Music Hole ★★★☆

Francis est le nouveau comptable d’un cabaret miteux de Charleroi que dirige un patron autoritaire aux pratiques mafieuses. Le couple qu’il forme avec Martine, son épouse, bat de l’aîle. Mais leur mésentente conjugale n’explique pas que Francis découvre, au lendemain d’une nuit bien arrosée, dans son congélateur, la tête tranchée de son épouse. Comment est-elle arrivée là ? Comment Francis réussira-t-il à s’innocenter du crime dont on l’accuse immédiatement ?

Music Hole nous vient de Belgique précédé d’une réputation flatteuse et en tous points méritée. C’est une étonnante réussite.
Comme d’autres films d’outre-Quiévrain (C’est arrivé près de chez vous, Dikkenek, La Merditude des choses, Ni juge ni soumise, Belgica…), Music Hole manie un humour belge volontiers scatologique, qui choquera peut-être les bégueules, mais fera hurler de rire tous les autres.

Mais Music Hole ne se réduit pas à une enfilade de blagues grasses. C’est un scénario complètement déjanté, qui rappelle Fargo ou Pulp Fiction, qui voit se croiser des losers sympathiques, des tueurs à gages maladroits et de fausses femmes fatales.

Le montage du film est sa troisième et sa plus grande qualité. Le scénario, complètement déstructuré, multiplie les flashbacks et les flash-forwards. Il faut s’accrocher dans les premières minutes pour ne perdre aucun détail. Mais bien vite, les pièces du puzzle s’agencent les unes aux autres donnant à un récit, pourtant sacrément alambiqué, sa parfaite lisibilité.

Une réussite enthousiasmante à consommer bien frais pour oublier la canicule estivale !

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Les Nuits de Mashhad ★★☆☆

À Mashhad, la ville sainte d’Iran, à la frontière de l’Afghanistan, un tueur en série a assassiné en 2000 et en 2011 une quinzaine de prostituées. Il les attirait chez lui, les étranglait et se débarrassait de leurs dépouilles dans des terrains vagues. Son procès déchira l’opinion publique iranienne, une partie d’entre elle prenant fait et cause pour lui, estimant qu’il faisait œuvre de salubrité publique en libérant la ville de femmes de mauvaise vie.

Le réalisateur Ali Abbasi, né en Iran, mais aujourd’hui installé en Suède, s’est saisi de ce fait divers. Il n’a pas eu le droit de tourner en Iran et a reconstitué les lieux en Jordanie. Son film  précédent, Border, m’avait enthousiasmé – au point de figurer dans mon Top 10 en 2019 ; mais Les Nuits de Mashhad ne lui ressemble en rien.

Impressionné par ce fait divers, Ali Abbasi a eu l’idée d’inventer une courageuse journaliste. Palliant l’impéritie de la police qui, par incompétence ou par refus tacite, néglige l’enquête, elle traque elle-même le tueur en série au risque de sa vie. Le rôle joué par Zar Amir Ebrahimi lui a valu le prix d’interprétation féminine à Cannes. Sans doute le personnage est-il courageux et l’actrice l’interprète-t-elle avec une belle conviction. Mais de là à lui décerner un prix, il y a un pas que seule la bien-pensance – et l’absence de toute autre récompense octroyée à ce film au palmarès cannois – permet d’expliquer.

Les Nuits de Mashhad est un film violent. Il est d’ailleurs à bon droit interdit aux moins de douze ans. Il filme longuement l’agonie de trois femmes selon le même modus operandi. Certaines critiques lui reprochent, non sans motif, sa complaisance et son voyeurisme.
Il ne s’agit pas d’un polar à proprement parler. Il n’y a aucun doute sur l’identité du meurtrier, Saeed, un maçon, marié et père de famille, dont la caméra suit la vie sans histoire. Parallèlement, elle suit cette journaliste qui rencontre plusieurs obstacles pour mener à bien son enquête, le moindre n’étant pas l’inertie des autorités religieuses.

