Un petit frère ★★☆☆

Un petit frère brosse la chronique pendant vingt ans d’une famille ivoirienne immigrée en France. Rose est arrivée à Paris en 1989, avec deux de ses quatre fils. Hébergée par un couple de parents, elle trouve un emploi de femme de ménage dans un hôtel. Éprise de liberté, elle refuse l’union avec Jules César, un compatriote que sa famille lui présente, et lui préfère une aventure sans lendemain avec un ouvrier tunisien du bâtiment.
Bientôt Rose part s’installer à Rouen pour rejoindre Thierry, son amoureux. Jean et Ernest, ses fils, l’accompagnent et grandissent.

Jeune Femme, le premier film de Leonor Serraille, avait reçu à sa sortie en 2017 un accueil enthousiaste – que j’étais un des rares à ne pas totalement partager. Il a fallu attendre plus de cinq ans la sortie du second, qui ne lui ressemble en rien. Rompant avec le portrait d’une femme de notre temps, Leonor Serraille s’attaque à un genre casse-gueule, la chronique familiale au long cours, sur plusieurs décennies. Plusieurs écueils la menacent : le rythme du récit, son unité, le vieillissement des personnages…

Le pari est relevé en trois tableaux qui, sans rompre avec le fil chronologique, se focalisent successivement sur Rose puis sur chacun de ses deux enfants. Ces trois tableaux brossent le portrait d’un beau personnage féminin qui aurait amplement mérité que le titre du film lui soit consacré : pourquoi diable évoque-t-il ce petit frère qui n’occupe finalement que la deuxième ou la troisième place ? Cette Mère courage, femme libre, attachante, passionnément dévouée à ses enfants est remarquablement interprétée par Annabelle Lengronne – alors que le comique Ahmed Sylla (L’Ascension, Le Dindon, Tout simplement noir…) ne convainc guère dans le rôle d’Ernest adulte.

Seule ombre au tableau que j’avoue le rouge au front tant elle est politiquement incorrecte : j’ai trouvé à ce Petit frère un peu trop de bien-pensance pour m’embarquer complètement.

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Aftersun ★★☆☆

Un père et sa fille partent passer une semaine en Turquie dans une résidence de vacances en bord de mer. Sophie (Frankie Corio) a onze ans. C’est une pré-ado vive et sensible. Calum (Paul Mescal, révélé par la série Normal People) est plus secret : on comprend qu’il est séparé de la mère de Sophie, qu’il a quitté l’Ecosse pour Londres, que le menace peut-être le gouffre de la dépression.
Une vingtaine d’années plus tard, Sophie, devenue adulte et mère de famille, se remémore cette parenthèse enchantée en revisionnant les images qu’elle en avait tourné avec sa caméra Super-8.

Aftersun provoque des réactions très contrastées. La critique est très positive. Elle salue un premier film « plein de grâce » (La Septième Obsession), « minimaliste et émouvant » (Les Echos), « délicat comme un tableau impressionniste » (Marie-Claire), « qui rejoue la victoire deleuzienne de l’image-temps sur l’image-mouvement, de la subjectivité sur le réel » (Les Inrocks). Bande à part évoque « chant d’amour filial au moment charnière de la fin de l’enfance, entre jaune soleil et bleus à l’âme », Transfuge  la « mélancolie proustienne [qui sourd] du paradis perdu de l’enfance ».

Les avis des spectateurs, à commencer par celui de l’amie qui m’avait convaincu d’aller hier le voir – alors que je penchais naturellement pour Astérix ou Avatar – sont nettement plus hostiles : « le prototype du film d’auteur ennuyant (sic) où rien ne se passe », « beaucoup plus de prétention que de talent », « film de festival (…) tape-à-l’œil et sans grand intérêt »…

