Dream scenario ★☆☆☆

Paul Matthews (Nicolas Cage) est un scientifique raté qui végète dans une petite université où il enseigne sans passion la biologie. Sa vie bascule du jour au lendemain suite à un phénomène étrange qui lui attire une gloire soudaine. Une foule d’individus, plus ou moins proches de lui, le voient apparaître dans leurs rêves.

Dream Scenario repose sur un pitch délirant. C’est sa plus grande qualité. Hélas, c’est quasiment la seule. L’autre, bien sûr, c’est l’interprétation à contre-emploi de Nicolas Cage en quinquagénaire chauve, bedonnant et mal fringué [toute ressemblance avec l’auteur de ces lignes serait purement fortuite] qui aurait pu être l’une des plus grandes stars de son temps, du niveau d’un Jack Nicholson ou d’un Dustin Hoffmann, s’il n’avait gâché son talent dans une kyrielle de films dispensables.

Le réalisateur de Dream Scenario est norvégien. On lui doit Sick of Myself, sorti en France le printemps dernier. Si je le mentionne, ce n’est pas pour étaler ma science ni pour recopier la notice d’IMDb. C’est parce que les deux films se ressemblent. Ils partagent un même pitch étrange – l’héroïne de Sick of Myself contracte pour attirer l’attention sur elle un eczéma monstrueux – et une même critique sous-jacente de nos sociétés contemporaines. L’un comme l’autre en effet ont un sous-texte politique : les réseaux sociaux et la visibilité qu’ils permettent produisent à la fois de l’anomie et de la surexposition. Pour le dire autrement : comme les zèbres qu’évoque Paul Matthews à ses étudiants, nous sommes tous tiraillés entre le souci de rester invisibles et le désir de sortir du lot.

Ce sous-texte là n’est pas sans intérêt. Mais il est un peu lourdaud. Et surtout, une fois décrypté, il n’y a pas grand chose à en tirer.
C’était déjà le défaut de Sick of Myself. C’est aussi le piège dans lequel tombe Dream Scenario. Pour des motifs qui resteront obscurs – et que la logique peine à comprendre – la soudaine célébrité de Paul Matthews, qui flattait secrètement son orgueil et cautérisait les plaies ouvertes par les humiliations dont il avait longtemps été victime, se mue bientôt en vindicte populaire. Le héros devient paria. Le film raconte l’inexorable délitement de sa vie qui s’achèvera… en France. Mais j’en ai déjà trop dit !

La bande-annonce

Priscilla ★☆☆☆

Lorsque Priscilla Beaulieu rencontre Elvis Presley en 1959, sur une base américaine en Allemagne où le chanteur effectue son service militaire, il est déjà une star adulée alors qu’elle n’est encore qu’une collégienne de quatorze ans. Leur flirt s’interrompt avec le retour d’Elvis aux Etats-Unis quelques mois plus tard ; mais en 1962 Priscilla est invitée à Graceland et arrachera à ses parents l’accord pour s’y installer l’année suivante.
Si Priscilla jouit à Graceland d’un statut de princesse, elle étouffe vite auprès d’Elvis qui ne lui laisse aucune liberté et la gave de barbituriques. Après leur mariage et la naissance de Lisa, leur fille unique, Priscilla décide de quitter Graceland en 1972 après neuf ans de vie commune.

C’est peu dire que la sortie de Priscilla était impatiemment attendue. Le film, depuis sa projection à Venise, où son actrice principale, la révélation Cailee Spaeny, avait obtenu la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine, était précédé d’une rumeur enthousiaste. La renommée de sa réalisatrice y était pour beaucoup. Depuis vingt-cinq ans, Sofia Coppola a réussi à se faire un prénom. Son dernier film est très cohérent avec le reste de sa filmographie : comme Virgin Suicides, Lost in Translation ou Marie-Antoinette, Priscilla raconte l’adolescence, le luxe, la solitude et l’ennui.

Certes Priscilla séduira la ou le fashionista qui se terre en chacun.e d’entre nous : Sofia Coppola a le don – ou le défaut ? – de filmer certaines de ses scènes comme des pubs de produits de marque qui subliment les bijoux, les sacs à main, les chaussures, les ensembles…

Mais Priscilla se heurte à un écueil redoutable : raconter paresseusement une histoire jouée d’avance, sans enjeu ni suspense. On sait que Priscilla est une oie blanche, trop jeune et trop timide pour se marier qui, passé l’émerveillement ressenti devant tout ce luxe désormais accessible (ah ! ces petits pieds aux ongles vernis qui s’enfoncent dans cette moquette rose si profonde !), va s’ennuyer ferme dans une prison dorée. On sait aussi qu’Elvis est un grand dadais immature, étouffé par son père et son impresario, écrasé par sa soudaine célébrité, qui n’imagine pas que sa femme puisse revendiquer la moindre liberté. Le film évoque sans y insister et avec beaucoup de doigté – sans que je sache si cette dimension a déjà été révélée dans les (nombreuses) biographies du King – son homosexualité refoulée.

