L’Été de Jahia ★★☆☆

Un centre d’accueil belge héberge des immigrés qui attendent fébrilement le résultat de leur demande d’asile. Parmi eux, Jahia, seize ans à peine, doit veiller sur sa mère, qui souffre de stress post-traumatique. Jahia se lie d’amitié avec Mila, une immigrée biélorusse de son âge.

Il se dégage de L’Été de Jahia le même parfum que celui des films des frères Dardenne, notamment les deux derniers, Jeunes Mères et Tori et Lokita. Quasiment dans les mêmes décors, Olivier Meys, qui avait signé en 2019 Les Fleurs amères, filme à ras du sol, sur un mode documentaire, des adolescents à peine sortis de l’enfance, plongés à leur corps défendant, dans les affres du monde des « grands » : une insertion impossible dans un pays qui ne veut pas d’eux, une maternité précoce.

Les actrices Noura Bance et Sofiia Malovatska ont l’ingénuité des acteurs amateurs des frères Dardenne. Leurs sentiments sont purs, l’amitié qui lentement se noue entre elles est sans concession. Comme dans les films des Dardenne, un événement inattendu coupe le film en deux. L’évoquer, c’est déjà trop en dire. Rien ne l’avait laissé pressentir. On redoute la façon, simpliste, dont le scénario aurait pu en tirer les conséquences. Fort heureusement, il évite cette facilité qui aurait affadi sa trajectoire.

Pudique et émouvant, L’Été de Jahia évite à la fois le misérabilisme et la bien-pensance.

La bande-annonce

Un médecin pour la paix ★☆☆☆

Originaire d’une famille de paysans du sud de la Palestine installée à Gaza depuis 1948, Izzeldin Abuelaish est devenu à force de travail un chirurgien reconnu. En 2009, il perd trois de ses filles et sa nièce dans le bombardement de son immeuble par un char israélien. Son témoignage en direct sur une chaîne télévisée israélienne marque durablement la mémoire. Réfugié au Canada avec ses enfants survivants, le docteur Abuelaish plaide pour la réconciliation des deux peuples et encourage l’éducation des jeunes filles. Sa résilience lui a valu le surnom de Mandela du Proche-Orient.
Il a raconté son histoire en 2011 dans une autobiographie traduite en vingt-trois langues Je ne haïrai point : Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix. La documentariste franco-américaine Tal Barda le filme en 2021 à l’occasion de son retour à Gaza pour l’audience devant la Cour suprême du procès en responsabilité qu’il a intenté contre l’Etat israélien.

La façon dont le cinéma raconte le conflit israélo-palestinien mériterait une longue étude. La plupart des fictions et des documentaires qui sortent sur les écrans sont ouvertement pro-palestiniens : No Other Land, Voyage à Gaza, Yallah Gaza… Rares sont ceux qui prennent à bras le corps la complexité des enjeux : Bye bye Tibériade, This is my Land, Foxtrot, les films d’Elia Suleiman bien sûr (Intervention divineLe Temps qui reste), ceux d’Amos Gitai, Les Citronniers… Quasiment aucun n’est ouvertement pro-israélien sinon peut-être Israël, le voyage interdit, le long documentaire autobiographique de Jean-Pierre Lido sorti en 2020.

Dans quelle catégorie ranger celui-là, sorti confidentiellement dans les salles fin avril avant d’en disparaître rapidement ? Tout dépend (hélas) de ses opinions personnelles. Qui est pro-palestinien l’applaudira en affirmant qu’il montre les dégâts provoqués par les opérations militaires incessantes de Tsahal dans la bande de Gaza qui, sous prétexte d’éradiquer le Hamas, asphyxie les civils, leur offrant comme seule perspective la mort ou l’exil. Qui est pro-israélien au contraire se défendra en affirmant que Tsahal mène une guerre juste contre une organisation terroriste, qu’aucune guerre hélas ne produit aucun effet collatéral, que rares sont dans le monde les belligérants qui, comme le montre le film, fournissent des soins médicaux aux populations civiles placées sous la responsabilité de leur ennemi et leur laissent un libre accès à leurs médias et à leurs tribunaux.