Quitte à déflorer le scénario – lecteurs allergiques aux spoilers, n’allez pas plus loin – il faut dire que le film compte une seconde partie après l’arrestation de Saeed. Il change de registre : il passe du thriller nocturne et poisseux au procès et aux enjeux politiques qu’il soulève. Hélas, Les Nuits de Mashhad est déjà bien entamé et semble manquer de temps pour développer cette partie-là. C’est d’autant plus dommage que c’était peut-être le plus intéressant. On est frustré d’un procès bâclé en quelques minutes à peine. On aurait aimé que le réalisateur prenne son temps pour nous raconter, en changeant peut-être de focale, et en se plaçant cette fois-ci du point de vue des autorités, le défi posé par un meurtrier invoquant la même idéologie moralisatrice et misogyne que celle de ses juges.

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Rifkin’s Festival ★☆☆☆

Leo Rifkin (Wallace Shawn) accompagne sa jeune épouse, Sue (Gina Gershon), au festival de Saint-Sebastien. Il la suspecte, non sans raison, d’être attirée par Philippe (Louis Garrel), le brillant réalisateur français dont elle gère les relations publiques. Leo vit mal la lente érosoion de son couple … et se console auprès d’une jeune doctoresse espagnole (Elena Anaya), mariée à un peintre infidèle (Sergio Lopez).

Woody Allen nous revient enfin, trois ans après la sortie controversée de Un jour de pluie à New York, avec un film tourné en 2019 au nord de l’Espagne, nouvelle étape du tour d’Europe que le réalisateur new-yorkais a entrepris, de Londres (Match Point) à Rome (To Rome with Love), en passant par Paris (Minuit à Paris), Barcelone (Vicky Cristina Barcelona) et la Côte d’Azur (Magic in the Moonlight).

C’est son quarante-neuvième opus. Et c’est, à quatre-vingt-six ans, sans doute l’un de ses derniers. On aimerait dire qu’il est au sommet de son art et qu’on prend toujours autant de plaisir à le retrouver – il fut un temps où ces retrouvailles avaient lieu métronomiquement chaque année à l’automne et constituaient presque un rite – en essayant de faire abstraction des graves accusations d’abus sexuels sur sa fille qui pèsent contre lui.

Hélas force est de reconnaître que Rifkin’s Festival n’est pas un grand film. Refusant de – ou ne pouvant plus – se mettre en scène lui-même, Woody Allen a demandé à Wallace Shawn, qui depuis Manhattan a régulièrement collaboré avec lui, d’interpréter son double de cinéma. Comme à chaque fois, il est assez troublant de découvrir un acteur essayer de singer les mimiques et les intonations du réalisateur qui le dirige (ainsi de la scène muette où Leo entend dans le cabinet du Dr Rojas la conversation téléphonique particulièrement violente entre la docteur et son époux).

Leo Rifkin joue le rôle d’un professeur de cinéma un peu has been qui voue une admiration révérencieuse aux grands maîtres européens, au point de revivre en rêve certaines de leurs scènes les plus mythiques. C’est l’occasion de neuf remakes plus ou moins réussis de scènes iconiques de Fellini, Truffaut, Lelouch Godard, Buñuel ou Bergman…. Aux antipodes, Philippe incarne un réalisateur français adulé par la critique qui débite des phrases creuses sur la violence de la guerre et la faim dans le monde.

Mais l’essentiel de Rifkin’s Festival n’est pas là. Il est, comme toujours, dans son héros, dans ses amours contrariées et dans ses interrogations métaphysiques. On les connaît depuis si longtemps qu’on est partagé entre le plaisir régressif de les réentendre et l’ennui de les rabâcher.

Espérons que Woody Allen tourne encore un film ou deux pour ne pas partir sur cette fausse note-là.

