenu une figure emblématique dont le cinéma s’est emparé. Montgomery Clift lui a prêté ses traits pour l’imaginer, encore jeune, poser les bases de la psychanalyse après sa rencontre à Paris avec Charcot (John Huston, Freud passions secrètes). Viggo Mortensen imagine quelques années plus tard sa rencontre avec Carl Jung (David Cronenberg, A Dangerous Method).

Freud’s Last Session est inspiré d’une pièce de théâtre montée en 2009, elle-même tirée d’un livre écrit en 2002 par un psychiatre américain, Armand Nicholi, The Question of God. Nicholi avait donné pendant trente-cinq ans un cours à Harvard sur Freud et sur Lewis. Il inventa de toutes pièces une rencontre apocryphe entre les deux hommes et rassembla ses notes dans un livre au sous-titre explicite : C.S. Lewis and Sigmund Freud Debate God, Love, Sex, and the Meaning of Life.

Le film pâtit de sa filiation théâtrale. C’est du (mauvais) théâtre filmé où la danse de Saint-Guy dont semblent être affligés les deux protagonistes, qui n’arrêtent pas de se déplacer d’une pièce à l’autre, essaie de compenser le statisme du scénario. En quoi consiste-t-il ? En une interminable logomachie entre deux hommes. L’un croyait au Ciel, l’autre n’y croyait pas. Freud se moque du sentiment religieux dans lequel il voit une consolation illusoire aux souffrances du monde terrestre. Lewis reproche à Freud d’avoir plongé dans les remugles du subconscient et d’avoir banni toute idée de transcendance.

Ce face-à-face n’avance pas et devient vite ennuyeux. L’interrompent quelques flashbacks pour évoquer la vie de Freud à Vienne et les traumatismes de Lewis dans les tranchées de la Première Guerre mondiale et quelques plans consacrés à la fille de Freud, Anna, qui ne réussit pas à s’affranchir de la figure envahissante de son père et à assumer sa liaison avec son amie de cœur Dorothy Burlingham.

Sorti dans un circuit limité de salles aux Etats-Unis en 2023 et au Royaume Uni en 2024, Freud’s Last Session ne vaut guère que par son interprétation, si l’on goûte le jeu d’Anthony Hopkins, que je trouve personnellement trop insistant, le charme so british de Matthew Goode (Downton Abbey, The Crown) et l’incandescence de Liv Lisa Friers découverte dans Berlin Été 42.

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