Burning Days ★★☆☆

Emre, un jeune procureur, est nommé dans un petit bourg au fin fond de l’Anatolie. Les élections municipales s’y préparent alors que la canicule et la pénurie d’eau y échauffent les esprits. Invité à dîner chez le fils du maire, Emre, assommé par l’alcool et peut-être drogué, sombre dans l’hébétude. Au matin, il apprend que la jeune gitane qu’il a croisée à ce dîner a été violée.

Burning Days est un film qui dénonce la corruption des élites en Turquie. Il emprunte pour ce faire, avec une redoutable efficacité, la forme du polar, mettant en scène un juge qui mène une enquête sur un crime auquel il a peut-être été associé. La recherche du criminel par la police va de pair avec les efforts désespérés du procureur de reconstituer le souvenir de cette nuit chaotique.

Le problème de Burning Days est que le polar devient tellement captivant que la dénonciation des élites corrompues se réduit finalement à un prétexte ou à une toile de fond.
Autre défaut de ce film : son rythme pas assez nerveux qui étire sur plus de deux heures une intrigue qui aurait été diablement plus efficace si elle avait été réduite d’un quart.

La bande-annonce

Normale ★★☆☆

À cause de la mort de sa mère dans un accident de moto et de l’aggravation inexorable de l’état de santé de son père (Benoît Poelvoorde), malade d’une sclérose en plaques, Lucie (Justine Lacroix), quinze ans, se voit privée de son adolescence. Son père n’en étant plus capable, elle doit gérer les tâches quotidiennes, la cuisine, le ménage, son pilulier, avant de courir au collège. D’autant qu’une menace plane sur elle : être placée par les services sociaux.

Normale fait partie de ces petits films français, comme il en sort treize à la douzaine : Quand tu seras grand, La Plus Belle pour aller danser, Sage-Homme, À la belle étoile, Les Petites Victoires, etc. Je ne serais pas allé le voir si une amie ne me l’avait pas chaudement conseillé. Je me demande d’ailleurs quelle est l’économie de ces films que je vois défiler sur les écrans et en disparaître deux semaines à peine après leur sortie. Eu égard au nombre de spectateurs en salles qu’ils attirent, sont-ils des désastres financiers ? Ou bien réussissent-ils à atteindre la rentabilité grâce aux rediffusions télévisées que leurs acteurs souvent encore bankables leur garantissent ? Ou bien encore le financement du cinéma français est-il si généreux que leur rentabilité est assurée quelle que soit leur audience ?

Toujours est-il que Normale a dénoncé mon pronostic et fait mentir mon cynisme. L’histoire de cette ado dévouée à son père malade, qui aurait pu verser dans le misérabilisme mais n’y tombe jamais, m’a ému. L’humour tendre de ce teen movie m’a fait sourire. Et même l’histoire d’amour un peu mièvre qui rapproche Lucie d’un camarade de classe est touchante.

Le mérite en revient à un scénario bien écrit et surtout à un duo d’acteurs impeccables. Benoît Poelvoorde, qui au physique sinon, espérons-le, au moral, est en train de se depardieuser à grande vitesse, se bonifie avec l’âge, comme les grands vins, dans le registre de la tragicomédie. Mais la révélation du film, c’est la jeune Justine Lacroix, qui n’a pas le charme et la fraîcheur qu’on escompte de cette catégorie d’actrices mais qui, contre toute attente, se coule à merveille dans le rôle pas si évident d’une ado obligée par la force des choses de monter en graine plus vite qu’elle ne le devrait.

La bande-annonce

Sur l’Adamant ★★☆☆

L’Adamant est une péniche amarrée en bord de Seine, dans le douzième arrondissement, au pied du quai de la Rapée, qui accueille depuis 2010 des malades souffrant de troubles psychiques. Nicolas Philibert, sans doute le plus grand documentariste français, devenu célèbre grâce à Être et avoir (2002), y a posé sa caméra pendant sept mois à la rencontre des patients. Son intérêt pour la psychothérapie institutionnelle – qui met l’accent sur la dynamique de groupe et la relation entre soignants et soignés – n’est pas nouveau. Il avait consacré un précédent documentaire à la clinique de La Borde en 1995 et aux méthodes novatrices du Dr Oury.
Auréolé de l’Ours d’or qu’il a obtenu au dernier festival de Berlin et des lauriers que lui a tressés sa présidente Kristen Stewart, Sur l’Adamant est sorti en salles cette semaine et attire un public nombreux.

