Deepwater ★☆☆☆

C’est l’histoire du plus grave accident jamais intervenu sur un plate-forme pétrolière américaine offshore et de la plus grave catastrophe écologique qui s’ensuivit : l’incendie de Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010.

L’affiche ne laisse guère de place au suspens. L’immense monstre d’acier s’écroulera dans l’océan (sauf que la scène se déroulera en pleine nuit, rendant l’incendie plus photogénique, alors que l’affiche bizarrement le saisit en plein jour). On se doute que survivra à la catastrophe le sympathique héros, Mark Wahlberg, dans le rôle d’un chef électricien courageux près à risquer sa vie pour sauver une jeune collègue à forte poitrine en T-shirt mouillé (comment son image de bon mari et bon père n’en prend-elle pas un coup ?). Le seul suspens est de savoir qui parmi les survivants perdra la vie. Le vieux contremaître revenu de tout joué par Kurt Russell ? L’horrible ingénieur dont la mesquinerie et l’avidité l’ont conduit à des risques fatals joué par John Malkovitch ? Le noir de service joué par… ah désolé il n’est pas crédité au générique ?

Autant dire qu’il n’y a guère de suspens. Alors qu’y a-t-il à sauver de ce « Deepwater » ? Pas grand’chose.

Qu’il soit adapté d’une histoire vraie ne le rend pas plus émouvant. J’ai déjà ecrit cent fois la rage dans laquelle me plongeait cette béquille d’un marketing qui s’imagine rendre le cinéma plus émouvant en rattachant le scénario d’un film à une histoire vécue.

Quid alors de la critique du capitalisme que « Deepwater » véhiculerait ? Je l’ai trouvé bien manichéenne (l’explosion est causée par l’inconscience d’un ingénieur qui viole des mesures de sécurité élémentaires) et bien peu convaincante.

Alors « Deepwater » ? Une oubliable série B.

La bande-annonce

The Lesson ★★★☆

Une Rosetta bulgare
Nadia est prof d’anglais dans un petit lycée. Elle est bientôt prise dans une terrible spirale : sa maison sera mise aux enchères dans trois jours faute de rembourser les dettes contractées à son insu par son mari, un incapable alcoolique. S’engage une haletante course contre la montre qui voit Nadia se battre contre des moulins à vent : un banquier inflexible, un usurier lubrique, une police corrompue, une famille atomisée…
Mère courage, Nadia sert les dents et rentre les épaules. Pendant près de deux heures, la caméra la suit, souvent filmée de dos comme la Rosetta des frères Dardenne.
La fin (remboursera-t-elle ?) réussit à nous surprendre.
Une curiosité à voir en provenance d’un pays à la filmographie éclipsée.

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The Program ★☆☆☆

Un dupeur dopé (Libération ! Si tu me lis recrute moi !)

Lance Armstrong a menti toute sa vie. Sa morphologie ne le prédisposait pas à devenir un champion. Trop petit, trop gros, trop musclé. Amaigri par le cancer qui le frappe à 25 ans et surtout dopé par les cocktails-miracles du docteur Ferrari, le cycliste texan va remporter sept Tours de France d’affilée. Il entre dans la légende… et en sort avec fracas lorsque les révélations de ses camarades, l’enquête de l’agence américaine anti-dopage et sa confession publique au talk show d’Oprah Winfrey révèlent l’ampleur du « programme ».

Pareil destin est une mine d’or pour le cinéma. Stephen Frears – qu’on a connu plus inspiré quand il filmait « les liaisons dangereuses » ou « The Queen » – déroule gentiment. Il raconte chronologiquement l’ascension (c’est le cas de le dire !), la gloire et la chute de Armstrong.

Il s’est inspiré du récit de David Walsh, le journaliste irlandais qui a dénoncé le scandale de l’EPO – oubliant au passage les enquêtes des journalistes de L’Équipe ou du Monde. Du coup, c’est un procès à charge contre Big Tex. Ben Foster essaie de lui donner un peu d’ambiguïté dans quelques scènes compatissantes où il campe le héros au chevet d’enfants atteints du cancer. Mais rien n’y fait : Lance Armstrong apparaît comme un monstre d’ambition, avide au gain, tyrannisant ses coéquipiers et le reste du peloton. Ce que le personnage gagne en noirceur, il le perd en subtilité. Dommage.

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Nous venons en amis ★☆☆☆


J’avais été bouleversé par « Le cauchemar de Darwin ». J’ai été bien déçu par « Nous venons en amis », le nouveau documentaire de Hubert Sauper.

Le sujet est le même : comment l’Afrique est victime de la cupidité des étrangers.
Le cadre a changé : après le lac Victoria, Sauper enquête au Sud Soudan à bord d’un petit biplace qu’il a lui-même bricolé.

