À Mashhad, la ville sainte d’Iran, à la frontière de l’Afghanistan, un tueur en série a assassiné en 2000 et en 2011 une quinzaine de prostituées. Il les attirait chez lui, les étranglait et se débarrassait de leurs dépouilles dans des terrains vagues. Son procès déchira l’opinion publique iranienne, une partie d’entre elle prenant fait et cause pour lui, estimant qu’il faisait œuvre de salubrité publique en libérant la ville de femmes de mauvaise vie.
Le réalisateur Ali Abbasi, né en Iran, mais aujourd’hui installé en Suède, s’est saisi de ce fait divers. Il n’a pas eu le droit de tourner en Iran et a reconstitué les lieux en Jordanie. Son film précédent, Border, m’avait enthousiasmé – au point de figurer dans mon Top 10 en 2019 ; mais Les Nuits de Mashhad ne lui ressemble en rien.
Impressionné par ce fait divers, Ali Abbasi a eu l’idée d’inventer une courageuse journaliste. Palliant l’impéritie de la police qui, par incompétence ou par refus tacite, néglige l’enquête, elle traque elle-même le tueur en série au risque de sa vie. Le rôle joué par Zar Amir Ebrahimi lui a valu le prix d’interprétation féminine à Cannes. Sans doute le personnage est-il courageux et l’actrice l’interprète-t-elle avec une belle conviction. Mais de là à lui décerner un prix, il y a un pas que seule la bien-pensance – et l’absence de toute autre récompense octroyée à ce film au palmarès cannois – permet d’expliquer.
Les Nuits de Mashhad est un film violent. Il est d’ailleurs à bon droit interdit aux moins de douze ans. Il filme longuement l’agonie de trois femmes selon le même modus operandi. Certaines critiques lui reprochent, non sans motif, sa complaisance et son voyeurisme.
Il ne s’agit pas d’un polar à proprement parler. Il n’y a aucun doute sur l’identité du meurtrier, Saeed, un maçon, marié et père de famille, dont la caméra suit la vie sans histoire. Parallèlement, elle suit cette journaliste qui rencontre plusieurs obstacles pour mener à bien son enquête, le moindre n’étant pas l’inertie des autorités religieuses.
Quitte à déflorer le scénario – lecteurs allergiques aux spoilers, n’allez pas plus loin – il faut dire que le film compte une seconde partie après l’arrestation de Saeed. Il change de registre : il passe du thriller nocturne et poisseux au procès et aux enjeux politiques qu’il soulève. Hélas, Les Nuits de Mashhad est déjà bien entamé et semble manquer de temps pour développer cette partie-là. C’est d’autant plus dommage que c’était peut-être le plus intéressant. On est frustré d’un procès bâclé en quelques minutes à peine. On aurait aimé que le réalisateur prenne son temps pour nous raconter, en changeant peut-être de focale, et en se plaçant cette fois-ci du point de vue des autorités, le défi posé par un meurtrier invoquant la même idéologie moralisatrice et misogyne que celle de ses juges.