L’Enfant du paradis ★☆☆☆

La petite quarantaine, Yazid est un acteur qui a décroché quelques rôles avant de sombrer dans l’alcool et dans la drogue. Son couple s’y est fracassé. Mais Yazid est en train de remonter la pente, de renouer avec son fils désormais adolescent, de construire une relation stable avec Garance, une actrice comme lui, avant de retrouver la scène.

Salim Kechiouche est venu au cinéma adolescent grâce à Gaël Morel, avant de faire une école de théâtre. Il a tourné dans une vingtaine de films avec Ozon et Kechiche, dans autant de courts métrages, pour le cinéma et pour la télévision ; il a joué au théâtre. Il passe pour la première fois derrière la caméra pour rendre un hommage à son ami, l’acteur Yasmine Belmadi, mort en 2009 dans un accident de scooter, après la fête de fin de tournage de son dernier film, Adieu Gary.

Salim Kechiouche dit avoir croisé beaucoup d’éléments autobiographiques avec ceux de la vie de son ami défunt. Il revendique aussi la part de pure fiction de son film : ni lui ni Yasmine Belmadi n’a ou n’a eu de fils adolescent comme celui qu’on voit dans le film.

Tourné avec un petit budget, quasiment pas distribué (il est sorti le mois dernier en catimini dans deux salles parisiennes), L’Enfant du paradis dure une heure et douze minutes seulement. C’est un film à l’os, dont l’acteur principal, qui en signe aussi la réalisation, beau brun à la virilité incandescente, est de tous les plans.

Sa principale qualité est aussi son principal défaut : sa concision. L’Enfant du paradis se réduit finalement à pas grand-chose. Reproche paradoxal sous ma plume qui a si souvent reproché aux films leurs inutiles longueurs et leurs demi-heures excédentaires !

La bande-annonce

Pour ton mariage ★★★☆

Oury Milshtein est inconnu du grand public. Il est pourtant une personnalité importante du cinéma français qui a produit depuis quarante ans plusieurs dizaines de films aux côtés d’Agnès Varda, de Jacques Doillon, d’Arnaud Desplechin ou d’Alex Lutz. Marié à la fille d’Enrico Macias, divorcé, remarié, il a eu de ces deux unions cinq enfants, avant de vivre quelques années avec Kate Barry, la fille de Jane Birkin dramatiquement disparue en 2013. Sa vie, qui pourrait ressembler à celle, joyeusement neurasthénique, de n’importe quel Juif ashkénaze français, a été marquée par un drame dont il est resté inconsolable.

Jetez un œil à cette affiche. On y lit – ce qui n’est pas fréquent – une blague juive. On la croirait tout droit sortie d’un film de Woody Allen. Si on se fie au titre de ce film et si on en lit le pitch, qui insiste sur le mariage grandiose et raté d’Oury Milhstein avec Jocya, la fille d’Enrico Macias, on imagine volontiers un documentaire autobiographique centré sur cette cérémonie ostentatoire et peut-être sur ses suites calamiteuses.

Mais Pour ton mariage n’a pas grand chose à voir avec son titre. À soixante-six ans, Oury Milshtein pressent qu’il n’aura guère d’autres occasions de revenir sur sa vie et, sans y mettre pour autant la moindre ostentation, entend l’embrasser tout entière.

Le résultat est décapant. Décapant dans la façon de le raconter, en partant d’un grand dîner familial avec ses deux ex-femmes – qui s’entendent comme larrons en foire alors qu’on aurait plutôt imaginé une franche détestation entre elles nourrie de mille et une trahisons – et ses enfants soudés dans une étonnante et chaleureuse complicité. Décapant dans ce qu’il raconte de la vie d’un homme, de ses parents et de la relation compliquée qu’il entretint avec son père et avec sa mère, de son éducation en Israël chez une tante, de ses mariages successifs et finalement de sa vie qui va s’achever.

Le résultat est gai comme la blague juive de l’affiche, et triste comme elle. Mazel Tov !

