No Other Land ★★☆☆

Basel Adra, un activiste palestinien, est né et a grandi au sud de la Cisjordanie dans un petit village bédouin de la zone C, Masafer Yatta, sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Épaulé par Yuval Abraham, un journaliste israélien arabophone, il a documenté de 2019 à 2023 la destruction de son village par l’armée israélienne, s’appuyant sur un jugement de la Cour suprême israélienne pour en déloger ses habitants et y créer un camp militaire.

Couronné du prix du meilleur documentaire au dernier festival du film de Berlin, No Other Land est un film militant. Il est constitué d’une succession d’images tremblantes, tournées la plupart du temps grâce à un téléphone portable, en plein cœur de l’action. Ces images rendent compte d’une situation qui ne peut que choquer : la lutte de David contre Goliath, de la puissante armée israélienne  et de colons ivres de violence contre des familles de Bédouins, implantés sur ces terres depuis plusieurs générations, dont les habitations sont détruites par des bulldozers. Les habitants, contraints de se terrer dans des grottes insalubres pour survivre, n’ont d’autre ressource que de reconstruire la nuit ce qui est détruit le jour. Mais dans ce combat déséquilibré, c’est Goliath qui l’emporte, rasant les maisons, expulsant les habitants, confisquant leurs voitures, bouchant leurs puits.

Filmer. Basel Adra n’avait que cette arme à opposer aux militaires venus détruire les maisons de son village. Il postait ses images sur YouTube pour sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale. C’est par ce biais que Yuval et Basel se sont rencontrés et qu’un collectif israélo-palestinien s’est constitué. Exemple admirable et dérisoire à la fois de la capacité des ressortissants de ces deux peuples à faire cause commune autour de certaines valeurs.

No Other Land manque cruellement de contrepoint. La situation nous est décrite uniquement du point de vue palestinien. Pour déchirante qu’elle soit, elle est pourtant la conséquence d’une décision de justice rendue par une Cour suprême d’un État démocratique. Le film se clôt en octobre 2023. Les représailles annoncées par Netanyahou contre Gaza désinhibent la violence des colons israéliens qui n’hésitent pas à faire usage de la force contre les Bédouins de Masafer Yatta et assassinent le frère de Basel sous ses yeux. Cette violence est inacceptable. Mais on regrette que pas un mot ne soit dit de celle, tout aussi inadmissible, déployée par le Hamas dans ses attaques du 7 octobre.

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Leurs enfants après eux ★☆☆☆

Anthony (Paul Kircher) a quatorze ans. L’été s’étire interminablement à Haillange (sic), une petite ville de Moselle frappée par la désindustrialisation. Pour échapper à un père alcoolique (Gilles Lellouche) et à une mère  désabusée (Ludivine Sagnier), Anthony traîne avec son cousin, tombe amoureux de Stéphanie (Angelina Woreth), pique la vieille moto de son père pour la suivre en soirée, se frite avec Hacine (Sayyid El Alami), un voyou d’une cité HLM.
Les années passent. Anthony grandit….

Leurs Enfants après eux avait eu, à sa sortie en 2018 un succès mérité. Ce gros bouquin de plus de quatre-cents pages, écrit par un jeune auteur quasi-inconnu, avait décroché le prix Goncourt.

Son adaptation par les frères Boukherma (Teddy, L’Année du requin), qu’on n’attendait guère dans ce registre-là, lui est très fidèle. Trop peut-être. Le livre est en effet feuilletonnesque, qui se divise en quatre parties qui se déroulent chacune à deux ans d’écart durant les étés 1992, 1994, 1996 et 1998. Il se serait peut-être mieux prêté à une mini-série en quatre épisodes qu’à un film, quand bien même la durée de celui-ci dépasse largement les deux heures.

Ce premier reproche n’est pas le seul que j’adresse à ce film qui m’a beaucoup moins plu que le livre dont il est tiré.