Le film aurait pu emprunter d’autres voies plus audacieuses. Il aurait pu tourner au thriller en évoquant les tentatives ratées de Priscilla de s’enfuir, voire au porno trash, en décrivant une jeune femme avilie par les délires sexuels de son seigneur et maître. Mais Priscilla est bien trop sage. On s’y ennuie ferme et on accueille avec soulagement la séparation du couple, longtemps attendue et trop longtemps différée.

La bande-annonce

Voyage au pôle sud ★☆☆☆

Écologue de formation, Luc Jacquet est un documentariste français qui a acquis une renommée mondiale grâce à son tout premier film, La Marche de l’empereur, sorti en 2005.
La cinquantaine bien entamée, il raconte à la première personne l’irrésistible attraction qui le lie à l’Antarctique et à ses curieux habitants.

Voyage au pôle sud a bien entendu une qualité indiscutable : ses paysages grandioses, filmés grand angle, qu’il faut absolument voir sur grand écran pour les apprécier à leur juste mesure. Luc Jacquet choisit de les filmer en noir et blanc. La raison en est sans doute qu’ils sont ainsi plus majestueux encore. Il faudrait pondérer leur beauté des difficultés techniques et humaines difficiles à imaginer que leur tournage a probablement rencontrées.

Mais cette qualité esthétique est hélas la seule d’un documentaire dont le sujet et surtout le traitement suscitent une irritation croissante. Très narcissiquement, Luc Jacquet s’y met seul en scène. On le voit, marchant solitaire sur la banquise, ou au milieu des manchots empereurs qui ont fait sa célébrité. Ces images, qu’on croirait tout droit sorties d’Instagram, sont lestées d’une voix off qui pèse des tonnes où l’omniprésent réalisateur d’une voix sentencieuse nous assène des vérités définitives sur le sens de la vie et l’état de notre planète : « Tout nous dépasse, le temps, les forces en présence », « Qu’il est apaisant de pouvoir vivre sans les animaux sans leur faire peur ! ».
Sur ce dernier point, ma plume fielleuse s’égare : ce Voyage n’est pas lesté du prêchi-prêcha écologiste que la plupart des documentaires animaliers se sentent obligés de s’adjoindre. Mais son contenu est si plat, si fat, qu’on en viendrait presque à le regretter.

La bande-annonce

Iris et les hommes ★☆☆☆

Iris Beaulieu (Laure Calamy) s’étiole. Son mari (Vincent Elbaz), accro au boulot, ne la touche plus. Sa vie a beau être sans nuages – un métier prenant, deux filles merveilleuses, un splendide appartement haussmannien dans le centre de Paris – Iris, la quarantaine, s’ennuie. Sur le conseil d’une amie, elle s’inscrit sur un site de rencontres en ligne. C’est le début d’une nouvelle vie…

En 2020, Antoinette dans les Cévennes avait tout raflé : 900 000 entrées, le César de la meilleure actrice… Caroline Vignal et Laure Calamy reforment ce duo gagnant et le rappellent sur l’affiche du film, espérant ainsi rafler le même succès.

Hélas, si les mêmes ingrédients sont rassemblés – une tête d’affiche toujours aussi tonique, des situations souvent drôles dans lesquelles chacun et chacune se reconnaîtront, une morale gentiment consensuelle (« l’important c’est de se retrouver ») – la recette fonctionne mal.

La raison en est qu’on sait par avance où le film, bien sage, nous conduira. Dès le départ, tout est écrit : Iris s’ennuie et les rencontres qu’elle fera n’ont d’autres fonctions que de la désennuyer. La règle est affichée – elle ne quittera pas son mari – et elle est fidèlement tenue. Tout ce qui se passe entre le postulat de départ et le point d’arrivée est donc ravalé au rang de péripéties plus ou moins savoureuses, sans tension ni enjeu.