Autant dire que faire la critique de ce documentaire est une aventure bien périlleuse.
On peut lâchement se borner à en évoquer les qualités cinématographiques. Et c’est là que le bât blesse. Car ce documentaire à la facture très classique n’en a guère. C’est un sous-produit télévisuel, lesté d’une musique envahissante, comme si la tragédie vécue par ce père éploré avait besoin d’être surlignée. Rien ne justifiait sa sortie en salles.

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L’Évangile de la révolution ★☆☆☆

En Amérique latine, dans les années 70 et 80, l’Eglise catholique s’est dressée contre les dictatures militaires. Au nom de la « théologie de la libération », elle a pris le parti des plus pauvres contre la domination des plus riches. Elle a appuyé des mouvements révolutionnaires et s’est attiré les foudres du pape Jean-Paul II.

Documentariste altermondialiste, François-Xavier Drouet a beaucoup voyagé en Amérique latine et y a été influencé par les pratiques zapatistes du pouvoir. En bon marxiste, il pensait, de son propre aveu, que la religion se résumait à l’opium du peuple avant de reconsidérer ses certitudes et de porter sur le fait religieux en Amérique latine un regard moins réducteur. Il souligne combien le message porté par la théologie de la libération rejoint celui des mouvements révolutionnaires : agir pour un règne de justice en faveur des plus pauvres.

Son documentaire est divisé en quatre parties qui se déroulent successivement au Salvador, au Brésil, au Nicaragua et au Mexique. On découvre l’histoire souvent mal connue de ces pays où des dictatures se sont heurtées à des mouvements révolutionnaires. Des hommes d’Eglise se sont courageusement dressés contre les pouvoirs établis : Monseigneur Óscar Romero au Salvador, assassiné en 1980 en pleine messe, Dom Hélder Câmara ou Leonardo Boff au Brésil.

En faisant étape au Nicaragua, le voyage auquel nous invite F.-X. Drouet évoque un pays où la dictature a été renversée. La rébellion sandiniste a pris le pouvoir et y a hélas reproduit les mêmes mécanismes de domination que ceux qu’elle entendait éradiquer.

Le choix de ces quatre pays pourra sembler arbitraire. Le documentaire en oublie d’autres, aussi importants dans l’histoire de l’Amérique latine et dans celle de la théologie de la libération, comme le Pérou ou l’Argentine. On pourra également reprocher au montage sa division un peu simpliste qui aurait mieux convenu à un reportage en plusieurs épisodes qu’à un film d’un seul tenant.

Aux quatre épisodes s’ajoute un dernier en forme d’épilogue. Alors que les quatre premiers évoquaient le passé, celui-ci évoque le présent et l’avenir. Il dresse le bilan de la théologie de la libération. Bilan mitigé : certes les dictatures sont tombées, mais la démocratie en Amérique latine reste fragile, comme le montrent l’exemple brésilien et les dérives extrémistes du président Bolsonaro. Quant à la religion catholique, elle souffre de la concurrence grandissante des mouvements évangéliques. F.-X. Drouet filme un sermon hallucinant d’un pasteur dément dans un temple brésilien. Il donne froid dans le dos.

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Kontinental ’25 ☆☆☆☆

Un clochard se suicide en se pendant à un radiateur durant son expulsion du local qu’il occupait sans titre. Orsolya, l’huissière de justice chargée de cette expulsion, ne se remet pas de ce drame et cherche auprès de son entourage le réconfort.

Dans le très riche cinéma roumain (Mungiu, Puiu, Porumboui….) Radu Jude occupe une place à part : celle de sujets très provocateurs qui critiquent le régime roumain, les discriminations dont il est coupable, et celle d’un traitement formel radical (son dernier film, N’attendez pas trop de la fin du monde comportait un plan fixe de quarante-cinq minutes !).

Kontinental ’25 se présente à nous sous les atours sympathiques d’une comédie avec son affiche arty, son titre  façon Europe 51 et son affiche qui rappelle Audrey Hepburn et les films américains des années 50. Le contre-sens – ou plutôt la tromperie sur la marchandise – ne pouvait pas être plus grand.