Comme en témoignent mes deux étoiles mi-chèvre mi-chou, mon opinion est à mi-chemin de ces deux pôles radicalement opposés. J’ai été longtemps déconcerté par le faux rythme dans lequel Aftersun s’installe, attendant que le film commence, qu’il s’y passe quelque chose, escomptant un coup de théâtre (la mort par noyade de Sophie ? l’AVC de Callum ? des attouchements incestueux du père sur sa fille ?) alors que [SPOILER] rien ne se passe finalement. Comme bien d’autres spectateurs j’ai été surpris et frustré de cette attente vaine, éprouvant confusément le sentiment de m’être fait rouler par un film qui m’avait fait une promesse non tenue.
Mais à la réflexion, je me suis demandé si un film ne pouvait pas précisément fonctionner sur ce schéma là, celui du temps suspendu, de l’attente frustrée, du non-événement. Et préférant regarder le verre à moitié plein (la confusion des sentiments de cette pré-ado m’a beaucoup touché) que celui à moitié vide (je n’ai rien compris au personnage du père et à la crise qu’il traverse…. ou pas), j’ai décidé de ne pas honnir ce film malgré le peu de goût que j’aurai pris à le voir.

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Feu follet ★☆☆☆

En 2069 sur son lit de mort le roi Alfredo se remémore son passé. Encore prince, cinquante ans plus tôt, alors qu’il achevait ses études d’histoire de l’art, il avait obtenu de ses parents l’autorisation de travailler dans une brigade de sapeurs-pompiers. Il y était tombé amoureux de son instructeur, le bel Alfonso. Mais la mort du père d’Alfredo et son accession au trône avaient eu raison de cette idylle.

Sorti en salles en septembre dernier, désormais disponible en DVD, Feu Follet nous vient du Portugal. Son format est surprenant : il dure une heure et sept minutes seulement. Son style l’est encore plus : Feu Follet s’affiche comme une comédie musicale durant laquelle on verra à trois reprises les acteurs pousser la chansonnette et se lancer dans un ballet plus ou moins impromptu.

C’est surtout un film queer à la sensualité revendiquée et omniprésente. La passion que le jeune Alfredo nourrit pour la pinède royale est lourde d’arrière-pensées érotiques, de fiers troncs durs dressés, de montées de sève printanières. La caserne de pompiers où il est affecté est un nid d’éphèbes dénudés qui préparent la prochaine édition du calendrier. Les gestes de premier secours auxquels Alfonso initie Alfredo sont l’occasion de frôlements exquis.

Les deux jeunes gens se retrouvent bientôt seuls dans une forêt calcinée. Alfonso est nu, adossé à un arbre, dans une pose de Saint Sébastien. Alfredo ne reste pas habillé très longtemps. Les deux pompiers s’aiment en s’échangeant des mots doux qui résonnent avec le passé colonialiste du Portugal, leur différence de classe et leur différence de peaux.

Feu Follet est traversé par une légèreté qu’on trouvera, selon les cas, charmante ou superficielle. Son hédonisme joyeux est sans doute sa principale qualité, sa modestie son principal défaut.

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Maîtres ★★☆☆

Pendant quelques mois, le documentariste Swen de Pauw a planté sa caméra dans l’étude de trois avocates strasbourgeoises spécialisées en droit des étrangers. Il les filme en plein travail, face à leurs clients, plongées dans leurs dossiers, pendues au téléphone, dictant un courrier ou le regard vide à leur balcon tirant sur une cigarette. Face à elles défilent des demandeurs d’asile, des résidents en fin de droits, des étrangers qui aimeraient acquérir la nationalité française…. Autour d’elles, s’agite une ribambelle de stagiaires tandis que deux secrétaires d’un calme imperturbable gèrent le chaos.

Maîtres est un documentaire exigeant, pas toujours facile à comprendre et à suivre pour qui ne connaît rien au droit des étrangers. Il faut reconnaître, sans avoir nécessairement lu la dernière étude que le Conseil d’Etat lui a consacrée, que c’est un droit complexe aux frontières du droit civil, du droit administratif, du droit du travail. D’ailleurs cette complexité se reflète dans la répartition des tâches au sein du cabinet : c’est à Audrey Scarinoff, la jeune avocate fraîchement émoulue, qu’incombent les dossiers les plus ingrats, ceux jugés aux prudhommes, que lui confient ses deux aînées.

On peut y voir – et c’est d’ailleurs le sens que voudrait lui donner semble-t-il son affiche et le résumé que les distributeurs en font – un film militant sur la situation des étrangers en France et l’accueil déshumanisant que des services administratifs sans visage et des tribunaux débordés leur opposent.
Ce serait le déformer ou le réduire à ce qu’il n’est pas.