Je dois d’abord confesser un sentiment très subjectif. Je déteste Paul Kircher – dont je n’arrive pas à m’ôter de la tête qu’il doit sa carrière à sa parenté (il est le fils de Jérôme Kircher et d’Irène Jacob) plus qu’à son talent. Je n’aime pas son air ahuri. Je le trouve très mal choisi pour ce rôle où il est censé camper un prolétaire déclassé alors que tout exsude chez lui la bonne éducation germanopratine.

Autre reproche lui aussi très subjectif : Leurs enfants après eux souffre de la comparaison avec L’Amour ouf sorti sept semaines plus tôt (même époque, même structure du récit, même thématique de l’amour de jeunesse face à l’épreuve du temps qui passe) qui le surpasse selon moi sur tous les plans.

Troisième reproche : Leurs enfants après eux manque désespérément de rythme. On dirait qu’il est resté prisonnier du roman dont il suit scrupuleusement le récit. Mais ce qui marchait à l’écrit marche moins bien à l’écran. Le film dure, s’étire, interminablement.

Quatrième et dernier reproche : le livre tirait tout particulièrement sa valeur du tableau sociologique qu’il dressait d’une certaine France périphérique (le livre de Christophe Guilluy avait été écrit trois ans plus tôt et l’expression faisait florès), engluée dans la désindustrialisation, le chômage, l’alcool et l’ennui. Ses éléments-là ont été largement gommés du film qui se concentre sur le trio de personnages principaux : Anthony, Hacine et Stéphanie. Les frères Boukherma cèdent à leur penchant et signent un film noir voire un western là où le parti de l’hyperréalisme aurait été sans doute plus approprié.

Quelques bémols – ou plutôt quelques dièses – à cette longue liste de reproches. La BOF, pas bof du tout, qui mélange audacieusement des adaptations de Cabrel, de Johnny, de Goldman avec les Pixies et Metallica. Et Gilles Lellouche – derrière la caméra pour L’Amour ouf, devant elle dans Leurs enfants après eux – dans le rôle paroxystique du père alcoolique d’Anthony.

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Les Reines du drame ☆☆☆☆

En 2055, Steevyshady (Bilal Hassani, le représentant drag de la France au concours Eurovision 2019) raconte la longue et toxique histoire d’amour qui, pendant un demi-siècle a réuni, Mimi Madamour (Luiza Aura), une jeune starlette révélée par un concours de chant télévisé, et Billie Kohler (Gia Ventura) une icône punk.

Les Reines du drame – un clin d’œil à l’expression Drama Queen – est un film qui sort de l’ordinaire. Il explore une veine queer et kitsch qui résonne avec notre époque gender fluid. Comédie musicale remplie de tubes disco sucrés comme des bonbons ou de singles punk acides, Les Reines du drame convoque Mylène Farmer, Britney Spears, Mariah Carey et Buffy contre les vampires. J’étais de loin le plus vieux spectateur dans la salle du Marais qui le projetait hier – et sans doute le plus hétérosexuel.

Les Reines du drame est à la fois un éloge de la liberté sexuelle et du droit d’assumer sa différence, et une critique ironique du star system et de ses dérives.

Ce cinéma-là, dont on ne sait s’il faut le prendre au premier ou au énième degré, est sans doute rafraichissant. Le problème est qu’il est très mauvais. Car il échoue à raconter une histoire, se contentant de nous présenter deux héroïnes et une relation amoureuse dont les tenants et les aboutissants nous sont par avance connus. Car il échoue à mettre en scène un récit, filmant chaque scène comme la précédente, sans temps mort ni changement de rythme, donnant très vite à cette accumulation de chansons (la palme allant à « Je t’ai fistée jusqu’au cœur », répété ad nauseam), de costumes kitsch une tournure répétitive et ennuyeuse alors qu’on en attendait tout le contraire.

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Le Choix ★☆☆☆

Joseph Cross (Vincent Lindon) dirige un chantier de BTP en cours d’achèvement. Mais après avoir reçu un coup de téléphone, il le quitte à la hâte pour rouler jusqu’à Paris. Dans sa voiture, muni de son seul téléphone sans fil, il expliquera à ses collègues et à ses proches la raison de son choix.