On bute alors sur le second défaut du film. Cette succession de rencontres, où vient s’intercaler un numéro de comédie musicale au rythme endiablé du célèbre It’s Raining men bizarrement traduit en français, est plus ou moins drôle. Est-elle censée représenter l’échantillon moyen des rencontres qu’une quadragénaire parisienne est supposée faire sur Meetic : un dépressif trop collant, un Dom Juan prétentieux, un métis terriblement séduisant, un fétichiste vaguement inquiétant, un post-ado en mal de cougar ? Rassurez-vous (ou désespérez-vous) : aucune de ces rencontres ne violera le code Hays et ne mettra notre vaillante héroïne en danger [on peut légitimement se demander si la façon dont elle rembarre son harceleur est une dangereuse minoration des violences sexuelles dont les femmes sont victimes ou tout simplement la réaction la plus saine et la plus pertinente à avoir dans de telles situations].

Une seule pépite sauve l’ensemble du naufrage : le rôle hilarant tenu par l’assistante médicale d’Isis (Suzanne de Baecque) dont la réaction à la dick pic qui s’affiche sur le portable de sa patronne restera le moment le plus drôle du film.

La bande-annonce

Moi capitaine ★☆☆☆

Seydou et Moussa, deux adolescents dakarois, attirés par les mirages de l’eldorado européen, décident, contre l’avis de leur famille, de tenter leur chance et d’émigrer. Les voilà en route vers l’Italie. Leur chemin, à travers le Sahara et la Libye, sera semé d’embûches.

Matteo Garrone est peut-être l’un des réalisateurs italiens les plus prometteurs. On lui doit Gomorra, prix du jury à Cannes en 2008, adapté du brûlot du journaliste d’investigation napolitain Roberto Saviano. On lui doit aussi Dogman, qui avait raté de peu la Palme en 2018 et s’était consolé avec le prix d’interprétation masculine et le David , l’équivalent des Oscars, du meilleur réalisateur.

Moi capitaine a reçu le Lion d’argent à la Mostra de Venise en septembre dernier. C’est un film fort sur un sujet désormais bien connu hélas : l’odyssée des migrants subsahariens qui traversent le continent africain et la Méditerranée au péril de leur vie pour essayer de rallier le continent européen. Cette équipée meurtrière aurait – les estimations sont en l’espèce hasardeuses – causé la mort de vingt-sept mille migrants ces quinze dernières années.

Moi capitaine a une incontestable valeur pédagogique. Pédagogique pour nous Occidentaux afin que nous prenions conscience du traitement inhumain des migrants qui parviennent non sans mal sur notre sol et que nous n’accueillons pas toujours fraternellement. Pédagogique – à supposer qu’ils le voient – pour les Arabes qui abusent de cette main d’oeuvre bon marché. Mais pédagogique aussi pour tous les Africains subsahariens qui s’imaginent à tort que le voyage vers l’Europe est une expédition sans danger.

Mais un film ne saurait se réduire à sa seule dimension pédagogique. Moi capitaine a le défaut de venir après d’autres films qui ont déjà traité du même sujet : la traversée du Sahara par des migrants (Mediterranea), le sort qui leur est réservé en Libye (L’Ordre des choses). Michael Winterbottom avait de la même façon documenté la traumatisante odyssée d’un immigré afghan vers l’Angleterre (In this world).

Mais il a surtout un défaut rédhibitoire : être tout entier enfermé dans son pitch et dans sa bande annonce. En moins de deux minutes, elle nous montre le film tout entier et nous permet de faire l’économie de ses deux longues heures inutilement démonstratives.

La bande-annonce

La Fille de son père ★★☆☆

Etienne (Nahuel Perez Biscayart) a vingt ans à peine. Avec Valérie, c’est le coup de foudre. Mais Valérie disparaît sans une explication, laissant à son compagnon le soin d’élever seul leur fille. Le temps a passé et Rosa (Céleste Brunnquell) a dix-sept ans. L’heure est venue pour elle de quitter son père pour aller à Metz poursuivre des études d’art.

Je ne suis pas au nombre de ceux, nombreux, qui se sont enflammés pour Perdrix, le premier film décalé d’Erwan le Duc. Je ne lui reconnais pas moins un certain talent et un talent certain qu’on retrouve à l’identique dans son deuxième film, aussi décalé que le premier.

Tout y est léger, joyeux et burlesque. À commencer par le duo improbable que forment ce père immature et sa fille tôt montée en graine. Des deux, on comprend vite qui veille sur l’autre et qui est le plus indispensable à l’autre. Ce duo bancal et attachant était déjà au centre de Normale avec Benoît Poelvoorde sorti il y a quelques mois à peine. Mais La Fille de son père est un anti-Normale. Ses choix de mise en scène sont perpendiculaires à ceux, lourdement conventionnels, de ce film oubliable, dont j’avais dit pourtant qu’il m’avait bien plu et auquel j’avais (trop ?) généreusement décerné deux étoiles.

