Les deux amis ★★★☆

« Les deux amis » est un drôle de film.
Ce n’est pas un film drôle.
Quoi qu’on rit de temps en temps ; car cette histoire triste n’est pas filmée tristement.

Ce que je viens d’écrire n’est pas très clair ?
Reprenons.
Clément (Vincent Macaigne, pitoyablement attendrissant) est fou amoureux de Mona qu’il rencontre à la gare du Nord.
Sauf que Mona (Golshifteh Farahani, lumineusement belle) a un secret : elle est en régime de semi-liberté et doit rentrer chaque soir dormir en prison.
Clément demande à son meilleur ami, Abel (Louis Garrel, bellâtrement auto-dérisoire), de servir d’entremetteur. Mais Abel tombe amoureux de Mona au premier regard. Emue de l’amour que lui porte Clément, troublée par l’attirance qu’elle ressent pour Abel, obsédée par l’urgence de regagner sa cellule, Mona doit choisir.

« Les deux amis » a le charme fou des triangles amoureux : Clément aime Mona qui aime Abel qui n’aime au fond que lui ? Et si c’était en fait l’inverse ? Abel qui aime Mona qui aime Clément ? ou alors, Abel et Clément, homosexuels en déni, qui s’aiment à travers Mona ??
Dans « House of Cards », Frank et Claire Underwood finissent par coucher avec leur garde du corps. En France, on a le triolisme autrement plus subtil.

La bande-annonce

Mercenaire ★★☆☆

La bande-annonce de « Mercenaire » est de celles qui mettent l’eau à la bouche. Car ce premier film d’un réalisateur fraîchement émoulu de la Femis traite de deux sujets rarement vus sur grand écran. Le premier : les Wallisiens, ces Français d’outre-Pacifique, leurs tatouages, leur langue doucement chantante, leurs rites mâtinés de christianisme. Le second : le rugby – un sport rarement sinon jamais filmé au cinéma – ses ambiances viriles et ses petites magouilles.

« Mercenaire » raconte l’histoire d’un jeune joueur de rugby wallisien recruté par un club de rugby du Lot-et-Garonne. « Comme un lion », qui suivait un jeune joueur de football sénégalais recruté en France, entretient une fausse ressemblance avec « Mercenaire ». Le film de Samuel Collardey dénonçait un nouvel esclavagisme. Tel n’est pas le propos de celui de Sacha Wolff, même si son titre, réducteur, souligne cet aspect des choses.

« Mercenaire » a de plus grandes ambitions. C’est un documentaire quasi anthropologique sur une communauté en situation postcoloniale. C’est une chronique du racisme ordinaire qui frappe un étranger dans une petite ville de province. C’est une tragédie grecque sur l’amour monstrueux d’un père pour un fils qu’il refuse de perdre.

C’est beaucoup pour un seul film. Et c’est trop pour les épaules – pourtant tout sauf frêles – de l’acteur principal, le jeune Toki Pilokio, qui peine à endosser un rôle trop grand pour lui.

Le Ciel attendra ★☆☆☆

Les Dossiers de l’Écran présentent : « Radicalisation : Des clés pour comprendre » avec un film de Marie-Castille Mention-Schaar qui raconte en parallèle l’histoire – vraie sinon vraisemblable – de Mélanie qui se radicalise et de Sonia qui se deradicalise.

La réalisatrice récidive. Avec Les Héritiers, elle avait déjà fourni le film du mardi soir avant le débat « Intégration à l’école : mission impossible ? ». Ariane Ascaride – qu’on aperçoit en juge d’instruction compréhensive – y était plus-que-parfaite en professeure d’histoire de seconde qui, à force de patience et d’humanité, réussissait à transmettre à une classe black-blanc-beur de ZEP les valeurs de la République.

Comment reprocher à Marie-Castille Mention-Schaar de prendre à bras le corps les sujets d’actualité les plus brûlants ? Comment ne pas être bouleversé par ces deux jeunes filles, par leur vulnérabilité, par leurs erreurs, par l’impuissance de leurs parents ?

Mais comment dans le même temps ne pas être gêné par le didactisme pesant de Le Ciel attendra, par le manichéisme de ses personnages, jeunes filles révoltées, parents dépassés, recruteurs invisibles et manipulateurs ? Comment se laisser emporter par un suspense tué dans l’œuf puisqu’on sait dès le départ que Sonia se déradicalisera tandis que Mélanie suivra le chemin inverse ? Et comment ne pas préférer Les Cowboys qui, avec une toute autre finesse, décrivait sans chercher à la catégoriser, la rage impuissante d’un père à la recherche de sa fille disparue ?