La bande-annonce

Le Voyage en pyjama ☆☆☆☆

Victor, la quarantaine, est professeur de lettres. Il quitte le lycée qui l’emploie pour une année sabbatique. Il découvre, sans guère s’en formaliser, que sa femme entretient une liaison avec un collègue de travail. Il ne se laisse pas démonter pour autant et part à bicyclette sur le chemin de Compostelle avec l’épouse de ce collègue. Mais il lui fausse bientôt compagnie pour musarder sur les bords de la Loire. Il y retrouve d’anciennes maîtresses et y fait de nouvelles rencontres.

Pascal Thomas a bientôt quatre-vingts ans. Alors que ses collègues du même âge (Martin Scorsese, Wim Wenders, Hayao Miyazaki) tournent encore des chefs d’oeuvre, Pascal Thomas nous offre le spectacle piteux d’un cinéaste à bout de souffle qui n’a plus rien à dire. Honnête faiseur du cinéma français, il a toujours creusé le même sillon : celui des amours hédonistes, des liaisons éphémères, des passions fugitives… Pour prendre un seul exemple de son répertoire, hélas significatif, citons Celles qu’on n’a pas eues tourné en 1981 avec Michel Aumont, Daniel Ceccaldi, Michel Galabru et Bernard Menez : des hommes, dans un compartiment de train, racontent leurs déboires amoureux.

Ce cinéma-là a terriblement mal vieilli. Le féminisme et #MeToo en ont définitivement invalidé les lourds sous-entendus machistes des mâles alphas très bêtas. Dans les années 2000, Pascal Thomas a eu la bonne idée d’explorer un nouveau genre : celui du remake loufoque des romans d’Agatha Christie. Il a déniché Catherine Frot et André Dussollier pour y jouer. Le succès a été au rendez-vous, surtout auprès des seniors.

Après le flop retentissant de À cause des filles ? en 2019, Pascal Thomas revient cinq ans plus tard avec un nouveau film qui se revendique toujours de la légèreté et du dilettantisme (La Dilettante n’était-il pas son  film le plus réussi ?). Las, cette chronique sentimentale fait pschitt.
La faute à un scénario qui accumule les séquences comme autant de sketches interchangeables et plus ou moins dispensables : Victor aurait pu, sur son chemin, croiser deux amies de plus ou de moins sans que l’économie de l’histoire s’en ressente.
La faute plus encore à une interprétation calamiteuse, à commencer par le héros interprété par Alexandre Lafaurie dont on se demande pour quelle raison il a décroché le rôle sinon ses liens de parenté avec le réalisateur ou avec sa fille, Nathalie Lafaurie, qui a cosigné le scénario. Pascal Thomas a demandé à ses anciens complices de jouer quelques scènes : on voit passer Pierre Arditi, Anny Duperey, Hippolyte Girardot, Irène Jacob… et la seule chose qu’on se dise est qu’ils ont beaucoup vieilli.

La bande-annonce

L’Usine, le Bon, la Brute et le Truand ★☆☆☆

La papeterie industrielle de Chapelle Darblay, rachetée par un groupe finlandais pour y produire du papier recyclé, a fermé en 2019. Son propriétaire a licencié son personnel et décidé de vendre le site industriel. Trois représentants du personnel, deux ouvriers cégétistes et un cadre sans étiquette, refusent de baisser les bras et mettent tout en oeuvre pour sauver le site et ses emplois.

Des documentaires sur des usines au bord du dépôt de bilan, on en a vu beaucoup. Au point de considérer qu’il s’agit désormais d’un genre à part entière : La Saga des Conti en 2013,  Des Bobines et des Hommes en 2017, Le Feu sacré fin 2020, Il nous reste la colère début 2023 sur l’usine Ford de Blanquefort et son célèbre délégué syndical, Philippe Poutou … On a vu aussi des films plus ou moins réussis sur ce thème : Ressources humaines de Laurent Cantet (qui n’avait pas encore gagné la Palme d’Or pour Entre nos mursLa Fille du patronReprise en main de Gilles Perret il y a un an à peine… Le meilleur du genre, et de loin, est de mon point de vue un film exceptionnel accueilli avec un succès mérité : En guerre de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon dans le rôle d’un syndicaliste CGT poussé à bout, ex aequo avec le film suivant de Stéphane Brizé, avec le même Vincent Lindon, Un autre monde.

