Tel Aviv – Beyrouth ★☆☆☆

C’est l’histoire éclatée sur trois moments (1984, 2000 et 2006) de deux femmes libanaise et israélienne qui partagent des racines françaises. La première, Tanya, a un père officier dans l’Armée du Sud Liban qui a collaboré en 1984 avec l’envahisseur israélien et qui n’a eu d’autre issue en 2000, lorsque Tsahal s’est retiré, que de quitter le Liban. La seconde, Myriam, de quelques années plus âgée, est mariée à un officier du renseignement israélien qui combat au Liban et qui y a connu le père de Tanya. Elle a eu un fils qui part faire son service militaire en 2006 et qui est fait prisonnier au front.

La réalisatrice Michale Boganim a grandi en Israël avant l’installation de ses parents en France. Son précédent film était un documentaire consacré aux Mizrahim, ces Juifs orientaux, originaires du Maroc, d’Algérie, de Syrie, du Yemen, attirés en Terre promise par la promesse d’une vie meilleure, mais souvent relégués dans des cités pionnières, en lisière du désert, et cantonnés à des tâches subalternes. Tel Aviv – Beyrouth prend la forme de la fiction mais aurait pu tout aussi bien nourrir un documentaire, voire une série tant son sujet est riche.

Son titre est trompeur : de Tel Aviv ou de Beyrouth on ne verra pas une seule image. Mais son titre n’est pas idiot : il s’agit d’étudier la relation complexe entre deux pays voisins sinon frères, déchirés par une guerre permanente dont on ne voit pas l’issue. Il aurait pu tout aussi bien s’intituler La Frontière ; car c’est à ce point précis que tout se joue et c’est là que le destin toujours ramène Tanya et Myriam.

Le problème de ce film est sa densité et sa complexité. Le résumé que j’en ai fait, qui ne brille pas par sa lisibilité, simplifie pourtant largement une intrigue qu’il faut patiemment reconstituer à la sortie de la salle si on veut la comprendre. Il y a trop de personnages, trop de faits dans ce film surchargé où l’on saute, sans qu’on le comprenne toujours, d’un lieu à l’autre, d’une période à l’autre. Dommage….

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L’Homme le plus heureux du monde ★☆☆☆

Asja, la quarantaine, s’est inscrite à une journée de speed dating. Elle y retrouve Zoran, un homme de son âge, avec qui elle avait déjà échangé quelques messages électroniques. Mais rien ne se passera comme prévu.

Du lard ou du cochon ? Le titre du film, son affiche, le résumé qu’on en lit sèment la confusion. L’Homme le plus heureux du monde s’annonce comme une joyeuse comédie de mœurs. On attend quelques scènes cocasses et drôles sur le speed dating, les rencontres improbables qu’il provoque, les alchimies étonnantes qu’il suscite parfois…

Rien de tel en fait. Ou plutôt, pas vraiment ça ; car L’Homme le plus heureux…. ne peut pas s’empêcher d’utiliser cette toile de fond très fertile pour caractériser la situation et développer quelques intrigues secondaires.

Mais son sujet n’est pas là. On le découvre très vite. Le film se déroule en Bosnie et cette localisation n’est pas anodine. Il s’agit d’y cicatriser les plaies encore ouvertes d’un passé douloureux. Une trentaine d’années plus tôt, lors du siège de Sarajevo, Zoran, enrôlé de force par les milices serbes avait pris dans sa ligne de mire Asja et lui avait décoché entre les omoplates une balle qui l’avait durablement plongée dans le coma.
C’est cette confession un peu folle que Zoran fait à Asja en implorant son pardon.

Cette information nous parvient dès le premier tiers du film. Et elle en épuise l’intérêt. Car les deux tiers restants se retrouvent privés de carburant, à n’avoir rien à dire.
C’est d’autant plus dommage que ce second film d’une réalisatrice nord-macédonienne, dont on avait vu avec intérêt le premier (Dieu existe, son nom est Petrunya), avait attisé notre curiosité.