Car Maîtres est avant tout – et c’est sa principale vertu – un film sur le travail. Rien de plus ingrat, rien de moins sexy que de filmer des gens qui travaillent – surtout lorsqu’il s’agit d’un emploi de service exercé derrière son ordinateur dans des bureaux anonymes. Très souvent, les films de fiction ou les documentaires qui ambitionnent de rendre compte par exemple du travail d’un écrivain, d’un journaliste ou d’un haut fonctionnaire occultent cette dimension-là et ne montrent pas leurs personnages au « travail ».
Tel n’est pas le cas de ce documentaire profondément honnête qui se coltine cette réalité ingrate. Jamais il ne franchira la porte de ce cabinet, de ce phalanstère laborieux, de cette ruche pour s’autoriser des échappées belles, qui auraient été un peu faciles, au tribunal ou en préfecture par exemple.

On comprend que deux avocates se sont associées. Elles sont représentatives d’une profession de plus en plus féminisée – comme celle de magistrate. L’une, Christine Mengus a la soixantaine, de l’énergie à revendre et un sacré sens de l’humour. Elle n’hésite pas à chahuter ses clients, leur reprochant par exemple de ne pas l’avoir consultée plus tôt, avant que leur situation administrative ne devienne inextricable. Elle rappelle, toutes choses égales par ailleurs, la juge d’instruction belge de Ni juge, ni soumise. L’autre, Nohra Boukara, la quarantaine bien frappée, est plus militante même si ces convictions ne sont pas sans contradiction : si elle stigmatise les dérives d’un droit « colonialiste », elle exige d’un client qu’il renonce à sa culture patriarcale et embrasse spontanément l’égalité hommes-femmes.
Les deux femmes se sont adjoint les services d’une troisième avocate, Audrey Scarinoff, qui n’a pas trente ans. Il faut lire le dossier de presse pour comprendre qu’elle n’est pas encore associée – mais le deviendra peut-être. Il faut regarder l’annulaire de sa main gauche et y voir apparaître un diamant pour supputer qu’elle s’est fiancée pendant le tournage.

Maîtres devrait être montré à tous les avocats en formation. Ils y verraient, s’ils n’en sont pas déjà conscients, la grandeur et la servitude de leur profession et toucheraient du doigt ce qu’être « auxiliaire de justice » veut dire.

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La Dame du vendredi (1940) ★★☆☆

Journaliste brillante, formée à la dure par le rédacteur en chef  du Morning Post, Walter Burns (Cary Grant), qu’elle a épousé avant de s’en séparer, Hildy Johnson (Rosalind Russell) a décidé de quitter le métier pour se marier à un modeste employé de bureau d’Albany. Apprenant la nouvelle, Walter Burns, qui brûle de reconquérir son ancienne épouse, cherche à la retenir en lui demandant de couvrir les dernières heures d’un condamné à mort dont il est persuadé de l’innocence. Hildy, que la passion du journalisme n’a jamais quittée, accepte cette mission et va se retrouver impliquée dans la rocambolesque évasion du prisonnier.

La Dame du vendredi est peut-être un des films hollywoodiens les plus mythiques. Howard Hawks adapte une pièce de théâtre de 1928 The Front Page sur la presse, la justice et la corruption de la politique dont l’action en trois actes se déroulait dans la salle de presse du tribunal de Chicago au-dessus de la potence où un condamné à mort allait être pendu. La pièce n’avait rien de drôle ; mais Hawks en transforme radicalement le sujet et l’esprit en changeant le sexe de son personnage principal, Hildy Johnson, confié sur les planches à un homme. La Dame du vendredi – traduction calamiteuse de His Girl Friday, allusion à peine voilée au Vendredi de Robinson – devient une screwball comedy loufoque à souhait, célèbre pour ses dialogues à la mitraillette.
La Dame du vendredi est aussi un film profondément féministe qui met son héroïne en valeur, dès son premier plan où on la voit traverser majestueusement la salle de presse du Post. Le rôle avait été proposé à Ginger Rogers, Claudette Colbert ou Carole Lombard. Il échut à Rosalind Russell qui n’acquit pas la célébrité de ses concurrentes mais n’en est pas moins éblouissante.

