Kontinental ’25 ☆☆☆☆

Un clochard se suicide en se pendant à un radiateur durant son expulsion du local qu’il occupait sans titre. Orsolya, l’huissière de justice chargée de cette expulsion, ne se remet pas de ce drame et cherche auprès de son entourage le réconfort.

Dans le très riche cinéma roumain (Mungiu, Puiu, Porumboui….) Radu Jude occupe une place à part : celle de sujets très provocateurs qui critiquent le régime roumain, les discriminations dont il est coupable, et celle d’un traitement formel radical (son dernier film, N’attendez pas trop de la fin du monde comportait un plan fixe de quarante-cinq minutes !).

Kontinental ’25 se présente à nous sous les atours sympathiques d’une comédie avec son affiche arty, son titre  façon Europe 51 et son affiche qui rappelle Audrey Hepburn et les films américains des années 50. Le contre-sens – ou plutôt la tromperie sur la marchandise – ne pouvait pas être plus grand.

Car Kontinental ’25 – dont je n’arrive pas à comprendre le titre – a les deux pieds dans le monde contemporain. Il a été tourné à Cluj, la capitale de la Transylvanie, dont chaque coin de rue est filmé en plans fixes, au point, lors de la dernière séquence d’une vingtaine (?) de plans immobiles successifs, qu’on a l’impression de visiter une exposition photo sponsorisée par JC Decaux. Il met en scène un clochard dont on suit d’abord les déambulations jusqu’à son suicide. Le film alors change de focale et se concentre sur le personnage d’Orsolya, que ses origines hongroises désignent à l’hostilité de la population roumaine.

Le sujet pourrait être intéressant : comment une huissière de justice vit-elle le suicide du clochard qu’elle a expulsé de son domicile ? Mais son traitement devient vite insupportable. Radu Jude filme en plans fixes les longs tête-à-tête qu’Orsolya a successivement avec son mari, avec son patron, avec sa meilleure amie, avec sa mère, avec un ancien étudiant et avec un prêtre. Ces plans interminables et leur logorrhée sont venus à bout de ma résistance, à l’exception peut-être de celui avec l’étudiant qui prend un tour savoureux.

La bande-annonce

Un simple accident ★★★☆

Vahid croit reconnaître, au seul son de sa démarche, le tortionnaire unijambiste qui, des mois durant, l’a martyrisé, les yeux bandés, durant son emprisonnement pour un supposé délit pourtant véniel. Vahid le kidnappe, le ligote, le roue de coups, menace de l’enterrer vivant ; mais au moment de sceller sa vengeance, il est pris d’un doute face aux dénégations de l’individu : n’y a-t-il pas erreur sur la personne ? Pour en avoir le cœur net, Vahid retrouve des compagnons de cellule et essaie avec eux de percer à jour l’identité du captif.

Un simple accident a obtenu la Palme d’or à Cannes. Il est l’œuvre de Jafar Panahi, sans doute le réalisateur iranien le plus célèbre de son époque, auréolé à la fois par la moisson de récompenses prestigieuses obtenues dans tous les festivals du monde (Léopard d’or à Locarno pour Le Miroir, Lion d’or à Venise pour Le Cercle, Ours d’or à Berlin pour Taxi Téhéran…) et par son statut de résistant intransigeant à la censure iranienne qui voulait le bâillonner (il a été assigné à résidence, il lui a été interdit de réaliser des films, une interdiction qu’il a contournée en continuant à filmer au nez et à la barbe (!) des autorités, il a été plusieurs fois emprisonné…).

Autant dire que la sortie de son film était attendue avec impatience. Une impatience décuplée lors de l’avant-première organisée en sa présence fin septembre au Forum des images par le Club Allociné.

Ma première réaction a été un peu mitigée, comme c’est souvent le cas face à un film qu’on nous a survendu. « Tout ça pour ça » me suis-je dit. Et je commençais déjà à nourrir le procès d’un jury qui s’est donné bonne conscience en décernant la Palme à un film si politiquement correct alors que d’autres œuvres, cette année, l’auraient autant sinon plus mérité : Sirāt, Valeur sentimentale, The History of Sound (que je n’ai pas vu mais dont on dit le plus grand bien)….