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Cahiers noirs ★★☆☆

L’actrice israélienne Ronit Elkabetz est morte en 2016 des suites d’un cancer du poumon. Elle avait co-réalisé avec son frère cadet, Shlomi, une trilogie bouleversante librement inspirée de la vie de ses parents, Juifs séfarades immigrés du Maroc : Prendre femme (2004), Les Sept Jours (2008) et Le Procès de Vivian Amsellem (2014). C’est ce frère qui a remonté les images de sa sœur captées sur le vif avec sa caméra pour lui consacrer un documentaire en deux volets de près de deux heures chacun.

Ce long hommage documente les dix dernières années de la vie de Ronit, qui vit entre Paris et Israël. Paris symbolise pour elle la créativité, la liberté – une déclaration d’amour sacrément décapante pour les Parisiens scrogneugneux que nous sommes plus prompts à critiquer la saleté de notre capitale que sa beauté à laquelle seuls les étrangers semblent sensibles. Elle y a un bel appartement qu’elle partage avec son frère. Mais elle rentre régulièrement en Israël retrouver ses parents – qui vivent mal l’autobiographie à peine voilée que son frère et elle sont en train de tourner. C’est aussi en Israël qu’elle rencontre l’architecte qu’elle épouse en 2010 et dont elle a deux jumeaux en 2012 – que la mort de leur mère laissera orphelins quatre ans plus tard.

Cahiers noirs nous frustre en ne nous montrant de l’écriture et du tournage des trois films réalisés par Ronit et Shlomi que quelques séquences dissymétriques. Du tournage de Prendre femme, on ne verra rien pour se concentrer sur sa réception et les éloges qu’il a reçus (notamment du Masque et la Plume dont Ronit écoute, au comble de l’angoisse et bientôt de la joie, la critique intelligente et élogieuse). On saute par dessus Les Sept Jours. En revanche, on voit de longs extraits du tournage du Procès

Quand elle tourne ce dernier film, Ronit Elkabetz est déjà gravement malade. On ne sait pas si elle sait que son mal sera irréversible ; mais le spectateur sait en la regardant qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre. Ces images n’en sont que d’autant plus poignantes. Elles le sont tellement qu’à la longue elles en deviennent malaisantes. On aurait aimé plus de pudeur à ces Cahiers noirs.

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Je tremble ô matador ★☆☆☆

Au Chili, en pleine dictature, un travesti vieillissant accepte de garder dans son appartement du matériel compromettant par amour pour un jeune révolutionnaire qui planifie un attentat contre le général Pinochet.

Je tremble ô matador est l’adaptation d’un roman autobiographique écrit en 2001 par un écrivain LGBT. Son sujet, son époque, son acteur principal nous rappellent les films de Pablo Larraín et notamment Santiago 73 Post Mortem où Alfredo Castro, déjà lui, interprétait le rôle glaçant d’un employé de la morgue de Santiago au moment du coup d’Etat qui porta Pinochet au pouvoir.

Dans Je tremble… Alfredo Castro est une fois encore magistral dans le rôle d’un vieux travesti décati. Le problème est que son rôle est par trop univoque : on a tôt fait de comprendre que sous ses airs de grande folle, il cache un cœur meurtri par des années d’humiliations et d’injures.
Sans doute le film souligne-t-il que les dictatures d’extrême droite comme les révolutions marxistes charrient les unes comme les autres un vieux fond d’homophobie. Mais cette analyse politique, aussi juste soit-elle, ne suffit pas à faire un film.

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La Nuit du 12 ★★★☆

Le capitaine Yohan Vivès (Bastien Bouillon) vient à peine d’être promu à la tête d’une équipe de la PJ de Grenoble qu’on lui confie le dossier d’un féminicide commis à Saint-Jean de Maurienne : Clara a été brûlée vive au retour d’une soirée entre amis. Avec Marceau (Bouli Lanners), un collègue expérimenté mais aigri, il mène l’enquête. Clara avait eu beaucoup d’amants qui sont passés au crible, se révèlent pour la plupart lâches et vils, mais qui possèdent tous un alibi.