Il est sacrilège de trouver à redire à ce chef d’oeuvre de la comédie américaine. Cary Grant y est d’un charme étincelant. Les dialogues sont un feu d’artifice. Pour autant, à mon grand désarroi, j’avoue que je m’y suis un peu ennuyé. Je m’y suis ennuyé comme je m’ennuie devant La Joconde. Parce que la perfection, à un tel niveau, lasse. Parce que l’oeuvre est trop lisse, trop impeccable, trop prévisible aussi, pour provoquer chez moi une surprise, une interrogation.

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Ashkal ★☆☆☆

Dans Les Jardins de Carthage (ça commence comme Salammbô), un complexe immobilier laissé à l’abandon en périphérie de Tunis dont la construction avait été interrompue à la chute de Ben Ali, un gardien d’immeuble meurt brûlé vif. S’est-il immolé ? A-t-il été tué ? Bientôt, dans les mêmes circonstances, une jeune employée de maison perd la vie. Deux policiers mènent l’enquête, sur fond de corruption endémique au sein de la police tunisienne et de règlements de comptes : Batal, un père de famille pris dans un conflit de loyauté, et Fatma, une jeune policière dont le père siège à la Commission Vérité et Réconciliation.

Il y a quelques mois, Harka faisait le constat amer de l’anomie de la société tunisienne, libérée de la dictature mais incapable de faire une place aux plus démunis de ses membres. Il se terminait par l’immolation de son héros devant les grilles du gouvernorat de Sidi Bouzid, sur les lieux mêmes où Mohamed Bouazizi s’était immolé le 10 décembre 2010, déclenchant la « Révolution de jasmin ». Ashkal utilise la même figure traumatisante du brûlé vif. Mais il laisse planer un doute sur les motifs de ces immolations à répétition. S’agit-il de meurtres dont il faut trouver le coupable ? ou d’une vague de suicides ?

La question, posée dès la bande-annonce, est stimulante. Elle promet un film qui oscille entre polar et fantastique, avec l’once d’exotisme que garantit son tournage en Tunisie et la dimension politique que permet en arrière-plan la description de cette société fracturée.
Mais hélas, le film ne démarre jamais. La multiplication des immolations et quelques courses poursuites hideusement filmées dans le ventre de ces immeubles en construction ne relancent jamais l’histoire qui fait du surplace.
Lentement mais sûrement, on se désintéresse d’Ashkal. Et la scène finale, que j’ai trouvée particulièrement grotesque, ni ne donne les réponses aux questions que le film avait soulevées, ni ne lui apporte une profondeur qui décidément lui aura manqué.

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Interdit aux chiens et aux Italiens ★★☆☆

Les grands-parents de Alain Ughetto sont originaires d’un petit village du Piémont. Ils ont émigré en France dans les années 30 après avoir été en butte au fascisme et à la misère. Le grand-père, Luigi, avait participé à la construction du tunnel du Simplon. En France, il a construit le barrage de Génissiat sur le Rhône. Avec des personnages en pâte à modeler, filmés en stop motion, des morceaux de charbon, de sucre, des châtaignes et même sa propre main qu’on voit de temps en temps entrer dans le champ, le réalisateur de Jasmine raconte avec ironie leur histoire.

Interdit aux chiens et aux Italiens est un film d’animation attachant dont le titre et l’affiche donnent le ton : la tendresse nostalgique d’un roman familial de l’immigration italienne dans la France pas toujours accueillante du début du XXième siècle.

Il n’y a guère de reproches à faire à son réalisateur, dont on imagine volontiers l’investissement qu’il a mis dans cette oeuvre très personnelle, sinon peut-être celui de la bien-pensance. Les membres de sa famille sont parés de toutes les vertus au point de se réduire à des caricatures auxquelles il est difficile de s’attacher. Son autre défaut est paradoxal : à force de trop se focaliser sur l’histoire de ses seuls grands-parents, dont certains aspects ne présentent pas beaucoup d’intérêt, le film se prive de l’ambition plus vaste de raconter celle de l’immigration italienne en France au début du XXième siècle.

J’ai vu ce film au MK2 Beaubourg dans une salle archi comble le week-end dernier. Les parents étaient venus avec leurs enfants. J’ai eu l’impression que ceux-ci se dandinaient d’ennui sur leurs sièges. Car ce film – même s’il ne contient aucune scène de nature à choquer un jeune public – ne leur est clairement pas destiné. Quant aux parents, qu’ils aient ou pas une ascendance italienne dans laquelle ils se sont reconnus, se sont-ils aussi gentiment ennuyés ?