Cette curiosité est méritée. Nicolas Philibert n’a pas son pareil pour laisser traîner sa caméra et susciter les confidences. On pourrait craindre son voyeurisme, surtout face à des personnages fragilisés. Mais rien n’est plus empathique que le regard qu’il porte sur les doux dingues qu’il filme et dont il interroge la différence : qu’est-ce qu’être « normal » nous demandent François, qui donne une interprétation incarnée de La Bombe humaine de Téléphone, Frédéric et sa curieuse dégaine à la Houellebecq, Muriel à la gouaille de titi parisien ?
Le seul défaut de ce documentaire est son manque de linéarité. Sur l’Adamant qui aurait pu, sans conséquence, durer une heure de plus ou de moins, tourne en rond et nous mène un peu en bateau. Nicolas Philibert s’en justifie dans le dossier de presse : « J’ai toujours aimé improviser, et avec le temps, l’improvisation est devenue pour moi comme une nécessité éthique. Ne rien expliquer, surtout. Ne pas assujettir son film à un programme, à un ‘vouloir-dire’ préalable. Ne pas chercher à filmer utile. Traquer toute trace d’intentionnalité ». On adhèrerait volontiers à cette idéologie si elle n’ouvrait la porte à toutes les paresses. À force de ne vouloir rien démontrer, Sur l’Adamant court le risque de ne pas montrer grand chose qu’on n’ait déjà vu dans sa bande-annonce.

Sur l’Adamant est le premier volet d’un triptyque consacré à la psychiatrie. Le deuxième se déroulera à l’hôpital Esquirol à Charenton ; le troisième filmera des visites domiciliaires. Ils sortiront dans les mois à venir.

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Chien de la casse ★★☆☆

Dog (Anthony Bajon) et Mirales (Raphaël Quénard) sont inséparables depuis la sixième. Mais tout se dérègle entre eux à l’arrivée d’Elsa (Galatea Bellugi).

Chien de la casse est un premier film d’une étonnante maîtrise. Loin des banlieues multiethniques et de ses voyous en mal d’intégration ou des déserts ruraux et de ses fermiers écrasés de dettes, il décrit un milieu rarement filmé, celui de la jeunesse pauvre, blanche et désœuvrée de la France périphérique, qui tue son ennui en faisant tourner un joint arrosé de bières sur la place d’un bourg en train de se vider de ses habitants.

Chien de la casse doit sa réussite à son trio d’acteurs et au premier chef à l’étonnant Raphaël Quénard. On l’avait découvert il y a deux ans dans Fragile. Depuis il a eu des petits rôles dans Novembre, Coupez ! ou Je verrai toujours vos visages. Mélange paradoxal de Jim Carrey pour la veine comique et Patrick Dewaere pour l’intensité dramatique, son talent éclate en tête d’affiche dans le rôle en or d’un jeune marginal, condamné après la mort de son père à porter à bout de bras une mère dépressive, avec pour seule compagnie un pitbull et un ami d’enfance qu’il martyrise.

Car l’amitié qui unit Miralès et Dog est ambiguë, toxique, presque malaisante. Miralès écrase de son bagout son ami taiseux. Pire, il l’humilie sans pour autant que Dog se cabre. L’arrivée d’Elsa bouleverse l’économie de leur relation.
Anthony Bajon est, comme toujours (Un autre monde, Une jeune fille qui va bien, La Troisième Guerre, Au nom de la terre, La Prière, La fête est finie), excellent dans ce rôle ingrat, tout en silence et en demi-teinte. En revanche, Galatea Bellugi dont on connaît le talent (Tralala, Une jeunesse dorée, L’Apparition, Réparer les vivants, Keeper…), est sacrifiée dans un rôle où elle n’a pas grand chose à dire ni à faire.

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Jeanne Dielman ☆☆☆☆

Jeanne Dielman a été élu l’an passé par la prestigieuse revue professionnelle Sight & Sound meilleur film de tous les temps, juste devant Vertigo et Citizen Kane. Auréolé de ce prestigieux trophée, il ressort dans quelques salles d’art et d’essai et y attire un public nombreux, de cinéphiles et de curieux masochistes. C’est que le film est précédé d’une pesante réputation : il dure 3h21 et dissèque la morne répétition des gestes quotidiens d’une jeune veuve sans histoires qui vit seule avec son fils, dans un appartement bourgeois de Bruxelles.

Jeanne Dielman n’a rien volé de sa réputation. C’est un film radical.