La bande-annonce

Everest ★★★☆

On a tous un rêve inavoué : marcher sur la Lune, rencontrer Nelson Mandela, coucher avec Miss Monde…
Le mien : grimper l’Everest
Problème : j’ai de l’asthme… et le vertige.
Du coup j’étais allé voir « Everest » dès sa sortie, chaussé de mes lunettes 3D, au premier rang.
« Everest » est hollywoodien jusqu’au bout des ongles – gelés. Une galerie de personnages caricaturaux. Une action qui monte lentement en puissance. Des effets spéciaux. Du grandiose et de l’intime.
Sauf que Everest ne se termine pas par un happy end. On le sait avant d’entrer dans la salle.
On sort triste et content. Triste de la petite larme versée et content d’avoir réalisé, fût-ce par procuration, son rêve inavoué.

La bande-annonce

Les sept mercenaires ★☆☆☆

Mais quelle mouche a piqué Hollywood de faire un remake du western indépassable de John Sturges (1960) avec Yul Brynner et Steve McQueen ? A-t-on voulu attirer un public nostalgique comme moi de ce chef d’œuvre ? Ou un autre qui ne l’aurait pas vu et qui s’imaginerait s’en approcher à travers son remake ? Qu’un pareil film puisse se monter est tristement révélateur de la paresse et de la frilosité des majors

Car il n’y a pas grand chose à tirer du travail laborieux de Antoine Fuqua. Respectueux de l’original, il en garde la trame archiconnue : des villageois martyrisés recourent à une bande de mercenaires pour se libérer du tyran qui les oppriment. Les chapitres convenus du western de John Sturges sont respectés. D’abord le patient recrutement des sept mercenaires – qui en 2016 incarnent un échantillon plus bigarré qu’en 1960. Ensuite la formation des villageois à l’art de la guerre. Enfin, après une attente fébrile, l’assaut final, la résistance héroïque, les pertes nombreuses (qui parmi les sept succombera ? qui survivra ?) et la victoire.

Sauf que rien de ce qui faisait le charme épique du western de 1960 ne fonctionne. Aucun des mercenaires, lesté désormais d’un lourd passé psychologisant, n’est attachant. Ni Denzel Washington qui reprend le rôle de Yul Brynner (pourquoi pas), ni Chris Pratt dans celui de Steve McQueen.

Le plus paradoxal survient avec le générique final qui reprend l’espace de quelques mesures, la célébrissime musique de Elmer Bernstein (mais si ! vous la connaissez !). On est pris pendant quelques secondes d’une excitation qui s’éteint aussitôt que se dissipe l’illusion qu’on n’est malheureusement pas en train de revoir l’original mais hélas de découvrir une pâle copie.

La bande-annonce

Anna Halprin et Rodin ★★☆☆

Née en 1920, Anna Halprin danse depuis près d’un siècle. Elle a fréquenté les plus grands : Martha Graham dont elle fut l’élève, Merce Cunningham dont elle fut la partenaire, Trisha Brown dont elle fut le professeur. Elle a traversé tous les styles et les a souvent devancés comme dans « Profiles and Changes » où les danseurs se dénudaient sur scène : ce spectacle fut, pour ce motif, censuré en 1965 alors qu’une telle scène est aujourd’hui d’une banalité convenue.

Ruedi Gerber avait déjà consacré à la chorégraphe américaine en 2010 un premier documentaire où elle faisait retour sur sa carrière. Celui-ci est moins nostalgique. Il suit un atelier qu’elle anime sur une plage de Californie du nord battue par les vents, avec quelques danseurs non professionnels en quête d’un nouveau dialogue corporel inspiré des sculptures d’Auguste Rodin.

La démarche de l’artiste n’est pas éloignée de celle d’un gourou entouré des adeptes de sa secte. Ses références répétées au pelvis et à la kinesthésie, ces corps nus qui se contorsionnent dans la boue peuvent parfois prêter à sourire.

Mais, tout sens du ridicule bu, l’art d’Anna Halprin, son audace, sa quête du Vrai et du Beau produisent une émotion rare.

La bande-annonce

Soy Nero ☆☆☆☆

Nero a grandi à Los Angeles. Il en a été expulsé vers le Mexique. Après plusieurs tentatives infructueuses, il parvient à revenir en Californie avec une idée en tête : servir dans les rangs de l’armée pour obtenir, à l’issue de son engagement, la citoyenneté américaine.

Comme l’annonce la phrase qui surplombe l’affiche du film, « Soy Nero » se veut « une fable qui synthétise toute la géopolitique du monde ». Ce film voudrait évoquer en un seul geste à la fois le drame de l’immigration chicano aux États-Unis et l’hybris de l’interventionnisme militaire américain. Projet ambitieux ! Projet stimulant sur le papier d’un réalisateur anglo-iranien résidant en France dont l’œuvre interroge la notion d’identité et de frontière.