Mais, en écoutant le débat avec Jafar Panahi, en me documentant sur le film et son arrière-plan, en le laissant lentement infuser, j’ai rapidement mis sous le tapis mes réserves mesquines. Un simple accident est un grand film qui méritait la Palme. La simplicité de son dispositif, presque théâtral (cinq personnes dans un minivan se déchirent sur le sort de leur prisonnier), ne doit pas nous tromper. Il s’agit d’une réflexion puissante sur le pardon, la rédemption et le vivre-ensemble : peut-on pardonner à son tortionnaire ? peut-on l’oublier ? a-t-on le droit de s’en venger sans en devenir à son tour le tortionnaire ?

Un simple accident courait un risque fatal : celui de faire du surplace, une fois les personnages introduits et la situation installée, ou celui, symétrique, de passer d’une scène à l’autre sans rime ni raison. Mais son scénario est remarquable, qui ménage un crescendo jusqu’à une scène finale, ou plutôt à une longue scène qui précède la toute dernière, en plan fixe américain, qui solde tous les comptes. La toute dernière scène est plus brève. Elle a la forme d’un point d’orgue et interroge : l’amie italienne qui m’accompagnait en a eu une compréhension radicalement différente de la mienne.

Paradoxalement, on rit souvent dans Un simple accident qui multiplie les situations cocasses – dont la bande-annonce donne l’avant-goût de quelques unes. Ces scènes désamorcent une tension qui deviendrait vite insupportable (c’est le reproche que je faisais à La Jeune Fille et la Mort, au point de départ très proche). Le revers de la médaille – et c’est le seul reproche que je ferais au film – est que cet humour nous tient à distance de la gravité du sujet. Un simple accident est un film qui m’aura beaucoup fait réfléchir mais qui ne m’aura pas ému.

La bande-annonce

La Tour de glace ☆☆☆☆

Dans la Savoie des années 70, Jeanne (Clara Pacini), une jeune orpheline, fugue de son foyer. Elle trouve refuge dans un hangar de la ville voisine qui abrite, le temps d’un tournage, les décors d’un film, La Reine des neiges. La diva Cristina Van der Berg (Marion Cotillard) interprète le rôle principal et fascine Jeanne.

Née en 1961, diplômée de l’Idhec, l’ancêtre de la Fémis, Lucile Hadzihalilovic est l’auteur d’une œuvre rare, d’une grande cohérence, constituée de quatre longs métrages à peine. Tournant le dos aux engagements politiques et sociaux de ses camarades de promotion (Laurent Cantet, Robin Campillo, Dominik Moll…), elle a opté pour un cinéma purement esthétique, hors du temps, flirtant avec le conte. L’enfance et les démons qui la hantent constituent son terreau de prédilection : Innocence, son premier film sorti en 2005, se déroulait dans un pensionnat de jeunes filles, Evolution, son deuxième en 2016, mettait en scène de jeunes garçons soumis à d’inquiétantes expérimentations, Earwig son troisième en 2023 avait pour héroïne une jeune femme édentée appareillée avec un dentier en verre.

La Tour de glace est tout aussi bizarre, tout aussi envoûtant que ces précédents films. Il est construit autour de la fascination qu’exerce sur la jeune Jeanne, une star de cinéma qu’on croirait tout droit sortie d’un magazine de mode. Marion Cotillard – qui en faisait la promotion sur France Télévision devant Léa Salamé avant d’être maladroitement interrogée sur son couple – y est plus impériale que jamais. Son interprétation convoque les grandes figures du cinéma : Marlene Dietrich, Greta Garbo, Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges

On peut se laisser hypnotiser par cette œuvre hypnotisante. Le Monde s’y est laissé prendre qui y voit un chef d’œuvre. J’avoue hélas être totalement hermétique à ce cinéma-là où je m’ennuie ferme, d’autant que le film dure presque deux heures. Envoutant et scintillant pour Le Monde, La Tour de glace m’a semblé surtout ennuyeux et kitsch.

La bande-annonce

Rembrandt ★☆☆☆

La quarantaine bien entamée, Claire (Camille Cottin) et Yves (Romain Duris) sont tous les deux ingénieurs atomistes. Ils travaillent chez ENF (Électricité nucléaire de France ?). Un jour, en visitant la National Gallery, Claire tombe en arrêt devant une toile de Rembrandt. Ce choc la métamorphose. Elle se met à interroger le sens de son travail et à s’inquiéter des dangers du nucléaire face au changement climatique.

Rembrandt contient trois films en un.