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La Romancière, le Film et le Heureux Hasard ★★☆☆

Une célèbre romancière retrouve dans un quartier excentré de Séoul une ancienne amie qui tient une librairie. Elle croise ensuite un réalisateur et sa femme, une jeune actrice de cinéma qui vient de décider de faire une pause dans sa carrière et, de retour dans la librairie de son amie, un vieux poète qu’elle avait connu de nombreuses années plus tôt.
Après cette journée riche en rencontres, elle décide avec la jeune actrice de réaliser un court métrage.

Six mois après son dernier film en date, Juste sous vos yeux, six mois avant la sortie de son prochain, Walk up, déjà diffusé en festival, le prolixe réalisateur coréen Hong Sangsoo est de retour sur les écrans avec sa vingt-neuvième réalisation.

Avec le masochisme qui me caractérise, j’en ai vu une bonne vingtaine depuis que ma belle-soeur me raconta avec hilarité l’état d’hébètement dans lequel l’avait laissée son tout premier, Le jour où le cochon est tombé dans le puits (ex aequo à l’Index familial avec Khroustaliov, ma voiture !).

Le cinéma de Hong Sangsoo m’a fait passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. J’ai d’abord salué la fraîcheur de ce « Rohmer coréen » – l’expression a tellement été utilisée que je ne devrais la mentionner qu’en rougissant. Puis, très vite, je me suis lassé de ses dispositifs répétitifs : des rencontres hasardeuses  dans les rues de Séoul et de longs dialogues vite brouillés par les vapeurs de l’alcool avec de brusques ellipses qui en rendaient la compréhension malaisée. Cette lassitude a ensuite laissé la place à l’irritation : j’ai même reproché à Hong Sang soo de se ficher de nous avec son stakhanovisme, ses scénarios indigents, ses zooms épileptiques (Introduction). Et finalement, je suis revenu à un jugement plus mesuré.

À quoi est due cette évolution vers plus d’aménité ? Le cinéma de Hong Sangsoo a-t-il changé ? La soixantaine approchant, il se serait lesté de sujets plus graves comme dans Hotel by the River ou dans Juste sous vos yeux. Mais surtout, me semble-t-il, je me suis lentement mais sûrement accoutumé à sa grammaire. Comme le café sans sucre que j’ai d’abord trouvé insupportablement amer avant de m’y habituer – au point de ne plus tolérer de le boire sucré – j’ai fini par me faire au cinéma de Hong Sangsoo.

Je lis ici ou là des critiques cinglantes de La Romancière…. Je les comprends volontiers car j’aurais pu les signer au mot près : scénario inconsistant, noir et blanc sans poésie, personnages sans relief, plans fixes interminables, etc.
Pour autant, je ne les ferai pas miennes. Car j’ai pris un certain plaisir à ce film, comme celui que l’on prend à prendre un verre avec un vieil ami dont on aurait cessé de réprouver les défauts les plus irritants.

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La Syndicaliste ★☆☆☆

Maureen Kearney, militante CFDT, secrétaire du comité de groupe européen d’Areva, en conflit ouvert avec Luc Oursel, le nouveau PDG du groupe, affirme avoir été agressée à son domicile le 19 décembre 2012, cagoulée, ligotée et violée. L’enquête menée par la gendarmerie ne retrouve pas la trace de son agresseur et se retourne bientôt contre elle, l’accusant d’avoir dénoncé un crime imaginaire. Elle est condamnée de ce chef en première instance en 2017 mais blanchie de ces accusations en appel en 2018.
Ces faits ont été relatés dans un livre écrit en 2019 par une journaliste d’investigation, Caroline Michel-Aguirre. C’est ce livre, La Syndicaliste, que Jean-Paul Salomé, qui avait déjà dirigé Huppert dans La Daronne, a porté à l’écran.

Levons d’abord quelques malentendus autour de ce film, son titre et son affiche. Découvrir que la grande Isabelle Huppert tournerait dans un film intitulé La Syndicaliste et en découvrir l’affiche où on la voit en tête d’un défilé au milieu de ses camarades de lutte, m’avait arraché – ainsi qu’à quelques autres – des sarcasmes narquois. J’imaginais assez mal en effet que l’immense interprète de Phèdre, de Mary Stuart ou de Orlando enfile un bleu de travail ou tienne un piquet de grève sur un rond-point. Je me trompais bien sûr. Car une grande artiste peut tout jouer et Isabelle Huppert a déjà joué bien des rôles de prolétaires : dans La Cérémonie par exemple où elle interprétait une employée de maison qui, avec Sandrine Bonnaire, fomentait l’assassinat de ses patrons façon Les Bonnes.