J’avais décidé avant de le voir que j’adorerais ce film. Parce qu’il se déroule du début jusqu’à la fin dans la voiture de Cross, sans jamais la quitter. parce qu’on n’y verra qu’un seul acteur – même si on s’amusera à deviner l’identité des autres dont on entendra seulement la voix (j’ai confondu Micha Lescot et Eric Caravaca). Et parce que j’adore ce genre de « dispositifs », ce genre de défis que des scénaristes audacieux se lancent à eux-mêmes : faire tenir un film tout entier dans un canot de sauvetage (Lifeboat), dans une cabine téléphonique (Phone Game) ou dans un cercueil (Buried).

Certes le pari cinématographique est tenu. Le film, d’une remarquable brièveté (une heure et seize minutes à peine), se déroule tout entier dans une voiture. Il faut tirer un coup de chapeau au directeur de la photographie et au monteur pour avoir réussi à filmer des plans qui ne sont jamais monotones ou répétitifs.

Le problème vient plutôt du scénario. Pour fonctionner efficacement, il aurait dû reposer sur une énigme qui se dévoile lentement et multiplier les rebondissements. L’énigme ? Elle est dévoilée au bout de quelques minutes à peine où l’on comprend les motifs de cette longue équipée automobile. Les rebondissements ? Il n’y en a aucun, le film se contentant de mettre en scène Cross face à sa femme, ses enfants, son second, dépassé par la tâche qui lui a été laissée, son patron, furieux de son abdication.

Jusqu’au titre du film lui-même qui me laisse dubitatif. Où est le choix qu’il nous promet sinon dans celui que Cross a fait dès la première minute du film et dont il ne déviera pas ?

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Grand Tour ★☆☆☆

Un jeune employé de la Couronne britannique,  Edward Abbott, en poste en Birmanie en 1918, est pris de panique à l’annonce de l’arrivée à Rangoun de sa fiancée qu’il n’a pas vue depuis sept ans. Il fuit à Singapour, avant de gagner Bangkok, Saïgon, le Japon, les Philippines, puis Shanghai et Chongqing en amont du Yang Tse Kiang. Molly, sa fiancée, le suit à la trace et espère le rattraper.

Depuis la mort du vétéran Manoel de Oliveira (1908-2015), le cinéma portugais a trouvé dans les festivals internationaux un nouveau porte-drapeau en la personne de Miguel Gomes. Diplômé de l’École supérieure de théâtre et cinéma de Lisbonne, il signe en 2012 un film qui le fait connaître du grand public, Tabou, lointainement inspiré du chef d’oeuvre de Murnau, sur la colonisation portugaise et ses lointaines répliques. Son film suivant, Les Mille et une Nuits dure plus de six heures. Il est présenté en trois parties à Cannes en 2015. Je n’en ai vu que la première à sa sortie. Comme Le Journal de Tûoa en 2021, Grand Tour a également eu les honneurs de la Croisette où il a décroché en mai dernier le prix de la mise en scène.

Grand Tour est inspiré d’un roman de Somerset Maugham – qui, pourtant n’est pas crédité au générique. On y retrouve toute l’élégance de cet écrivain tombé dans l’oubli qui a su, comme EM Forster ou Graham Greene, décrire l’ambiance émolliente des colonies britanniques en Asie. L’action se déroule en 1918. Mais la mise en scène a pris un parti audacieux : alterner des images tournées en intérieur avec des acteurs en costumes d’époque et des images en couleurs tournées de nos jours en extérieur. Le cocktail pourrait être détonnant qui mélange ombrelles et téléphones portables. Mais on s’y fait très vite.

La caractéristique du cinéma de Miguel Gomes, on le savait depuis Tabou, est sa langueur. Pour certains critiques, au premier rang desquels ceux du Monde ou de Télérama, qui crient au génie, c’est un gage de qualité. Pour moi, hélas, qui suis bien moins intelligent qu’eux et surtout beaucoup plus narcoleptique,  l’âge aidant, c’est fréquemment une cause de somnolence.