Le premier est celui que son titre annonce : l’effet brutal, disrupteur, copernicien si on ose dire, que peut produire la rencontre d’une oeuvre d’art. C’est un sujet passionnant, terriblement subtil, qui convoque l’histoire de l’art, l’esthétique, la psychologie et la sociologie, et qui n’a, autant que je sache, jamais été traité au cinéma. Le problème est que Rembrandt se désintéresse très vite de Rembrandt…. avant d’y revenir in extremis à la toute fin du film. Les amoureux de la peinture hollandaise repasseront.

Le deuxième, qu’on voit sur l’affiche, est l’industrie nucléaire et ses dangers. On est ici sur des terres mieux balisées, celles qui mettent en avant, depuis quelques années dans le cinéma français, des courageux lanceurs d’alerte qui révèlent au grand public des secrets enfouis, qu’il s’agisse de l’affaire Clearstream (L’Enquête), du Mediator (La Fille de Brest), des boues rouges de Gardanne (Rouge), ou encore d’Areva (La Syndicaliste). Le sujet est traité avec beaucoup de pédagogie qui nous montre que les centrales nucléaires telles qu’elles sont conçues aujourd’hui ne sont pas formatées pour résister à des scénarios « extrêmes », tels qu’une vague scélérate, une chaleur caniculaire ou un assèchement radical des cours d’eau. On se croirait parfois dans le documentaire d’Al Gore Une vérité qui dérange.

Le troisième, qu’on voit également sur l’affiche, c’est l’histoire d’un couple qui ne regarde plus dans la même direction. Unie à son époux par vingt-cinq ans de mariage, une passion partagée pour un travail commun, une fille unique qu’ils chérissent (Céleste Brunnquell décidément de moins en moins convaincante), Claire s’éloigne inéluctablement d’Yves. Et Yves essaie sans succès de comprendre ce lent détachement.

Le problème de Rembrandt est de vouloir à tout prix faire tenir ces trois films en un.

La bande-annonce

Muganga ★☆☆☆

Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le gynécologue congolais Denis Mukwenge a ouvert à Bukavu dans le Sud-Kivu un hôpital qui accueille, opère et accompagne durant leur convalescence des femmes victimes de viols et de mutilations génitales. Il reçoit le prix Sakharov en 2014 et le prix Nobel de la Paix en 2018.

La réalisatrice Marie-Hélène Roux fait son hagiographie. Elle lui adjoint un gynécologue belge, Guy-Bernard Cadière, qui vient opérer avec lui dans son hôpital. À travers ce second personnage, le spectateur occidental s’identifie. Le même procédé est à l’œuvre dans une courte séquence qui ouvre le film où l’on voit la paix d’une famille belge, tendrement réunie autour du repas du dimanche, brutalement rompue par l’irruption de trois soldats qui violent la mère, sous les regards impuissants du père, avant de s’en prendre à leur fille.

À l’instar de cette première scène, le film est éprouvant. Car la réalité de ce qu’endurent ces femmes violées, mutilées, l’est encore plus. Le film est interdit à bon droit aux moins de douze ans avec avertissement. mais il est pourtant d’utilité publique. Il faut voir Muganga ; il faut le faire voir pour prendre conscience de l’horreur vécue par ces femmes et de la grandeur de l’œuvre menée par le Dr Mukwenge.

C’est hélas le seul motif – et non des moindres – pour aller voir ce film et pour en faire l’éloge. Car hélas, il n’y en a pas d’autres. D’un point de vue cinématographique, Muganga est bien pâle. Ses acteurs sont caricaturaux : Isaach de Bankolé joue un Mukwenge corseté, gardant un calme absolu en toutes circonstances, que rien ne fera jamais dévier de sa mission; Vincent Macaigne en rajoute juste un peu trop dans le rôle du muzungu (le Blanc en kiswahili) perché.
Le scénario a construit quelques personnages de patientes afin de présenter un échantillon aussi représentatif que possible des cas traités à Panzi : Blanche, qui doit traverser le pays ravagé par la guerre, après avoir vu son mari et son fils tués sous ses yeux, Neema, qui refuse d’être opérée par un Blanc, Antoinette devenue folle après que les soldats ont forcé ses fils à la violer…

Il y a dans le film un personnage et une situation qui surnagent : celui de Busara interprété par Déborah Lukumuena (Divines, Les Invisibles, Entre les vagues…). Après le viol qu’elle a subi, elle est tombée enceinte. Sa grossesse la révolte. Elle demande à Mukwenge d’y mettre un terme ; il essaie de l’en dissuader au nom de ses principes religieux et de l’innocence de l’enfant à naître ; Cadière n’est pas du même avis.