Dominik Moll a passé l’âge d’être un espoir du cinéma français. À soixante ans passés, sa carrière est derrière lui. En 2000, il faisait sensation avec Harry, un ami qui vous veut du bien. Mais il ne réussissait jamais à transformer l’essai. On le retrouvait presque vingt ans plus tard avec Seules les bêtes, un film qui m’a enthousiasmé et que seule ma pusillanimité m’a retenu de lui donner quatre étoiles. La vérité oblige à dire qu’il devait énormément au roman dont il était tiré de Colin Niel.

Comme Seules les bêtes, La Nuit du 12 est tiré d’un livre. Il s’agit d’un essai autobiographique d’une jeune autrice, Pauline Guéna, qui a passé une année en immersion à la PJ de Versailles. De ce livre et d’une solide documentation du métier de policier, Dominik Moll a tiré un récit très charpenté qui pointe l’épuisement d’un service public, rongé jusqu’à l’os par la compression des budgets. Dans un court chapitre, Pauline Guéna évoque brièvement une affaire, le meurtre d’une jeune femme brûlée vive, et l’obsession qu’elle a suscitée chez un des inspecteurs.

C’est cette obsession qui a inspiré Dominik Moll et son co-scénariste Gilles Marchand. C’est autour d’elle qu’est construit le film remarquablement interprété par Bastien Bouillon qui creuse lentement sa place dans le cinéma français (on l’avait déjà vu dans Seules les bêtes, Le Mystère Henri Pick, La Promesse de l’aube, etc.).

Mais ce polar prend une envergure inattendue en élargissant son spectre. Comme l’excellent Laëtitia, le livre magistral que le meurtre sordide de la jeune Laetitia près de Nantes avait inspiré à Ivan Jablonka puis la remarquable mini-série qui en avait été tirée, La Nuit du 12 part d’un fait divers pour faire le procès du masculinisme. Clara devient le symbole de ces femmes tuées par un machisme toxique, par une veulerie mâle structurée autour de l’exercice de la domination masculine.
Le propos est puissamment dans l’air du temps. Il frappe fort. Il touche juste.

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L’Equipier ★★☆☆

Dominique Chabol (Louis Talpe) est un cycliste vieillissant qui, depuis près de vingt ans, assure au sein de son équipe, le rôle de « domestique » pour le leader de son équipe : il le protège du vent, le tire dans sa roue… et s’efface avant le sprint final.
Lorsque le Tour de France prend en 1998 son départ d’Irlande, Dom est au crépuscule de sa carrière. Comme la plupart de ses camarades, il se dope en toute illégalité pour garder le rythme. mais il ignore si son contrat sera renouvelé.

On dit souvent que les films sur le sport professionnel sont ratés, qu’ils peinent à rendre compte de la réalité de l’engagement physique, qu’il s’agisse du football, du tennis ou du vélo. Il est vrai qu’aucun ne figure parmi les chefs d’oeuvre du cinéma si ce n’est peut-être Les Chariots de feu sur l’athlétisme durant les tout premiers Jeux olympiques – servi par la musique iconique de Vangelis.

Des héros à vélo, le cinéma en a filmé quelques uns : Charlot, le voleur de bicyclettes, Monsieur Hulot… Mais des films sur le cyclisme, il n’y en pas eu tant que ça. En 2015, dans The Program, le grand Stephen Frears s’est essayé avec un succès mitigé à raconter l’histoire de Lance Armstrong.

L’Equipier entrelace plusieurs sujets au risque de la surcharge : son arrière-plan est l’affaire Festina et la révélation lors du Tour 1998 des dopages massifs à l’EPO dans tout le peloton. Mais son vrai sujet, c’est son héros, au rôle ingrat : maman, grand frère, souffre-douleur, il doit s’effacer devant son leader et en supporter les sautes d’humeur.
Mais c’est aussi le portrait d’un sportif au crépuscule de sa carrière. Une carrière en demi-teinte qui lui a certes permis de sillonner les cinq continents, mais surtout, de son propre aveu, pour bouffer du macadam, le nez dans le cul des autres coureurs.