L’Usine, le Bon, la Brute et le Truand a le défaut de venir se rajouter à cette liste désormais bien longue sans rien apporter au genre de nouveau. Comme toujours, c’est la même réalité économique qui est filmée – un site industriel français fermé par une multinationale – selon le même prisme militant – de courageux syndicalistes se battent contre un patronat anonyme et intransigeant. Comme d’habitude, c’est l’Etat et les politiques qui sont à la fois appelés à la rescousse et accusés de tous les maux s’ils n’accourent pas. Sur ce dernier point d’ailleurs, puisqu’on sait que Chapelle Darblay a finalement été sauvé, on aimerait que, pour une fois, l’action de l’Etat soit saluée au lieu, comme c’est souvent le cas, de crouler sous la triple critique de l’incompétence, du mépris voire de la corruption.

En regardant ce énième documentaire sur ce énième bras de fer, on se prend à espérer que le prochain ait le courage d’embrasser un point de vue différent. On adorerait voir cette histoire racontée du point de vue du patron pour montrer l’autre version des choses, loin de l’image caricaturale que les syndicats en donnent. On attend avec impatience le documentaire ou la fiction qui aura cette audace-là.

La bande-annonce

Making of ★★★☆

Réalisateur chevronné, Simon (Denis Podalydès) tourne en province son nouveau film inspiré d’une histoire vraie. Il traite de la résistance d’une poignée d’ouvriers à la fermeture et à la délocalisation de leur usine en Pologne. Son producteur (Xavier Beauvois) a bouclé son plan de financement grâce à une tête d’affiche bankable (Jonathan Cohen) dont le narcissisme sur le plateau et les relations tendues qu’il entretient avec l’actrice principale (Souheila Yacoub) provoquent des étincelles. Mais il y a pire : le chantage des producteurs qui exigent de Simon qu’il modifie la fin de son scénario, trop pessimiste à leur goût.

Cédric Kahn est décidément un réalisateur hors pair dont le seul défaut est d’avoir tourné des films si différents les uns des autres (L’Ennui, Roberto Succo, La Prière, Le Procès Goldman…) qu’on peine à trouver une unité à son œuvre. Dans un tout autre registre que son dernier film, sorti il y a trois mois à peine, il creuse un sillon souvent investi par les plus grands – Godard (Le Mépris), Fellini (Huit et demi), Truffaut (La Nuit américaine), Moretti (Mia Madre) – le film dans le film et les mises en abyme qu’il autorise.

Mais Making of ne se borne pas, comme la bande-annonce pourrait le laisser craindre, à raconter un tournage qui part en cacahuète. Ce film est autrement plus complexe et plus intelligent. Il agence plusieurs pistes de lecture.

La première, que j’ai évoquée, est les conflits d’ego entre acteurs, qui donne la part belle à Jonathan Cohen, dans un registre où on ne l’attendait pas, à cheval entre la comédie, dans le rôle outrancier d’un insupportable connard, et autre chose, plus subtil.

La deuxième, la plus stimulante, est la mise en abyme entre le sujet du film – des ouvriers qui se battent pour leur emploi – et les difficultés de la production consécutives au retrait des financeurs. Aux côtés de Simon, Viviane (Emmanuelle Bercot) tente de tenir la barque d’un navire qui prend l’eau de toutes parts. C’est un cinéma de la débrouille qui est filmé – comme l’avait fait déjà  Tom DiCillo dans Ça tourne à Manhattan dont Cédric Kahn dit s’être inspiré ou, plus récemment, Kim Jee-Won dans Ça tourne à Séoul ! – pour lequel l’enjeu principal est moins de réaliser un chef d’œuvre que de réussir à payer l’équipe à la fin du tournage.

S’ajoute une troisième dimension incarnée par un jeune figurant (Stefan Crépon découvert en geek génial dans Le Bureau des légendes) auquel Simon confie, par un hasard de circonstances, le soin de tourner le making-of. Sa passion du cinéma est dévorante. Il est prêt à tout pour la vivre, jusqu’à se faire embaucher comme figurant afin de glisser le scénario qu’il a écrit à ce réalisateur renommé qu’il n’aurait jamais pu approcher autrement. Double autobiographique revendiqué de Cédric Kahn lui-même, le jeune Joseph incarne, dans ce film qui aurait pu être écrasé par le cynisme, la part de rêve et de folie qui s’attache irréductiblement à l’art cinématographique.