La déception est d’autant plus grande que les espérances étaient élevées. Faute de moyens, « Soy Nero » colle à son héros qu’on accompagne en de longs plans séquence. On le suit d’abord dans ses tentatives de franchissement du mur qui sépare les Etats-Unis du Mexique. Le deuxième tiers du film le retrouve sans transition à Beverley Hills, dans une luxueuse villa dont son frère fait mine d’être le propriétaire alors qu’il n’en est que l’homme à tout faire. La rupture est plus radicale encore avec la dernière partie du film. Nero – qui a dû changer d’identité entretemps – patrouille un check point sous l’uniforme américain. Les choses, comme on l’escomptait, tournent mal.

Sans doute Rafi Pitts a-t-il trop voulu brasser. Son film en contient deux voire trois. Mais, défaut plus rédhibitoire encore, il le fait sous une forme languissante, éthérée, qui distille l’ennui plus qu’il ne suscite l’intérêt.

La bande-annonce

La Danseuse ★★★☆

Dans la danse classique, tout part des pieds. Loïe Fuller décida de danser avec ses bras et inventa la danse moderne en 1892. Tournoyant sur un piédestal dans des jeux de lumière, noyée dans des mètres de soie, cette Américaine connut la gloire à Paris avant d’être éclipsée par sa compatriote Isadora Duncan.

C’est cette histoire haute en couleurs que raconte Stéphanie Di Giusto dans un premier film audacieux. À cheval sur les deux rives de l’Atlantique, « La Danseuse » est une reconstitution soignée de la Belle époque, un splendide portrait de femme(s) et surtout un choc esthétique.

Du Far West à l’Opéra de Paris, pas un bouton de manchettes ne manque aux acteurs tous remarquables qu’on retrouve avec plaisir : Gaspard Ulliel en dandy proustien autrement plus convaincant que chez Dolan, Mélanie Thierry qui gagne en profondeur avec les années sans rien perdre de sa grâce, François Damiens et Louis-Do de Lencquesaing en directeurs de salle…

Deux femmes se distinguent que, hors l’amour fou de leur art, tout oppose. Deux danseuses qui se disputent, dans un combat perdu d’avance par Loïe Fuller, le rôle titre : Soko au visage dur, presque masculin, au corps athlétique et souffrant, à la détermination inébranlable et, dans le rôle de Isadora Duncan, Lily-Rose Depp, si frêle, si gracieuse, si enfantine, qu’on peine encore à regarder sans chercher en elle les traits de ses deux parents.

Les chorégraphies de Loïe Fuller, éclairées par Benoît Debie, sont envoûtantes. Elles sont d’une telle beauté qu’elles en éclipsent le reste du film. On aurait aimé que les scènes dialoguées soient plus courtes et les scènes dansées plus longues.

La bande-annonce

Summer ★★☆☆

Sangailé, dix sept ans, est mal dans sa peau, qu’elle taillade à coups de cutter. Elle rencontre Austié, une fille de son âge dans un aérodrome à l’occasion d’un show aérien.
Ensemble, elles feront le grand saut, partiront en vrille, grimperont au septième ciel…
« Summer » (titre français de « Sangailé ») est dix fois moins bien que « La vie d’Adèle », cinq fois moins bien que « La belle saison »… mais nous donne l’occasion rare de voir des jeunes filles en fleur parlant une langue terriblement étrangère s’ébattre entre une centrale nucléaire et un aérodrome.

Red Rose ★★☆☆

Le cinéma iranien connaît depuis quelques années une belle effervescence.
Interdit de quitter son pays, condamné à filmer sous le manteau, Jafar Panahi en est devenu le porte-drapeau. Ashgar Farhadi, le réalisateur de « Une séparation », Ours d’or à Berlin et Oscar du meilleur film étranger, en incarne la face la moins polémique. La sublime Goshifteh Farahani, découverte par Fahradi dans « La Vie d’Elly », aujourd’hui exilée en France en est devenue l’égérie internationale et libérée.
Mais le cinéma iranien ne se résume pas à ces trois personnalités.

Comme Mehrand Tamadon qui, en 2014, avait questionné l’iranité en se confrontant, l’espace d’un week-end avec un trio de mollahs aussi intolérants que ficelles, Sepideh (quel merveilleux prénom !) Farsi filme un huis clos.
Cette fois-ci le conflit est hors champ : dans la rue où se déroulent les manifestations de la « révolution verte » qui avait accompagné la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009. Une manifestante, l’oreille rivée à son téléphone, l’œil collé aux réseaux sociaux, trouve refuge dans l’appartement d’un militant des droits de l’homme plus âgé qu’elle. Deux générations confrontent leurs espérances, leurs désillusions et s’aiment l’espace d’une nuit.

Le procédé, théâtral, touche vite ses limites. La fin est maladroite. Mais la situation actuelle de l’Iran, qu’on sent sur le point d’exploser, mérite qu’on s’y intéresse.

La bande-annonce