Ce portrait là n’est pas d’une inventivité renversante. L’Equipier aurait d’ailleurs pu faire l’économie de l’histoire d’amour qui se noue entre Dom et une jeune docteure. Mais il est suffisamment sensible et original pour faire de L’Equipier une bonne surprise cinématographique qui plaira aux amateurs de vélo et aux autres.

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Les Goûts et les Couleurs ★★★☆

Marcia (Rebecca Marder) s’est liée d’amitié avec Daredjane (Judith Chemla), une vieille icône pop qui vit recluse dans son appartement. Marcia compose avec elle quelques chansons avant sa brutale disparition. Pour pouvoir en utiliser les droits, Marcia doit convaincre Anthony (Félix Moati), son seul héritier. Mais tout oppose la belle bobo parisienne et le beau beauf de Bures-sur-Yvette.

Le cinéma de Michel Leclerc – né en 1951 à Bures-sur-Yvette – suscite une sympathie spontanée. On avait adoré Le Nom des gens dont quelques scènes restent gravées dans la mémoire – comme celle où le personnage interprété par Sara Forestier découvre effarée qu’elle vient de voter par erreur pour Sarkozy à l’élection présidentielle. On avait presqu’autant aimé La Lutte des classes – et ri aux larmes à la scène où Leïla Bekhti et Edouard Baer tentaient en vain de convaincre un directeur d’école catholique d’accepter leur enfant, en dépit des paroles pour le moins anti-papistes chantées par le personnage d’Edouard Baer dans son dernier single.

Aussi c’est avec beaucoup d’indulgence qu’on jugera son dernier film, co-écrit comme les précédents avec sa compagne Baya Kasmi – qui fait deux caméos hilarants. Comme l’annonce son titre, le sujet est aussi politique que ceux de ses précédents films : si « les goûts et les couleurs ne se discutent pas », ils sont sur-déterminés par nos origines sociales et culturelles. Entre la belle intello parisienne et bisexuelle interprétée par Rebecca Marder, avec une grâce qui sautait déjà aux yeux dans Une jeune fille qui va bien, et le beauf amateur de rap, joué avec une énergie désopilante par le toujours juste Félix Moati, l’histoire d’amour semble à la fois inévitable – c’est sur sa promesse que le film est construit – et impossible.

Le scénario aurait pu paresseusement se borner à explorer cette trame-là. Mais il est autrement plus riche. Il invente un personnage hors normes pour rapprocher les deux héros, une icône pop, mélange de Janis Joplin et de Catherine Ringer, dont la mort pose la question de son héritage financier et artistique : Marcia s’érige en défenseuse de l’intégrité de l’oeuvre de Daredjane alors qu’Anthony, par appât du gain et par manque de sensibilité, est prêt à la dénaturer.

La première heure du film ne m’avait pas vraiment convaincu. J’avais trouvé en particulier que Judith Chemla, grossièrement grimée, y livrait une prestation caricaturale et vaguement embarrassante. Mais sa seconde partie a emporté mon adhesion : le charme de Rebecca Marder – qui possède peut-être la bouche la plus pulpeuse du cinéma français ex aequo avec Mélanie Thierry – et celui de Félix Moati y ont été pour beaucoup.

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En roue libre ☆☆☆☆

Infirmière quadragénaire harassée de travail, divorcée, loin de son fils parti étudier en Australie, presqu’orpheline, Louise est prise un beau jour d’une crise de panique qui lui interdit de sortir de sa vieille Volvo Break. Son chemin croise celui de Paul (Benjamin Voisin) qui a décidé de voler une voiture pour traverser la France et venger son frère aîné. Les voilà tous les deux embarqués à leur corps défendant dans un road movie à travers la France.