Muganga mérite d’être vu pour le sujet qu’il porte et moins hélas pour la façon dont il le porte.

La bande-annonce

The Doom Generation (1995) ★★☆☆

Un jeune couple, Jordan (James Duval) et Amy (Rose McGowan), croise sur sa route un ange diabolique, Xavier (Jonathan Schaech) qui l’entraîne dans un road movie meurtrier.

Les films du réalisateur californien Gregg Araki sont devenus culte. Les cinémas d’art et d’essai les rediffusent régulièrement. Tourné en 1995, The Doom Generation était le deuxième volet de la trilogie de l’apocalypse adolescente (Teenage Apocalypse Trilogy), après Totally Fucked Up (1993) et avant Nowhere (1997), qui dressait le portrait d’une génération nihiliste et bisexuelle.

Un carton placé au début de The Doom Generation annonce ironiquement « Le premier film hétérosexuel de Gregg Araki ». Il n’en est rien, bien évidemment. Le film est plongé dans une ambiance homo-érotique poisseuse. Il peut se lire comme la découverte par Jordan, son héros un peu pataud, de son homosexualité, depuis ses tentatives infructueuses de faire l’amour à Amy jusqu’à la révélation de ses goûts au contact du très sexy Xavier alias X.

The Doom Generation est très daté. Il rappelle les road movies sexy et sanglants des années 90 : True Romance (1993) de Tony Scott ou Tueurs nés (1994) de Oliver Stone, avec des giclées de sang et de sperme pour justifier son interdiction aux moins de seize ans. Télérama exécute le film en deux phrases : « Dialogue dont la crudité finit par provoquer le rire (…) Ce pourrait être intéressant, si ne l’emportait constamment le goût de la provoc pour la provoc ». Pour avoir la dent moins dure, il faut prendre ce film au second degré, sourire à son humour potache, à son nihilisme revendiqué, à ses personnages stéréotypés, à ses outrances tout bien considéré bien anodines.

La bande-annonce

TKT ☆☆☆☆

Fille unique, couvée par des parents aimants et protecteurs, Emma, seize ans, est une adolescente comme tant d’autres. Elle a des camarades d’école fidèles, Manon, Lou, Jeanne, un amoureux, Raph et des voisins, Jeanne et Max, auxquels l’unit l’amour de la musique. Mais bientôt, tout se dérègle dans la vie d’Emma.

Adapté d’un court roman jeunesse de l’auteure belge Elena Tenace, « Tout ira bien », TKT veut nous refaire le coup de LOL, en commençant par son titre censé capter quelques chose de l’air du temps. [Pour les illettrés comme moi, TKT et LOL sont des abréviations utilisées par les jeunes : Tkt = T’inquiète (merci aux concepteurs de l’affiche de l’avoir précisé, hélas en trop petits caractères pour que les gens de mon âge puissent le lire, fût-ce avec des lunettes)].

En 2008, Lisa Azuelos, avec la star Sophie Marceau et la graine de star Christa Théret, peignait avec LOL, le portrait de la génération Z, des Digital Natives, nés avec le numérique, ultra-connectée. Près de vingt ans plus tard, l’ambition de Solange Cicurel est plus limitée. Elle entend raconter l’un des maux les plus dangereux qui menacent la génération suivante : le harcèlement scolaire.

TKT est en effet, comme le livre qui l’a inspiré, un film à thèse. C’est ainsi d’ailleurs que son producteur l’a présenté lors de l’avant première à laquelle j’ai assisté la semaine dernière à l’UGC Ciné Cité Bercy, sous le parrainage d’Orange – qui oeuvre à une utilisation plus responsable des écrans chez les très jeunes comme en témoigne sa dernière campagne de pub – et de l’association E-Enfance qui gère le numéro vert 3018 mis à disposition des jeunes victimes de cyberharcèlement.