Car Kontinental ’25 – dont je n’arrive pas à comprendre le titre – a les deux pieds dans le monde contemporain. Il a été tourné à Cluj, la capitale de la Transylvanie, dont chaque coin de rue est filmé en plans fixes, au point, lors de la dernière séquence d’une vingtaine (?) de plans immobiles successifs, qu’on a l’impression de visiter une exposition photo sponsorisée par JC Decaux. Il met en scène un clochard dont on suit d’abord les déambulations jusqu’à son suicide. Le film alors change de focale et se concentre sur le personnage d’Orsolya, que ses origines hongroises désignent à l’hostilité de la population roumaine.

Le sujet pourrait être intéressant : comment une huissière de justice vit-elle le suicide du clochard qu’elle a expulsé de son domicile ? Mais son traitement devient vite insupportable. Radu Jude filme en plans fixes les longs tête-à-tête qu’Orsolya a successivement avec son mari, avec son patron, avec sa meilleure amie, avec sa mère, avec un ancien étudiant et avec un prêtre. Ces plans interminables et leur logorrhée sont venus à bout de ma résistance, à l’exception peut-être de celui avec l’étudiant qui prend un tour savoureux.

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Un simple accident ★★★☆

Vahid croit reconnaître, au seul son de sa démarche, le tortionnaire unijambiste qui, des mois durant, l’a martyrisé, les yeux bandés, durant son emprisonnement pour un supposé délit pourtant véniel. Vahid le kidnappe, le ligote, le roue de coups, menace de l’enterrer vivant ; mais au moment de sceller sa vengeance, il est pris d’un doute face aux dénégations de l’individu : n’y a-t-il pas erreur sur la personne ? Pour en avoir le cœur net, Vahid retrouve des compagnons de cellule et essaie avec eux de percer à jour l’identité du captif.

Un simple accident a obtenu la Palme d’or à Cannes. Il est l’œuvre de Jafar Panahi, sans doute le réalisateur iranien le plus célèbre de son époque, auréolé à la fois par la moisson de récompenses prestigieuses obtenues dans tous les festivals du monde (Léopard d’or à Locarno pour Le Miroir, Lion d’or à Venise pour Le Cercle, Ours d’or à Berlin pour Taxi Téhéran…) et par son statut de résistant intransigeant à la censure iranienne qui voulait le bâillonner (il a été assigné à résidence, il lui a été interdit de réaliser des films, une interdiction qu’il a contournée en continuant à filmer au nez et à la barbe (!) des autorités, il a été plusieurs fois emprisonné…).

Autant dire que la sortie de son film était attendue avec impatience. Une impatience décuplée lors de l’avant-première organisée en sa présence fin septembre au Forum des images par le Club Allociné.

Ma première réaction a été un peu mitigée, comme c’est souvent le cas face à un film qu’on nous a survendu. « Tout ça pour ça » me suis-je dit. Et je commençais déjà à nourrir le procès d’un jury qui s’est donné bonne conscience en décernant la Palme à un film si politiquement correct alors que d’autres œuvres, cette année, l’auraient autant sinon plus mérité : Sirāt, Valeur sentimentale, The History of Sound (que je n’ai pas vu mais dont on dit le plus grand bien)….

Mais, en écoutant le débat avec Jafar Panahi, en me documentant sur le film et son arrière-plan, en le laissant lentement infuser, j’ai rapidement mis sous le tapis mes réserves mesquines. Un simple accident est un grand film qui méritait la Palme. La simplicité de son dispositif, presque théâtral (cinq personnes dans un minivan se déchirent sur le sort de leur prisonnier), ne doit pas nous tromper. Il s’agit d’une réflexion puissante sur le pardon, la rédemption et le vivre-ensemble : peut-on pardonner à son tortionnaire ? peut-on l’oublier ? a-t-on le droit de s’en venger sans en devenir à son tour le tortionnaire ?

Un simple accident courait un risque fatal : celui de faire du surplace, une fois les personnages introduits et la situation installée, ou celui, symétrique, de passer d’une scène à l’autre sans rime ni raison. Mais son scénario est remarquable, qui ménage un crescendo jusqu’à une scène finale, ou plutôt à une longue scène qui précède la toute dernière, en plan fixe américain, qui solde tous les comptes. La toute dernière scène est plus brève. Elle a la forme d’un point d’orgue et interroge : l’amie italienne qui m’accompagnait en a eu une compréhension radicalement différente de la mienne.