Par son sujet : l’aliénation d’une femme condamnée à répéter chaque jour les mille et un gestes déshumanisants d’un quotidien sans âme. Rien ne nous en est épargné, du lever jusqu’au coucher, filmé quasiment en temps réel, l’espace de trois journées, pour en montrer la longueur et l’ennui. On voit tour à tour la préparation des repas, le lent épluchage des pommes de terre ou la confection d’escalopes panées, les repas proprement dits, pris sans un mot avec Sylvain, cet adolescent taiseux qui ressemble déjà tant à un petit vieux racorni qui jamais n’esquisse un geste pour aider sa mère ni même pour lui manifester la moindre tendresse, la vaisselle dans la cuisine exiguë, les rares courses à l’extérieur, l’accueil chaque après-midi (à l’insu de Sylvain ?) d’un homme différent qui paie Jeanne pour la brève et sordide étreinte qui se déroule, porte close, dans sa chambre, sur une serviette posée sur son couvre-lit qu’elle remplace méticuleusement après chaque usage….

Par son traitement : Jeanne Dielman a beau avoir été tourné par une réalisatrice de vingt-cinq ans à peine, il témoigne d’une maîtrise étonnante du cadrage et de la mise en scène, avec un soin tout particulier apporté au son (la rue dont on entend le bourdonnement, les claquements des talons de Jeanne sur le parquet qu’elle arpente dans tous les sens à longueur de journée) et à la lumière (que Jeanne allume et éteint chaque fois qu’elle passe d’une pièce à l’autre). Quant aux dialogues, c’est bien simple, il n’y en a  quasiment pas, les rares paroles échangées l’étant sur un ton bressonien, volontairement plat, dénué de tout affect – ainsi de la lecture à son fils par Jeanne de la lettre qu’elle reçoit de sa sœur expatriée au Canada grâce à laquelle le spectateur apprend quelques bribes de l’histoire familiale.

Et le sujet et son traitement, il faut en convenir, se nourrissent l’un de l’autre. Un film plus court n’aurait pas fait autant ressentir au spectateur exténué l’écrasant ennui qui régit la vie de Jeanne et la conduit à la folie. Il faut la regarder, dans un interminable plan fixe, éplucher pendant cinq minutes des pommes de terre pour comprendre son état et plus encore pour le ressentir.

Pour autant, aussi impressionnant que soit ce film, il fait partie de ceux qu’on est plus content d’avoir vus que d’être en train de regarder. Comme l’écrit Jacques Morice dans sa critique évidemment extatique, « Il fut à sa sortie le film des fauteuils qui claquent ». Difficile en effet, même quand on en est prévenu, de supporter ce spectacle et de ne pas avoir la tentation de s’en échapper. Tel fut le cas, à la moitié du film, de l’ami que j’avais invité et qui légitimement pourrait m’en faire le reproche pour le restant de nos jours s’il n’était pas l’ami le plus indulgent et le plus altruiste que j’aie jamais eu.

J’écris cette critique sous le coup de la colère que m’a inspirée hier soir, jusqu’à tard dans la nuit, cet interminable martyre. Je regretterai probablement dans quelques mois ce coup de gueule pavlovien. Peut-être même attribuerai-je alors à Jeanne Dielman les quatre étoiles que la critique lui décerne unanimement. Mais, pour l’instant, je vis le contrecoup d’une expérience exténuante que je ne souhaite à personne, et surtout pas à mon meilleur ami !

La bande-annonce

Italia, Le Feu, La Cendre ★☆☆☆

Plus de dix mille films muets furent tournés en Italie entre 1896 et 1930. Les négatifs, conservés à l’Institut cinématographique italien, furent emportés à Berlin en 1943 et détruits pendant la libération de l’Allemagne. C’est au prix d’un patient travail d’investigation, dans les cinémathèques du monde entier et dans les collections privées, que deux documentaristes français, Céline Gailleurd et Olivier Bohler – elle a consacré sa thèse aux survivances de la peinture du XIXe siècle dans le cinéma italien des années 1910 et vient de diriger en 2022 un ouvrage collectif sur le cinéma muet italien et il enseigne le cinéma à l’Université d’Aix-Marseille – ont rassemblé ce corpus unique.