Mais je me trompais surtout sur le sujet de ce film dont le titre est trompeur. Il n’y est guère question de lutte syndicale mais plutôt de manoeuvres au sommet de l’Etat et de lanceurs d’alerte. Loin du préjugé que j’avais conçu, Huppert n’y joue pas une syndicaliste en grève, mais plutôt une femme de pouvoir, occupant un bureau à l’étage noble du siège d’Areva, siégeant à son conseil d’administration et vivant, en famille, grand train avec résidence principale à Versailles et luxueuse résidence secondaire les pieds dans l’eau du lac d’Annecy. Plus Nicole Notat que Philippe Martinez en somme.
Cette précision m’en autorise, en réplique, une autre : reprocher à Huppert d’interpréter encore et toujours le même rôle, celui d’une grande bourgeoise tirée à quatre épingles, juchée sur de vertigineux stilettos, le maquillage et le chignon impeccables, la bouche pincée, éternelle victime de la violence des hommes (Philippe Bouvard lui avait décoché : « Vous êtes la femme la plus violée du cinéma français »), mélange de faiblesse et de force.

Un dernier mot sur l’affiche du film, puisqu’elle a fait beaucoup jaser. Isabelle Huppert y fait une bonne trentaine d’années de moins que son âge. Miracle de Photoshop ou du lifting ? On souligne la ressemblance entre Huppert et le personnage qu’elle incarne. Soit. Mais à quoi bon faire ressembler une actrice à un personnage dont personne ne connaissait jusqu’alors les traits ? Et surtout, pourquoi avoir voulu rajeunir de trente ans une sexagénaire, en photoshoppant son image, pour incarner un personnage de … dix ans sa cadette ?

Mais revenons au film.
Et c’est bien là que le bât blesse.
La Syndicaliste veut révéler un « complot d’Etat » – Clémentine Autain, députée LFI a d’ailleurs appelé à la création d’une commission parlementaire d’enquête pour l’élucider. Mais n’est pas Claude Chabrol qui veut, qui, avec Isabelle Huppert déjà, avait réalisé un film, L’Ivresse du pouvoir, sur l’affaire Elf et l’instruction menée par Eva Joly avec autrement de talent.
Ici tout est manichéen. À commencer par le nouveau PDG d’Areva, Luc Oursel, interprété par Yvan Attal, ambitieux et sanguin. Sa veuve et ses enfants viennent d’ailleurs de signer dans le JDD une tribune accusant le film d’avoir sali la mémoire du défunt.

Paradoxalement, c’est l’interprétation de Huppert qui sauve le film de ce manichéisme. Car elle est  – comme elle sait si bien l’être dans tous ses films – tellement désagréable, revêche et hystérique que, à rebours de l’intention du livre, qui faisait de Maureen Kearney la victime innocente d’un crime odieux, elle finit par semer le doute sur son éventuelle culpabilité dans les événements du 19 décembre 2012, dont pourtant en 2018, la justice l’a blanchie.

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Droit dans les yeux ★★☆☆

Pendant deux années, Marie-Francine Le Jalu a filmé les étudiants de la clinique juridique créée à la faculté de droit de Paris-Saint-Denis. Ils reçoivent des justiciables qui leur exposent leurs difficultés : certains sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, d’autres réfléchissent à leur succession, d’autres encore veulent s’assurer, avant de postuler à un emploi, de l’effacement de leur casier judiciaire de peines auxquelles ils ont été condamnés. Sous le contrôle de leurs professeurs, les étudiants fournissent à leurs interlocuteurs des conseils juridiques.
Accompagnée de deux d’entre eux, la réalisatrice est venue présenter son film à l’Escurial dimanche dernier et a débattu avec la salle.

Quel joli titre. Droit dans les yeux parle de regards – même si sa curieuse affiche ne permet pas de comprendre qui les lance. Il est constitué essentiellement de gros plans sur les visages des deux étudiant.e.s qui reçoivent des administrés et qui essaient, le plus impassiblement possible, et tout en essayant de mettre leurs interlocuteurs à l’aise, de consigner les faits utiles à l’instruction de leurs requêtes.