La Fille de son père joue dans une autre catégorie, plus ambitieuse. Sans doute, son sujet n’est-il pas très original. Et la façon dont il se conclut, par une échappée belle, à Nazaré au Portugal, dont on ne dira rien pour ne pas en spoiler le dénouement, ne l’est-elle guère plus. Mais son traitement est sacrément détonant. Il convoque tous les arts, la peinture, que la jeune Rosa pratique en amateure douée avant d’en faire peut-être un jour son métier, la poésie que son sigisbée, le chevaleresque Youssef (Mohamed Louridi) lui récite, et même le théâtre, comme lors de cette scène splendide qui réunit dans son lycée Rosa et son père.

Il faut dire un mot des deux acteurs principaux. On n’a pas attendu ce film pour savoir qu’ils sont sans doute parmi les plus prometteurs de leur génération. Nahuel Perez Biscayart a trente-sept ans et des yeux bleus à se damner. On l’a vu dans Au revoir là-haut, 120 bpm et Les Leçons persanes. Céleste Brunnquell a vingt-et-un ans à peine mais son talent a déjà explosé dans Les Éblouis et dans la série En thérapie. Ce duo surdoué ne doit pas éclipser les autres acteurs, Maud Wyler – qui jouait déjà dans Perdrix – et le jeune Mohamed Louridi dont l’élocution élégante m’a rappelé celle de Quentin Dolmaire.

La bande-annonce

Mon ami robot ★★★☆

Pour rompre la solitude de son appartement new-yorkais trop propret, un chien anthropomorphe prénommé DOG commande un robot prénommé ROBOT. Une amitié profonde naît progressivement qui se termine sur la plage de Coney Island où ROBOT a imprudemment accompagné DOG dans une joyeuse baignade qui a grippé tous ses rouages. Un concours de circonstances malheureux – la fermeture de la plage aux touristes, l’hiver qui vient – oblige DOG à abandonner ROBOT sur cette plage jusqu’au printemps.

Pablo Berger est un réalisateur espagnol surdoué – Blancanieves, film muet, en noir et blanc, est pour moi l’une des plus grandes claques de la décennie passée. À soixante ans, il signe son premier dessin animé. Il adapte le roman graphique de Sara Varon publié en 2007. Son action se déroule dans le New York joyeusement bigarré des années 80, dominé par la haute silhouette des Twin Towers.

Son titre français niaiseux (l’original Robot Dreams est beaucoup plus convaincant) et son affiche bon enfant ont failli me dissuader d’aller le voir, le croyant réservé aux moins de dix ans. J’aurais raté l’un des meilleurs films de l’année (passée). Car Mon ami robot est un bijou.

C’est un bijou de réalisation. Par l’économie de moyens qu’il déploie. Un graphisme 2D loin des sophistications et des surenchères auxquelles Pixar et les studios Ghibli se sentent désormais obligés de se livrer. Des couleurs pastel. Pas une ligne de dialogue. Un scénario où s’intercalent des séquences oniriques et qui reste pourtant d’une parfaite lisibilité. Des références ludiques qui réjouiront les cinéphiles à Yoyo de Pierre Etaix, au Magicien d’Oz ou à Shining.

Et surtout un message profondément universel, qui touchera les petits comme les grands. On craignait par avance une fin téléguidée. Pablo Berger évite cet écueil et nous surprend comme le dernier quart d’heure de La La Land (ce qui, sous ma plume, est un sacré éloge !). Son film parle de la séparation, amoureuse ou amicale, de la fidélité à ses promesses, mais aussi du temps qui passe et de la vie qui continue. Si vous avez envie de commencer l’année aussi bien que je l’ai achevée, courez le voir !

La bande-annonce

Une affaire d’honneur ★☆☆☆

Le maître d’armes Clément Lacaze (Roschdy Zem) et le colonel Louis Berchère (Vincent Perez) sont d’anciens héros de guerre que tout oppose. Le premier, repu de violence, refuse les honneurs et exerce son art dans la salle d’armes dirigée par son vieil ami Eugène Tavernier (Guillaume Gallienne) ; le second au contraire se pavane en uniforme et défie en duel tous ceux qui ont l’impudence de lui tenir tête. C’est le cas notamment d’Adrien, le propre neveu de Lacaze, un jeune étudiant en médecine, épris de la fille de Berchère.