On y voit des images qu’on n’avait jamais vues – car il faut ici confesser notre médiocre niveau de connaissance du cinéma muet italien. En particulier des scènes de Cabiria, le fantastique péplum de Giovanni Pastrone, sorti en 1914, inspiré de Salammbô – que j’aimerais tant avoir l’occasion de découvrir en salle avec, pourquoi pas, un orchestre. On y découvre des divas dont la célébrité à l’époque n’était pas moindre que celle de leurs lointaines héritières mais dont le nom a été oublié : Lyda Borelli (la légende raconte que le comte Cini qui l’épousa en 1918 racheta tous les négatifs de ses films et les jeta à la mer), Pina Menichelli, Francesca Bertini (la plus belle femme au monde disait-on – déjà – à l’époque)…

Un défaut du film est son manque de clarté et de pédagogie. C’est le comble pour deux réalisateurs qui enseignent l’un et l’autre le cinéma à l’Université. On y voit, dans l’ordre chronologique de leur sortie, des scènes de films qui ne sont pas titrés – le petit jeu étant, devant le générique de fin, d’essayer vainement de les identifier. On ne nous explique guère ce que l’on voit, qui en est le réalisateur, de quel moment du cinéma ces images sont emblématiques…. Peut-être les spécialistes – mais il n’y en a guère – se pâmeront-ils ; quant aux ignorants – et ils sont, comme moi, nombreux, je le crains – n’y comprendront pas grand-chose.

Mais il y a pire : la voix off de Fanny Ardant (c’est Isabella Rossellini qui joue dans la version italienne du documentaire). Outre que ses roucoulades aristocratiques m’ont toujours exaspéré – sentiment dont je reconnais volontiers la part de subjectivité – les textes qu’elle lit sont difficiles à identifier. On comprend, mais pas toujours, qu’il s’agit d’écrits critiques sur le cinéma – par exemple de Pirandello – ou de témoignages de contemporains – Pastrone racontant la réalisation de Cabiria ou Fellini découvrant, dans les bras de son père, à six ans, dans une salle de Rimini, Maciste.

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La Conférence ★★☆☆

Le 20 janvier 1942 se réunissent à Berlin, dans la villa Marlier, sur les bords du Wannsee, quinze hauts dignitaires du Reich, civils et militaires, sous la présidence de Reinhardt Heydrich, le chef de l’Office central de la sûreté du Reich. Les participants, convoqués par le maréchal Göring, se répartissent en trois groupes : des civils représentant les principaux ministères (Chancellerie du Reich, Intérieur, Justice, Affaires étrangères…), des autorités d’Ocupation en Pologne et en URSS, des chefs de la SS. L’objet de la réunion : la mise en oeuvre de la Solution finale, un euphémisme pour désigner l’extermination des onze millions de Juifs d’Europe.

La Conférence de Wannsee est bien connue. C’est le moment, répète-t-on, où la Solution finale a été décidée. Ce n’est pas tout à fait exact. Le principe même de la Solution finale avait été acté depuis longtemps par Hitler, Himmler et Göring, unis dans la haine du Juif et la conviction que seule son extermination permettrait de résoudre la soi-disant Question juive. C’est sa mise en oeuvre concrète qui sera discutée et approuvée lors de la conférence de Wannsee.

Filmer une réunion de hauts fonctionnaires n’a rien de cinématographique. Mais le film de Matti Geschonneck relève le défi et fait le pari d’une totale sobriété : unité de temps, unité de lieu, absence de musique, respect absolu du texte du procès-verbal dressé par Adolf Eichmann, un des subordonnés de Heydrich et chef du bureau des Affaires juives à la Gestapo.

On pourrait se croire à une réunion interministérielle de hauts fonctionnaires à Matignon si ce n’étaient les uniformes rutilants des officiers SS et l’objet monstrueux de leur discussion. Car, bien entendu, personne autour de la table ne remet en cause l’antismétisme qui inspire l’idéologie nazie ni la décision d’exterminer des millions d’individus. La mémoire populaire a retenu que la décision avait été euphémisée, que des périphrases avaient été utilisées pour désigner des actes barbares et indicibles. Ce n’est qu’à moitié exact selon les historiens qui, se basant sur les témoignages des accusés de Nuremberg et d’Eichmann à Jérusalem, soulignent que le procès-verbal dressé par Eichmann n’avait pas repris mot pour mot les expressions de chacun.