Mais Droit dans les yeux parle surtout de droit. De droit et de justice et du fossé qui parfois les sépare. Il le fait sans manichéisme, sans tomber dans les chausse-trappes de la bien-pensance. Si un avocat parisien franchit le périphérique pour une intervention devant les étudiants de Saint-Denis dans laquelle, croyant les caresser dans le sens du poil, il entonne l’air bien connu « La banlieue a du talent », le montage montre la réaction d’un étudiant qui n’apprécie guère cette démagogie. Lorsqu’une enseignante tient des propos (d)étonnants sur le droit des étrangers, le même pointe à juste titre son militantisme et son absence de neutralité.

Droit dans les yeux est particulièrement touchant parce qu’il met face à face des étudiants et des justiciables qui viennent des mêmes milieux. Les premiers sont d’autant plus enclins à aider les seconds, d’autant plus enclins aussi à prendre fait et cause pour eux qu’ils se sentent proches d’eux. Au risque parfois de brouiller leur discernement.
Tel est le sujet central du documentaire qui, à mon sens, est un peu trop envahissant car il se résout dans la pratique quotidienne assez simplement : quelle est la bonne distance entre l’avocat et son client ? Récemment, Maîtres l’évoquait aussi, qui filmait le travail de trois avocates strasbourgeoises spécialisées en droit des étrangers.

Le cas de la mère d’Ilhame, une étudiante en licence, qui réclame une pension de réversion après la mort de son mari, sert de fil rouge au documentaire. Cette pension lui est refusée au motif que son père avait une autre épouse au Maroc. Il l’avait certes répudiée ; mais cette répudiation vaut-elle divorce en droit français ? Ce cas très concret éclaire deux aspects essentiels de ce documentaire. Ilhame, qui s’était saisie du cas de sa mère, réalise qu’elle a besoin de prendre de la distance avec cette affaire qui lui est trop intime et demande à ses camarades de la recevoir comme n’importe quel usager. Leur analyse approfondie révèlera, à rebours de la réaction spontanée que l’injustice de ce refus de pension suscite, que l’affaire est plus compliquée qu’il ne semblait – même si la mère d’Ilhame finira par gagner le procès qui l’oppose à la Sécurité sociale et à obtenir le versement de sa pension.

Droit dans les yeux n’a qu’un défaut : mal distribué, mal promu, il est passé inaperçu.

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Goutte d’or ★★☆☆

Ramses (Karim Leklou) a monté un business lucratif. Il se fait passer pour médium et, avec quelques complices, il abuse de la crédulité des personnes qui viennent le consulter en les renseignant sur leurs proches disparus sur lesquels il a préalablement collecté quelques informations.
Si elle ne connaît pas la crise, sa petite entreprise est constamment sur la corde raide, sous la menace des caïds qui veulent le racketter, des autres médiums qui se plaignent de son succès, de ses clients qui pourraient comprendre qu’ils ont été bernés…
Une nuit, une bande de gamins, sans feu ni lieu pénètre par effraction dans l’appartement de Ramses et exige de lui qu’il les aide à retrouver un des leurs disparu.

Après Entre le ciel et la terre, un faux film de guerre teinté de fantastique, après Braguino, un documentaire filmé au cœur de la Sibérie, après Indes galantes, la captation de sa mise en scène ébouriffante à l’Opéra-Bastille du célèbre opéra baroque de Rameau, on attendait avec gourmandise le prochain film de Clement Cogitore. L’attente valait la peine.

Goutte d’or est un polar fiévreux, tourné sous amphet’ dans la nuit noire et les matins blêmes du dix-huitième arrondissement parisien entre la fourmilière de Barbès et ses petits trafics, et les friches urbaines de la porte de la Chapelle où se terre le secret autour duquel Goutte d’or gravite.
Goutte d’or est à la limite de la fiction et du documentaire. J’ai adoré la scène, que j’imagine volontiers tournée avec des acteurs amateurs et des vrais médiums, où Ramses doit faire face à ses confrères et ses consœurs qui lui reprochent sa concurrence déloyale.