Paradoxalement, on rit souvent dans Un simple accident qui multiplie les situations cocasses – dont la bande-annonce donne l’avant-goût de quelques unes. Ces scènes désamorcent une tension qui deviendrait vite insupportable (c’est le reproche que je faisais à La Jeune Fille et la Mort, au point de départ très proche). Le revers de la médaille – et c’est le seul reproche que je ferais au film – est que cet humour nous tient à distance de la gravité du sujet. Un simple accident est un film qui m’aura beaucoup fait réfléchir mais qui ne m’aura pas ému.

La bande-annonce

La Tour de glace ☆☆☆☆

Dans la Savoie des années 70, Jeanne (Clara Pacini), une jeune orpheline, fugue de son foyer. Elle trouve refuge dans un hangar de la ville voisine qui abrite, le temps d’un tournage, les décors d’un film, La Reine des neiges. La diva Cristina Van der Berg (Marion Cotillard) interprète le rôle principal et fascine Jeanne.

Née en 1961, diplômée de l’Idhec, l’ancêtre de la Fémis, Lucile Hadzihalilovic est l’auteur d’une œuvre rare, d’une grande cohérence, constituée de quatre longs métrages à peine. Tournant le dos aux engagements politiques et sociaux de ses camarades de promotion (Laurent Cantet, Robin Campillo, Dominik Moll…), elle a opté pour un cinéma purement esthétique, hors du temps, flirtant avec le conte. L’enfance et les démons qui la hantent constituent son terreau de prédilection : Innocence, son premier film sorti en 2005, se déroulait dans un pensionnat de jeunes filles, Evolution, son deuxième en 2016, mettait en scène de jeunes garçons soumis à d’inquiétantes expérimentations, Earwig son troisième en 2023 avait pour héroïne une jeune femme édentée appareillée avec un dentier en verre.

La Tour de glace est tout aussi bizarre, tout aussi envoûtant que ces précédents films. Il est construit autour de la fascination qu’exerce sur la jeune Jeanne, une star de cinéma qu’on croirait tout droit sortie d’un magazine de mode. Marion Cotillard – qui en faisait la promotion sur France Télévision devant Léa Salamé avant d’être maladroitement interrogée sur son couple – y est plus impériale que jamais. Son interprétation convoque les grandes figures du cinéma : Marlene Dietrich, Greta Garbo, Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges

On peut se laisser hypnotiser par cette œuvre hypnotisante. Le Monde s’y est laissé prendre qui y voit un chef d’œuvre. J’avoue hélas être totalement hermétique à ce cinéma-là où je m’ennuie ferme, d’autant que le film dure presque deux heures. Envoutant et scintillant pour Le Monde, La Tour de glace m’a semblé surtout ennuyeux et kitsch.

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Rembrandt ★☆☆☆

La quarantaine bien entamée, Claire (Camille Cottin) et Yves (Romain Duris) sont tous les deux ingénieurs atomistes. Ils travaillent chez ENF (Électricité nucléaire de France ?). Un jour, en visitant la National Gallery, Claire tombe en arrêt devant une toile de Rembrandt. Ce choc la métamorphose. Elle se met à interroger le sens de son travail et à s’inquiéter des dangers du nucléaire face au changement climatique.

Rembrandt contient trois films en un.

Le premier est celui que son titre annonce : l’effet brutal, disrupteur, copernicien si on ose dire, que peut produire la rencontre d’une oeuvre d’art. C’est un sujet passionnant, terriblement subtil, qui convoque l’histoire de l’art, l’esthétique, la psychologie et la sociologie, et qui n’a, autant que je sache, jamais été traité au cinéma. Le problème est que Rembrandt se désintéresse très vite de Rembrandt…. avant d’y revenir in extremis à la toute fin du film. Les amoureux de la peinture hollandaise repasseront.