Le sujet est grave. Le problème de TKT est de le traiter aussi pauvrement. Il emprunte certes au livre une idée stimulante : raconter l’histoire en flashback à partir du lit d’hôpital où Emma est plongée dans le coma et d’où son double métempsychique mène l’enquête sur un passé qu’elle a oublié. Mais ce procédé mis à part, copié sur Ghost, tout dans TKT est d’une affligeante médiocrité : les personnages caricaturaux, les situations prévisibles, la direction d’acteurs (même Emilie Dequenne – paix à son âme – réussit à être mauvaise dans le rôle de la mère éplorée)…
Sur le sujet connexe de l’éducation à la sexualité et des limites du consentement, À genoux les gars était autrement plus convaincant.

La bande-annonce

Une bataille après l’autre ★★★☆

Bob Ferguson (Leonardo DiCaprio) est un militant d’extrême gauche qui met au service d’un groupe paramilitaire, les French 75, ses talents d’artificier. Sa compagne, Perfidia Beverly Hills (Teyana Taylor) fait partie du groupuscule qui, lors d’une opération musclée dans un centre de rétention de réfugiés, humilie le commandant de la base, le colonel Lockjaw (Sean Penn) et noue avec lui une relation SM. Perfidia tombe enceinte et accouche d’une petite fille juste avant qu’un braquage qui tourne mal oblige le groupe à se dissoudre et ses membres à disparaître aux quatre coins de l’Amérique sous de fausses identités.
Bob élève seul sa fille Willa (Chase Infiniti) dans la paranoia de ses poursuivants. Seize ans plus tard, aiguillonné par une confrérie suprémaciste blanche, le colonel Lockjaw retrouve leur trace. Pour lui échapper Bob peut compter sur le professeur de karaté de sa fille, Sensei Giorgio (Benicio Del Toro).

Paul Thomas Anderson s’est affirmé comme l’un des plus importants réalisateurs du cinéma américain contemporain avec des films aussi marquants que Magnolia, There Will Be Blood ou Phantom Thread (wink Berthe Edelstein). Adapté d’un roman de Thomas Pynchon, l’un des plus grands et des plus mystérieux écrivains du vingtième siècle, avec son casting trois étoiles, il constituait l’un des films les plus attendus de l’année.

Le film est à la hauteur des attentes qu’il a fait naître. C’est un « grand » film dans tous les sens du terme : par sa durée qui flirte avec les trois heures, par son style flamboyant et classique à la fois, par son ambition enfin : offrir, comme Eddington sorti juste avant lui, une radioscopie de l’Amérique schizophrène écartelée entre ses deux extrêmes de droite et de gauche.

Ses acteurs sont épatants. Tout le film repose sur Leonardo DiCaprio, qui constitue, pour tous les spectateurs de mon âge, un marqueur : on l’a découvert, ado, sublimement beau et romantique, avant de le voir lentement vieillir et s’empâter. Son rôle aurait pu sombrer dans la caricature : celui d’un vieux révolutionnaire en robe de chambre, dont les vieux idéaux se sont envolés dans la fumée de la marie-jeanne et dont l’amour pour sa fille est devenue sa seule boussole. À ses côtés, Sean Penn signe une performance incroyable. Lui aussi aurait pu sombrer dans la caricature : celle du militaire guindé à la mâchoire serrée, aux cheveux et aux idées courts. Mais ces deux immenses acteurs arrivent à donner vie à leurs personnages caricaturaux et on passe le film à se pincer devant ce qu’ils osent faire. Cerise sur le gâteau : Benicio Del Toro dans le rôle improbable d’un professeur mexicain de karaté. On imagine que la jeune Chase Infiniti ne devait pas en mener large entre ces trois monstres sacrés et on admire d’autant plus son cran.

Une bataille après l’autre se regarde comme un thriller ample et puissant avec un final d’anthologie, dans un décor tellement américain.
C’est aussi un film d’une brûlante actualité, qui, s’il évoque les groupuscules terroristes des années 70, résonne avec les dérives suprémacistes du trumpisme et la criminalisation des mouvements antifa.

La bande-annonce

Classe moyenne ★★☆☆

Dans la famille Trousselard, on demande le père (Laurent Lafitte) : riche avocat d’affaires parisien, très sûr de lui, qui aime parsemer ses maximes d’expressions latines souvent inappropriées. La mère (Elodie Bouchez), actrice jadis célèbre en quête d’un impossible come back. La fille, Garance (Noée Abita), une peste idiote et narcissique qui rêve de devenir actrice à son tour. Le petit ami de Garance (Sami Outalbali), d’origine modeste sorti major de sa promotion à Assas avant de passer avec succès l’examen du barreau, mais discriminé à l’embauche par les grands cabinets qui lui préfèrent des fils de.
Les Trousselard possèdent une luxueuse villa perdue dans la garrigue cévenole. Les Azizi (Laure Calamy et Ramzy Bedia) sont leurs gardiens.