Goutte d’or m’a rappelé Médecin de nuit qui se déroulait dans les mêmes quartiers et partageait avec lui la même ambiance poisseuse. Les deux films ont en commun d’être portés par leur personnage principal : Vincent Macaigne là, Karim Leklou ici. Cet acteur est formidable. Je ne supporte pas qu’on parle de sa « découverte » ; car on l’a découvert depuis bien longtemps. Pour moi ce fut en 2015 et ce fut un coup de foudre : Coup de chaud, un petit film français sans publicité auquel je mis, contre toute attente, quatre étoiles et que je vous recommande chaleureusement. Ensuite, il y eut Le monde est à toi, la série Hippocrate, la polémique BAC Nord, La Troisième Guerre, le petit bijou Un monde et pas plus tard que le mois dernier Pour la France

Il y a toutefois dans le cinéma de Cogitore une idée à laquelle je peine à adhérer : celle qu’il existerait, sous le vernis de la réalité, une couche de fantastique qui parfois jaillit.

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Empire of Light ★★★☆

Hilary (Olivia Colman) travaille dans une vieille salle de cinéma d’une petite ville balnéaire du sud de l’Angleterre. Elle vit seule ; sa santé mentale est fragile. Stephen (Micheal Ward) y est recruté. Il est noir, en butte au racisme qui grandit dans l’Angleterre des 80ies et n’a qu’un rêve : quitter cette vie et entrer à l’université.

Après James Gray (Armageddon Time), après Steven Spielberg (The Fabelmans), c’est au tour de Sam Mendes, l’un des réalisateurs britanniques les plus célèbres de Hollywood (American Beauty, Jarhead, Les Noces rebelles, deux James Bond crépusculaires et 1917) de nous livrer son film le plus autobiographique. À l’instar de The Fabelmans – ou de Babylon ou de Cinema Paradiso qui ressort ces jours ci dans quelques salles – Empire of Light se présente comme une ode au cinéma et à sa magie perdue. C’est peut-être le signe d’une époque où le monde du cinéma, inquiet de la prophétie récurrente de sa disparition prochaine, en ravive le culte nostalgique. Mais Empire of Light est moins un film sur le cinéma – on ne verra guère que quelques affiches défraichies des Blues Brothers, de Elephant Man ou des Chariots de feu – que sur la salle de cinéma.

Hollywood a inventé un mot pour ce genre de film-là : workplace comedy. Faute d’en avoir une, Hilary s’est créé une famille sur son lieu de travail, entre un patron détestable (Colin Firth) qui s’imagine que les entretiens qu’il a avec elle porte close trompent son monde, un collègue facétieux et compréhensif (Tom Brooke) et un projectionniste taiseux (Toby Jones). Cette petite routine sera bousculée par l’arrivée d’un corps étranger, Stephen.

Deux histoires se mélangent. La première, celle de Hilary, de sa dépression chronique façon Requiem for a Dream, était, à mon avis, la plus intéressante, d’autant qu’elle est servie par l’interprétation hors pair d’Olivia Colman. Quel parcours incroyable que celui de cette actrice qui, à rebours de tous les standards, a été découverte à la quarantaine seulement ! Sam Mendes, dans les interviews qu’il donne, raconte qu’il s’est inspiré de sa mère, poétesse et géniale et schizophrène récidiviste.
Le problème de Empire of Light réside dans la seconde histoire qu’il tisse avec la première. J’ai trouvé que le personnage de Stephen, ses ambitions, le racisme auquel il est confronté, manquaient d’originalité. Plus grave : j’ai trouvé que le couple qu’il formait avec Hillary, de vingt ans son aînée, ne fonctionnait jamais.

Pour autant, tous ces défauts, bien visibles, n’ont pas suffi à gâcher mon plaisir. J’ai aimé l’ambiance feutrée de ce film, son image superbe, ses personnages mélancoliques.

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The Son ★★☆☆

Peter (Hugh Jackman), la cinquantaine, est un brillant avocat new-yorkais. Récemment divorcé de Kate (Laura Dern) dont il avait eu un fils, Nicholas, aujourd’hui adolescent, il a épousé Beth (Vanessa Kirby) et a eu avec elle un second enfant.
Nicholas, qui vit avec Kate, va mal. Il sèche les cours et se heurte sans cesse à sa mère. Peter accepte de reprendre Nicholas chez lui et de l’inscrire dans un nouveau lycée.