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Retour à Séoul ★★★☆

Frédérique (Park Ji-Min) est née en Corée. Abandonnée à sa naissance, vingt-cinq ans plus tôt, elle a été recueillie par une famille française aimante et a grandi dans le Lot sans contact avec son pays d’origine. Elle y revient un peu par hasard en 2013 et, alors même qu’elle n’en avait pas formulé consciemment le projet, part à la recherche de ses parents biologiques.

Retour à Séoul traite sur un mode romanesque d’un sujet qui a déjà fait l’objet de bien des documentaires : l’adoption internationale. Avec beaucoup de finesse, Une histoire à soi suivait cinq adoptés dans leurs voyages vers leurs pays de naissance pour y renouer avec une immense émotion les liens avec leurs familles biologiques. Un autre documentaire m’avait marqué, consacré au jeune directeur artistique de Balmain, Olivier Rousteing, né sous X qui racontait son parcours semé d’embûches à la recherche de sa mère biologique.

Le stéréotype voudrait que l’adopté.e cache une blessure intime, une faille existentielle que la réunion avec ses parents biologiques viendrait soigner, la seule incertitude étant l’issue, fructueuse ou infructueuse, de cette démarche : l’enfant retrouvera-t-il ses parents ? cette réunion sera-t-elle apaisée ou conflictuelle ?
Avec beaucoup d’intelligence, Retour à Séoul renverse ce stéréotype en mettant en scène une héroïne solide dans ses baskets, nullement tenaillée par la quête de ses origines. On me répondra qu’elle l’était peut-être inconsciemment. Je m’accroche à l’idée qu’elle ne l’était pas car son personnage me semble plus intéressant s’il ne reproduit pas le stéréotype que je viens d’évoquer.
Je comprends les évolutions du personnage – dont hélas je ne dirai pas plus sauf à entamer la surprise qu’on aura à les découvrir – comme les conséquences des événements qu’elle vit non comme la révélation de son état préexistant. Cette phrase pourra sembler bien floue à qui n’a pas vu le film ; j’espère qu’elle le sera moins pour ceux qui l’ont déjà vu.

Mais avant d’en arriver là, Davy Chou, un réalisateur franco-cambodgien qui, lui aussi, s’est construit à cheval entre deux cultures, filme une situation rarement décrite au cinéma : celle de l’étranger à son propre pays. Tout dans la physionomie de Frédérique la désigne comme une Coréenne. Mais ce pays, où elle est née en effet, mais où elle n’avait jamais remis les pieds, dont elle ne parle pas la langue, dont elle ne connaît ni la culture ni les usages, lui est totalement étranger. Suis-je d’ici (en Corée), se demande-t-elle muettement, alors que, au tréfonds de moi, dans l’histoire personnelle de mes vingt-cinq années, j’appartiens à là-bas (la France) ?

De chaque plan, Park Ji-Min prête ses traits à l’héroïne de Retour à Séoul. C’est une actrice amatrice dont c’est le premier film. Elle y est parfaite. La variété de son jeu est aussi étonnante que celle de son apparence physique : j’ai passé tout le film à me demander si elle était belle ou banale. Son personnage m’a fait penser à celui de la jeune violoncelliste russe de Tár, vu la veille : l’une comme l’autre tracent leurs voies dans la vie sans regarder derrière elles, avec un mélange de fougue, d’absence de scrupules et de charme qui caractérise peut-être les millenials.

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Tár ★★★☆

Lydia Tár (Cate Blanchett) est une star. Elle dirige l’orchestre philharmonique de Berlin, s’apprête à publier sa biographie et à boucler pour la Deutsche Grammophon l’enregistrement de l’intégrale des symphonies de Mahler. Accompagnée de Francesca (Noémie Merlant), sa fidèle assistante, elle vit entre New York et Berlin où habitent son épouse Sharon (Nina Hoss), premier violon à la Philharmonie, et leur fille Petra.
La maestro est au sommet de sa carrière. Mais une série d’événements provoquera sa chute.