Ca n’a pas manqué avec Grand Tour que j’ai eu le tort d’aller voir hier à l’heure de la sieste, dans une salle douillettement chauffée où j’étais pourtant l’un des plus jeunes spectateurs. Au bout d’une heure, bercé par la douce mélopée des voix off qui accompagnent, en birman, en chinois, en thaï ou en vietnamien, la longue errance d’Edward Abbott, je me suis profondément endormi. Cette longue ellipse me prive peut-être du droit de parler d’un film dont j’ai raté un bon tiers.

Quand je me suis réveillé, le scénario avait changé d’axe. Après avoir suivi Edward dans sa première moitié, il refait le même chemin cette fois-ci avec Molly qui manque de peu de rattraper à chaque étape son fugitif époux. Je ne dirai pas comment cette course-poursuite fort peu hollywoodienne se termine. Cet épilogue, dont je ne suis pas certain d’avoir compris le sens, n’aura pas été de nature à éclairer le souvenir nébuleux que je garderai de Grand Tour.

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Le Privé (1973) ★★★☆

Philip Marlowe (Elliott Gould) est un détective privé qui vit seul à Los Angeles avec son chat. Par fidélité pour son ami, Terry Lennox, il accepte de le conduire en pleine nuit au Mexique avant d’apprendre à son retour que Sylvia, l’épouse de Terri, a été assassinée et que Terry est accusé du crime. L’annonce du suicide de Terri et de ses confessions ne suffit pas à dissiper les doutes de Marlowe qui décide d’élucider ce meurtre mystérieux.
Son enquête le mène chez les voisins des Lennox, les Wade. Roger Wade est un romancier alcoolique en panne d’inspiration. Eileen Wade suspecte son mari d’avoir eu une liaison avec Sylvia et de l’avoir tuée.

À sa sortie en 1973, Le Privé avait connu un bide retentissant. Les critiques et les spectateurs ne lui avaient pas pardonné les libertés qu’il avait prises avec le roman de Chandler et avec les règles iconiques du film noir.
Il est vrai qu’Elliot Gould ne ressemble guère à Humphrey Bogart ni les 70ies aux 40ies. Mais, à y regarder de plus près, Altman n’est pas si infidèle à Chandler qu’on le lui reproche. Certes, on n’imagine pas Humphrey Bogart câliner son chat comme Elliott Gould dans la première scène du film. Mais les deux hommes partagent le même code d’honneur, le même dandysme, le même refus des règles d’une société frelatée par le crime, la luxure et l’alcoolisme. Et si la fin du Privé s’éloigne considérablement de celle du roman de Chandler, elle en a le même esprit.

Aujourd’hui, Le Privé a été réhabilité. Il a trouvé sa place dans le panthéon du cinéma hollywoodien. Il le doit à l’aura de son réalisateur, le grand Robert Altman, et aussi à sa place dans l’histoire du film noir dont il constitue comme un post-scriptum seventies.

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Nome ★☆☆☆

Nome est une jeune garçon bissao-guinéen élevé par sa mère après le décès de son père. Amoureux de sa cousine, il lui fait un enfant, mais s’enfuit de son village par peur de la réprobation dont il risque de faire l’objet. Il rejoint la guérilla indépendantiste qui combat le colonisateur portugais.

Sana Na N’Hada est un réalisateur bissao-guinéen né en 1950. Enrôlé dès treize ans dans la guérilla indépendantiste du PAIGC, il est missionné en 1967 à Cuba pour y apprendre le métier de cinéaste. Revenu en Guinée-Bissao, il filme les combats qui se concluent en 1974 par l’indépendance de l’ancienne colonie portugaise. La majorité de ces enregistrements ont été perdus. Mais ceux qui ont pu être sauvés sont utilisés dans Nome, qui voit alterner des images de fiction contemporaines en couleurs et des images documentaires d’époque en noir et blanc.