Tout est dit et tout est dit clairement autour de la table : la politique d’émigration forcée des Juifs d’Allemagne et d’Autriche, les exécutions par balles menées par les Einsatzgruppen sur le front de l’Est, les ghettos surpeuplés de Pologne où les Juifs meurent de faim – une situation désastreuse selon le Gouvernement général (l’autorité nazie en Pologne) qui exige de Berlin, pour des raisons humanitaires, que ces ghettos soient vidés le plus vite possible et ses habitants exécutés afin de ne pas prolonger leur martyre – le Zyklon B et les premières chambres à gaz testées à Chelmno et les projets d’en construire à grande échelle à Auschwitz, à Treblinka, à Belzec, à Sobibor….

Puisque tout le monde autour de la table partage les mêmes valeurs – si on ose dire – et les mêmes objectifs, puisque de toute façon la décision a été prise en amont par les plus hautes autorités du Reich et qu’il serait inenvisageable de la remettre en cause, la conférence ne donne pas lieu à des débats entre les partisans et les opposants de la Solution finale qu’un scénariste hollywoodien aurait adoré voir se déchirer dans un combat épique entre le Bien et le Mal. Beaucoup plus trivialement, l’objet de la réunion, son but explicite, est pour son président, l’Obergruppenführer Heydrich, d’asseoir l’emprise de la SS sur toute l’entreprise. Et il y arrive de main de maître, avec le soutien de ses collègues et des autorités d’occupation.
S’il rencontre une timide résistance, c’est de la part du représentant de la Chancellerie, un ancien combattant durant la Première Guerre mondiale, qui exprime de la pitié, non pas tant pour les victimes juives, mais pour les soldats allemands affectés à leur surveillance et à leur exécution. Une autre résistance vient d’un juriste du ministère de l’Intérieur qui, se fondant sur les lois de Nuremberg, s’oppose à la déportation des sang-mêlés et des couples mixtes. Bien dérisoire vertu de la règle de droit et du respect qu’elle inspire encore chez quelques juristes formalistes !

La Conférence est un film terriblement austère. Sa fidélité aux faits lui interdit tout rebondissement, toute dramatisation. Il ne peut être que ce qu’il est : la retranscription d’une « banale » (le terme fera florès sous la plume de Hannah Arendt) réunion administrative. Mais c’est cette banalité même et cette absence apparente de tension qui glacent le sang.

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La Mine du diable ★☆☆☆

Le réalisateur italien Matteo Tortone est allé filmer les mineurs de la Rinconada, dans les Andes péruviennes. Son film se situe à la frontière du documentaire et de la fiction. Il raconte l’histoire d’un jeune Liménien qui, lorsque le triporteur qui lui servait de taxi tombe en panne, décide de quitter la capitale péruvienne, sa femme et sa fille, pour aller s’employer dans la mine la plus haute du monde.
À plus de cinq mille mètres d’altitude, les conditions de vie sont terribles. Les logements sont insalubres. Le froid, l’humidité, le mal des montagnes, sans parler du travail éreintant dans la mine, épuisent des organismes affaiblis.

La Mine du diable pourrait documenter minutieusement cette situation dantesque. Son réalisateur préfère prendre un parti différent, en tournant un film presque poétique, dans un noir et blanc élégant et satiné, doublé d’une voix off qui évoque les mythes qui entourent les lieux. Les mineurs croient qu’ils sont habités par le diable et qu’il faut lui faire un sacrifice pour qu’en échange, il consente à leur céder son or.

Ce parti pris est discutable. Car il entraîne La Mine du diable dans une direction pas toujours convaincante. Il passe d’abord beaucoup de temps loin de la mine où notre héros ne pénètre pas avant le tiers sinon la moitié du film. Or, c’est elle qu’on vient voir ; c’est elle qu’on attend (même si nous la faire attendre peut constituer un des ressorts du scénario).
Il essaie ensuite de nous raconter l’histoire de Jorge, qui quitte sa maison et son foyer pour aller trouver meilleure fortune. Mais, bizarrement, cette histoire tourne court après l’arrivée de Jorge à la Rinconada.

La Mine du diable laisse un goût d’inachevé.. Dommage….

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Le Capitaine Volkonogov s’est échappé ★☆☆☆

Agent du NKVD, la police politique stalinienne, qui pratique couramment la torture sur les opposants du régime, le capitaine Volkonogov (Yuriy Borrsov déjà vu dans La Fièvre de Petrov et Compartiment n° 6) sent le vent tourner lorsque son collègue, le major Gvozdev, se suicide devant lui. Il a l’intuition d’être la prochaine victime des purges qui font rage à Leningrad depuis quelques mois en 1938. Son ami Veretennikov n’a pas sa prescience et se fait tuer immédiatement. Le spectre de Veretennikov apparaît à Volkonogov et lui lance un avertissement : s’il ne veut pas aller en enfer, il doit retrouver les familles de ses victimes et obtenir leur pardon.

