Victor (Daniel Auteuil) est un vieux dessinateur de BD qui affiche volontiers sa détestation du monde qui l’entoure. Sa femme Marianne (Fanny Ardant) étouffe aux côtés de ce misanthrope. Cette brillante psychanalyste a pris un amant (Denis Podalydès) et finit par mettre son ami à la porte.
C’est le moment que Victor choisit pour utiliser le cadeau que son fils lui a fait à son dernier anniversaire : un voyage dans le temps à l’époque de son choix.
Le service est fourni par la société d’Antoine (Guillaume Canet) : avec un soin maniaque, ce réalisateur despotique reconstitue pour ses riches clients l’époque qu’ils rêveraient d’avoir connue. Pour Victor, ce sera le 6 mai 1974, à Lyon, le jour où Marianne est entrée dans sa vie. Antoine convainc Margot (Dora Tillier), avec laquelle il entretient une relation compliquée, d’interpréter le rôle de Marianne jeune.
Comment filmer le temps qui passe ? Comment faire toucher du doigt au spectateur de cinéma l’épaisseur du temps qui passe et le poignard de la nostalgie ? Trois solutions logiques existent. La première : la fresque historique. Raconter une histoire qui se déroule sur plusieurs décennies en suivant son fil chronologique. C’était le parti retenu par Nicolas Bedos – que la question du temps et de la nostalgie décidément taraude – dans son premier film, le très réussi Monsieur et Madame Adelman. Le deuxième : les flash-back. On oublie que des chefs d’oeuvre comme Citizen Kane, Amadeus, Cinema Paradiso ou Titanic – ou La Recherche de Proust – sont construits sur un flashback qui en décuple la profondeur. Le troisième, plus audacieux, c’est le voyage dans le temps science-fiction et ses innombrables apories.
La Belle Époque en invente un quatrième : la reconstitution théâtrale. Faire jouer aux personnages d’une époque leur propre rôle dans le passé. Une sorte de Truman show dans le temps. Le procédé pourrait tourner court. Car Victor sait bien qu’il joue une reconstitution historique et que tous les personnages qu’il y croise sont des acteurs dûment préparés et rémunérés. Mais, miraculeusement, le procédé fonctionne grâce à une mécanique scénaristique d’une impressionnante efficacité et grâce à un quatuor d’acteurs épatants.
Dans ce quatuor, on peut néanmoins faire la fine bouche et reprocher à Guillaume Canet d’interpréter un rôle qu’il a décidément trop joué, celui quasi-autobiographique de l’homme de cinéma tyrannique, et à Fanny Ardant – dont je sais qu’elle compte des admirateurs inconditionnels – les limites de son jeu de vieille bourgeoise un peu foldingue. En revanche, Daniel Auteuil et Doria Tillier sont formidables. Daniel Auteuil, comme Catherine Deneuve et Isabelle Huppert, on l’a beaucoup vu ces trente dernières années. Trop peut-être. Dans des comédies pas drôles qui ne le flattaient guère. Loin du cabotinage qui pollue souvent son jeu, il compose ici un Victor attachant qui réussit, sans être ridicule à (re)tomber amoureux d’une femme de quarante ans plus jeune que lui. Mais c’est Doria Tillier qui crève l’écran. Elle n’est jamais aussi belle que quand Nicolas Bedos, son compagnon à la ville, la filme. Une scène est touchante où Guillaume Canet, double toxique de Nicolas Bedos lui-même, la guidant avec une oreillette, lui fait la confession de l’amour qu’il lui porte. On imagine que ces lignes ont été écrites par Nicolas pour Doria et on en est profondément ému.
Comme le faisait le mois dernier Chambre 212, La Belle Époque interroge intelligemment le couple. Le couple vieillissant de deux sexagénaires qui s’exaspèrent. Le couple naissant de deux trentenaires qui ne savent pas s’aimer. Et le couple improbable formé par Victor et Margot sur lequel l’ultime plan du film laisse planer l’éventualité d’un impossible dénouement.
Je viens de voir ce film qui m’a beaucoup plu et très ému et je savais que tu avais du en faire une critique… évidemment !
Bravo pour cette belle critique.
Je ne vais jamais au cinéma. Peut-être vais-je m’y rendre à présent un peu plus souvent !