Je n’aime pas qu’on critique le « cinéma français », une expression qui, selon moi, peine à rendre compte de la richesse et de la diversité des deux cents/trois cents films français sortis chaque année et qui surtout charrie une sorte de « haine de soi » anti-nationale sans fondement.

Pour autant, à la sortie de la salle, consterné par le ratage complet de ce film, je suis à deux doigts d’entonner cette antienne-là, tant En roue libre accumule tous les défauts dont on accuse routinièrement ce cinéma-là.

Il est bâti sur l’idée mille fois utilisée du buddy movie, le film qui réunit deux personnages que tout sépare : ici le jeune homme qui flirte avec la délinquance et la femme mûre en pleine crise de la quarantaine. Ces deux personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer commencent par se croiser. Bien entendu, le premier contact est rude sinon conflictuel. Mais lentement, les deux comparses s’apprivoiseront, feront des concessions, accepteront de s’écouter et finiront par s’entendre.

Le duo se déplace. C’est la règle de base du road movie. Ici dans une curieuse traversée de la France de Beaune au cap Ferret dont on ne reconnaît pourtant aucune des étapes. Le duo fait aussi des rencontres, dont l’utilité semble se réduire à permettre au film d’atteindre la durée syndiquée de quatre-vingt-dix minutes. Ici une autostoppeuse photosensible et un gastro-entérologue psychologue.
Le duo enfin arrive à destination. Car il faut bien que le film se termine. Il le fait ici par une scène faussement lyrique qui frise le ridicule.

En roue libre est, au propre comme au figuré, un naufrage. C’est une comédie qui ne fait pas rire (je n’ai pas entendu un seul rire dans la salle). C’est un drame qui n’émeut pas.

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Decision To Leave ★☆☆☆

L’inspecteur Hae-Joon enquête avec un collègue sur le décès d’un fonctionnaire de l’immigration, qui a trouvé la mort dans des circonstances mystérieuses lors d’une course en montagne. Ses soupçons le portent vers la veuve du défunt, Sore, une femme d’origine chinoise.
Deux ans plus tard, quand Hae-Joon aura eu une nouvelle affectation, un nouveau crime irrésolu lui fera à nouveau croiser le chemin de Sore.

Sorti le 29 juin, précédé d’un prix de la mise en scène à Cannes Decision To Leave a vite été désigné comme le meilleur film du mois. Les critiques élogieuses se sont succédées. Decision To leave surfe sur la mode du cinéma asiatique (tous les cinéphiles se sont enthousiasmés pour Drive my Car) et sur celle du cinéma coréen depuis la Palme d’or hautement méritée de Parasite. Ils pouvaient être sûrs d’avancer dans des eaux connues avec Park Chan-Wook dont les oeuvres précédentes avaient administré la preuve de la solidité. Cerise sur le gâteau : Le Monde annonçait le mélange réussi de Vertigo et de In the Mood for Love. Rien moins !

C’est donc les yeux fermés et avec beaucoup de gourmandise que je me suis précipité au cinéma combler mon retard et voir Decision To Leave.

Quelle déception ! Une déception qui reposait en fait sur un horrible contre-sens. Je m’attendais à un film policier à l’intrigue très complexe, où chaque détail d’une enquête compliquée prendrait un jour nouveau lors d’un époustouflant retournement final. Aussi, essayais-je – tant bien que mal – de me concentrer sur chaque scène. Erreur funeste ! Aussi grande que fut mon attention – dont force m’est de reconnaître qu’à mon âge avancé et à l’heure de la sieste, elle est de plus en plus flageolante – je n’ai rien compris au double crime commis dans Decision To Leave, à son (ou ses ?) auteur.s et à leurs mobiles.

Bien après avoir vu le film, je crois avoir compris que son enjeu n’était pas là où je l’avais pensé. Il ne s’agit pas d’un film policier mais d’une histoire d’amour entre un enquêteur et son principal suspect.

Au fond, j’aurais mieux fait de regarder l’affiche attentivement. Tout y est.

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