Pour autant, Nome n’est pas un documentaire historique qui raconte la guerre d’indépendance. C’est plutôt un conte centré sur son héros, dont le patronyme – « Nome » signifie en créole « homonyme » – sonne comme un programme. Nome est d’abord un enfant privé de son père, dont le fantôme l’accompagnera sa vie durant. C’est aussi un villageois habité par les croyances animistes qui lui ont été léguées. Il devient guerrier par hasard, sans verser dans la geste héroïque que les Pères de l’indépendance ont entendu écrire pour glorifier leur combat et en faire le ferment du nouvel État. Mais une fois cette indépendance durement acquise, il est le témoin du désenchantement révolutionnaire, quand les intérêts privés et l’appât du gain l’emportent sur l’intérêt général.

Soutenu par l’ACID, qui l’avait retenu dans sa sélection à Cannes, Nome est sorti en France en mars dernier. J’ai eu la chance de le voir en présence du réalisateur. J’ai été impressionné par sa haute stature et sa lente élocution.
Pour autant l’exotisme de ce cinéma et l’intérêt historique de Nome ne suffisent pas à gommer ses maladresses, notamment dans la direction d’acteurs.

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La Flèche brisée (1950) ★★★☆

Après la guerre de Sécession, un soldat démobilisé, Tom Jeffords (James Stewart), cherche de l’or en Arizona. La guerre y fait rage entre l’armée de l’Union et les Indiens apaches du chef Cochise (Jeff Chandler). Jeffords, qui avait secouru un jeune Apache blessé et bénéficié en retour de la clémence des Indiens, ne partage pas les préjugés des Blancs à leur égard. Il veut apprendre leur langue, comprendre leur culture et trouver avec eux un accord pour mettre fin aux guerres interminables qui les opposent aux Blancs.

La Flèche brisée est un film marquant dans l’histoire du western. Bien avant Danse avec les loups ou Pocahontas, il rompt avec l’imagerie traditionnelle qui prévalait jusqu’alors. Le western participait d’un mythe, celui de la frontier sans cesse repoussée. Les colons blancs, appuyés par l’armée américaine, y entreprenaient une œuvre prométhéenne : ils construisaient une nation, se battant contre une nature ingrate et contre ses occupants, violents et fourbes, ravalés à un statut quasi-animal de bêtes sauvages dont il fallait se défier et qu’il fallait exterminer. Ils étaient du côté du Bien, les Indiens du côté du Mal.

Loin du manichéisme d’un John Ford, Delmer Daves, qui a voyagé chez les Indiens et appris leur langue, cherche à les réhabiliter. Il y réussira en partie. Jeff Chandler, l’interprète légendaire de Cochise, personnifiera pour longtemps ce chef apache à la fois indomptable et ouvert au dialogue. Dans le rôle de « passeur de cultures », James Stewart effectue grâce à ce rôle et grâce à celui qu’il tient dans Winchester 73 qu’il tourne la même année, un tournant dans sa carrière. Le gendre idéal qu’il incarnait dans les comédies de Capra, de Cukor ou de Lubitsch, a vieilli. Il est plus aguerri, plus philosophe. Il devient le héros de western par excellence : L’Appât, L’Homme de la plaine, L’Homme qui tua Liberty Vallance, La Conquête de l’Ouest….

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En fanfare ★★★☆

Parce qu’il est brutalement frappé par une leucémie dont seule une greffe de moelle osseuse pourrait le sauver, un jeune et brillant chef d’orchestre (Benjamin Lavernhe) découvre qu’il a été adopté à sa naissance. Élevé dans une famille  bourgeoise des Hauts-de-Seine, Thibaut apprend simultanément qu’il a un frère, Jimmy (Pierre Lottin) qui, lui, a été élevé dans les corons. Si tout en apparence sépare les deux frères biologiques, le même don pour la musique les rapproche.

Il y a deux façons de réagir aux feel good movies. La première – qui est souvent la mienne – est, comme Goebbels, de sortir mon revolver, d’en railler les facilités, de se méfier de la larme qu’ils veulent à tout prix faire couler. La seconde est de s’y laisser prendre.