Son affiche et sa bande-annonce le laissaient augurer : Le Capitaine Volkonogov… emprunte à une esthétique surprenante, rétro-futuriste, pour décrire la Leningrad des années Trente filmée comme on filmerait Saint-Petersbourg aujourd’hui. Aucun objet n’y est anachronique ; mais les personnages, leurs attitudes, leur langage y sont étonnamment contemporains.

Ce parti pris est à la fois déroutant et excitant. Mais il fait long feu.
Et le problème de ce Capitaine est que le scénario qu’il déroule, une fois ses enjeux posés, ne présente pas grand intérêt : on sait par avance qu’on va assister à une longue course poursuite entre un fugitif aussi résistant que futé et des poursuivants coriaces. On sait par avance que ce jeu de cache-cache sera ponctué par les rencontres que Volkonogov fera avec les proches des victimes qu’il a torturées et qui lui refuseront les uns après les autres le pardon qu’il leur demande – si l’une d’entre eux le lui accordait, le film se terminerait illico. Quand approche la fin du film, on devine que la prochaine rencontre sera différente. Et après l’avoir découverte sans surprise, on se dit qu’il est temps que le film se conclue comme on savait depuis le début qu’il se conclurait.

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The Quiet Girl ★★☆☆

Dans l’Irlande du début des 80ies, Cait est une enfant d’une dizaine d’années timide et effacée, raillée par ses camarades de classe, délaissée au milieu d’une nombreuse fratrie par un père alcoolique et par une mère noyée sous les tâches domestiques. Un été, alors que sa mère est sur le point d’accoucher d’un nouveau bébé, elle est confiée à un couple de parents éloignés, à l’autre bout de l’Irlande. Une fois absorbé le choc du dépaysement, elle y découvre une vie plus confortable, plus douce et un foyer aimant qui cache néanmoins un lourd secret.

The Quiet Girl est, dit-on, le film le plus rentable de l’histoire du cinéma irlandais. Tourné avec un petit budget, il a connu un succès immense, en Irlande et à l’étranger où il a raflé une moisson de prix : un Ours de cristal à Berlin en février 2022 qui a lancé sa carrière, puis des nominations aux BAFTA et à l’Oscar du meilleur film international. C’est l’adaptation d’une nouvelle – ou s’agit-il d’un court roman ? – de Claire Keegan publiée il y a une dizaine d’années sous le titre Foster – qui signifie « Adoption » – traduit en français par Trois Lumières – en référence à l’une des scènes du livre les plus émouvantes.

The Quiet Girl est très réussi ; mais il ne mérite peut-être pas toutes les louanges qu’on lui tresse.
C’est un film d’une infinie délicatesse dans sa mise en scène comme dans son scénario qui nous montre la lente transformation d’une enfant privée d’amour. On la voit physiquement s’épanouir, se redresser sous l’effet bénéfique de l’attention que Mme et M. Kinsella, ses parents d’adoption, lui portent le temps d’un été.

L’histoire du film, qui fait fond sur les maltraitances subies par les enfants en Irlande au siècle dernier, pouvait bifurquer dans un autre sens, quand Mme Kinsella murmure à l’oreille de Cait « Si tu étais mon enfant, jamais je ne te laisserais dans une maison avec des inconnus », vers le film d’horreur. La bande-annonce laisse intelligemment planer cette possibilité-là. Mais tel n’est pas le parti retenu. Le lourd secret des Kinsella – que la bande-annonce spoile en partie – est autrement plus banal.

La nouvelle (le roman ?) de Claire Keegan était très brève. Le film, qui lui est fidèle à la lettre, l’est tout autant et doit inventer un préambule, dans l’école de Cait, absent du livre, et ajouter quelques ralentis qu’on pensait définitivement démodés pour atteindre une durée standard. C’est cette brièveté qui constitue à la fois la principale qualité et le principal défaut de l’oeuvre. On peut lui trouver une remarquable économie de moyens, une absence de long discours explicatif qui en appelle à l’intelligence et à la sensibilité du spectateur. Mais aussi, on peut estimer que sa substance est assez pauvre, qu’on en a vite fait le tour et que quatre vingt seize minutes sont bien longues pour si peu.

La bande-annonce