Son documentaire a été tourné au moment de l’accession à l’indépendance du Soudan du sud en 2010-2012. Mais loin d’être l’occasion de se réjouir de l’exercice par les peuples de leur droit à disposer d’eux-mêmes, Sauper dénonce encore, comme il l’avait fait dans « Le cauchemar de Darwin », l’asservissement de l’Afrique à des puissances extérieures.
Tout y passe : les marchands d’armes, les pilleurs chinois des ressources naturelles (pétrole, bois), les missionnaires texans et même les casques bleus de l’ONU.
Mais la saine colère qui anime Hubert Sauper rate hélas son objectif. En s’interdisant toute contextualisation, comme le veulent les règles stupides qui régissent aujourd’hui l’art documentaire, l’auteur nous prive des clés de base pour comprendre la situation qui prévaut au Soudan : rien n’est dit sur l’indépendance, ni sur les rivalités qui opposent les Nuer et les Dinka.

En attaquant tous azimuts tous les « amis » du Soudan, le réalisateur ne réussit qu’à nous désespérer. On ressort de la salle la mine grave, le cœur triste… et on se dit que l’Afrique est décidément mal partie.

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L’Odyssée ★★★☆

Coup de cœur pour « L’Odyssée » bien mal servi par une critique assassine (celle du Monde gagne la Palme de la méchanceté vipérine) mais qui rencontre depuis mercredi un succès public mérité.

On connaît tous le commandant Cousteau, son bonnet rouge, ses fines lunettes et ses drôles de costumes futuristes. On connaît moins la vie de ce capitaine de corvette qui démissionna de la Marine nationale pour filmer le « monde du silence ». L’époque n’était ni aux documentaires animaliers façon National Geographic ni aux plaidoyers écologiques. Financé par l’industrie du pétrole, Jacques-Yves Cousteau filmait les océans pour mieux les conquérir. C’est sous l’influence de son fils Philippe qu’il posa à la fin de sa vie à l’ambassadeur de la planète en danger.

Pour raconter la vie du plus américain de nos héros nationaux, c’est le plus américain des réalisateurs français qui a été choisi. Jérôme Salle, le réalisateur des « Largo Winch » et de « Zulu », sait y faire. La production ne lui a pas mégoté son budget. Son scénario qui rebondit d’un continent à l’autre (la côte varoise, le détroit d’Ormuz, New York, Ushuaia) a un petit air de James Bond.

Mais c’est surtout par ses interprètes que vaut « L’Odyssée ». Pierre Niney a un rôle qui manque de l’ambiguïté qui lui aurait donné de la profondeur. Audrey Tautou fait un tabac, la clope au bec, dans celui de Mme Cousteau, menant à la baguette ses hommes. Enfin, Lambert Wilson force l’admiration. Aussi crédible à quarante ans qu’à soixante-dix, il adopte tous les tics du personnage (le bonnet rouge, les lunettes et même l’horrible accent Frenchie) sans donner l’air de le singer ou de se déguiser. Chef égocentrique vénéré par ses hommes, amoureux fou de sa femme et mari infidèle, brisé par la mort d’un fils qu’il n’a pas su aimer, il est convainquant jusque dans ses paradoxes.

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Marguerite ★★☆☆

« Marguerite » fut l’an passé l’un des films français qui connut le plus grand succès, tant auprès du public que de la critique.

Il n’est pas nécessaire de rappeler son potch désopilant : une baronne fortunée, passionnée d’art lyrique donne des concerts privés. Elle chante comme une casserole. Mais personne n’ose le lui dire. Ni son mari qui la protège, ni ses amis qu’elle entretient, ni son majordome qui la vénère. Jusqu’au jour…

Xavier Giannoli met en scène la Castafiore dans les années 20. La reconstitution est luxueuse (tournée à Prague où les charges sociales sont moins lourdes). La bande musicale est splendide. Les acteurs sont parfaits ; et je ne parle pas ici de Catherine Frot dont je trouve le jeu très monotone d’un film à l’autre mais de toute une panoplie de seconds rôles inconnus : André Marcon, le mari, Denis Mpunga, le majordome, André Fau le professeur de chant…

Le problème est que ce film repose sur un ressort. Et sur un seul. Marguerite chante mal. Divinement mal. C’est hilarant. Une fois. Deux fois. Mais à la troisième on rit moins. Et à la quatrième on bâille.

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Le Prodige ★★☆☆

Le cinéma aime filmer la folie, la longue spirale qui conduit lentement un être normal dans l’abîme de la déraison.
« Shining » de Kubrick, « Repulsion » de Polansky, « Spider » de Cronenberg, « Aguirre » de Herzog…

Je ne comprends pas cet engouement.
Pour deux raisons.
1. Je ne trouve aucun plaisir à voir pendant 1h30 un homme ou une femme sombrer dans la folie.
2. Les ressorts dramatiques de cette déchéance sont très pauvres. Il est fou. Il est de plus en plus en plus fou. Il a définitivement perdu la tête.

« Le prodige » de Edward Zwick n’échappe pas à la règle. Au début du film, Bobby Fischer est un enfant surdoué. Son génie des échecs devient obsessionnel jusqu’à son match légendaire contre Spassky en 1972 à Reykjavik. Puis il s’enfonce dans la paranoia.