Deux ans après l’éclatant succès de The Father (deux Oscars du meilleur acteur et de la meilleure adaptation, le César du meilleur film étranger… et une place dans mon Top 10 2021 !), Florian Zeller adapte à nouveau l’une de ses pièces.
Son principal handicap : la comparaison avec cet encombrant précédent auquel The Son hélas n’arrive pas à la cheville. The Father réussissait un pari fou : nous faire vivre de l’intérieur la désorientation d’un vieil homme frappé par la maladie d’Alzheimer. Rien de tel dans The Son à la mise en scène beaucoup plus classique – même s’il faut reconnaître à Florian Zeller l’immense qualité de ne pas faire du « théâtre filmé ».

Son sujet : la dépression adolescente.
Nicholas s’enfonce dans le puits noir du mal-être. Son mal-être n’a aucune cause identifiable : aucun chagrin d’amour, aucun trouble identitaire ou sexuel, aucune angoisse clairement définie. Nicholas n’a tout simplement plus le goût à rien.
Il a peut-être une cause : la séparation de ses parents, qu’aucun flashback ne vient décrire mais qui constitue le point nodal du film. Elle a dévasté sa mère : Laura Dern joue à la perfection cette femme quinquagénaire que son mari quitte pour une femme plus jeune et plus séduisante. Et par ricochet, elle a dévasté Nicholas.

The Son décrit avec beaucoup de justesse cette dépression et ses répercussions sur ses parents désemparés, sur le couple que Jack a refondé avec sa nouvelle compagne et sur sa brillante carrière, sur le point de prendre un nouveau tournant à Washington.
Une scène – qui ne figurait pas dans la pièce de théâtre – est l’occasion d’un cameo d’Anthony Hopkins, bluffant de cruauté.

The Son s’étire pendant plus de deux heures. Son dernier quart est impressionnant. On ne pourra rien en dire sans en gâcher le plaisir. Mais bornons-nous à évoquer la scène qui l’ouvre, aussi déchirante que celle hyper référentielle du Choix de Sophie. Et regrettons, pour conclure, le fâcheux penchant du scénario à explorer les deux branches de l’alternative qu’il avait dessinée. Une fois (dans le taxi du retour), passe encore ; mais deux fois (le dîner final), c’est un peu too much !

Ps : Est-ce la calanque de Figuerolles, près de La Ciotat, que j’ai reconnue dans un plan du film ?

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L’Astronaute ★★☆☆

Ingénieur chez Ariane, Jim Desforges (Nicolas Giraud) ne s’est jamais remis d’avoir raté de justesse la sélection de l’ESA pour devenir astronaute. Il n’a pas renoncé à partir dans l’espace et nourrit depuis huit ans un projet fou : construire seul une fusée et lancer le premier vol spatial habité amateur. Pour l’aider dans sa tâche, il n’avait jusqu’à présent que sa grand-mère (Hélène Vincent), qui mettait à sa disposition sa ferme et ses terrains dans l’Eure, et André (Bruno Lochet), un voisin chimiste aussi illuminé que lui qui a conçu pour lui un carburant solide. Il se décide à recruter l’ancien astronaute Alexandre Ribbot (Mathieu Kassovitz) pour l’assister.

Il y a bien un défaut qu’on n’adressera pas au second film de l’acteur-réalisateur Nicolas Giraud (après Du soleil dans mes yeux en 2018), celui de manquer d’originalité. Il y a une mise en abyme assez cocasse à imaginer le réalisateur et son co-scénariste Stéphane Cabel, faire la tournée des producteurs pour boucler le financement de ce projet un peu fou consacré à… un projet un peu fou.

Son propos est-il crédible ? Un ingénieur peut-il quasiment seul propulser en orbite basse un module spatial depuis son champ dans l’Eure ? J’ai mes doutes – je vivais avec l’idée qu’il fallait se rapprocher de l’équateur pour faire décoller un engin spatial – mais je n’ai pas fait de recherches plus approfondies et, sentant très vite approcher les limites de mon ultracrépidarianisme, je laisse plus savant que moi émettre un avis définitif.