La bande-annonce de Classe moyenne a bien failli me dissuader d’aller le voir. Elle laissait pressentir une comédie grasse, une farce lourde à laquelle n’auraient manqué que Christian Clavier et Josiane Balasko, ou encore une ruben-östlunderie made in France– puisque c’est ainsi qu’on désigne désormais des comédies grinçantes et malaisantes qui, sans peur de l’outrance, se rient des travers de nos sociétés contemporaines. À l’aune de ce naufrage annoncé, Classe moyenne fut plutôt une bonne surprise – même si je n’en ai toujours pas compris le titre.

La bande-annonce évoque l’affrontement grotesque entre des propriétaires parisiens et leurs gardiens. Le scénario, heureusement, est plus subtil, qui commence par le commencement – la relation déséquilibrée entre un couple de riches vacanciers et un autre, bon.ne.s à tout faire, payés pour déboucher leurs canalisations et nettoyer leur piscine – et monte lentement en puissance.

Antony Cordier – qu’on avait découvert en 2005 avec le très réussi Douches froides et qui avait disparu depuis – ciselle une comédie théâtrale à sept personnages remarquablement bien écrite. Les personnages et les acteurs y sont remarquables, la meilleure étant Élodie Bouchez dans un rôle pourtant pas facile qui aurait pu être éclipsé par celui de Laurent Lafitte, toujours impérial.
Mais c’est son scénario qui m’a convaincu. Car le film aurait pu se contenter de poser côte à côte ces deux familles que tout oppose. Il a le mérite de les faire interagir dans une histoire qui ménage son lot de rebondissements jusqu’à son climax que rien ne laissait augurer, aussi surprenant que logique.

Classe moyenne n’est certainement pas le film du mois. Mais c’est un film drôle et malin. Si vous ne le voyez pas au cinéma, vous pourrez le voir sans préjudice à la télévision ou sur votre ordinateur. Vous passerez un excellent moment.

La bande-annonce

Left-Handed Girl ★★★☆

Une mère célibataire et ses deux filles reviennent s’installer à Taipei. La mère, Shu-Fen, ouvre un stand de nouilles dans une échoppe d’un marché de nuit et tire le diable par la queue pour en payer le loyer, alors que son ex-mari sans ressources se meurt à l’hôpital. Sa fille aînée, I-Ann, est bilang girl dans un magasin qui vend des cigarettes et des noix d’arec. Sa cadette, I-Jing, une charmante gamine de cinq ans, découvre son nouvel environnement avec ravissement. Seule ombre au tableau pour elle : son grand-père s’est fâché en découvrant qu’elle était gauchère.

La bande-annonce de Left-Handed Girl ne m’avait pas inspiré confiance. J’augurais un film puéril filmant à hauteur d’enfant une gamine adorable mais horripilante façon chatons kawai. je me trompais lourdement et ai eu bien raison de passer par-dessus mes préjugés.

C’est que ce film est signé Shih-Ching Tsou, la compagne à la ville de Sean Baker qui a travaillé auprès de lui dans tous ses films depuis vingt ans, Sean Baker étant crédité comme coscénariste, coproducteur et monteur de Left-Handed Girl. On y retrouve tout ce qui faisait le sel des premiers films quasi-documentaires du réalisateur américain, Palme d’or 2024 pour Anora : des plans filmés à l’Iphone au plus près des acteurs et de leur respiration, un soin jaloux apporté aux personnages, à leurs ambiguïtés, à leur milieu, un scénario ciselé (alors qu’il est souvent le laissé-pour-compte de ce cinéma naturaliste, comme on l’a vu récemment par exemple dans Ciudad sin sueño).

Car Left-Handed Girl ne se borne pas à suivre une gamine sautiller joyeusement entre les étals chamarrés du marché de nuit de Taipei. Il raconte aussi une histoire avec un début, un milieu, une fin. Cette histoire nous réserve, lors de la soirée d’anniversaire qui en constitue l’acmé, une sacrée surprise. Mais, dans mon désir de vous mettre l’eau à la bouche, j’en ai déjà trop dit…

La bande-annonce