La trêve des confiseurs est riche en sucreries et pauvres en bons films. Entre Milady et plusieurs disney-niaiseries américaines interchangeables, Une affaire d’honneur, son casting alléchant et son sujet original étaient a priori le spectacle le plus intéressant de la semaine.

Je suis allé le voir dans une salle bondée, ce qui, passé le désagrément de devoir partager mon accoudoir, devrait me rassurer sur l’avenir du cinéma français. Mais, las, ma déception fut à la hauteur de mon attente.

Une affaire d’honneur se conclut sans surprise par le duel des deux héros. Pour nous faire patienter en attendant ce dénouement attendu, quatre autres duels sont organisés toutes les vingt minutes. Y participent outre le neveu précité – dont on aura déjà deviné le funeste destin – une féministe endurcie qui combat pour le vote des femmes… et leur droit de porter le pantalon (Dora Tillier) et un directeur de journal misogyne (Damien Bonnard) dont, comme de bien entendu, la goujaterie sera  punie par la féministe précitée.

S’il faut reconnaître à cette Affaire d’honneur qu’on ne s’y ennuie pas, que ses décors et ses costumes sont soignés, ce sont là ses seules qualités. Sa mise en scène n’a aucun relief. Ce film, platement chronologique, dépourvu du moindre humour, se prend terriblement au sérieux. Il sent la naphtaline et aurait pu être tourné à l’identique dans les années 80.

Ses acteurs sont engoncés dans leur caricature : Roschdy Zem, toujours excellent à condition d’être dirigé, n’a tout au long du film qu’une seule moue, celle du héros marmoréen à la violence contenue ; Dora Tillier échoue à rendre crédible un personnage anachronique, censée défendre en 1887 une cause qui n’était pas encore d’actualité ; on a connu Damien Bonnard plus convaincant dans des rôles plus denses ; quant à Vincent Perez, il confirme, si besoin en était, que son seul talent résidait dans sa beauté qui, à près de soixante ans, se fane lentement.

PS : Sur le pantalon, Une affaire d’honneur réussit en trois phrases à commettre trois erreurs. 1. Ce n’est pas une loi mais une ordonnance de 1800 qui en interdit le port aux femmes. 2. Une loi ne stipule pas ; elle dispose 3. La « loi » de 1800 n’a pas été abrogée en 2013 ; mais, à cette date, la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Benkacem, en réponse à la question écrite d’un sénateur, a constaté que, du fait de son incompatibilité avec le principe constitutionnel d’égalité et avec les engagements européens de la France, elle n’était plus appliquée ni applicable.

La bande-annonce

L’Innocence ★★★☆

L’action se déroule dans une petite ville de province japonaise et débute le soir où un incendie, dont on découvrira plus tard l’origine criminelle, dévaste un immeuble abritant un bar pour hôtesses. Élève en classe de CM2, le jeune Minato est orphelin de père. Sa mère, qui l’élève seule, note des détails troublants qui la conduisent à mettre en cause son école, et notamment son professeur, M. Hori. Mais, la vérité se révèlera tout autre.

Dans la filiation revendiquée de Ozu, l’oeuvre pleine d’humanisme de Hirokazu Kore-Eda compte parmi les plus significatives du cinéma japonais contemporain. Elle a été consacrée par la Palme d’or à Cannes en 2018 pour Une affaire de famille. Mais son film le plus marquant est à mes yeux Nobody Knows en 2004 dont le sujet traumatisant – quatre jeunes enfants sont abandonnés pendant plusieurs mois par leur mère défaillante et se débrouillent pour survivre – m’avait durablement marqué.

Comme dans ses films précédents, L’Innocence interroge la famille et la figure du père absent – ou, dans le cas de Hoshikawa, défaillant. Il le fait avec une infinie délicatesse, mais aussi – comme c’était déjà le cas dans Une affaire de famille – en égratignant les faux-semblants de la société japonaise, son formalisme excessif, son illusion à vouloir résoudre le moindre différend par la présentation théâtralisée d’excuses outrées.

