Voici l’histoire sur près de quarante ans d’un couple, Liu Yaojun et Wang Liyun, employés dans un conglomérat industriel d’État, soumis à la politique de l’enfant unique, confronté à la perte irréparable de leur garçon.
La littérature a sur le cinéma un avantage : il existe des romans plus ou moins longs alors que les films ont tous, peu ou prou, la même durée. Vous me direz qu’il y a des films qui durent quatre heures – voire quatorze comme récemment La Flor – et vous aurez raison. Je vous rétorquerai que quatre-vingt-dix minutes est la norme et je n’aurai pas tort.
Pourquoi cette laborieuse entrée en matière ? Parce que So Long, My Son fait plus de trois heures et a exactement la durée qui convient à son propos. Comme Autant emporte le vent, comme Docteur Jivago, So Long, My Son suit ses personnages pendant plusieurs décennies et avait besoin d’au moins trois heures pour raconter leur histoire.
Il aurait pu le faire en suivant paresseusement la chronologie – comme le faisait d’ailleurs les chefs d’œuvre susmentionnés. Mais ce simplisme n’est plus de mise. Les modes de narration se sont sophistiqués. So Long, My Son est construit sur une succession d’ellipses et de flash-back particulièrement complexes. Il serait croustillant d’en reproduire la succession sur l’axe du temps. Mais ce découpage, aussi complexe soit-il, n’en demeure pas moins parfaitement lisible : un détail vestimentaire, un élément du paysage ou du climat, un calendrier permettent rapidement au spectateur de se repérer dans le temps et dans l’espace. Et il s’avère d’une redoutable efficacité car il donne de l’épaisseur à une histoire qui, si elle avait été racontée dans l’ordre chronologique, n’aurait pas eu le même relief.
Sans doute est-ce donner dans cette critique trop de place à un élément bien technique.
Car So Long, My Son est un film dont les qualités ne se limitent pas à son seul découpage. C’est un film politique. C’est en même temps un film profondément émouvant.
Comme dans ses précédentes réalisations, le réalisateur Wang Xiaoshuai, né avec la Révolution culturelle en 1966, entend faire résonner la petite histoire avec la grande. Le destin de Liu Yaojun et Wang Liyun est celui de tant de Chinois ordinaires nés au mitan du siècle. Ils connurent dans leur jeunesse les camps de rééducation. Ils durent s’employer aux champs ou à l’usine. Ils furent ensuite confrontés au démantèlement de leurs unités de travail, seuls les plus malins réussissant à tirer parti des opportunités offertes par le capitalisme naissant.
Le destin de Liu Yaojun et Wang Liyun a été brisé par la politique de l’enfant unique qui leur interdit d’avoir un second enfant quelques mois avant de perdre le premier dans des circonstances dramatiques. Le drame que constitue pour un couple la mort brutale de leur enfant, la difficulté à s’en relever est déjà, en soi, un sujet poignant. Mais So Long, My Son lui en greffe plusieurs autres avec l’éducation d’un autre enfant dont on découvrira bientôt les origines et la douloureuse réconciliation avec un couple d’amis dont le fils porte la responsabilité de la mort de leur fils.
Leur dignité face aux épreuves, leurs douleurs tues, leur résilience pour employer un mot à la mode sont si édifiantes qu’elles frisent l’académisme. Mais nos dernières réserves sont emportées par un épilogue à faire pleurer les pierres.
C’est un film très émouvant. Sa lenteur permet de sentir véritablement la douleur lancinante du couple et aussi d’observer entre contrepoint le choc de la modernité chinoise (laideur uniforme des villes, nouveaux riches, fossé générationnel). J’ai trouvé les deux acteurs principaux bouleversants. Deux questions tout de même : je ne suis pas sûre d’avoir compris d’où vient l’ado xingxing qui « remplace » leur fils disparu. Pour moi, c’est un de ces nombreux enfants surnuméraires, créées par la politique de l’enfant unique et qui flottent sans identité dans la vaste Chine. Et de même le petit garçon de Moli Sunny – on imagine bien sur que c’est aussi le fils de YaoJun et la scène est très belle – mais pas certain… merci d’avance de ta sagacité.