Making of est un film intelligent et malin. Il lui manque peut-être le souffle et l’énergie qui font tout le génie de Coupez !, auquel je me trouve rétrospectivement bien chiche de n’avoir décerné que trois étoiles alors qu’il en méritait une quatrième. Mais j’en ai tout aimé, jusqu’à la fin malicieuse, en forme de clin d’œil plein d’autodérision.

La bande-annonce

Un corps sous la lave ☆☆☆☆

En 1492, trois marins profitent d’une escale aux Canaries de la flotte conduite par Christophe Colomb vers les Indes pour fausser compagnie à l’équipage. Au même moment, en Galice, dans le nord de l’Espagne, une femme tente de sauver sa sœur plongée dans le coma après une tentative de suicide.

J’avais beau avoir lu les critiques peu engageantes de ce film tourné par un couple de réalisateurs espagnols, j’avais voulu lui donner sa chance et, avant qu’il disparaisse de l’écran, suis allé le voir dans une salle quasiment vide. Bien mal m’en a pris. Je m’y suis copieusement barbichonné.

J’aurais dû me méfier de Culturopoing qui écrit : « Le film se vit comme une expérience sensorielle, philosophique, touchant aux sensations intimes et à la mémoire collective plus qu’à la raison didactique » et écouter au contraire Télérama : « l’ensemble reste obscur, trop crypté pour convaincre. Faute d’incarnation et de sensations, on reste comme sur le seuil de cette traversée qui vise l’hallucination façon Werner Herzog, sans y parvenir tout à fait ».

Un corps sous la lave est un film quasiment muet qui raconte successivement deux histoires entre lesquelles je ne suis pas sûr d’avoir compris le lien. Tourné en 16mm, le grain est épais, terne, sale, comme si les réalisateurs avaient refusé d’esthétiser des paysages pourtant grandioses. Faute d’admirer de belles images, on est condamné à suivre un récit languissant, silencieux et incompréhensible. Le film a beau durer une heure et quinze minutes seulement, on s’y ennuie copieusement si on ne s’y endort pas.

La bande-annonce

Blackbird, Blackberry ★★☆☆

Orpheline de mère, longtemps étouffée par un père et un frère possessifs, Ethero a désormais près de cinquante ans. Elle tient seule une petite épicerie dans un village reculé de la Colchide géorgienne. Après un accident en montagne, qui manque l’emporter, sa vie change du tout au tout. Restée vierge jusqu’alors, elle se donne sans préavis à Mourmane, le routier qui livre chaque semaine son magasin, et connaît dans ses bras ses premiers émois amoureux.

Elene Naveriani est une jeune cinéaste géorgienne installée en Suisse. Blackbird, Blackberry, adapté d’un roman géorgien, est son troisième film. Je n’ai pas vu les deux premiers dont je ne suis pas sûr qu’ils soient sortis en salles en France.

J’espère que mes amis géorgiens ne se formaliseront pas que j’utilise le mot exotisme pour en parler. Exotisme d’une langue que je n’avais pas réussi à reconnaître en regardant la bande annonce. Exotisme des paysages. Exotisme des situations dans un pays où, nous dit la réalisatrice non binaire, le patriarcat impose encore sa loi et où le féminisme peine timidement à s’exprimer.

Ethero est « une féministe instinctive » raconte la réalisatrice. Sans bagage intellectuel, elle prend néanmoins conscience de la minorisation dont elle a été victime toute sa vie durant [cette phrase ! Judith Butler, sors de ce corps !]. Son éveil tardif à la sexualité et à l’amour la conduit à reconsidérer ses priorités. Paradoxalement, c’est l’ombre de la mort qui plane bientôt sur elle.

Elle m’a fait penser à l’héroïne de Bagdad Café, ce film devenu bizarrement culte grâce à sa musique languissante et au physique atypique de son héroïne, la gironde Marianne Sägerbrecht.

La conclusion de Blackbird, Blackberry est surprenante. et pourtant parfaitement logique. Elle clôt le film et, en même temps, laisse ouvertes plusieurs interrogations plus stimulantes les unes que les autres.