Le jeune Minato est-il la victime innocente de son professeur ? ou est-il au contraire le tourmenteur de son camarade de classe, Hoshikawa ? ou bien la réalité est-elle encore plus complexe ? Le sujet est déjà, en soi, passionnant. Mais Kore-Eda a l’intelligence – ou la rouerie – de le rendre plus passionnant encore en en sophistiquant le montage. Selon la technique dite Rashomon – du nom du film de 1950 de Akira Kurosawa qui l’utilisa le premier – les mêmes faits sont successivement revisités selon trois perspectives différentes : celle de la mère de Minato, celle de son professeur, celle enfin de Minato lui-même. Chacune ajoute à la précédente une couche de sens, révélant in fine une « vérité » autrement plus subtile que celle, binaire, qu’on avait pu imaginer.

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Maestro ★☆☆☆

Leonard Bernstein (1918-1990) est beaucoup plus célèbre aux Etats-Unis que dans le reste du monde. C’est dire la notoriété de ce compositeur de génie qui fut aussi un immense chef d’orchestre, un pédagogue hors pair et un dénicheur de talents.
Maestro prend le parti de raconter sa vie à travers sa relation avec Felicia Montealegre, une actrice chilienne qu’il épousa en 1951 et avec laquelle il eut trois enfants.

Maestro est LE film Netflix des fêtes, celui que, dans le monde entier, des millions de spectateurs ont regardé  en famille, réunis par la magie de Noël, noyés dans les vapeurs alcoolisées du (mauvais ?) champagne bu la veille et les reflux acides de saumon et de foie gras. Pour faire bonne figure, c’est donc dûment équipé de mon tube de citrate de bétaïne que je l’ai regardé entre mes deux fils avant-hier. Le premier nous a quittés au bout d’une heure ; le second m’a stoïquement accompagné jusqu’au bout. Son jugement, implacable, n’en est pas moins tombé : « décousu »

Certes Maestro est un film magistral. On sait par avance qu’il vaudra à ses deux acteurs au moins une nomination et peut-être une statuette aux prochains Oscars, sauf si Cilian Murphy (Oppenheimer) et Lily Gladstone (Killers of the Flower Moon) se mettent sur leur chemin. Co-producteur, réalisateur, co-scénariste, Bradley Cooper fait le pari réussi de singer Bernstein au prix d’un maquillage stupéfiant. Si l’Oscar du meilleur nez était attribué, il l’emporterait haut la main ! Mais c’est aussi sa voix qu’il restitue, qui nous est si familière depuis qu’on a été biberonné à sa présentation de Pierre et le loup, et qui l’est plus encore à des générations d’Américains qui l’ont entendue chaque semaine.
Quant à Carey Mulligan, certaines critiques affirment non sans motifs qu’elle est l’héroïne du film. C’est sans doute lui donner plus d’importance qu’elle n’en a. Son personnage n’en reste pas moins essentiel. Fan de la première heure depuis Une éducation qui est l’un de mes films fétiches, en passant par Drive, Shame, Loin de la foule déchaînée et She Said, je manque de l’objectivité la plus élémentaire pour la critiquer sans verser dans le dithyrambe.

Il n’en reste pas moins, comme le disait mon aîné d’un mot, que Maestro est « décousu ». Décousu dans sa forme, qui, si elle suit globalement la chronologie, s’autorise des flash forwards et des ellipses parfois déconcertantes. Un exemple : le film, sans qu’on en comprenne vraiment la raison, oscille entre le noir et blanc et la couleur, le 16:9 et le 4:3. Pourquoi ?

Décousu surtout dans le sujet qu’il entend traiter. S’agit-il du génie musical de Bernstein ? Sans doute. Bradley Cooper a apporté par exemple un soin jaloux à reconstituer mimétiquement la fameuse direction par Bernstein de la symphonie n° 2 de Mahler en 1973 dans la cathédrale d’Ely près de Cambridge. Mais, on aurait aimé en voir plus et surtout en entendre plus. Quelle frustration de passer sous silence West Side Story, le chef d’oeuvre de Bernstein, dont on ne saura rien de la composition et dont on entendra à peine quelques mesures de l’introduction.

On aura compris que le vrai sujet de Maestro est la vie privée de Bernstein, sa bisexualité revendiquée, étonnamment transgressive pour son temps. Le problème est qu’à force d’être normalisée, à force d’être « cool » (on rit volontiers quand Bernstein cajole un bambin en racontant qu’il a été successivement l’amant de sa mère et de son père), cette bisexualité n’a plus rien de problématique. Elle n’est ni douloureuse, ni enthousiasmante, pour Bernstein lui-même comme pour son épouse aimante. Elle nous devient tout simplement indifférente.

Et c’est bien le comble pour un film qui aurait dû nous transporter. Sa luxuriance nous laisse sur le bord du chemin.

La bande-annonce