Mais qu’il soit crédible ou pas importe finalement assez peu. L’Astronaute est un film de gosses bourré de bons sentiments sur ces projets impossibles et fous que nous avons tous peut-être un jour caressés, sur ces passions dévorantes qui ont aimanté nos vies. Ces projets que nous n’avons jamais menés à terme, L’Astronaute les réalise pour nous. Ces passions que nous n’avons pas eu le courage ou les moyens de vivre entièrement, L’Astronaute nous les fait vivre par procuration. C’est la magie euphorisante du cinéma. Et on serait bien pisse-vinaigre d’y trouver à redire.

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Slava Ukraini ★☆☆☆

À l’automne 2022, Bernard-Henri Lévy s’est rendu dans l’est de l’Ukraine, sur la ligne de front. Il en ramène des images qui montrent la résistance des fiers soldats ukrainiens et les souffrances endurées par la population civile.

L’infatigable philosophe à la chemise blanche, tous cheveux au vent, nous livre le deuxième volet de ses carnets ukrainiens, après le premier, Pourquoi l’Ukraine, diffusé directement sur Arte. Si la guerre perdure, il est à craindre qu’un troisième vienne bientôt dont on peut par avance imaginer le titre : Ukraine, demain l’Europe ou encore La Bataille de Kherson.

Il faut reconnaître à ce septuagénaire toujours ingambe et qui porte beau, un certain courage. Sans doute n’a-t-il pas risqué sa vie, protégé par un long convoi de 4×4 superpuissantes et une troupe de bodyguards surentraînés. Mais il n’a pas dormi non plus dans des palaces cinq étoiles durant son équipée ukrainienne. Il aurait pu se contenter, comme tant d’autres philosophes de salon, de commenter à distance la guerre en Ukraine, en lançant depuis les chaînes d’information en direct quelques sentences définitives. À soixante-dix ans bien sonnés, il a le mérite de se colleter avec la réalité et « d’aller y voir ».

Qu’a-t-il vu à Kiev, à Kharkiv, à Kherson ? Des images tristement banales qui ne nous surprennent plus, nous autres, téléspectateurs tristement mithridatisés par le spectacle de la guerre : immeubles bombardés,  infrastructures détruites, militaires lourdement armés, civils frileusement emmitouflés…

Avec une infinie prudence – tant il devient difficile d’oser une opinion nuancée qui immédiatement sera suspectée de pencher en faveur du Kremlin – on pourrait lui reprocher son parti-pris revendiqué en faveur de l’Ukraine, victime innocente d’une guerre d’agression (ce qui est incontestable), défense avancée de l’Occident contre l’ogre russe (ce qui l’est déjà un peu plus), abandonnée à son sort par un Occident calfeutré dans son confort égoïste et aveugle à son héroïsme (ce qui l’est totalement eu égard à l’aide  massive déployée par les Etats-Unis et par l’Union européenne). J’ai retrouvé le même parti pris dans la lecture récente de Z comme zombie d’Iegor Gran dont je me demande si elle sert la cause ukrainienne ou bien si, à force d’outrances russophobes, elle finit par la desservir.
Plus objectivement, on peut lui reprocher son manque de recul. Slava Ukraini ne remet pas la guerre dans son contexte, n’en explique pas les causes, n’en détaille pas les enjeux. Tel n’est pas son sujet : on n’y verra que les choses que BHL a vues, ou du moins celles qu’il veut nous en montrer. Si vous cherchez à vous renseigner sur la guerre, passez votre chemin : ce documentaire n’est pas pour vous.

Mais il y a pire. Le principal reproche qu’on peut adresser à Slava Ukraini est le narcissisme de son héros/héraut. J’ai longtemps défendu BHL, reprochant à ceux qui le moquaient de ne pas l’avoir lu et les exhortant de le faire, tant ses écrits m’ont longtemps semblé lumineux et éclairants. Mais je dois me résoudre à renoncer à ce combat perdu d’avance. À force de se caricaturer, BHL est devenu indéfendable. En gilet pare-balles, le casque sur la tête, ou négligemment à la main, voguant sur le Dniepr, à portée de tir des snipers russes, ou s’enfonçant dans les tranchées du front à Lyman, la chemise toujours immaculée et largement ouverte sur un poitrail prêt à arrêter à lui seul un bataillon entier de chars russes, BHL est insupportable de vanité.

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