Tár est un film intimidant. Intimidant par les critiques qui le précèdent, par la pluie d’Oscars qui lui est promise. Intimidant par sa durée (2h38). Intimidant par la prestation immédiatement canonisée de Cate Blanchett. Intimidant enfin par son sujet – la musique symphonique – et ses décors – les immenses appartements glacés d’un Berlin automnal.

Tár est un film profondément cérébral qui tangente plusieurs sujets très contemporains : la cancel culture, #MeToo, la masculinité toxique. Il a le culot de les évoquer non pas, comme moult productions hollywoodiennes, au demeurant très réussies, du point de vue de la bien-pensance ou du politiquement correct (je pense à She Said que j’ai beaucoup aimé) mais au contraire à travers une héroïne à laquelle il fait endosser le mauvais rôle. C’est elle qui, dans une scène d’anthologie, ridiculise un de ses élèves, noir qui plus est, pour avoir exprimé son manque de goût pour Bach auquel le jeune homme woke reproche d’être un compositeur blanc et cisgenre. C’est elle qui repousse les appels à l’aide d’une de ses anciennes protégées et l’accule au suicide. C’est elle qui, au risque d’humilier son épouse, s’entiche d’une jeune violoncelliste russe, la recrute et la promeut (la façon dont la jeune femme répond à ses avances est remarquable de finesse et de cruauté).

Tár n’est pas un film plaisant et ne cherche pas à l’être. Mais est-il pour autant un film déplaisant ? C’est le reproche qu’on pourrait lui faire. C’est le reproche que j’ai été sur le point  de lui faire, hésitant jusqu’au point final de cette critique à lui mettre une étoile de moins – là où d’autres peut-être me reprocheront de ne pas lui mettre une étoile de plus.
En particulier, le jeu de Cate Blanchett m’inspire quelques réserves. Cette voix dissonante, dans un concert de louanges, est sacrilège à l’égard de celle qui semble au zénith de sa carrière et dont on voit mal comment l’Oscar pourrait lui échapper. Je reproche à la star australienne son « huppertisation ». Cette accusation cinglante sous ma plume mérite quelques explications. Le principal blâme que j’adresse à la star française est son omniprésence. Je n’en blâme pas Cate Blanchett. Mais je lui reproche de s’enfermer dans le même jeu qu’Isabelle Huppert : celui d’une femme froide et forte, d’une impériale beauté, d’un glaçant égoïsme. Je reproche à ce jeu-là son manque de générosité, de tendresse, de chaleur, d’humour. Je déplore aussi son manque de finesse.

Pour autant, il serait bien mesquin de refuser à Tár la place qui lui revient parmi les meilleurs films de cette année nouvelle qui s’annonce décidément très riche. Comme Babylon, c’est un film exigeant, c’est un film intelligent, c’est un film qui nous élève.

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Coma ☆☆☆☆

Une adolescente (Louise Labèque, découverte dans Zombi Child) est recluse dans sa chambre. Son seul contact avec le monde extérieur est Internet. Elle est fidèle à la chaîne de la YouTubeuse Patricia Coma (Julia Faure) qui vend des gadgets et distille des conseils de vie dérangeants. Elle retrouve ses amies sur Face Time. Elle joue avec ses poupées Barbie et Ken – auxquelles le regretté Gaspard Ulliel, Laetitia Casta, Louis Garrel et Anaïs Demoustier prêtent leurs voix. La nuit, dans ses cauchemars, elle rejoint une forêt obscure peuplée d’ombres inquiétantes.

Le cinéma de Bertrand Bonello a le mérite de l’originalité : L’Apollonide, Saint Laurent, Nocturama, Zombi Child…. Il a ses inconditionnels afficionados. Il a aussi le don de m’horripiler. Je le trouve paresseux, creux, vain. Filmé à l’économie, Coma pousse au paroxysme ces défauts à mon sens rédhibitoires. Il mêle dans un grand n’importe quoi soi-disant lynchien une interview de Deleuze, des plans de rue en split screen filmés par des caméras de vidéosurveillance, des cartons de dessin animé, une lettre ouverte du réalisateur à sa fille (dont la lecture du dossier de presse nous apprend qu’elle a le même âge que l’actrice qui interprète l’héroïne), etc.

Pendant vingt minutes, on écarquille les yeux, étonné. Pendant l’heure qui suit, on les ferme, écrasé par l’ennui, dérouté par une accumulation aussi grotesque de non-sens prétentieux.

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