La bande-annonce

Jeunesse (le printemps) ★☆☆☆

Il faut attendre trois heures et trente-cinq minutes pour qu’un carton final nous renseigne : l’action de Jeunesse se déroule à Zhili, une cité-dortoir à une centaine de kilomètres de Shangaï, dans le delta du Yangtze qui s’est spécialisée dans la confection textile pour enfants. Les employés qui y travaillent par milliers sont des jeunes hommes et des jeunes femmes originaires des provinces pauvres de la Chine de l’intérieur.

Wang Bing est un documentariste chinois. Ses œuvres sont d’une envergure monumentale. Je l’ai déjà évoqué dans les critiques précédentes que j’en ai faites : À l’Ouest des rails, une enquête ethnographique chez les ouvriers d’un complexe sidérurgique de Mandchourie en cours de démantèlement, durait 9h11 (sic). Un autre documentaire de Wang Bing, À la folie, tourné dans un asile psychiatrique, durait 3h47. En 2017 Wang Bing avait déjà planté sa caméra à Zhili pour filmer Argent Amer qui durait 2h36 seulement. J’écrivais fort doctement – et pourrais le réécrire sans y changer un mot : « La durée interminable des documentaires de Wang Bing n’est pas anodine. Si ses films durent si longtemps c’est parce que leur réalisateur veut rendre physiquement tangible chez le spectateur l’immersion physique dans son univers ».

Il faut donc prendre son élan – et ne pas oublier un détour par les toilettes – avant de se lancer dans un film de Wang Bing. Jeunesse, je l’ai dit, dure 3h35. Encore est-ce le premier volet d’un triptyque dont la durée totale annoncée excèdera les neuf heures.

Qu’y voit-on ? Des jeunes gens, d’une vingtaine d’années, qui travaillent dans des ateliers de confection. Il s’agit de micro-entreprises familiales. Le patron au rez-de-chaussée réceptionne le tissu et opère une première coupe. Une dizaine d’employés à l’étage assurent la couture. Ils sont logés dans des dortoirs dans les étages supérieures. La caméra les y filme dans leur quotidien.
On pourrait imaginer se retrouver chez Dickens, dans une industrie déshumanisée, avec des cadences d’enfer, des contremaîtres sadiques, des conditions de vie misérables. Ce n’est pas le cas. Il règne dans ces petites communautés bruyantes une ambiance joyeuse. Qu’on ne se méprenne pas : pas d’ambiance Freude durch Arbeit dans les ateliers chinois comme dans les camps de concentration nazis de sinistre mémoire, mais plus naturellement la conséquence naturelle de la cohabitation gentiment bordélique d’une dizaine de garçons et de filles d’une vingtaine d’années réunis par le hasard du recrutement et par une joyeuse confraternité.

Ce qui m’a frappé est la relation très fluide que garçons et filles entretiennent. Ils coexistent dans une mixité sans tension, sans domination patriarcale, sans enjeu. Des couples se forment – on n’évoque en revanche guère ceux qui se défont – caressent le projet de se marier et d’avoir des enfants, malgré les obstacles qui se dressent devant eux.

Jeunesse est constitué d’une dizaine de séquences d’une vingtaine de minutes chacune. Elles se déroulent dans l’un des ateliers où Wang Bing a été autorisé à tourner – on se demande avec quelle inconscience leurs patrons ont donné leur accord pour un résultat qui n’est guère à leur avantage et on se dit aussi que la censure chinoise est décidément bien laxiste pour laisser projeter de tels témoignages qui ne sont guère à l’honneur de l’Empire du milieu. Leur défaut est d’être bien répétitives. À chaque fois, c’est le même décor qu’on retrouve, les mêmes personnages et les mêmes enjeux minuscules. L’un des rares éléments de tension scénaristique est la négociation des salaires qui se déroule dans une étonnante informalité, autour du patron et d’une calculatrice.

Jeunesse aurait été passionnant s’il avait duré une heure trente. Mais je ne comprends pas l’intérêt d’en étirer le propos pendant plus de trois heures. Et a fortiori pendant neuf heures pour ceux qui, comme moi, auront le masochisme d’aller voir les deux volets suivants.

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Le Plongeur ★☆☆☆

Stéphane a dix-neuf ans. Il est inscrit à Montréal en école de design. Mais son addiction au jeu le coupe progressivement de sa famille et de ses amis et le laisse sans le sou. Sa seule planche de salut : le poste de plongeur qu’il a trouvé dans une trattoria.

