Maureen Kearney, militante CFDT, secrétaire du comité de groupe européen d’Areva, en conflit ouvert avec Luc Oursel, le nouveau PDG du groupe, affirme avoir été agressée à son domicile le 19 décembre 2012, cagoulée, ligotée et violée. L’enquête menée par la gendarmerie ne retrouve pas la trace de son agresseur et se retourne bientôt contre elle, l’accusant d’avoir dénoncé un crime imaginaire. Elle est condamnée de ce chef en première instance en 2017 mais blanchie de ces accusations en appel en 2018.
Ces faits ont été relatés dans un livre écrit en 2019 par une journaliste d’investigation, Caroline Michel-Aguirre. C’est ce livre, La Syndicaliste, que Jean-Paul Salomé, qui avait déjà dirigé Huppert dans La Daronne, a porté à l’écran.
Levons d’abord quelques malentendus autour de ce film, son titre et son affiche. Découvrir que la grande Isabelle Huppert tournerait dans un film intitulé La Syndicaliste et en découvrir l’affiche où on la voit en tête d’un défilé au milieu de ses camarades de lutte, m’avait arraché – ainsi qu’à quelques autres – des sarcasmes narquois. J’imaginais assez mal en effet que l’immense interprète de Phèdre, de Mary Stuart ou de Orlando enfile un bleu de travail ou tienne un piquet de grève sur un rond-point. Je me trompais bien sûr. Car une grande artiste peut tout jouer et Isabelle Huppert a déjà joué bien des rôles de prolétaires : dans La Cérémonie par exemple où elle interprétait une employée de maison qui, avec Sandrine Bonnaire, fomentait l’assassinat de ses patrons façon Les Bonnes.
Mais je me trompais surtout sur le sujet de ce film dont le titre est trompeur. Il n’y est guère question de lutte syndicale mais plutôt de manoeuvres au sommet de l’Etat et de lanceurs d’alerte. Loin du préjugé que j’avais conçu, Huppert n’y joue pas une syndicaliste en grève, mais plutôt une femme de pouvoir, occupant un bureau à l’étage noble du siège d’Areva, siégeant à son conseil d’administration et vivant, en famille, grand train avec résidence principale à Versailles et luxueuse résidence secondaire les pieds dans l’eau du lac d’Annecy. Plus Nicole Notat que Philippe Martinez en somme.
Cette précision m’en autorise, en réplique, une autre : reprocher à Huppert d’interpréter encore et toujours le même rôle, celui d’une grande bourgeoise tirée à quatre épingles, juchée sur de vertigineux stilettos, le maquillage et le chignon impeccables, la bouche pincée, éternelle victime de la violence des hommes (Philippe Bouvard lui avait décoché : « Vous êtes la femme la plus violée du cinéma français »), mélange de faiblesse et de force.
Un dernier mot sur l’affiche du film, puisqu’elle a fait beaucoup jaser. Isabelle Huppert y fait une bonne trentaine d’années de moins que son âge. Miracle de Photoshop ou du lifting ? On souligne la ressemblance entre Huppert et le personnage qu’elle incarne. Soit. Mais à quoi bon faire ressembler une actrice à un personnage dont personne ne connaissait jusqu’alors les traits ? Et surtout, pourquoi avoir voulu rajeunir de trente ans une sexagénaire, en photoshoppant son image, pour incarner un personnage de … dix ans sa cadette ?
Mais revenons au film.
Et c’est bien là que le bât blesse.
La Syndicaliste veut révéler un « complot d’Etat » – Clémentine Autain, députée LFI a d’ailleurs appelé à la création d’une commission parlementaire d’enquête pour l’élucider. Mais n’est pas Claude Chabrol qui veut, qui, avec Isabelle Huppert déjà, avait réalisé un film, L’Ivresse du pouvoir, sur l’affaire Elf et l’instruction menée par Eva Joly avec autrement de talent.