Le deuxième, qu’on voit sur l’affiche, est l’industrie nucléaire et ses dangers. On est ici sur des terres mieux balisées, celles qui mettent en avant, depuis quelques années dans le cinéma français, des courageux lanceurs d’alerte qui révèlent au grand public des secrets enfouis, qu’il s’agisse de l’affaire Clearstream (L’Enquête), du Mediator (La Fille de Brest), des boues rouges de Gardanne (Rouge), ou encore d’Areva (La Syndicaliste). Le sujet est traité avec beaucoup de pédagogie qui nous montre que les centrales nucléaires telles qu’elles sont conçues aujourd’hui ne sont pas formatées pour résister à des scénarios « extrêmes », tels qu’une vague scélérate, une chaleur caniculaire ou un assèchement radical des cours d’eau. On se croirait parfois dans le documentaire d’Al Gore Une vérité qui dérange.

Le troisième, qu’on voit également sur l’affiche, c’est l’histoire d’un couple qui ne regarde plus dans la même direction. Unie à son époux par vingt-cinq ans de mariage, une passion partagée pour un travail commun, une fille unique qu’ils chérissent (Céleste Brunnquell décidément de moins en moins convaincante), Claire s’éloigne inéluctablement d’Yves. Et Yves essaie sans succès de comprendre ce lent détachement.

Le problème de Rembrandt est de vouloir à tout prix faire tenir ces trois films en un.

La bande-annonce

Muganga ★☆☆☆

Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le gynécologue congolais Denis Mukwenge a ouvert à Bukavu dans le Sud-Kivu un hôpital qui accueille, opère et accompagne durant leur convalescence des femmes victimes de viols et de mutilations génitales. Il reçoit le prix Sakharov en 2014 et le prix Nobel de la Paix en 2018.

La réalisatrice Marie-Hélène Roux fait son hagiographie. Elle lui adjoint un gynécologue belge, Guy-Bernard Cadière, qui vient opérer avec lui dans son hôpital. À travers ce second personnage, le spectateur occidental s’identifie. Le même procédé est à l’œuvre dans une courte séquence qui ouvre le film où l’on voit la paix d’une famille belge, tendrement réunie autour du repas du dimanche, brutalement rompue par l’irruption de trois soldats qui violent la mère, sous les regards impuissants du père, avant de s’en prendre à leur fille.

À l’instar de cette première scène, le film est éprouvant. Car la réalité de ce qu’endurent ces femmes violées, mutilées, l’est encore plus. Le film est interdit à bon droit aux moins de douze ans avec avertissement. mais il est pourtant d’utilité publique. Il faut voir Muganga ; il faut le faire voir pour prendre conscience de l’horreur vécue par ces femmes et de la grandeur de l’œuvre menée par le Dr Mukwenge.

C’est hélas le seul motif – et non des moindres – pour aller voir ce film et pour en faire l’éloge. Car hélas, il n’y en a pas d’autres. D’un point de vue cinématographique, Muganga est bien pâle. Ses acteurs sont caricaturaux : Isaach de Bankolé joue un Mukwenge corseté, gardant un calme absolu en toutes circonstances, que rien ne fera jamais dévier de sa mission; Vincent Macaigne en rajoute juste un peu trop dans le rôle du muzungu (le Blanc en kiswahili) perché.
Le scénario a construit quelques personnages de patientes afin de présenter un échantillon aussi représentatif que possible des cas traités à Panzi : Blanche, qui doit traverser le pays ravagé par la guerre, après avoir vu son mari et son fils tués sous ses yeux, Neema, qui refuse d’être opérée par un Blanc, Antoinette devenue folle après que les soldats ont forcé ses fils à la violer…

Il y a dans le film un personnage et une situation qui surnagent : celui de Busara interprété par Déborah Lukumuena (Divines, Les Invisibles, Entre les vagues…). Après le viol qu’elle a subi, elle est tombée enceinte. Sa grossesse la révolte. Elle demande à Mukwenge d’y mettre un terme ; il essaie de l’en dissuader au nom de ses principes religieux et de l’innocence de l’enfant à naître ; Cadière n’est pas du même avis.

Muganga mérite d’être vu pour le sujet qu’il porte et moins hélas pour la façon dont il le porte.

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The Doom Generation (1995) ★★☆☆

Un jeune couple, Jordan (James Duval) et Amy (Rose McGowan), croise sur sa route un ange diabolique, Xavier (Jonathan Schaech) qui l’entraîne dans un road movie meurtrier.