Je l’avoue : je n’ai pas sorti mon revolver, j’ai versé ma larme et me suis laissé prendre à ce feel-good movie, lacrymal à souhait, débordant de bons sentiments. Il se déroule dans le bassin minier du Nord. On n’est pas à Bergues ; mais l’esprit de Bienvenue chez les Ch’tis n’est pas loin dans ce film qui joue sur la corde – si j’ose dire – du régionalisme.

Son scénario est particulièrement improbable. Mais le rythme enjoué avec lequel il est débité excuse ses outrances. La première moitié du film est particulièrement enthousiasmante ; la seconde l’est moins dont on a l’impression qu’Emmanuel Courcol et sa co-scénariste n’ont pas su y mettre un terme et y rajoutent une couche de pathos inutile et indigeste.

Le succès du film doit beaucoup à son interprétation. En tête, Benjamin Lavernhe, le gendre idéal du cinéma français – dont on peut espérer que l’interprétation de l’abbé Pierre ne soit pas mise à son passif depuis que les révélations s’accumulent sur le passé sulfureux du saint homme. Mais celui qui crève l’écran, c’est Pierre Lottin, dans le rôle taiseux du frère que le destin n’a pas favorisé, condamné à servir des nouilles à la cantine du collège alors que son don pour la musique le prédisposait à une carrière aussi brillante que celle de son frère. Un coup de chapeau aussi pour Sarah Suco qui, depuis bientôt quinze ans accumule les seconds rôles (DiscountLa Belle SaisonOrphelineAurore, Guy, Place publiqueLes Invisibles…) et mérite largement son nom en haut de l’affiche.

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Ailleurs, partout ★☆☆☆

Shahin est un jeune réfugié iranien qui au péril de sa vie a quitté son pays à la recherche d’une vie meilleure en Occident. Les réalisatrices l’avaient rencontré plein d’énergie et d’espoir, à l’aube d’une vie nouvelle, en Grèce en 2016 après qu’il avait réussi à traverser clandestinement la mer Égée. Un an plus tard, elles le retrouvent dans le Nord de l’Angleterre, qui se morfond dans l’attente fiévreuse d’un titre d’asile.

Il y avait mille façons de documenter l’odyssée de Shahin et sa longue attente dans un centre d’accueil anglais. Celle de Michael Winterbottom dans In This World (2002) ou, plus récemment celle de Ben Sharrock, dans Limbo (2020) une fiction qui documentait la vie vide de réfugiés moyen-orientaux ou africains assignés à résidence dans les Hébrides écossaises dans l’attente du traitement de leur demande.

Le parti pris par les deux réalisatrices, Vivianne Perelmuter et Isabelle Ingold, est original. Elles sont allées dégotter sur Internet des vidéos de télésurveillance, au grain grossier, filmant en d’interminables plans fixes des lieux anomiques : parkings, routes, supérettes….
Elles y ont ajouté le texte des SMS échangés avec Shahin pendant sa longue réclusion, l’enregistrement de ses conversations téléphoniques avec sa mère, à laquelle il cache une partie de la réalité, et la reconstitution de ses interrogatoires par la police britannique, qui essaie de débusquer les incohérences de son récit.

Le résultat est paradoxal. Clarisse Fabre du Monde, enthousiaste, parle d’une « œuvre godardienne hantée par le dessin, la photographie, la peinture ». Je serais moins dithyrambique. Je comprends volontiers le parti pris radical du refus d’une illustration sursignifiante du parcours d’un réfugié, déjà mille fois filmé. Mais je n’ai pas été convaincu du choix de ces vidéos anonymes et glaciales. Outre leur manque revendiqué de beauté, elles soulèvent bien des questions : pourquoi telle vidéo et pas telle autre ? à ce moment du film ? ou à celui-ci ? Sans doute ces choix ont-ils été mûrement réfléchis par les réalisatrices. Mais très vite, comme souvent face à l’incompréhension que suscite l’art contemporain chez les béotiens comme moi, perce le soupçon du grand-n’importe-quoi sinon du foutage de gueule.

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