Nous vient du Québec l’adaptation d’un roman qui y parut en 2016 et y fit grand bruit – tout en demeurant quasi inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique. Son action se déroule au début des années 2000. Épais ouvrage de près de cinq cents pages, Le Plongeur est à la fois le roman d’une génération, une comédie romantique, un thriller et un documentaire dans les cuisines d’un restaurant gastronomique. Le défaut du film de Francis Leclerc est de lui être trop fidèle. Le résultat est un curieux bric-à-brac qui manque de rythme.

Son héros a beau avoir des faux airs de Timothée Chalamet, il n’a pas le talent instinctif d’un DeNiro ou d’un Pacino. Sa plongée dans les bas-fonds de Montréal a beau loucher vers les films de Scorsese, elle n’en a pas le souffle.

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Bonnard, Pierre et Marthe ★★☆☆

Pierre Bonnard (1867-1947) fut longtemps éclipsé auprès du grand public par des peintres plus illustres : Van Gogh, Renoir, Gauguin, Cézanne, Monet, Manet… Depuis une vingtaine d’années, sa cote monte avec les grandes expositions qui lui sont consacrées à Orsay, à Tokyo, à la Tate Modern. Il quitte la deuxième division où ses amis nabis (Sérusier, Vuillard, Vallotton, Denis…) sont encore relégués, pour rejoindre la première. La preuve en est peut-être ce biopic qui lui est consacré.

Son réalisateur est Martin Provost. En 2008, son Séraphine accumula les récompenses (César du meilleur film, de la meilleure actrice pour Yolande Moreau, du meilleur scénario original…) et fit découvrir au grand public une artiste méconnue. Il consacra un autre film à une écrivaine, guère plus connue, Violette Leduc.

Martin Provost est à l’aise dans le biopic historique. Trop peut-être. Il joue sur du velours avec un sujet en or et des acteurs de premier plan : Vincent Macaigne, la tignasse enfin assagie, Cécile de France dont j’ai déjà eu ici souvent l’occasion de dire l’admiration éperdue que je lui voue et des seconds rôles aux petits oignons, à commencer par celui d’Anouk Grinberg, parfaite dans le personnage perché d’une pianiste polonaise excentrique, sans oublier André Marcon qui campe un Monet plus vrai que nature et Grégoire Leprince-Ringuet qui joue Vuillard sans qu’on montre jamais hélas une seule de ses œuvres.

Le film prend le parti, comme son titre l’indique, de raconter la vie de Bonnard à travers l’histoire de sa liaison avec Marthe. Il la rencontre, toute jeune, dans la rue, en 1893 mais refuse de la présenter à sa famille. Il l’épouse en août 1925 seulement et découvre à cette occasion qu’elle lui avait menti sur ses origines et sur son patronyme : loin d’être une aristocrate italienne orpheline comme elle l’avait prétendu, Maria Boursin de son vrai nom est issue d’une modeste famille du Berry qu’elle a toujours cachée par honte de classe.

Marthe fut la muse de Bonnard. Avec elle, dès 1893, il ose le nu. Elle apparaît, réaliste ou stylisée, dans quantité de ses toiles.

Mais outre que leur relation fut longtemps tenue secrète, Marthe est d’une santé fragile. Pour elle, Bonnard quitte de plus en plus souvent Paris pour la Roulotte, une petite maison des bords de Seine près de Vernon, et pour la province où Marthe fait des cures. Par sa faute, il se coupe de ses amis parisiens.

Le film explore l’intimité du couple autant sinon plus qu’il ne décrypte les toiles qu’il inspira. Si on sait que Bonnard eut plusieurs liaisons, le film de Martin Provost n’en évoque qu’une : celle que le peintre entretint pendant plusieurs années avec Renée Monchatty (Stacy Martin), une jeune artiste de vingt-sept ans sa cadette. Il fantasme une relation triangulaire que la biographie officielle de l’artiste ne cautionne pas.

Bonnard, Pierre et Marthe est un film paradoxalement sage. Il raconte la vie d’un peintre hédoniste. Il ne cache rien de sa liaison tumultueuse et créatrice avec sa muse. Mais son déroulé platement chronologique, ses deux longues heures au rythme pépère lestent le film d’un académisme convenu.

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