Ici tout est manichéen. À commencer par le nouveau PDG d’Areva, Luc Oursel, interprété par Yvan Attal, ambitieux et sanguin. Sa veuve et ses enfants viennent d’ailleurs de signer dans le JDD une tribune accusant le film d’avoir sali la mémoire du défunt.
Paradoxalement, c’est l’interprétation de Huppert qui sauve le film de ce manichéisme. Car elle est – comme elle sait si bien l’être dans tous ses films – tellement désagréable, revêche et hystérique que, à rebours de l’intention du livre, qui faisait de Maureen Kearney la victime innocente d’un crime odieux, elle finit par semer le doute sur son éventuelle culpabilité dans les événements du 19 décembre 2012, dont pourtant en 2018, la justice l’a blanchie.
Là 100% d’accord avec vous. Outre que Maureen était-elle réellement à ce niveau hiérarchique décrit ? Proglio n’est peut-être pas blanc-blanc mais il a déclaré ne pas avoir entendu parler de cette personne. Et bien sûr trop facile de dépeindre en noir le seul protagoniste dcd
(ma propre critique Allo Ciné 2**)
Cher Yves Gounin, je me permets ce commentaire car je suis souvent intéressée par les vôtres.
Pour précision, Isabelle Huppert, « l’immense interprète de Phedre… », ne l’a jamais joué, elle a interprété Medee. Aussi j’en déduis que vous ne l’avez pas vu. Ma question porte donc plus généralement sur sur les avis définitifs, incontestables. Au-delà des goûts –sa Medée, de mon point de vue, était épouvantable, et le contraste avec Emmanuelle Rivat qui incarnait le Chœur était saisissant, révélant toutes les limites de la première– cette figure d’intouchable dans le cinéma français entretenue inlassablement me fait penser au conte d’Andersen « Les habits neufs de l’Empereur ». Bien sûr certains s’interrogent, émettent des réserves (j’ai lu vos critiques) mais seul l’enfant, ignorant la bienséance, le dira. Il est nu!
Chère Catherine Pietri
J’ai eu la chance de voir Isabelle Huppert au théâtre de l’Odéon en 2015 ou 2016 interpréter Phèdre.
Je vous la recommande
YG
Cher Yves, je l’ai vu:-)
Dans ce spectacle qui s’intitulait « Phèdre(s) » vous savez bien qu’elle n’a pas interprété Phedre mais une variation sur des textes contemporains autour du personnage.
Ceci dit j’aurais été sincèrement intéressée par votre avis sur le fond de mon commentaire (et sa question). Une autre fois peut-être.
Je n’ai pas compris votre question sur le fond
Pouvez vous la reformuler ?
:))
J’ai vu le film « La syndicaliste » hier. Une telle histoire dérange par la violence des faits et la désinvolture de ces hauts dirigeants. Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi sur France Culture lors de l’émission « Les Pieds sur terre » le jeudi 2 mars 2023 « L’Agression – l’histoire vraie de Maureen Kearney – syndicaliste – je vous invite à l’écouter en Podcast.
Son témoignage est aussi, sinon plus, « poignant » que les images du film.
Cher Mr Y.Gounin . A propos du film « La Syndicaliste », malgré les points que vous soulevez, sous forme d’incohérences : ressemblance troublante entre l’interprète et le personnage qui a inspiré cette sombre histoire jusqu’à rajeunir I.H, pour les besoins du rôle, ce qui pour ma part ne m’a pas heurtée. Le côté « bien » ou « mal » sans nuance, il faut reconnaître que SI ? cette affaire est véridique, on ne peut qu’imaginer que chacun est dans son rôle. En revanche, regrette que le film s’achève sur le doute que l’on instille à la toute fin quant à savoir si cet évènement abjecte s’est effectivement produit ? Moi je pense que même si le film montre des imperfections il alerte peut-être les consciences et permettra d’enquêter à nouveau sur ce fait divers quelque en soit l’issue