Cette trajectoire linéaire et prévisible, caricaturalement interprétée par Tobby Maguire, est sauvée de l’ennui par les seconds rôles : Liev Schreiber d’une classe folle dans le rôle de Spassky, Peter Sarsgaard dans celui du secondant de Fischer.

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Much Loved ★★★☆

« Much loved » suit au quotidien quatre prostituées à Marrakech : Hlima qui débarque du bled, Randa qui préfère les femmes aux hommes, Soukaina, romantique au cœur tendre, et Noha qui fait office de grande sœur. Sans oublier Said, le silencieux homme à tout faire, tour à tour chauffeur, coursier et garde du corps.

Nabil Ayouch filme la société marocaine et ses hypocrisies : les femmes se voilent dans la Casbah mais se dévoilent sitôt refermées les portes des riads de Marrakech où de riches Saoudiens libèrent leurs pulsions réprimées.

Tout y passe : la corruption de la police, les violences faites aux femmes, la tartufferie des hommes face au déni de leur homosexualité, la pédophilie… Les officiels marocains ne l’ont pas supporté et en ont interdit la sortie dans leur pays. Agressée à Casablanca, l’actrice principale, Loubna Abidar, a dû prendre le chemin de l’exil vers la France.

« Much loved » n’évite pas la complaisance dans la description un brin répétitive des nuits de Marrakech. Il aurait pu sans peine être amputé de son dernier quart d’heure. Mais ce beau portrait de femmes – qui rappelle « Le Harem de Madame Ousmane » ou l’exceptionnel « Party Girl » – laisse une empreinte durable, forte et belle.

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L’Histoire officielle ★★☆☆

« L’Histoire officielle » ressort sur les écrans. En 1985, ce film avait fait sensation. Alors que l’Argentine sortait à peine de la dictature, le film de Luis Puenzo en dénonçait les crimes. Auréolé de l’Oscar du meilleur film étranger et de la Palme de la meilleure interprétation féminine, « L’Histoire officielle » prenait immédiatement rang parmi les films iconiques. Un statut qu’il partage avec ces films qu’on montre dans les lycées pour illustrer un pays ou une époque : « Crias Cuervos », « Missing », « Yol », « L’Homme de fer »…

« L’Histoire officielle » mérite-t-il tant d’honneur ? Pas sûr. Certes le film n’est pas sans finesse, qui ne raconte pas les exactions de la junte mais leur découverte progressive par une professeure d’histoire habituée à enseigner à ses élèves l’histoire officielle. Elle découvrira que l’enfant qu’elle a adoptée est la fille d’une prisonnière politique morte en captivité.

Pour autant, « L’Histoire officielle » a bien mal vieilli. Comme tant de films des années quatre-vingts, il en a toutes les tares : des costumes hideux, des lumières marronnasses, un faux rythme languissant… Depuis trente ans, le cinéma argentin n’a pas cessé d’interroger les heures les plus sombres de son histoire et a réalisé sur celles ci des œuvres moins célèbres mais plus réussies: « Buenos Aires 1977 », « L’Œil invisible », « Kamchatka », « La Femme sans tête », « Dans ses yeux ».

 

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Aquarius ★☆☆☆

La soixantaine, Clara habite un bel appartement en bord de mer. Mais des promoteurs sans vergogne souhaitent l’en déloger pour construire un condominium de luxe.

Dans « Les Bruits de Récife » (2012), Kleber Mendonça Filho interrogeait, à partir de la rénovation urbaine d’un quartier de la capitale du Pernanbouc, le vivre-ensemble brésilien, la dureté de ses rapports de classe et de race. Son propos est aujourd’hui moins sociologique et plus psychologique. « Aquarius » est moins un film sur un lieu – la résidence ainsi nommée que Clara ne veut pas quitter – qu’un film sur une femme.

Sonia Braga est au cinéma brésilien ce que Catherine Deneuve est au cinéma français : une égérie, une figure de drapeau, un navire amiral. À soixante ans passés, l’héroïne de « Dona Flor et ses deux maris » et du « Baiser de la femme araignée » n’a rien perdu de sa beauté et de son élégance. Elle est de tous les plans dans « Aquarius » – et même dans le prologue du film qui éclaire, en 1980, son passé familial. Comme Catherine Deneuve, Sonia Braga intimide par sa beauté altière et émeut par la fragilité qu’on y sent parfois percer.

« Aquarius » est un film sur le temps qui passe, sur la nostalgie, sur la perte (Clara qui a déjà perdu son mari et qui voit s’éloigner ses enfants, ne veut pas renoncer à la dernière chose qui la rattache à son passé). Mais le temps qui passe passe bien lentement dans ce film qui s’étire inutilement pendant plus de deux heures vingt. Ramassé en une heure trente, il aurait mérité une ou deux étoiles de plus.

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