Les films du réalisateur californien Gregg Araki sont devenus culte. Les cinémas d’art et d’essai les rediffusent régulièrement. Tourné en 1995, The Doom Generation était le deuxième volet de la trilogie de l’apocalypse adolescente (Teenage Apocalypse Trilogy), après Totally Fucked Up (1993) et avant Nowhere (1997), qui dressait le portrait d’une génération nihiliste et bisexuelle.

Un carton placé au début de The Doom Generation annonce ironiquement « Le premier film hétérosexuel de Gregg Araki ». Il n’en est rien, bien évidemment. Le film est plongé dans une ambiance homo-érotique poisseuse. Il peut se lire comme la découverte par Jordan, son héros un peu pataud, de son homosexualité, depuis ses tentatives infructueuses de faire l’amour à Amy jusqu’à la révélation de ses goûts au contact du très sexy Xavier alias X.

The Doom Generation est très daté. Il rappelle les road movies sexy et sanglants des années 90 : True Romance (1993) de Tony Scott ou Tueurs nés (1994) de Oliver Stone, avec des giclées de sang et de sperme pour justifier son interdiction aux moins de seize ans. Télérama exécute le film en deux phrases : « Dialogue dont la crudité finit par provoquer le rire (…) Ce pourrait être intéressant, si ne l’emportait constamment le goût de la provoc pour la provoc ». Pour avoir la dent moins dure, il faut prendre ce film au second degré, sourire à son humour potache, à son nihilisme revendiqué, à ses personnages stéréotypés, à ses outrances tout bien considéré bien anodines.

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TKT ☆☆☆☆

Fille unique, couvée par des parents aimants et protecteurs, Emma, seize ans, est une adolescente comme tant d’autres. Elle a des camarades d’école fidèles, Manon, Lou, Jeanne, un amoureux, Raph et des voisins, Jeanne et Max, auxquels l’unit l’amour de la musique. Mais bientôt, tout se dérègle dans la vie d’Emma.

Adapté d’un court roman jeunesse de l’auteure belge Elena Tenace, « Tout ira bien », TKT veut nous refaire le coup de LOL, en commençant par son titre censé capter quelques chose de l’air du temps. [Pour les illettrés comme moi, TKT et LOL sont des abréviations utilisées par les jeunes : Tkt = T’inquiète (merci aux concepteurs de l’affiche de l’avoir précisé, hélas en trop petits caractères pour que les gens de mon âge puissent le lire, fût-ce avec des lunettes)].

En 2008, Lisa Azuelos, avec la star Sophie Marceau et la graine de star Christa Théret, peignait avec LOL, le portrait de la génération Z, des Digital Natives, nés avec le numérique, ultra-connectée. Près de vingt ans plus tard, l’ambition de Solange Cicurel est plus limitée. Elle entend raconter l’un des maux les plus dangereux qui menacent la génération suivante : le harcèlement scolaire.

TKT est en effet, comme le livre qui l’a inspiré, un film à thèse. C’est ainsi d’ailleurs que son producteur l’a présenté lors de l’avant première à laquelle j’ai assisté la semaine dernière à l’UGC Ciné Cité Bercy, sous le parrainage d’Orange – qui oeuvre à une utilisation plus responsable des écrans chez les très jeunes comme en témoigne sa dernière campagne de pub – et de l’association E-Enfance qui gère le numéro vert 3018 mis à disposition des jeunes victimes de cyberharcèlement.

Le sujet est grave. Le problème de TKT est de le traiter aussi pauvrement. Il emprunte certes au livre une idée stimulante : raconter l’histoire en flashback à partir du lit d’hôpital où Emma est plongée dans le coma et d’où son double métempsychique mène l’enquête sur un passé qu’elle a oublié. Mais ce procédé mis à part, copié sur Ghost, tout dans TKT est d’une affligeante médiocrité : les personnages caricaturaux, les situations prévisibles, la direction d’acteurs (même Emilie Dequenne – paix à son âme – réussit à être mauvaise dans le rôle de la mère éplorée)…
Sur le sujet connexe de l’éducation à la sexualité et des limites du consentement, À genoux les gars était autrement plus convaincant.

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